LE P. JEAN-BAPTISTE BARBIER
Not. Biog. IV p. 355-366
Décédé à Saint-Louis (Sénégal), le 4 Décembre 1909


Le 5 décembre 1909, à 4 heures du soir, une foule nomhreuse et composée de toutes les classes de la population se pressait dans l'église de St Louis (Sénégal) trop petite pour la circonstance, afin d'y assister aux obsèques du jeune et sympathique curé de la paroisse, décédé la veille à l'hôpital colonial. Durant son court passage à la cure du chef-lieu de la colonie, le P. Barbier avait su s'attirer par sa bonté, sa cordialité et son zéle, l'affection générale et avait vite conquis l'estime de tous, Aussi, ce fut un deuil universel quand on apprit sa mort et une foule considérable tint à accompagner le regretté défunt jusqu'à sa dernière demeure. Successivement, quatre discours lurent prononcés, énumérant les vertus et les qualités de celui qui venait de disparaître et redisant le bien opéré par lui.

Un passage du dernier discours prononcé par le Directeur des Travaux Publics, M. Michas, au nom des jeunes, résume parfaitement le caractère et la nature du zéle du cher défunt dont nous écrivons la notice. Voici ce passage-.

« jeune le R. P. Barbier l'était par l'âge et sa vigueur réelle, mais c'est surtout par tempérament qu'il affection naît la jeunesse, et, peut-être l'aurions-nous conservé de longues années encore, si son dévouement inlassable pour les petits ne lui avait fait dépasser trop souvent les limites de ses forces et ruiner précocement une santé qui leur eût été précieuse à plus d'un titre. Confiant dans son énergie, qu'il décuplait par tous les moyens à sa portée, il accumulait sur sa t tête les tâches les plus diverses pour se rapprocher des enfants et se les attacher. Il multipliait pour ainsi dire les heures de ses journées par la suppression de la distance fébrilement dévorée, afin de satisfaire aussi aux exigences de son ministère. »

Ces quelques paroles résument bien la vie apostolique du P. Barbier: zèle ardent pour le salut des âmes, prédilection spéciale pour l'enfance et la jeunesse, Nous pouvons d'ailleurs en juger en le voyant à l'oeuvre.

Naissance - Vocation

Le P. Jean-Baptiste Barbier naquit le 28 juillet 1872 dans la catholique Bretagne à Plumaguàt (Côtes-du-Nord) de parents profondément chrétiens. C'est au sein de sa famille qu'il puisa, dès l'âge le plus tendre, cette foi profonde et ces fortes convictions qui devaient faire de lui plus tard un missionnaire ardent et dévoué pour le salut des âmes et lui permettre de réaliser, partout où il a passé, un bien véritable dans un court espace de temps. Tout jeune encore, le désir de sa perfection et du salut des âmes le pousse à entrer chez les clercs de St Joseph. De Beauvais, nous le voyons se diriger quelques années plus tard sur Merville, petit scolasticat de la Congrégation. Il a trouvé sa vocation. Il sera religieux et missionnaire de la Congrégation du St-­Esprit et du St-Coeur de Marie et c'est, dans cet Institut qu'il cherchera désormais à acquérir les vertus sacerdotales et religieuses.

Le 21 avril 1889 (il n'a pas encore 17 ans) il fait son oblation et prend le nom de François-Xavier, ce qui indique bien son grand désir de procurer le salut des âmes à L'exemple du grand Apôtre des Indes. - Jusqu'à l'époque de sa profession religieuse il travaillera maintenant à Merville, à Chevilly et à Grignon, partout où la suite de ses études va le conduire, à former en lui le religieux missionnaire d'après le modèle qu'il s'est choisi. Intelligent et laborieux de sa nature, il se livrera de tout coeur à l'étude des sciences sacrées et profanes, soit au petit, soit au grand scolasticat et donnera partout satisfaction à ses maîtres par sa piété, sa régularité et son application. Ses condisciples comme ses maîtres n'auront qu'à se louer de lui durant tout le temps de sa probation sacerdotale et religieuse et, le moment venu, il sera admis sans difficultés à émettre ses voeux de religion dans la Congrégation du St-Esprit et du St-Coeur de Marie. Ce fut le 15 août 1897 qu'il eut ce bonheur dans la chapelle du noviciat de Grignon. Le voilà maintenant à la disposition de ses Supérieurs et prêt à partir là où l'obéissance va l'appeler.

Professeur et Directeur des Aspirants

La carrière religieuse du P. Barbier comprend douze a années (1897­1909), dont six employées dans le professorat OU la direction des jeunes aspirants religieux, et les six autres dans les missions.

Professeur, il le fut à deux reprises: immédiatement après sa consécration apostolique, lorsqu'il fut placé à Langonnet jusqu'à son départ pour la Guinée française en juin 1898 ; puis à son retour de cette Mission en novembre de la même année, jusqu'en janvier 1904, où l'obéissance l'appellera dans la Mission du Sénégal. Pendant ces six années de France, il sera employé successivement à Chevilly, à Langonnet et à Cellule, comme Sous-Directeur ou comme Directeur des jeunes aspirants scolastiques. C'est dans ces fonctions que se révèleront ses goûts et ses aptitude,; pour la formation intellectuelle et Morale de l'enfance et de la jeunesse, et qu'il puisera cet amour des jeunes qui ne le quittera plus et sera une des caractéristiques de son zèle apostolique. Pendant ces six années, il se donnera tout entier à ces fonctions plutôt ingrates et cherchera à former dans ces jeunes âmes les vertus et les qualités des missionnaires de la Congrégation. Nous n'avons aucun détail particulier sur ces années de sa vie, mais la confiance que lui témoignèrent toujours ses Supérieurs et son admission aux voeux perpétuels par décisions des 22 juin et 6 juillet 1900 nous disent assez ce qu'il fut durant les premières années de sa vie religieuse et l'espoir que l'on fondait sur lui.

Comme nous l'avons vu plus haut, il avait été désigné en 1898 pour la Mission de la Guinée française. Le 8 juin, il s'embarquait à Marseille pour sa destination et à la fin du mois il se trouvait à la mission de Saint Joseph de Boffa où l'obéissance l'avait placé. Mais le jeune missionnaire arrivait en pleine mauvaise saison, et l'hivernage guinéen est très pénible avec ses pluies abondantes et ses chaleurs lourdes et accablantes. Avec l'ardeur qui le caractérisait, le P. Barbier se mit au travail comme s'il eût été en France, ne calculant pas avec le climat qui en eut bientôt raison. Aussi, quelques mois après, les lièvres le forçaient à quitter le Rio-Pougo, pour rentrer à Conakry, et de là en France, d'après l'avis du médecin. Il semble dès lors que tout espoir de retourner en mission est perdu pour lui ; mais la divine Providence devait lui ménager une autre occasion de satisfaire son zèle apostolique sur cette terre africaine où il désirait si vivement être employé, et c'est au commencement de 1904 qu'il part de nouveau pour le continent noir, d'où il ne devra plus revenir cette fois.

A l'occasion des décrets frappant les Instituts religieux, notre propre Congrégation vit plusieurs de ses maisons de France supprimées, entre autres celle de Cellule où se trouvait alors le cher P. Barbier. Par suite de ces suppressions d'établis­sements, un bon nombre de Pères se trouvèrent disponibles, ce qui permit à plusieurs de satisfaire leurs désirs d'aller en mission. Le P. Barbier fut de ce nombre, et le 15 janvier 1904, nous le voyons s'embarquer à Bordeaux pour le Sénégal.

Procureur et Curé

Durant son séjour de près de 6 années, dans cette Mission c'est dans la colonie proprement dite qu'il est appelé à exercer son ministère, et les quatre villes principales le verront successivement à l'oeuvre dans ce court espace de temps. A son arrivée à Dakar, il est attaché à la communauté de cette ville en qualité de vicaire et de procureur de la mission. Il succède dans cette importante et difficile fonction au P. Muller, économe et procureur de carrière, qui vient d'être nommé, par Mgr Kunemann, Supérieur de la mission de Bathurst. La charge du P. Barbier était donc lourde, et témoignait en même temps de la confiance des Supérieurs dans le nouvel arrivé. Il sut s'en acquitter comme il faut. Il trouvait dans cette fonction un côté qui convenait à sa nature ardente l'activité et le dévouement qu'elle exige. Mais il manquait quelque chose à ses aspirations de missionnaire ; en même temps qu'au bien matériel de la mission, il eût désiré travailler également à son bien spirituel.

Son désir ne va pas tarder à se réaliser. Par un ensemble de circonstances amenées par la divine Providence, il va être appelé successivement à la direction des trois -paroisses de Gorée, de Rufisque et de Saint-Louis, eu qualité de curé. 'Il va trouver désormais tout ce qu'il lui faut pour satisfaire son zèle apostolique : direction des âmes, formation religieuse et morale de l'enfance et de la jeunesse par les catéchismes, réunions, patronages, oeuvres qu'il aime par-dessus tout. Le côté matériel ne sera pas oublié pour cela et le procureur de la mission se retrouve ra en petit dans l'économe de la Communauté, qui changera, transformera, voudra améliorer les locaux et les choses, ne réussissant pas toujours, il est vrai, mais toujours essayant de bien faire et sachant reconnaître à l'occasion que la manoeuvre exécutée n'avait pas donné les résultats désirables.

C'est au mois de décembre 1904 qu'il est appelé à la cure de Gorée. Un vétéran du Sénégal, le P. Planeix, usé par les fatigues d'un laborieux ministère à Saint-Louis, à Dakar et à Gorée, avait dû rentrer en France pour réparer ses forces et jouir d'un repos bien mérité. Le P. Barbier est tout indiqué pour le remplacer et il se met à l'oeuvre avec ardeur. Les Frères de Ploërmel venaient de partir et de quitter cette colonie du Sénégal où, depuis plus de 60 ans, ils se dévouaient à l'instruction et a la formation intellectuelle et morale des enfants du pays,, laissant après eux de profonds regrets et des noms qui vivront longtemps dans la mémoire des habitants, comme ceux des Frères Étienne, Liguori, Didier, Alvarez, Ma­gloire et Marie-Bernard. Le dernier directeur de l'école de Gorée, le Frère Amaury, s'était montré à la hauteur de sa tâche et sous son habile administration l'école était très prospère et les offices de l'église rehaussés par mi chant bien exécuté et une fanfare pleine d'avenir. Aussi le départ des Frères fut-il vivement regretté de tous les habitants de l'île et particulièrement des prêtres de la paroisse qui perdaient de précieux auxiliaires. Par le fait même, une nouvelle organisation s'imposait pour les catéchismes, réunions d'enfants, exercices de chant ; il fallait, en un mot, suppléer les Frères pour tout ce qui concerne le côté spirituel. Le P. Barbier.. jeune et vigoureux, fut l'homme de la circonstance et, bien que le local de la cure tut étroit et peu favorable aux réunions d'enfants, le nouveau curé s'ingénia pour y installer une salle et des jeux. Au bout de quelque temps, il avait organisé tout pour le mieux, ses paroissiens l'estimaient beaucoup et appréciaient son zèle, les enfants l'aimaient et il les aimait, cherchant à leur faire le plus de bien possible, quand il fut appelé à continuer ses services à Rufisque

Le P. Alaux, curé de cette paroisse, ayant pour des raisons particulières désiré permuter avec son confrère de Gorée, celui-­ci accepta et se mit, à la disposition de Monseigneur pour la nouvelle cure qui, offrait d'ailleurs à son activité un champ d'action plus vaste que le rocher de Gorée. Ce qu'il avait été dans la première paroisse, il le fut dans la seconde. Là aussi, il organisa, installa, chercha à développer les oeuvres paroissiales et les oeuvres d'enfants. La cour assez vaste de la maison fut aménagée en vue de procurer un lien de récréation pour les enfants à la sortie de l'école, ainsi que les jours de congé et de vacances. Aidé par le P. Le Floch, son vicaire et collaborateur dévoué, il arriva; à organiser la paroisse ; les offices des dimanches et des fêtes furent de plus, en plus suivis, grâce surtout à la bonne exécution du chant. Les choses allaient donc pour le mieux quand les circonstances amenèrent un nouveau changement dans la direction de la paroisse. Au mois de novembre 1907, à l'issue de la retraite annuelle, il est décidé par Mgr Kunemann que Poponguine sera rattaché à Rufisque. En conséquence, le P. Le Berre (Jacques), Supérieur de Poponguine, devient curé de Rufisque, et Supérieur des deux communautés, réunies, avec les PP. Barbier et Le Floch comme vicaires-missionnaires chargés de desservir Poponguine. Mais à peine cette décision était-elle prise que de nouveau les circonstances en amenèrent une nouvelle. Le P. Prono, curé de Saint-Louis depuis plus d’un an, tombait gravement malade à la fin de novembre, et, au bout de quelque temps, la tournure de la maladie ne laissait plus d'espoir de guérison ou du moins très peu, et, dans ce cas, c'était la France sans espoir de retour. En conséquence, il fallait songer à un nouveau curé de Saint-Louis et le choix de Monseigneur se fixa sur le P. Barbier, qui fut envoyé à Saint-Louis en janvier 1908, pour prendre d'abord la direction intérimaire de la paroisse, puis la direction défi­nitive à la mort du P. Prono, qui arriva le 20 mars.

L'obéissance sembla cette fois lui avoir coûté davantage ; néanmoins, il se mit à l'oeuvre comme toujours a­vec ardeur, peut-être même avec trop d'ardeur, car il se fatigua ainsi plus qu'il n'était nécessaire, ayant avec lui comme auxiliaires des confrères dévoués qui ne demandaient eux aussi qu'à travailler et à seconder leur supérieur. Le nouveau curé trouvait à St-Louis des oeuvres de jeunesse déjà fondées et fonctionnant aussi bien que possible sous la direction du P. Brottier - un Bulletin paroissial, l'Écho de Saint-Louis, créé depuis trois ans ; le ministère des Noirs assuré et exercé avec dévouement par le P. Jeffreys ainsi que le service religieux des hôpitaux.

Mais son zèle ardent demandait néanmoins à se dépenser et il se dépensa pour sa nouvelle paroisse comme il s'était dépensé pour les autres. Aussi, bientôt, le P. Barbier put apprécié et estimé de tous, et il semblait appelé à faire beaucoup de bien et pendant longtemps à Saint-Louis. Et cependant, pas plus à Saint-Louis qu'à Rufisque, Gorée et Dakar, le cher Père ne devait rester longtemps. C'était le missionnaire qui devait passer en faisant le bien, mais ne faire que passer. Dès la fin du Carême 1909, il se trouva très fatigué par une entérite et, malgré son énergie, il eut de la peine à faire les offices de la Semaine Sainte ; le jour de Pâques, tous purent constater son état de fatigue lorsqu'il chanta la Grand'Messe et adressa quelques mots à la nombreuse assistance. Il continua néanmoins son travail, après avoir pris un petit congé, avec des alternatives de mieux et de plus mal. Deux circonstances contribuèrent à aggraver son état de fatigue. La première, ce fut au mois de juin, la réparation du Calvaire de Sor, érigé 24 ans auparavant par Mgr Picarda, alors curé de Saint-Louis, et qui, depuis quelque temps menaçait ruine. Il fallait, cette fois, faire solide et durable, et c'est ce qui fut fait. Avec le concours d'un entrepreneur de Saint-Louis, le P. Barbier fit faire une nouvelle croix en ciment armé qui devait défier les années et les intempéries des saisons. Mais cette restauration demanda au Père des déplacements fréquents de Saint­-Louis à Sor, distant d'environ 2 kilomètres, et des séjours prolongés au soleil, afin de surveiller les travaux, et par le fait même, lui occasionna une grande fatigue. L'autre circonstance se produisit trois mois plus tard à la retraite annuelle des enfants des écoles qui précède la rentrée des classes. Cette retraite se fit comme les précédentes à la chapelle de Sor et le Père se prodigua à cette occasion, pour donner les instructions et surveiller les enfants pendant ces trois jours, à l'époque la plus dure de l'année. Aussi ce fut, pour ainsi dire, son dernier effort.

La fin

Quelques jours après le 31 octobre, veille de la Toussaint, il se sentit atteint plus fortement. Néanmoins, n'écoutant que son courage, il se mit au confessionnal à la disposition de ses pénitents ; mais il ne put continuer longtemps et- dut s'aliter, cette fois pour ne plus se relever, et sans pouvoir assister aux offices de la Toussaint et des Morts.

Dès les premiers jours, la maladie prit un caractère grave sur la nature duquel les médecins ne purent se prononcer d'abord, mais qui n'en était pas moins inquiétant. Le malade lui-même comprit, dès le début, la gravité de son état, car il appela son confesseur et lui dit : « Mon Père, je me sens atteint comme Je ne l'ai jamais été et j'ai dans l'idée que je n'en reviendrai pas, veuillez donc m'entendre en confession. » Et, après avoir fait sa confession générale et réglé ses affaires de conscience avec ce soin qu'il apportait à tout, il se remit entre les mains, de Dieu, taisant courageusement le sacrifice de sa vie.

Pendant un mois, il endura un véritable martyre, qu'il supporta courageusement, en retrempant de temps en temps ses forces dans la réception de la Sainte Eucharistie. Le docteur, ayant découvert un abcès au foie, le fit entrer à l'hôpital et là il dut subir, à différentes reprises, des opérations qui le soulagèrent momentanément, mais ne purent arrêter le mal. Après un mois de souffrances courageusement supportées, muni des derniers sacrements de l'Eglise qu'il demanda lui-même et voulut recevoir du bonne heure, dans la plénitude de sa connaissance, donnant en cela l'exemple aux fidèles, il s'éteignit le 4 décembre 1909, à Il h. du soir, après avoir accompli une longue carrière de missionnaire dans un court espace de temps.

Nous avons vu comment ses obsèques furent imposantes, et toutes les marques de sympathie que reçut lu cher défunt de la part de toutes les classes de la population,, qui tinrent à accompagner ses dépouilles mortel les jusqu'au cimetière. Plusieurs services furent célébrés à son intention, non seulement à Saint- Louis mais dans les autres paroisses où il avait passé, principalement à Rufisque où, ce semble, il avait gagné les sympathies plus que partout ailleurs.

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