Le P. Gustave BATTEIX,
de la Province de France, décédé à Sambo (Nova-Lisboa), le 7 septembre 1948,
à 76 ans et après 57 années de profession.


Lorsqu'en juillet 1897 Mgr Le Roy donna les obédiences aux jeunes Pères de l’année, il eut à l'adresse du P. Gustave Batteix ce petit mot malicieux : « Puisque vous êtes originaire de Clermont-Ferrand, où l'on parle un patois qui prononce cinquante-cinq comme les Portugais, vous prendrez le chemin de l'Angola avec le R. P. Lecomte. »

Le P. Batteix, âgé de 25 ans, suffoqué, tomba des nues : il avait bien compté sur une obédience en pays de missions, mais de langue française. Son Supérieur Général avait parlé, c'était pour lui le Bon Dieu qui avait parlé.

Content après tout de son sort, espiègle de nature et enclin à jouer des tours aux autres, il arriva le 27 décembre suivant à la Mission de Caconda, en compagnie des PP. Génié et André, rentrant de congé. Caconda était alors le siège de la Préfecture de la Cimbébasie. Le R. P. Lecomte, préfet, l'avait destiné à la Mission de Massaca; et aussitôt les préparatifs du voyage réalisés, le P. Batteix se vit confié au bon F. Silvano, célèbre pour sa force herculéenne et ses manières quelque peu frustes. Sous la conduite de ce mentor fort expérimenté dans l'art de voyager à la manière de ces temps reculés et héroïques, il va donc connaître le cours supérieur du Cunène, traverser les forêts de Dongo et passer quelques mauvais moments sur les rives du Cubango.

Après un séjour de quelques jours à la mission du P. Keiling, le voilà de nouveau en route à travers la brousse sur le char boër, tiré par dix paires de bœufs à cornes énormes, et huit jours plus tard, il était rendu à son poste de Massaca, où l'attendaient le P. Auguste Muller et le F. Nicaise.

Doué d'un tempérament fougueux, le Père avait du mal à se conformer à la devise : « Doucement et peu à peu. » Il ne pouvait supporter que l'on dise dès le matin : « Ah! que je suis fatigué! » A dos de bœuf ou en charrette à six bœufs, il se mit à parcourir la région en vue de trouver des garçons pour l'internat, méthode clinique de ce temps, et pour étudier et préparer les conditions de l'évangélisation. Effort très méritoire, certes, mais qui ne connut que peu de succès à cette époque.

A l'occasion d'une de ses visites à la station, le P. Préfet constata avec satisfaction que le P. Batteix parlait déjà fort bien le « ngangela » et comme il avait besoin d'un Supérieur pour Muhengo, il trouva que, magré son jeune âge, le P. Batteix était son homme et il y fut envoyé. C'était en 1901.

Riche, de trois années d’apprentissage et muni des premières expériences, le Père se dévoua avec toute l’ardeur de son âme pour cette nouvelle oeuvre, et témoigna d'une vraie et profonde affection pour son monde Tchingi ». Travaillant par la suite en pays «mbundu », il parlera toujours avec plaisir et aisance la langue de ses débuts missionnaires. Aussi son prestige ne larda pas à grandir auprès des indigènes, Les Blancs installés dans la région surent en profiter pendant la révolte qui, en 1902, souleva tout le pays de Bié et de Bailtindo. Ils cherchèrent et trouvèrent refuge à la mission; c'est là seulement qu'ils étaient en sûreté contre la fureur des Noirs. Cet événement fournit l'explication de l'existence des fossés, aujourd'hui encore visibles, qui entourent la mission comme s'il s’agissait d'un antique ouvrage fortifié. Au dire du Père - et il aimait à le raconter avec humour - la privation la plus durement ressentie par les réfugiés était celle de rester sans tabac, et quand un de ses porteurs (les révoltés respectaient les hommes de la mission) réussit à en apporter une provision de Belmonte (ancien nom de Silva-Porto, à 90 km.), ce fut une véritable fête, et il y eut même bagarre.

En 1905, le P. Batteix vint en France pour un congé bien mérité. A son retour au Portugal, avant de réembarquer pour l'Angola, il fut pendant quelque temps économe au Scolasticat de Formiga.

Revenu dans sa chère mission, il se rendit compte que Muhengo ne pourrait jamais avoir un avenir assuré, faute d'un cours d'eau indispensable aux cultures. Or, à celle époque, colons et missionnaires faisaient des expériences répétées et tenaces pour trouver la qualité de blé appropriée au climat, et le P. Batteix était resté jusqu'à la fin de sa vie un fervent et inlassable agriculteur, en dépit de multiples échecs et mécomptes. Connaissant très bien la rivière Mindjendjé, il avait déjà repéré l'endroit ou, à 20 kilomètres de la mission, il trouverait terres et eaux qui manquaient à Muhengo. Il résolut d'y organiser une ferme. Là, il aurait du blé en saison sèche, un verger magnifique, des cultures nombreuses. Là aussi, on fixerait les familles chrétiennes et ce serait la mission de ses rêves... En attendant il y envoya un Frère cn résidence, et un Père s'y rendit de temps à autre pour le ministère. Son successeur, le P. Braz, devait opérer sans beaucoup tarder le transfert de tout le Muhengo à cette pro­priété devenue la mission actuelle de Cachingues.

Entre temps, le P. Balteix avait été appelé au supériorat de Caconda. Une tâche difficile et délicatel'y attendait. Dies mali, dira-t-il plus tard avec un petit sourire... Le R.P. Lecomte avait été emporté par une bilieuse, et la nomination De son successeur se faisait péniblement attendre; puis, à bref délai, vinrent les jours sombres et pleins d'angoisse de la réper­cussion qu'eut sur tout l’Angola, la Révolution à Lisbonne du 5 octobre 1910. Le P. Batteix et ses confrères allaient se voir aux prises avec les folies républicaines trop intempestives de certains Blancs, amis ad ocillos, mais qui, derrière le dos des Pères, s'étaient bel et bien concertés « pourne pas laisser pourrir à l'abandon les bien-, de la mission ». L'un deviendrait propriétaire des ateliers, l’autre de la ferme et du moulin; tel s'adjugerait le cheptel et les chars boërs, tel autre avait jeté son dévolu sur la résidence des missionnaire et la plantation de café. Ces « grands et bons amis » s'efforcèrent surtout d'intimider les Frères, leurs compatriotes, par des rumeurs terroristes; ils proposèrent à l'officier commandant le fort de Caconda de faire chercher la vieille pièce d'artillerie restée à Chicomba (70 km.) et d'envoer quelques boulets sur la mission. e Il ne faudrait que ça pour faire déguerpir les Padres. »

Mais à l'heure providentielle, Norton de Matos venait de débarquer Luanda en qualité de haut-commissaire, et l'ordre qu'il lança de « laisser les missions poursuivre leur oeuvre » fut vite connu dans toute la colonie.

En 1911, le P. Batteix passe quelques mois à Bailundo, qui commençait peine à donner les premiers signes précurseurs de l'essor magnifique qu’elle devait prendre plus lard. De Bailundo, le P. Batteix gardera d'ailleurs un souvenir assez médiocre. Au dynamisme discipliné du P. Goepp, et, surtout, à son régime alimentaire jugé trop austère, il préféra la compagnie co,ciliante de Mgr Keiling et la charge de constructeur que lui offrit la fondation de Huambo-Cuando (1912). En peu de temps, il aura mis sur pied les cinq principales bâtisses et organisé la mission au point de vue matériel.

Mais c'est Sambo qui devait devenir la vraie mission du bon et cher P. Batteix. Il arriva dans les débuts de la fondation de cette station, le 16 Janvier 1916 avec, comme compagnon, le jeune P. Misseno. Pendant trente-cinq ans ils ne se sépareront plus et ne quitteront plus jamais leur « Sambo », si ce n'est le temps d'un congé que chacun ira prendre dans la métropole.

Le P. Batteix demeurera toujours l'homme des activités nuatérielles, laissant à ses second et troisième les services de tournées de ministère, enseignement, etc.
Actuellement Sambo a à son actif une chrétienté dépassant les 35.000.

Le P. Batteix aimait son home, « son Sambo », comme il disait, et en dehors des retraites et de quelques absences motivées ces dernières années par son état de santé, il comptera à la fin de chaque année sur les doigts d'une seule main, les jours où il a « découché ». Les confrères aimaient à descendre et à aller en convalescence chez « papa Batteix », son hospitalité était franche et généreuse; on faisait honneur à « son bon pain et à ses excellentes saucisses », et c'était le rendre heureux; tout juste s'il ne fallait pas discuter « comptes avec lui... »

Arrivant à Sambo en 1916, les Pères y trouvèrent une maison en pisé, une chapelle provisoire et nu Frère, bon et vieux, qui ne pouvait entendre chanter un coq, ni coasser un crapaud, ni aboyer nu chien, ni supporter le claquement d'un fouet de charretier... Ils étaient sans argent, sans aide, avec la seule recommandation « débrouillez-vous! » A un kilomètre de distance se trouvait le moulin à petite roue hydraulique. Ah! qui compte­rait les mauvais quarts d'heure que cet engin faisait passer au bon P. Bat­teix! Les murs étaient fendus, les fondements cédaient, les engrenages ne voulaient pas rester au niveau... Chaque fois, le Père s'ingéniait de son mieux à faire fonctionner ce malheureux moulin : il y tenait tant ! et revenait ensuite à la mission. Mais à peine était-il occupé à quelque autre chose que déjà le Noir était à sa recherche pour dire « Kafchyendi vali » - « Père, ça ne tourne plus » ... Et voilà le Père, à bout de patience, reparti vers son moulin, en envoyant promener à terre casque et trousseau de clés.

Sous son impulsion, Sambo changea vite d'aspect. Les constructions sortaient de terre, d'autres disparaissaient; mais l'un et l'autre se faisaieut parfois trop rapidement. Le bon Père n'avait pas toujours le souci du solide et du durable. L'église, qu'il avait construite sans fondements, en pierres, lui donnait bien de la misère; la tour en « adobes » (briques séchées au soleil), et dont il était si fier, fut touchée par la foudre, qui l'ouvrit de haut en bas; les murs furent fortement ébranlés et, pour les soutenir, le Père édifia contreforts sur contreforts. Sa chère église était devenue un peut le cauchemar (le ses dernières années. Une vraie réussite cependant, ce fut la construction des maisons pour les braves Sœurs de Saint-Joseph...

« Seigneur, faites-moi la grâce de mourir sans longue et pénible maladie! » Il le répétait fréquemment et sa prière fut exaucée. Le P. Bal­teix est mort à 4 h. 30 de l'après-midi, le 7 septembre. A 3 h. 30, on le voyait encore auprès des travailleurs battant son cher blé; il assista ensuite a undéchargement d'une voiture de bois pour sa menuiserie; puis c'était l'heure du bréviaire, qu'il récita, selon son habitude, assis sur son banc, sous la véranda. Depuis quelques heures déjà il avait paru agité, ne demeurant nulle part bien longtemps. A un moment donné, il se leva pour se diriger vers le réfectoire et prendre son café; chemin faisant, il tomba brusquement. Le tailleur, qui faisait soit travail à proximilé, voyant le Père étendu à terre, accourut aussitôt et appela au secours. Le P. Antonio Ver­heijeu arrivait quelques instants plus tard auprès de son supérieur, lui donna l'absolution, et, dès que le moribond fut transporté sur soit lit, lui administra l'Extrême-Onction. Il n'y avait aucun doute : c'était la fin. Et quand les prières fuirent achevées, la belle carrière missionnaire du P.Gustave Batteix s'achevait aussi.

Il a eu la mort que tout missionnaire désire avoir : mourir en pleine action après avoir travaillé jusqu'au bout pour le Bon Dieu. Et en termi­nant sa lettre à Mgr le T. R. Père, S. Exc. Mgr Daniel Junqueira, évêque de Nova-Lisboa, pouvait écrire : « Le P. Batteix est tombé en première ligne. »

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