Monseigneur Georges Marie de Beaumont

Il nous est particulièrement agréable de nous acquitter de ce pieux devoir. C'est pourquoi, Nous vous dirons, en un bref exposé, la vie et les travaux de Mgr de Beaumont. Nous demanderons ensuite-le précieux concours de vos prières en faveur du nouvel évêque.

1 - Sa famille.

Georges-Marie de la Bonninière de Beaumont est né le 12 décembre 1872, à Idron, coquet village près de Pau. Ses premières années, il les passa en famille. Ses parents sont ses premiers maîtres, et il gardera de ces leçons graves et douces une empreinte que, ni le temps ni d'autres éducateurs, quelque distingués qu'ils soient, ne pourront effacer.

Il avait neuf ans, quand un incident significatif vint interrompre la vie paisible que l'on tenait au château d'Idron. Après les néfastes décrets de 188 1, on vit un jour arriver au village de nombreux religieux. C'étaient les Franciscains de Pau qui, expulsés de leur couvent, s'en venaient chez M. le comte de Beaumont, pour y recevoir une noble hospitalité. Le château se transformait en monastère. Pendant un an, le jeune Georges vécut avec les religieux, s'associant, le plus qu'il lui était permis, à leur vie de recueillement, de prière. Il dira plus tard que sa vocation sacerdotale et apostolique doit être attribuée aux bénédictions que la charité pratiquée envers les religieux a attirées sur sa famille.

Ses parents veillent, avant tout, à lui donner une éducation foncièrement chrétienne. Car, si Monseigneur de Beaumont est le premier évêque de son nom, il n'en est ni le premier prêtre ni le premier religieux. Descendant d'un chevalier croisé en 1191, Hugues Bonin, il compte dans sa famille, dès le XVII, siècle, maints chevaliers de StJean de Jérusalem et maintes religieuses. Au siècle dernier, nous trouvons dans la ligne paternelle un de Beaumont, chanoine d'Angers, un de Beaumont jésuite, et un de Beaumont chanoine de Tours, resté célèbre par ses libéralités envers les pauvres. La famille de la Bonninière de Beaumont donnait en même temps deux de ses filles à la Congrégation de SaintVincent de Paul.

Du côté maternel, Monseigneur de Beaumoont est apparenté aux anciennes familles du Béarn. Sa mère, Mademoiselle de Peich-Gondrin, par son grand-père de Nays-Candau est petite-nièce à la fois de Mgr de Miossens-Sansons, évêque d'Oloron et de Mgr de Belzunce, le célèbre évêque de Marseille.

Il y a chez les de Beaumont d'autres traditions de famille tout aussi en honneur. On compte pan-ni eux des soldats illustres, des hommes politiques, des artistes. Si nous l'osions, nous louerions les mérites qui veulent rester ignorés, en rappelant les succès littéraires de la mère du nouvel évêque.

II - Sa formation.

Jusqu'à 13 ans, Georges reste au milieu des siens. Son éducation se poursuit avec succès sous 1'oeil attentif des parents.

C'est alors que M. le comte de Beaumont le confie au Petit Séminaire de Saint-Pé. Cette maison est bien connue dans le Sud-Ouest. On y a conservé et maintenu en honneur le culte des belles-lettres. Le Petit Séminaire de Saint-Pd, le Petit Séminaire de Laressore, le Petit Séminaire d'Aire ! tous trois fidèles aux traditions classiques, ne prenant des nouveautés que ce qu'elles apportaient de progrès : tous trois réputés par la force des études, la sagesse des méthodes, le bon goût littéraire et de constants succès universitaires.

Le jeune élève trouva là des maîtres excellents et aussi des camarades dont le souvenir lui sera toujours bien cher. Voici le témoignage que lui rend le vénéré supérieur du Petit Séminaire de Saint-Pé, M. le chanoine Lassus : "Élève modèle, pieux, régulier, docile, affable avec distinction et simplicité, bon camarade, très aimé et très estimé de ses maîtres et de ses condisciples."

Il couronne brillamment ses études au Petit Séminaire. L'appel de Dieu s'est fait entendre. Il veut être prêtre, missionnaire. Ses parents, déjà fiers de lui, auraient été heureux de le garder auprès d'eux, au foyer. Ils s'inclinent avec un généreux esprit de foi, acceptent le sacrifice et favorisent son entrée au Séminaire français de Rome.

Là, pendant sept années, il travaille, il se recueille, il prie. Il conquiert les grades de docteur en philosophie et en théologie. Il est bien armé pour affronter avec espoir de succès tous les genres de ministères. Il va choisir. Il a vingt sept ans. La voix mystérieuse qui l'appelle depuis longtemps, se fait pressante. Il sera missionnaire ; et c'est pour réaliser ses aspirations les plus chères qu'il entre dans la Congrégation du Saint-Esprit.

La Congrégation du Saint-Esprit est française "par ses origines, ses fondateurs, ses premiers membres et, l'on peut dire, son premier but apostolique." Un ministre écrira d'elle en 1840 : "Le Séminaire du SaintEsprit est aujourd'hui la seule Congrégation qui, par le but de son institution, soit en état de former et de fournir aux colonies les ecclésiastiques recommandables, non seulement par de bonnes études et par des mœurs pures, mais par une vocation marquée, par un zèle soigneusement éclairé sur le régime tout spécial des pays où ils doivent exercer le saint ministère, et enfin par l'unité de la doctrine qu'ils doivent tous y professer."

Le vénérable Libermann, au siècle dernier, donna une impulsion merveilleuse à la Congrégation du Saint-Esprit. Mgr Le Roy la gouverne d'une main ferme et sûre depuis plus de vingt ans. Son zèle éclairé, son esprit de décision ont largement contribué à son développement et à sa prospérité.

Le jeune étudiant de Rome a vu ses maîtres à l'œuvre. Car les professeurs du Séminaire français sont des religieux de la Congrégation du Saint-Esprit. Il entrera dans leur famille pour satisfaire son rêve d'évangélisation àl'étranger. Cependant, avant que la Providence donne satisfaction à ses aspirations, elle achèvera de le préparer aux destinées qu'elle lui réserve.

En quittant le noviciat en 1897, le jeune religieux avait écrit à son supérieur: "Je suis à la disposition de mes supérieurs pour remplir, avec la grâce de Dieu, la charge qui me sera confiée. Avant tout, les Missions m'attirent ; mais j'ai encore un plus grand désir d'obéir à la volonté divine dont le supérieur général est pour moi le représentant et l'interprête."

III - Le professorat en France et à Rome.

Il est d'abord, malgré sa jeunesse, chargé du cours de dogme au Séminaire des Colonies à Paris. Quelque temps après, il passe, en la même qualité, au Scolasticat de sa Congrégation à Chevilly ; il y reste jusqu'en 1907, très apprécié de ses élèves pour la clarté et l'intérêt de son enseignement, l'agrément de ses relations et l'entrain avec lequel il se mêlait aux promenades et aux récréations des jeunes aspirants missionnaires. En 1907, il est appelé à Rome, au Séminaire français, comme Préfet de discipline ; sa santé sérieusement ébranlée l'oblige àrentrer en France.

A ce moment, Mgr du Curel, évêque de Monaco, demandait au Supérieur général de la Congrégation deux ou trois missionnaires qui pourraient se charger d'œuvres extraparoi ssi ales, aumôneries, patronages, retraites, missions. La vie active du ministère répondait aux aspirations du Père de Beaumont : il fut envoyé dans la principauté. Dans ce milieu singulièrement mêlé, par son zèle, sa modestie, son intelligence et son tact, il s'attira bientôt le respect et la sympathie de tous. Nous savons que Mgr du Curel, frappé par la sagesse précoce, la fine intelligence du jeune religieux, en avait fait son confident, surtout pour dénouer des situations difficiles et délicates, ou pour être l'aumônier de l'impératrice Eugénie, veuve de Napoléon III.

IV - Aumônier militaire durant la guerre.

Nous sommes au mois de juillet 1914. La guerre éclate ; au soir même des grandes fêtes de Lourdes. Le pays tout entier est soulevé de colère et d'enthousiasme. La France n'a plus qu'un cœur et qu'une âme. Ses enfants volent à la frontière. C'est l'heure du devoir.

Le P. de Beaumont n'est pas mobilisable, mais il saura bien forcer toutes les consignes. Les traditions de sa famille se réveillent en lui, ardentes, impérieuses. Son frère, s'arrachant aux douceurs d'un foyer charmant, tendrement aimé, devançant les appels, s'enrôlant dans un régiment d'attaque, se jette dans la mêlée. Lui, obéissant à son zèle sacerdotal et àson patriotisme, s'offre comme aumônier volontaire.

Il multiplie ses démarches. A se faire accepter, il met autant d'acharnement que quelques-uns en mettront à se faire embusquer. Il réussit enfin. Le voilà aumônier de la 65* division de réserve. Ce que pendant trois ans il a déployé de courage, de belle humeur, de dévouement, de vigueur morale, les officiers, sous-officiers et soldats de la division pourraient seuls le dire. Aussi obtint-il de tous non seulement l'estime et l'admiration, mais ce qui est plus rare et plus beau, la confiance et l'affection.

Il a participé aux grands engagements, aux grandes batailles. Au plus fort du danger, il est au milieu des soldats pour les encourager, les soigner, les bénir. Il assiste aux grandes journées de Verdun. Il en sort indemne et comme par miracle. C'est là qu'il obtient cette belle citation àl'ordre de la division : " Georges de la Bonninière de Beaumont, aumônier militaire, du 18 au 30 juin 1916, s'est dépensé sans compter sous un feu violent, de jour et de nuit, auprès des blessés et des mourants, donnant un bel exemple de dévouement et d'abnégation. "

Un jour qu'il faisait visite à ses chers soldats dans les tranchées, l'un d'eux lui présentant un numéro de la Croix : "Monsieur l'aumônier, lui dit-il, voilà sans doute un de vos parents qui devient évêque ? - Un de mes parents ! -Du moins, c'est quelqu'un qui s'appelle comme vous." Le Père de Beaumont prend le journal, et c'est ainsi, dans une tranchée, au milieu des soldats, qu'il apprend sa nomination comme évêque coadjuteur de Mgr Fabre, le vénérable évêque de Saint-Denis de la Réunion.

La surprise fut grande. Mais soldat, religieux, le P. de Beaumont s'inclinait devant la volonté du Saint Père qui, en la circonstance, était la volonté de Dieu même.

V - L'élection à l'épiscopat.

Mgr Fabre, depuis vingt ans, gouvernait le diocèse de Saint-Denis sans être jamais rentré en France. La fatigue, l'âge eurent raison de sa santé et l'obligèrent à quitter l'île de la Réunion. Retiré près de Bordeaux, se voyant incapable de reprendre le lourd fardeau qu'il avait porté si longtemps, il demanda à Rome un coadjuteur qui pût diriger le diocèse à sa place. Rome eut pitié de ses 80 ans et fit droit à sa supplique en lui donnant Mgr de Beaumont pour coadjuteur.

La loi de Séparation s'étendait aux colonies comme à la France. L'application de la loi aux colonies s'est produite le 6 février 1911 et le 4 mars 1912. La S. Congrégation de la Propagande, considérant de nouveau ces pays comme "pays de missions", remettait à la Congrégation du SaintEsprit " la charge de pourvoir au service religieux des diocèses coloniaux de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et des Préfectures apostoliques de St-Pierre et Miquelon et de la Guyane Française, soit en ce qui concerne leur gouvernement spirituel, soit pour leur fournir des ouvriers évangéliques, et, moyennant une sage formation ecclésiastique, leur préparer des jeunes clercs destinés à y exercer le saint ministère. " (Lettre du cardinal Préfet de la Propagande).

Et voilà pourquoi la Congrégation du Saint-Esprit était appelée à fournir le nouvel évêque de Saint-Denis qui va succéder à Mgr Fabre.

Fondée en 1703 par M. Poullart des Places, la Congrégation du Saint-Esprit avait été appelée dès le XVIII* siècle à donner de nombreux missionnaires à notre domaine colonial, au Canada, aux Antilles, à la Guyane, au Sénégal, aux Indes. Après la Révolution, qui l'avait dispersée, elle fut de nouveau autorisée par Napoléon ler et Louis XVIII, en même temps que la Société des Missions Étrangères et la Congrégation de la Mission, pour le service religieux des colonies françaises. Eue avait assuré ce ministère plus par ses élèves du Séminaire des Colonies que par ses propres membres, lorsque, en 1848, vinrent s'unir à elle les Missionnaires du Saint Cœur de Marie, fondés quelques années auparavant par le Vénérable Père Libermann et spécialement destinés à l'évangélisation des Noirs.

Fait qui mérite d'être remarqué : le premier promoteur de cette jeune Société qui renouvela la Congrégation du Saint-Esprit, Frédéric Le Vavasseur était originaire de cette île Bourbon que l'un de ses fils, Mgr de Beaumont, est appelé à évangéliser aujourd'hui.

C'est un champ d'action singulièrement intéressant que celui de cette île Bourbon (dénommée île de la Réunion en 1793) que l'on appelle " la Perle de la mer des Indes. " Il n'est guère de pays, écrit un géographe, plus grandement et plus gracieusement beau. La population compte environ 200.000 habitants, la plupart Européens et Créoles, avec un certain nombre d'Indiens, de Malgaches et d'Africains. Tous sont catholiques, sauf les Indiens et les Malgaches récemment immigrés.

" Dans ce beau pays, écrit Mgr Fabre dans la Lettre Pastorale qui présente son successeur à ses chers diocésains, les mœurs, en général, ont la douceur du plus doux climat du monde, la population ignore les ligueurs de l'hiver, l'existence, jusqu'en 1905, y était particulièrement facile, exempte des inquiétudes, des agitations, des mille soucis que créent les besoins de la vie moderne ; chacun restait à sa place, et personne n'ayant encore appris à rien envier à son voisin, la tranquillité régnait partout. La paix publique était comme le fruit naturel des sentiments de la population. Éclairée, sage, modérée, parfaitement instruite de ses devoirs et de ses droits, elle rend àCésar, ce qui est à César. Mais elle est inébranlablement résolue à rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Dans ces conditions, les relations sociales étaient empreintes de cordialité, franches, simples, à l'abri des tracasseries et des soupçons qui allaient bientôt détruire l'esprit de société, et, comme en temps d'épidémie, amener chacun à rester chez soi. "

Malheureusement, les prêtres se font rares ; cependant des vocations indigènes apparaissent. Ce sera le premier souci du nouvel évêque de les favoriser. Et d'ailleurs la grande pourvoyeuse de missionnaires, la France, en enverra; car la sève apostolique n'y tarit jamais.

Voilà donc le champ sur lequel va travailler Mgr de Beaumont. Dès son enfance, il rêvait de missions. Dieu permet que son rêve se réalise. Il sera le bon ouvrier de l'Évangile à l'île de la Réunion. Sa vie, ses travaux apostoliques, ses succès dont nous avons tracé une esquisse rapide, permettent toutes les espérances.

Au jour de sa nomination à l'évêché de St-Denis, un journal a parlé de lui en termes élogieux, exacts : " Partout où il a vécu, sans le rechercher jamais, le Père de Beaumont a recueilli les plus vives sympathies, rencontré les plus fidèles amitiés. Ses allures simples et pleines de franchise, son aimable distinction, l'aménité de son caractère, le rayonnement d'une bonté puisée aux sources élevées de la piété sacerdotale, lui ont assuré dans le passé, et lui garantissent pour l'avenir la meilleure popularité que puisse désirer un ministre de Jésus-Christ au profit de sa mission." (La Croix).

C'est bien là le portrait de Mgr de Beaumont tel qu'il s'est révélé au Petit Séminaire de St-Pé, au scolasticat de Chevilly, au séminaire français de Rome, dans les œuvres à Monaco, pendant la guerre au milieu des soldats.

Ces qualités feront de lui un bon évêque. Elles démontrent combien le choix de Benoît XV est heureux.

VI - L'épiscopat, honneur et charge.

Certes, c'est un grand honneur d'être promu à l'épiscopat. Saint Ambroise écrivait qu'aucune dignité humaine, aucune fonction si élevée qu'elle soit, ne peut être comparée aux sublimités de l'épiscopat. L'évêque, dans l'Église est le successeur des apôtres. Placé entre le ciel et la terre, il est le médiateur entre Dieu et les peuples. C'est lui qui fait les prêtres, qui, représentant du Christ, autre Christ, est la source des pouvoirs et des grâces concédés par le Christ. JI marche en tête du troupeau et ses brebis le suivent. (Joann. X,4)

Si la dignité est grande, le fardeau est lourd. Le titre d'évêque évoque plus de charge que d'honneur; car on est évêque, bien plus pour servir et faire du bien, que pour dominer. On demandait un jour à St Bernard qui, des quatre, on devait préférer pour l'épiscopat : de l'homme de prière, de l'apôtre, du docteur ou de l'administrateur ? Il répondit: l'évêque doit être tout cela pour bien gouverner un diocèse.

Il doit, en outre, se faire tout à tous, il ne s'appartient plus. Il sera, dit St Jérôme, " le bâton de l'aveugle, la nourriture de ceux qui ont faim, l'espoir des malheureux, le soutien des pauvres. Il se réjouira avec les heureux, s'attristera avec ceux qui pleurent. "

Des responsabilités écrasantes l'attendent. L'évêque porte " un fardeau redoutable même pour les épaules d'ange ", onus angelicis humeris formidandum (Concile de Trente). Un curé qui porte devant Dieu la responsabilité de 500, de 1000 âmes, tremble devant la grandeur et les dangers de la tâche. Pauvres évêques à qui a été remis le salut de milliers et de milliers d'âmes! Un jugement sévère, disent les Saints, attend ceux qui portent le poids du gouvernement.

De sorte que ce que le monde estime un honneur incomparable, une faveur de choix, n'est en réalité qu'un présent plein de périls. Et l'on comprend que beaucoup de prêtres aient fait tous leurs efforts pour échapper au fardeau de l'épiscopat, ou ne l'aient accepté que par obéissance et en gémissant.

Il est vrai que Dieu, toujours bon, proportionne sa grâce et son secours àl'étendue de nos devoirs et de nos charges.,

Il est une autre pensée qui réconfortera le cœur du nouvel élu : vous voudrez, prêtres et fidèles du diocèse, apporter à votre compatriote l'aide puissante de vos prières.

C'est un devoir de prier pour les évêques. L'Évêque consacre ses forces, sa vie à sauver les âmes. Saint Bernard disait que le Christ tout entier s'était dépensé à notre service : totus in usus nostros impensus. C'est ce que fait l'évêque à l'image et à l'imitation du divin Maître. Cela lui donne droit aux prières des fidèles.

VII - Prions tous pour le nouvel Evêque.

Nos prières et nos vœux suivront par delà les mers le nouvel évêque missionnaire. Il part. Il quitte une famille tendrement chérie, si digne d'être aimée, des amis nombreux qui ne l'oublieront pas. Il dit adieu à son pays, au Béarn qui berça si doucement et si joyeusement ses jeunes années, à la France qu'il a généreusement et fièrement servie. Il dit adieu à ses chers compagnons de la 65, division. Un sentiment, à cette heure, pénètre son âme d'une infinie tristesse : " Je ne me console pas, Nous disait-il, de quitter mon poste avant la fin de la guerre. Mes chers soldats souffriront dans les tranchées, iront au feu, se battront sous la mitraille, et je ne serai plus au milieu d'eux !... Et ses yeux s'emplissaient de larmes, pendant qu'une vive émotion étreignait son cœur.

Mais qu'il se rassure. Il retrouvera là-bas la France pour la servir encore. D'autres travaux, d'autres fatigues l'attendent. Il mènera enfin là-bas cette vie de missionnaire depuis si longtemps entrevue et rêvée, avec ses privations, ses jours rudes et sans consolation, avec les douleurs de la séparation. Tout cela pour les âmes, pour la patrie ! Et sa conscience de patriote et d'évêque lui rendra le témoignage qu'il est toujours le bon soldat du Christ et de la France. Ad multos annos !

A ces causes, le Saint nom de Dieu invoqué, Nous ordonnons ce qui suit :

Article Premier - Le Dimanche 14 Octobre aura lieu dans l'église Saint-Martin de Pau la consécration épiscopale de Monseigneur Georges-Marie de la Bonninière de Beaumont, évêque coadjuteur de Saint-Denis de la Réunion. Cette consécration lui sera conférée par Nous.
ART. 2 - Le Dimanche, 7 Octobre, on chantera dans toutes les églises et chapelles du diocèse le Veni Creator, avant ou après la messe principale, avec les versets et oraisons correspondants, afin d'attirer sur le nouvel élu les bénédictions divines.
ART. 3 - Aux mêmes intentions, les prêtres diront à la messe servatis rubricis àpartir du 5 octobre et pendant neuf jours, l'oraison de Spiritu Sancto aux collecte, secrète et postcommunion.
ART. 4 - Nous invitons les Communautés religieuses et les âmes pieuses à prier pour le nouvel élu, à offrir à ses intentions leurs communions.

Des places seront réservées pour la cérémonie aux prêtres revêtus de l'habit de chœur.
Fait à Bayonne, le 10 septembre 1917.
+ FRANÇOIS-MARIE,
Évêque de Bayonne, Lescar et Oloron.

Les personnalités présentes à la cérémonie.
A la tête de la procession s'avance Son Em. le cardinal Dubois, archevêque de Rouen, ayant à ses côtés MM. les vicaires généraux Casseignau et Vielle. Sa cappa magna rouge attire tous les regards.

Viennent ensuite Mgr Gieure, prélat consécrateur, assisté de Mgr Le Roy, Supérieur Général de la Congrégation des PP. du Saint-Esprit, et de Mgr Halle, évêque auxiliaire de Mgr de Cabrières. Après eux, Mgr Ricard, archevêque d'Auch, Mgr Rumeau, évêque d'Angers, Mgr de Cormont, évêque d'Aire-Dax, enfin le nouvel élu et plusieurs prélats dont Mgr Moucheton, du diocèse de Rouen.

S'avancent ensuite de nombreux chanoines des diocèses de Bayonne et de Tarbes, de Poitiers et de la Guadeloupe. Remarqués aussi MM. les archiprêtres de Bayonne, Pau, Mauléon et Orthez, ainsi que M. le chanoine Baradat, nouveau Supérieur du Séminaire diocésain. L'évêque de Tarbes était représenté par M. Quidarré, vicaire général.

Dans la vaste nef, nous remarquons, avec les membres de la famille du nouvel évêque, l'élite de la société béarnaise et de nombreux représentants de l'armée et du barreau. Citons, du côté des hommes : MM. les colonels Camors et de Vaux ; capitaine Max de Beaumont ; Claude de Beaumont ; baron de St-Julien ; général Toussaint ; comte Ch. de Beaumont ; comte de Perpigna : Francis de Peich ; J. de la Porterie ; Jean de Beaumont ; François de Vaux ; P. Laborde ; baron d'Ariste ; Charles Riquoir ; Christophe de Févelas ; Henri de Lestapis ; baron d'Este ; H. de Salinis ; MM. Blanchy ; de Buron ; Brun de Dufou ; de Beauchamp ; comte de Navailles ; du Pré de St-Maur commandant Cros ; de Courrège ; Boulet ; Maisonnier ; capitaine de Boissieux ;

commandant J. d'Ariste ; Mérillon ; Batbie ; Marianne ; comte Fr. de Béarn ; lieutenant Helligenstein; baron de Bastard ; Aubry de Bastard ; lieutenant Gillette ; lieut. Jehan d'Etigny ; lieut. de Couloumes ; lieutenant Montredon, etc., etc.

Il y a là, dans cette élite, le Béarn tout entier. Avec ces noms, vous pourriez écrire l'histoire ancienne et contemporaine du Béarn, histoire glorieuse que deux mots résument : Religion et Patrie.

L'île de la Réunion et ses premiers évêques.

Les hommes n'ont pris pied sur cette île que peu avant 1690, où l'on ne comptait alors que 314 habitants (212 colons et 102 esclaves).

Jusqu'en 1848, l'évangélisation de l'île fut handicapée par la réalité de l'esclavage qui viciait l'attitude morale, tant des colons que des esclaves. La France se décida enfin à abolir l'esclavage dans ses colonies par le décret du 27 avril 1848, qu'avait préparé Victor Schoelcher député de la Martinique et de la Guadeloupe. Cette transformation dans les mœurs fut l'occasion d'ériger ces territoires en évêchés. Ce fut I'œuvre du Père Libermann qui présenta, dès l'année suivante, des rapports dans ce sens au ministre des cultes, le comte de Falloux, et au cardinal Fransoni, préfet de la Propagande à Rome.

Ces évêques choisis en France relèveront de l'archevêché de Bordeaux. Avant l'arrivée de Mgr de Beaumont, sept évêques se succédèrent au siège de SaintDenis. Les deux premiers furent particulièrement remarquables :

- Mgr Desprez qui en sept années tint trois synodes pour élaborer les statuts diocésains, publia un catéchisme, soutint et développa l'enseignement, reconstruisit nombre d'églises et en consacra cinq ; mais il devait poursuivre sa carrière en France, évêque de Limoges, puis archevêque de Toulouse, où il devint cardinal.

- Son successeur, Mgr Maupoint, sera le seul à terminer sa vie dans l'île. Il repose en sa cathédrale au milieu de son peuple, pour lequel il avait offert sa vie, et ceci dès sa première traversée, lors d'une tempête quand il fit le vœu de construire une quatrième paroisse à Saint-Denis ; ce fut l'origine de N.D. de la Délivrance. Durant ses quatorze années, il multiplia les églises, les chapelles, et donna lui-même la retraite à ses prêtres à plusieurs reprises. Il accepta en outre le titre de délégué pour la côte orientale d'Afrique où il prépara, par M. Fava son vicaire général, la venue des missionnaires spiritains à Zanzibar; ce fut le début de l'évangélisation de l'Afrique de l'Est.

- Mgr Delannoy après 4 ans fut transféré à l'évêché d'Aire et Dax.

- Mgr Soulé donna sa démission après 3 ans de séjour.

- Mgr Coldefy, de santé précaire, mourut à son retour en France.

- Mgr Fuzet, rallié à la République comme le cardinal Lavigerie, obligea le clergé réunionnais à prendre ses distances avec le parti monarchique et les jésuites de StDenis. Après 5 ans, il fut transféré à Beauvais, puis à l'archevêché de Rouen.

- Mgr Fabre, nommé en 1893, eut comme ses prédécesseurs à supporter les répercussions des lois laïques, mais, docteur-ès-lettres, il se réfugiait personnellement dans ses travaux littéraires : il fut deux fois couronné par l'Académie française pour ses études sur Fléchier et sur la Société française au XVII, siècle.

Les Évêques spiritains.

Cependant, les répercussions de la séparation de l'Église et de l'État appliquée en France se faisait de plus en plus sentir dans les colonies. En 1912, le Pape jugea bon de faire appel aux missionnaires spiritains pour la direction des diocèses de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Ré-union. En attendant que ces territoires puissent assurer ce service par le clergé autochtone, les spiritains eurent à fournir trois évêques à la Martinique de 1912 à 1972 , deux évêques à la Guadeloupe de 1912 à 1970 et trois évêques à la Réunion de 1917 à 1975, jusqu'à la nomination de Mgr Aubry, premier évêque de la Réunion originaire de l'île.
Monseigneur de Beaumont évêque de 1917 à 1934.

Parti de Marseille le 5 mars 1918, Mgr de Beaumont, après une heureuse traversée, arriva à La Réunion le 12 avril. Débarqué du Djemmah à la Pointe des Galets et reçu par une foule nombreuse et enthousiaste, le nouvel évêque arriva le soir à SaintDenis ; mais ce n'est que le lendemain qu'eut lieu, à la Cathédrale, la cérémonie officielle de sa réception. Une quarantaine de prêtres étaient présents, avec une foule évaluée à dix mille personnes. Le "Nouveau Journal" qui rend compte de la fête, écrit : "On peut dire, sans erreur, que jamais réception plus enthousiaste ne s'était vue."

A peine arrivé, l'évêque fit sa première tournée de visites et de confirmations. L'enthousiasme populaire qui l'avait accueilli à Saint-Denis s'étendit bien vite à toute l'île. Il en parle lui-même dans une de ses lettres : " Deux mois de tournée, en automobile, en voiture, en chaise à porteurs, sans compter les voyages à pied ; tournée écrasante de fatigue, mais dépassant tout ce que j'aurais pu imaginer : le canon, les cloches, les ovations, les chants, y compris celui de la Marseillaise, les discours jusqu'à dix par jour - dans les églises, les mairies, les presbytères, sous les arcs de triomphe, tout a été mis en œuvre pour exprimer la joie populaire. Dans le silence des partis politiques, c'était l'union de tous. Mais le plus touchant à été l'assaut de la sainte Table à cette occasion. Partout les communions d'hommes et de femmes ont dépassé les prévisions : en plusieurs endroits on s'est trouvé court d'hosties... Mais hélas ! ce qui manque à ces excellentes populations, ce sont des prêtres en nombre suffisant! "

A l'origine en effet, les prêtres étaient recrutés par le séminaire colonial du Saint-Esprit à Paris. De 1817 à 1890 par exemple, les 216 prêtres séculiers qui vinrent exercer leur activité à la Réunion étaient originaires de 66 diocèses de France. En 1911, le chanoine Teigny ouvrit une école presbytérale pour préparer sur place des enfants au petit séminaire. Située dans sa paroisse de Cilaos, à 1215 mètres d'altitude au pied du Pic des Neiges, on ne pouvait l'atteindre que par un sentier long de 29 kilomètres, mais on jouissait là-haut d'un calme et d'un climat très favorable. Après M. Teigny, l'évêque, en 1928, confia ce petit séminaire aux missionnaires spiritains. En 1932, on y comptait 45 élèves dans les quatre classes ; la suite des études se poursuivant soit à Tananarive soit à Allex en France.

Mgr de Beaumont eut comme règle le devoir d' accomplir régulièrement la visite de toutes les paroisses tous les deux ans et d'adresser chaque année ses lettres pastorales au clergé et aux fidèles. Il y traitait de sujets variés : en 1918 il s'agissait du nouveau Code de Droit canonique, publié l'année précédente ; en 1919 du traité de Versailles, suivi de la dignité et des devoirs des chrétiens ; en 1920 de la mort de Mgr Fabre, de la famille chrétienne et de quelques abus à réprimer ; en 1921 du travail et de la sobriété, du synode diocésain et du catéchisme ; en 1922 de la mort de Benoît XV, du troisième centenaire de la S.C. de la Propagande, de l'élection de Pie XI et du Denier de la Foi ; en 1923 de la charité chrétienne; en 1925 du Pape chef de l'Église ; en 1927 de son séjour en Europe et du carême ; en 1928 du Christ Roi en 1929 de la T.S. Eucharistie ; en 1930 du saint sacrifice de la Messe en 1932 de la vie chrétienne ; en 1933 du Baptême ; en 1934 de la Confin-nation.

Mgr de Beaumont alliait à la prestance du représentant de l'Église une autorité "naturelle" qui le mettait particulièrement à l'aise dans son rôle d'homme public ; ardent patriote et ancien combattant, il avait à cœur de réconcilier définitivement la République et le catholicisme. Agréé par les autorités civiles, estimé par le clergé et aimé par l'ensemble des Réunionnais, il ne pouvait qu'être regretté de tous, lors d'une disparition si imprévue et si soudaine.

Son Vicaire général nous la raconte : "Mgr était on ne peut mieux portant depuis trois mois, lui-même se plaisait à en faire la remarque. Dans le mois qui a précédé sa mort, il procéda à trois consécrations d'églises, et avec une telle aisance que des acolytes moins âgés avaient peine à le suivre. Le 8 juillet ü était heureux de prendre part à la croisière organisée par les Messageries maritimes autour de l'île ; sur le Maréchal Joffre il célébrait la messe à bord, que je lui servais, devant le nouveau Gouverneur, M. Choteau, arrivé quinze jours auparavant, et les 400 passagers. Il était plein d'entrain le 14 juillet ; à la tribune d'honneur il assistait au défilé de la troupe et des écoles. Le lendemain dimanche 15, il faisait en auto les 125 kilomètres qui séparent St-Denis et St-Pierre : il y eut double cérémonie, très longue, érection d'un chemin de Croix, bénédiction d'une grotte de Lourdes près du lit d'une rivière, il parla longuement en plein air, 40 minutes. Le soir, fièvre, mauvaise nuit. Le lendemain lundi, confirmation àSt-Pierre qu'il dut donner assis.

Il devait encore confirmer 300 enfants au Tampon, le mardi, mais ce fut impossible. Tout d'abord les médecins qui le soignèrent ne furent pas alarmés, ils crurent à une attaque de paludisme et le soignèrent en conséquence. Ce ne fut que le vendredi qu'un autre docteur diagnostiqua une congestion pulmonaire double ; la journée fut très mauvaise. Mgr très calme donna ses dernières volontés à M. Bouchon curé de St-Pierre et demanda lui-même les derniers sacrements qu'il reçut avec sa foi si profonde." Il remit son âme à Dieu le 23 juillet 1934.

Les funérailles de Mgr de Beaumont.

La dépouille mortelle de Monseigneur est arrivée à 17 heures à l'évêché de StDenis, saluée par une foule nombreuse et profondément émue. - L'auto corbillard avait quitté St-Pierre à 13 heures, précédé de la voiture de la Gendarmerie qui annonçait le passage du cortège. Spontanément les véhicules s'arrêtaient. Chapeau bas, tout le monde s'inclinait. Tout le long de la route il en fut ainsi. Au fur et à mesure la file des voitures faisant suite au corbillard s'allongeait. En traversant les villes et les bourgs le char ralentissait. Les sirènes des usines gémissaient, les cloches des églises sonnaient le glas. Les hommes se découvraient, les femmes se signaient. En plusieurs endroits la route était jonchée de verdure. Au Quartier Français, le Maire de St-Denis se joignit au cortège.

A l'Évêché, une chapelle ardente étincelante de lumières, sobre, mais imposante avec ses tentures funéraires, reçut le cercueil, sur lequel furent déposées la crosse et la mitre de Monseigneur. Dès cinq heures, la cour de l'Évêché était envahie de fidèles et tous, du plus grand au plus humble, défilèrent devant la dépouille mortelle de Monseigneur de Beaumont. Toute la nuit, se continua ce pieux défilé. Sous la direction du Maire en personne, des agents de police assuraient le service d'ordre.

Le matin à 9 heures, le cortège quitta l'Évêché pour la Cathédrale. Une foule immense suivit le char funèbre que précédaient par groupes les élèves des Écoles, les Religieuses, les Sociétés sportives, les Anciens Combattants.

Son Excellence Mgr Leen, Évêque de Port-Louis de l'île Maurice, Monsieur le Gouverneur Choteau, M. l'Amiral Lacaze, le R. P. Monnier et le P. Trendel conduisaient le deuil. A la Cathédrale une messe solennelle précéda l'absoute. L'Église ne put contenir tout le cortège ; massée sur le péristyle, les abords de la place et les trottoirs, la foule émue priait pendant qu'à l'intérieur se déroulait la cérémonie liturgique. Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Louis Fabre, Raoul Vally, Jean Chatel, Pierre Campodon, Adrien Lagourgue et Gaston Ravorel.

Le cercueil est resté exposé à la Cathédrale. L'inhumation a eu lieu l'après-midi à 16 heures dans le tombeau épiscopal au pied du Maître Autel.

St-Denis a ainsi fait à son vénéré Évêque de belles, de dignes, d'émouvantes funérailles.

Page précédente