Le Père Adolphe BAZIN,
1901-1936.


Chez le P. Bazin, il y avait une sorte de contradiction entre son visage imberbe, et son allure virile, son goût de l'action, ses facultés de commandement. Au scolasticat de Chevilly, à côté des succès scolaires qui le classaient bon élève, il avait été l'un des "costauds" du travail manuel. Au Maroc, sous-officier de tirailleurs, il avait conduit avec une magnifique endurance des convois de munitions et de vivres dans des postes avancés. A Rome, pour la préparation de l'Exposition des Missions au Vatican, il s'était montré, infatigable : quand le travail pressait, il veillait jusqu'à minuit ou une heure du matin, mais pour le réveiller ensuite, il fallait le tirer par les pieds.

Telle était sa manière. Un homme de dévouement absolu, un peu rude, un peu indifférent aux nuances, ne s'analysant guère, écrivant aussi peu que possible, mais passionné de réalisations, capable de les poursuivre sans découragement ; capable aussi d'aller parfois trop vite, mais alors assez intelligent pour rester longtemps dans une erreur. .

Né à Frênes, par Montsecret, le 15 juin 1901, prêtre en 1925, il vint au Gabon en 1926 et fut immédiatement envoyé à Saint-Martin-des-Apindjis dans le HautNgounié. Bien que cette station retienne le nom de la peuplade Apindjii, les éléments qui prévalaient alors dans l'apostolat de cette région étaient les Eshiras et les Apounous, gens des savanes, populations douces, bien disposées, déjà travaillées par un quart de siècle d'évangélisation méthodique. Le P. Bazin se vit, naturellement, adjuger la portion du territoire la plus éloignée et la moins avancée, le pays apounou. Il en poussa rapidement l'organisation, et il donna tout son cœur à cette ethnie dont il ne cessa jamais de dire le plus grand bien.

Pourtant, dès ces premières années, son regard se portait ailleurs. Au delà du Ngounié, il y avait d'autres peuples, non seulement des Mitsogos, vers lesquels s'aventuraient déjà les confrères de la mission des Trois-Epis, mais encore et surtout des Ndjavis, des Asangos, gens des montagnes, et d'autres encore, échelonnés jusqu'aux environs de Koulamoutou, de Lastourville, jusqu'aux monts des légendes mouanda et Boudinga !

Il s'était passé une chose curieuse. Après la grande guerre de 1914, le Gabon avait connu durant plusieurs années, la "fièvre des bois". Les coupeurs de bois et leurs auxiliaires s'étaient jetés sur les forêts : des fortunes s'y étaient faites ; les ports sur la mer et les estuaires fluviaux avaient connu l'embouteillage des billes d'okoumé, utilisées pour la fabrication du contreplaqué. Puis, avec la même rapidité, la fièvre et les fortunes étaient tombées. Une chose subsistait : les joyeux Ndjavis, les Asangos, les Poubis, les Shakés, toutes ces tribus des hauts-plateaux du Sud-Est avaient pris contact avec les pays de la Côte, où ils avaient poussé des billes et chargé des bateaux. Ils avaient t vu des missions, des écoles, des églises. L'envie les avait pris d'en avoir eux aussi. Les Ndjavis entre autres, n'en donnaient plus. Et comme Saint-Martin-des-Apindjis était déjà trop étendu, une annexe en pays ndjavi s'imposait. Le P. Bazin, plein de force, fut non seulement le fondateur de cette annexe, mais encore l'âme de ce mouvement de conversions, qui agite de plus en plus ce qu'il appelait, en l'opposant aux Pahouins du Nord du Gabon, la confédération des peuples du Sud.

Il s'établit à Ndenga, à 21 kilomètres du poste administratif de Mbigou, sur un vaste plateau largement aéré, à une altitude de plus de 800 mètres, où il connut "la joie de ne plus suer et de travailler comme en Europe". Le P Bazin et son confrère en profitèrent pour mener rapidement toutes choses. Les Ndjavis, reconaissons-le, se montrèrent empressés à leur offrir le ravitaillement et la main d'œuvre. Dès 1932,

Mgr Tardy vint bénir la nouvelle église, immense halle de 45 mètres de longueur, en rondins et en écorces. Déjà cette église était pleine de monde ; aujourd'hui (en 1937) les fidèles y sont plus d'un millier et les catéchumènes 6000 au moins.

Le P. Bazin, pareil à ces vieux canadiens qui rêvent toujours de "faire de la terre", songeait encore à autre chose. Ses catéchistes atteignaient chez les Ndjavis de l'Est des points situés à plus de huit jours de marche. Il harcelait Mgr Tardy pour fonder à Koulamoutou ou à Koumoumala, ou au moins à Konanandembé, une nouvelle station. D'année en année, c'était promis, c'était juré, et puis... c'était partie remise. Alors le courageux missionnaire se désolait. Les Ndjavis, écrivait-il, vont finir par se lasser d'attendre. Ou encore : si les protestants viennent par là les premiers, les difficultés redoubleront...

Avec sa façon directe et sa superbe franchise, il assénait ces superbes raisons à son évêque, qu'il aimait et qui le lui rendait bien. Mais Mgr Tardy, qui avait déjà triplé presque tous ses chiffres, était obligé d'économiser un personnel qui ne suffisait plus au progrès des œuvres. A l'automne de 1935 seulement, un nouveau, le P. Pouchet, put monter vers Mbigou ; et l'on disait que le P. Bazin, après neuf ans de mission, allait revenir en Europe se refaire une santé, quêter quelques fonds pour ses nouvelles entreprises. On l'attendait à Paris. Au lieu de le voir arriver, on a reçu la brusque nouvelle de sa mort, le 16 avril.

Le 28 avril 1936, Mgr Tardy écrivait au supérieur général :"C'est de la mission des Trois-Epis que je vous écris ces lignes. Je suis venu ici pour une courte visite après la mort du P. Bazin. Cette mort inopinée m'a beaucoup affecté. Le P. Bazin, qui a fondé la mission de Mbigou, dont il était le supérieur, était un vaillant et courageux missionnaire ; sa mort est une grande perte pour le vicariat. J'aimais particulièrement le cher P. Bazin pour son zèle et son entrain apostolique ; je l'avais pris plusieurs fois comme compagnon de route, au cours des randonnées et des explorations que j'avais faites dans l'intérieur du pays. Que le bon Dieu récompense ce jeune missionnaire que nous pleurons tous !

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