Le Père Joseph BELZIC,
décédé à Lékéti, le 23 février 1932,
à l'âge de 54 ans.


Dans toutes les Sociétés, Congrégations et Diocèses, à côté de personnages de premier plan, de capacités reconnues ou voilées, de vies marquées par l'aventure, voire même à côté de plusieurs méconnus et malchanceux, il existe une catégorie de destinées moyennes, de gens qui ne révolutionnent rien et qui cependant tracent un sillon très utile parce que la sympathie du public accompagne tous leurs gestes.

Je crois qu'on pourrait ainsi résumer la carrière de cet excellent Père Joseph Belzic qui vient de mourir dans une de nos stations de l'ancien Oubangui. Ce fut un homme qui fit le bien par la douceur, la modestie et l'art de remplacer les autres.

Il était né le 8 décembre 1877 à Landévant, au voisinage du célèbre Séminaire de Sainte-Anne d'Auray et il était jeune élève de cette maison lorsque le passage du R. P. Joachim Buléon, mort depuis évêque du Sénégal, lui révéla à lui-même sa vocation spiritaine et le fit entrer en 1894 au petit scolasticat de Mesnières-en-Bray. La typhoïde l'en chassa après l'avoir rudement secoué. Il acheva ses humanités à Merville, dans le Nord, où nous avions une maison semblable, antérieurement aux spoliations.

De là, il vint à Chevilly où il fut ordonné prêtre en 1902. A la veille de son départ en Mission, il écrivait à ses Supérieurs ces lignes qui ne sont pas sans accent : « Je ne veux pas passer inutile ici-bas. Je préférerais m'adonner à l'apostolat dans les terres lointaines où les besoins sont plus grands, mais jamais je ne serai mieux qu'au poste où vous m'enverrez. » Ses maîtres, de leur côté, le notaient comme un élève docile, un caractère bon, plutôt timide que porté aux initiatives, plutôt fait pour suivre que pour diriger, calme au point de passer parfois pour un indifférent.

On l'envoya dans ce district qui porte aujourd'hui le nom de Brazzaville et que l'on appelait alors le Haut-Congo français. Mgr Augouard y vivait alors dans tout l'éclat de sa renommée, mais la mission passait par une phase critique. D'une part, elle commença à aborder vers l'amont de son réseau fluvial des populations inconnues, presque toutes anthropophages. D'autre part, au moment où elle eût eu besoin d'augmenter ses moyens, son personnel se voyait éprouvé par une mortalité inquiétante et par les premiers cas de sommeil observés chez les missionnaires et les Blancs.

Nous avons dit que le P. Belzic était un homme docile. Ce fut heureux pour lui, car le simple relevé de son curriculum vitae donne de sa carrière l'idée du mouvement perpétuel. Selon une expression qui manque de noblesse mais qui se trouve ici profondément juste, il fut l'homme qu’on met à toutes les sauces.

Il débute par l'œuvre des enfants, à Brazzaville, et il y reste un an, de 1903 à 1904. Il passe de là à Lékéti, sur l'Alima et il y dure jusqu'en 1911. C'est son plus long poste et son premier apprentissage de l'emploi de directeur d'œuvre.

Ici se place un premier congé en France. En 1912, de retour au Congo, il est envoyé à Bétou, en attente d'une fondation à Impfondo. Mais cette fondation n’a pas lieu, et l'obéissance le ramène de l'extrême Nord à l'extrême Sud, à Linzolo. Il y est directeur intérimaire et il y reste trois ans, jusqu'en 1916.

De Linzolo on le réexpédie au Nord, à Liranga, parmi les terres noyées du confluent de la Sangha et du Congo. Au bout de deux ans, à la fin de 1918, on s'aperçoit qu'il y a pris le sommeil et on le renvoie en France pour y recevoir des soins à l'efficacité desquels, hélas ! on ne paraît pas beaucoup croire. On le drogue pendant près de deux ans.

On commençait dès lors à soigner le sommeil avec plus de méthode. Chose inespérée, on le remet assez en forme pour qu'en 1920 ses supérieurs consentent à le laisser repartir pour Brazzaville. Mais on sait que ces consentements envers de grands malades sont bien souvent d'ultimes consolations qu'on veut donner à des missionnaires méritants.

Or si quelqu’un est méritant c'est celui-là qui a tant accepté de bourlinguer, qui n'a jamais rien dit et qui sur son livret de spiritain, à la ligne Langues connues, écrit de sa belle calligraphie de fourrier : Breton, Tégué, Ngala, Lali ; ce dernier un peu..

De lui, Monseigneur Augouard, bien qu'ils n'aient pas toujours été de même avis, porte ce témoignage : « Actif, obéissant, régulier, le P. Belzic est un bon missionnaire dont je n'ai qu'à me louer sous tous les rapports »

Quant à lui, il déclare : « Je suis content d'appartenir à la mission de l’Oubangui. Je n'ai à me plaindre ni du pays ni des hommes : je ne suis mécontent que de moi-même ».

Mais ses pérégrinations ne sont pas finies. Mal guéri, il ne peut tenir que 14 mois à Brazzaville où l'on avait essayé de lui confier l'œuvre des Bengala. Il rentre en France en janvier 1922. C'est la troisième fois et beaucoup croient que ce sera la dernière. On dit, on écrit qu'il est condamné. L'Institut Pasteur lui-même en désespère. Or voici qu'un médecin, les uns disent un spécialiste, les autres un empirique, écrit à Mgr Le Roy qu'il a un remède contre la maladie du sommeil et même contre une foule de maladies en général, et il s'offre à guérir qui on voudra lui confier. Le remède n'est d'ailleurs pas extraordinaire : c'est la très vulgaire teinture d'iode, mais maniée et dosée par lui seul. « Voulez-vous essayer ? » dit Mgr Le Roy au P. Belzic. Il répondit comme il le faisait toujours : « Moi, je veux bien. »

Il disparut pendant plusieurs mois, entièrement livré à son nouveau traitement. La teinture d'iode était utilisée en applications internes. Le P. Belzic arriva à en prendre, progressivement, des doses effarantes : 300 gouttes par jour. Il en mettait dans la soupe, dans le vin, dans le café au lait. Le plus curieux, ce qui finalement dompta les incrédules, c'est que le sommeil non seulement fut arrêté mais perdit peu à peu beaucoup de terrain. Le Père revint rue Lhomond avec l'aspect d'un homme guéri. Lorsqu'on lui demandait comment il se trouvait, il répondait non sans humour : « Je ne suis peut-être pas guéri, mais je ne suis plus malade. »

De fait, on s'enhardit à le penser et à le dire. Ce fut à cette époque qu'on le prêta pour quelques semaines a la direction des Annales Apostoliques: Il y rendit maints services qui étaient le fait non seulement d'un homme très éveillé, mais encore d'un bien charmant confrère. Une seule chose lui restait de son sommeil : un tic fréquent qui lui crispait encore le visage avec accompagnement d'un léger hoquet. Mais il en prenait gaiement son parti et voulait nous convertir tous à la teinture d'iode.

Bref, au mois d'octobre 1923, on le renvoya, sur sa demande, en Afrique, toujours dans sa mission du Congo. Cette fois, sa maladie du sommeil servit comme d'un prétexte à le titulariser en quelque sorte dans les remplacements perpétuels.

Pendant les premiers mois de 1924, on le repère dans la jeune station de Kindamba. Un peu plus tard, même année, on le revoit comme directeur intérimaire dans son ancien poste de Lékéti parmi les plaines sablonneuses de la Haute-Alima.

En réalité, c'est une vraie navette qu'il fait entre Lékéti et Kindamba, du Nord au Sud du grand plateau batéké. En 1926, il vient dans ce dernier poste remplacer le P. Dréan et cet intérim dure quinze mois. Alors, il est envoyé en faire un autre, mais, cette fois, beaucoup plus loin.

C'est qu'à cette époque, le vicariat apostolique de Brazza­ville, entreprenait une lointaine fondation dans le Nord, en pays baya. Cela portait le nom de Sainte-Anne de Berbérati et le fondateur en était le P. Pédron. La nouvelle station avait l'air bien partie lorsque, au bout de deux ans, son fondateur fut rappelé en Europe pour remplir le rôle de propagandiste et de conférencier. Quand ensuite on demanda : « Et qui est-ce qui le remplace ? » Presque naturellement on répondit : « Mais, le Père Belzic. »

Cette fois, pourtant, ce n'était plus un simple changement de résidence, ou de langue, mais de monde, car les Bayas sont hors de l'aire des peuples bantous et ce fait est aussi significatif que, chez nous, passer du monde latin au monde slave.

Le Père approchait déjà de la cinquantaine, le sommeil avait largement entamé ses forces, mais on ne l'entendit pas faire une objection, ni pour monter dans la Haute-Sangha, ni, lorsque le P. Pédron fut de retour, il lui fallut redescendre vers le bas-fleuve.

Il y avait d'autres remplacements à faire. Il y avait d'autres œuvres à seconder. Sans attacher son nom nulle part, sans être le patriarche révéré d'une région qu'il eût retournée, d'une tribu qu'il eût, comme d'autres, faite à peu près sienne.

Il est mort en février dernier, à Lékéti, la station qui, du moins, le posséda le plus longtemps. et où sa collaboration personnelle se marqua davantage.

A l'annonce de sa mort, un grand flot de regrets et d'éloges ont salué la mémoire de cet homme que Dieu n'avait peut-être pas créé si modeste ni si insoucieux de sa propre personne. Ce Breton était sensible comme un autre. Peut-être aurait-il été capable d'entêtement. Mais il y avait eu un jour dans sa vie ou il avait compris que certaines vertus humbles mènent à de plus sûrs triomphes que l'éclat ou le bruit. Non seulement il l'avait compris à la façon d'une vérité générale, mais encore il s'était appliqué à en pratiquer la réalisation. L'habitude ensuite lui en était venue et l'expérience n'avait fait qu'y ajouter son appoint. Cela ne se démentit jamais. - Maurice Briault - mai 1932.
Cf : C. JAFFRÉ, Le R. P. Joseph-Marie Belzic, Beauchesne, Paris, 1933, 48 p.

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