Le Père Georges BICHET
Décédé à Cannes le 28 décembre 1900


Né à Paris le 5 mai 1855, Marie-Georges Bichet perdit son père à l'âge de deux ans et fut placé, jeune encore, au collège de Ste-Barbe ; il quitta cette école en 1871, pour entrer à l'institution Ste-Marie de Besançon, dirigée par les Frères de Marie. Là il eut le bonheur de rencontrer, dans un de ses maîtres, alors simple minoré et aujourd'hui provincial, un guide habile et dévoué, qui fut vraiment, comme il l'appelait lui-même, " l'ami de sa vie ". - Par sa douce fermeté, M. Heyberger sut exercer sur cette nature bouillante et impressionnable, jusque-là livrée à elle-même, la plus heureuse influence, et assurer en elle le triomphe de la grâce. Une visite de Mgr de Ségur acheva cette oeuvre. Le vénérable prélat avait été invité à parler aux élèves de l'établissement. Sa parole pieuse et pénétrante fit une vive impression sur le jeune Bichet dont la conduite s'améliora dès lors progressivement. Il se mit à prier, à communier fréquemment; et ainsi se développa peu à peu dans son âme le germe de la vie religieuse et apostolique.

Pendant sa philosophie, dit M. Heyberger, Georges Bichet m'avait souvent parlé de vocation : " Je voudrais être prêtre, me disait-il, mais non prêtre en France. Il me faut les missions lointaines, au milieu des sauvages. En France, je ne me sauverais peut-être pas. " Il avait, en effet, une nature extrêmement ardente, capable des plus généreux sacrifices, comme aussi des plus grands écarts. Je lui parlai de la Société des Missions Etrangères et de la Congrégation du St-Esprit. Il préféra celle-ci. " II me faut, me dit-il, le lien des vœux de religion. " Je lui procurai quelques brochures parlant de vos Missions, des Noirs, il en fut enthousiasmé ; et, à partir de ce moment, il ne me parlait plus qu'avec un amour extrême de ses " chers Noirs ", qu'il voulait aller convertir.

Arrivé au grand scolasticat, alors à N.D. de Langonnet, le 25 septembre 1875, Georges Bichet reçut le saint habit le 19 mars de l'année suivante, et, ses études théologiques achevées, il fut ordonné prêtre à Chevilly le 27 octobre 1878. Heureuse de voir son fils monter au saint autel, sa pieuse mère offrit en souvenir, à la chapelle de la communauté, un service complet pour les offices : calice, ciboire, ostensoir, aubes et ornements, le tout de premier choix et d'un très grand prix. Les ornements, en drap d'or fin, sont ceux qui servent encore aux grandes solennités.

Admis à la Profession le 24 août 1879, le P. Bichet voulut dès ce moment faire les vœux privés perpétuels, avec celui de stabilité ; et, suivant son désir, il reçut aussitôt sa destination pour la Mission du Gabon. Il s'embarqua le 20 novembre à Cardiff, en Angleterre, sur un navire de commerce, l'Amiral-Charrier, avec trois Frères envoyés dans la même Mission et un Père allant au Congo. La traversée fut extrêmement longue et pénible. Ce ne fut qu'après cinq mois de mer qu'il put enfin débarquer à Libreville. (Bull., tome XII, p. 188.)

Nous avons tâché, écrivait-il peu après, de sanctifier de notre mieux les ennuis de ce long voyage. Chaque jour, nous faisions en commun la lecture spirituelle ; tous les soirs, nous nous réunissions sur le pont, pour chanter l'Ave maris Stella, trois fois l'invocation 0 Cor Mariae et tout un cantique en l'honneur de N.D. des Victoires. Les Dimanches et jours de fêtes, je disais la sainte messe à 8 heures et demie, le capitaine ne manquait jamais d'y assister, avec tous les hommes de l'équipage, et le soir, il venait unir sa voix à nos chants (Lettre du 11 février 1880)

Dès son arrivée en Mission, le premier soin du P. Bichet, qui doit être celui de tout missionnaire, fut de se livrer à l'étude de la langue indigène ; et il y mit tant de zèle qu'au bout de six mois il pouvait déjà un peu faire le catéchisme, parler avec les Noirs et instruire les malades à l'article de la mort. Cependant il brûlait du désir de pénétrer plus avant dans l'intérieur du continent. La station de St-François-Xavier de Lambaréné venait d'être commencée par le P. Delorme : sur sa demande, il y fut envoyé le 17 mars 1881. Il y avait là, dispersée aux alentours, une population de 4 à 5.000 Noirs. Pour les attirer et les gagner, on s'attachait au soin des malades ; le P. Bichet fut heureux de se dévouer à cette oeuvre de charité.

L'année suivante, il fit dans la Ngounié, affluent de l'Ogowé, une excursion dont les Missions catholiques ont publié l'intéressante relation. Nous nous bornons à en rappeler un épisode, qui se renouvela souvent depuis. Le chef d'un village par lequel il passait s'était tué lui-même avec son fusil, en l'agitant avec colère dans un moment d'ivresse. Quoique la cause de sa mort fût évidente, il devait, d'après la croyance des Noirs, y avoir eu sortilège ; et le féticheur consulté, déclara que le coupable était un jeune Noir de 16 ans, employé jusque-là dans une factorerie. Or, celui-ci se trouvait alors avec le missionnaire... L'accusation était ridicule, mais le jeune Noir n'en fut pas moins condamné à périr par le sabre. Enfin, après un long palabre devant tous les vieux du pays, le Père réussit, par son énergique fermeté, à sauver son jeune compagnon.

Le P. Bichet débutait ainsi dans son rôle de juge de palabres indigènes : on peut dire que ç'a été là sa fonction principale dans sa vie de missionnaire. II était passionné pour la justice, pour la protection du faible, pour la délivrance du condamné. Que de fois il a siégé des heures et même des journées entières au milieu des indigènes, écoutant les interminables plaidoiries des parties en cause, démêlant les affaires les plus embrouillées avec une remarquable sagacité, s'appuyant sur ce qu'il y avait de bon dans les coutumes locales, se passionnant pour les arracher à l'esclavage et à la mort ! Sa parole manquait un peu de correction, car il n'avait pu s'astreindre à étudier aucune langue d'après les principes; mais elle était facile, abondante, vive, et elle faisait impression sur les indigènes. II savait, du reste, parler avec les seuls mots qu'il connaissait d'une langue, sans s'inquiéter de la grammaire et des règles ; les gestes et la conviction faisaient le reste.

En 1883, le P. Bichet partait, avec M. de Brazza et le P. Davezac, pour aller faire une grande exploration dans le Haut-Ogowé, et y préparer la création d'une nouvelle Station. Au retour des deux Pères à Libreville, Mgr Le Berre, jugea bon de les faire rentrer en France pour rétablir leurs forces et en même temps préparer tout ce qui était nécessaire à la fondation. Dès son arrivée, le P. Bichet s'occupa de ces préparatifs avec une activité fiévreuse, multipliant les démarches et intéressait à sa cause divers personnages de haut rang, notamment Jules Ferry, alors ministre, qui lui fit, attribuer un secours de 10.000 francs. Trois mois après, le 10 septembre, il se rembarquait accompagné du P. Dahin ; le P. Davezac partait un peu plus tard avec le P. Martinus, et le samedi saint de l'année suivante, tous les quatre arrivaient, de nouveau dans leur chère Mission des Adounas, pour y célébrer les fêtes pascales. Ils la placèrent sous le patronage et le vocable de St Pierre Claver.

Le P. Bichet fut chargé de l'économat et de tout le matériel. Cet emploi allait bien à sa nature active mais il était des plus pénibles. Il lui fallait veiller à tout, faire souvent de longues courses pour se procurer les ressources nécessaires; et fréquemment, pour des riens, c'étaient des palabres à n'en plus finir. La santé du bon Père ne put longtemps résister à tant de soucis et de fatigues ; à la fin de 1886, il fut atteint d'une grave dysenterie, puis d'une forte angine qui l'obligèrent à rentrer à Libreville.

Peu de temps après, le Vicaire apostolique du Gabon résolut, d'après l'avis de son conseil, de fonder une nouvelle Mission au Fernan-Vaz, parmi la tribu des Nkomis. Un chef du pays, Nkangué, était venu lui-même à Ste-Marie de Libreville pour demander des missionnaires avec instances. Le P. Bichet assez bien remis de ses fatigues, se trouvait tout naturellement désigné pour cette fondation. I1 accepta généreusement de s'en charger, avec le P. Buléon, qui venait d'arriver depuis peu au Gabon. C'est à cette oeuvre devenue depuis l'une des plus importantes du Vicariat, que sera désormais consacrée sa vie tout entière.

D'accord avec Mgr Le Berre, la station fut dédiée à Sainte Anne ; les missionnaires apportaient avec eux une belle statue de leur sainte patronne, que les maîtres et les anciens condisciples du P. Buléon au petit séminaire de Ste-Anne-d'Auray lui avaient expédiée. Partis de Libreville à la fin de février, ils débarquèrent à la pointe Igoumbi, où devait être établie la station, le 7 mars, le jour même où l'on célèbre en Bretagne l'anniversaire de la découverte de la statue miraculeuse de sainte Anne .

Les débuts furent très pénibles. Pendant plusieurs semaines, il fallut coucher dans une misérable case ouverte à la pluie et aux vents. Les Pères se mirent courageusement à l'oeuvre; et en moins d'un mois, ils avaient élevé, avec l'aide des indigènes, une maison provisoire, autour de laquelle vinrent successivement se grouper, dans l'enceinte tracée pour l'établissement, quatre ou cinq cases devant servir d'école, d'atelier, de dortoir et de réfectoire pour les enfants, pendant ce temps, la mère du P. Bichet s'était empressée de faire préparer en Europe une grande maison en bois de 26 mètres de long sur 18 de large, avec colonnes en fonte et couverture en tôle galvanisée. Les matériaux arrivèrent le 26 juillet, le jour même de la fête dc Ste-Anne; et bientôt le nouvel édifice s'élevait sur de solides fondations, grâce au concours du F. Ubald envoyé à cet effet de Libreville.

L'oeuvre spirituelle marchait de pair avec l'installation matérielle. Le nombre des baptêmes d'enfants et d'adultes s'accroissait chaque mois. On élevait à la Mission beaucoup d'enfants, dont plusieurs fils de chefs. On soignait les malades et les infirmes; le P. Nichet s'était réservé le soin d'un pauvre lépreux, qui avait déjà le nez et les yeux complètement perdus, et dont les chairs tombaient en lambeaux; il lui avait fait faire une petite case à lui, tout près de la Mission.

Cependant, le bon Père se trouva bientôt à bout de forces; et, dés 1889, il fut contraint de revenir en France. Un autre motif nécessitait d'ailleurs ce voyage. Sa bonne mère, heureuse de s'associer à son zèle, avait offert de faire construire une grande et belle église en fer. La présence du Père était nécessaire pour presser et diriger ce travail confié à la maison Izambert; dont le chef fut ainsi conduit en Afrique et amené à fonder plus tard la Compagnie concessionnaire du Fernan-Vaz (1900).

Arrivé en France le 10 août 1889, le P. Bichet s'occupa activement de cette affaire; puis, malgré les violents rhumatismes dont il eut beaucoup à souffrir à l'automne et dans l'hiver, il s'embarqua pour le Gabon le 18 juin 1890. On avait déjà commencé à monter l'édifice ; le P. Bichet eut la douce consolation d'en voir l'inauguration le 16 août 1891, au jour de St Joachim, fête patronale de son compagnon, le P. Buléon. Mais bientôt les douleurs rhumatismales le reprirent plus fortement et, dès la fin de l'année, il se voyait contraint de rentrer encore en Europe. Cette fois, c'était, dans la pensée de ses confrères, pour ne plus revenir; mais pouvait-il se séparer de l'Afrique et du Fernan-Vaz?

Sur ces entrefaites, Mgr Le Berre étant mort après un héroïque apostolat de 42 ans, Mgr Le Roy, jusqu'alors missionnaire au Zanguebar fut choisi pour lui succéder. Le 10 février 1893, il s'embarquait à Bordeaux avec le P. Bichet, et, après un intéressant séjour de trois semaines au Sénégal, ils arrivaient ensemble à Libreville, où ils furent reçus magnifiquement le jour de la fête de St-Joseph.

Quelque temps après, le nouveau Vicaire apostolique, prenant le P. Bichet pour guide et pour compagnon de voyage, visitait le Fernan-Vaz, passait à Lambaréné et remontait l'Ogowé jusqu'à Lastoursville et Franceville. Pour redescendre à la côte, on fit mieux encore : désirant connaître les populations qui vivaient dans l'intérieur du pays, et qui n'avaient encore pris contact avec aucun Européen, les missionnaires se lancèrent en pleine forêt, en compagnie de l'administrateur du Haut-Ogowé, M. Godel, et du chef de poste de Franceville, M. Périer d'Hauterive. Malheureusement, celui-ci mourut au cours de cet intéressant et pénible voyage.

Le P. Bichet, spécialement chargé d'approvisionner la caravane, qui comptait 90 personnes, fit preuve d'une énergie, d'une endurance et d'un savoir-faire au-dessus de tout éloge. Après 35 jours de marche en forêt et dont une bonne moitié passée dans l'eau, les voyageurs arrivèrent à la rivière Ngounié, aux chutes Samba, construisirent des radeaux de bois léger, y installèrent toute la caravane, et se laissèrent ainsi aller jusqu'à Lambaréné.

Pendant ce temps, le P. Buléon avait exploré le pays eshira, et une Mission y ayant été décidée, il en fut chargé. Le P. Bichel, reprit alors sa place en son cher Fernan-Vaz : il ne le quittera plus.

Quel moyen prendre pour s'en assurer la possession définitive ? Il y fit faire un caveau, devant l'église, et obtint du Vicaire apostolique la promesse d'y être enterré, en quelque part que la mort le surprenne. Aussi, on l'à vu, étant écrasé par la maladie et obligé de venir chercher des soins à Libreville, se faire confectionner à la hâte un cercueil et prendre avec lui, comme un honnête mandarin chinois, ce meuble dans sa pirogue. Assis sur la " boîte " mystérieuse : " Si je meurs en voyage, disait-il aux Noirs qui le conduisaient, vous me mettrez dedans, et me rapporterez au Fernan-Vaz... " Et le capitaine de répondre : " Avec plaisir! "

Fixé désormais sur ce coin de terre africain, le P. Bichet appliquera toute son énergie et toute sa foi à le défricher de son mieux. Ce n'est pas une tâche facile : la constitution même de la société est le plus sérieux des obstacles. D'après les coutumes indigènes, les enfants appartiennent, non pas au père ou à la mère, mais au chef de la famille, qui n'a d'autre souci que d'en tirer le plus grand profit possible pour son propre compte. C'est, en d'autres termes, un produit qu'on exploite. Les garçons sont généralement abandonnés à eux-mêmes ; mais les filles ont une valeur vénale telle que, souvent, elles sont retenues dès avant leur naissance. Celui qui les a acquises a tout droit sur elles, il les loue, il les marie contre rétribution, et il a droit aux enfants...

Dans une grande réunion qui se tint un jour au Fernan-Vaz, Mgr Le Roy fit bien adopter des réformes destinées à améliorer cette étrange constitution ; mais bientôt l'appât du gain individuel et immédiat parut plus désirable aux vieux chefs que l'avenir même de leur tribu. C'est alors que, de concert avec le Vicaire apostolique, le P. Bichet prit un grand parti : celui de se substituer, à prix d'argent, à tous les prétendants du Fernan-Vaz ! En quelque temps, il se trouva de la sorte maître d'une centaine d'enfants, pour lesquelles il fit venir des Soeurs de l'Immaculée-Conception, et qui, à mesure qu'elles grandissaient, devaient être mariées aux jeunes chrétiens de la Mission.

Dans un autre voyage de Mgr Le Roy au Fernan-Vaz, il fut décidé qu'on essaierait des cultures, cacao, café, caoutchouc, et que, à mesure que les jeunes ménages s'établiraient, ils auraient une part de ces champs et contribueraient ainsi, peu à peu, à répandre tout autour d'eux te goût d'un travail rémunérateur, qui leur permettrait de vivre honnêtement. C'est ce qui s'est fait.

En même temps, le P. Bichet continuait à s'occuper des multiples palabres indigènes; s'intéressant à toutes les affaires de la tribu, et ne manquant aucune occasion de sauver la vie ou la liberté à tous les malheureux, hommes, femmes ou enfants, libres ou esclaves, qui se trouvaient menacés par l'injustice des chefs et la superstition des sorciers. C'est, ainsi qu'il fut amené à constituer un vrai village de liberté, où purent trouver un refuge assuré tous ceux qui venaient à lui.

Toute cette action ne tarda pas à lui valoir une grande influence. Aussi, en 1897, fut-il nommé d'une voix unanime le Renima, ou chef de tout le lac. La cérémonie de son installation eut lieu en la fête de Ste Anne ; le Bulletin de l'époque en a donné l'intéressant récit. A partir de ce jour, il fut plus que jamais consulté dans les affaires importantes, et il profitait de son influence pour mettre ordre aux abus par trop criants.

Au nouveau Renima il fallait une monture en rapport avec sa dignité. Les Pahouins vinrent lui offrir, un jeune éléphant de quatre ans, qu'ils avaient pu prendre vivant. Le P. Bichet s'empressa de l'acquérir. Au bout de peu de temps, Fritz - c'est le nom qu'il lui donna - fut bien apprivoisé, et aujourd'hui il rend les plus grands services pour le transport des charges. C'est, depuis les Romains, le premier éléphant d'Afrique que l'on ait domestiqué. Il a coûté 250 francs.

Au mois d'août de l'an dernier; le lieutenant gouverneur du Congo français, M. Lemaire, allait visiter la Mission du Fernan-Vaz. Quoique protestant, il n'a pu s'empêcher d'exprimer son admiration pour tout ce qu'il y a vu, et il en a fait publiquement l'éloge dans le compte rendu de sa visite, imprimé au journal officiel de la colonie.

Pour reconnaître le bien opéré par le P. Bichet, le Gouvernement voulut lui décerner les palmes d'officier d'académie, par décision du 16 novembre 1900. Mais Dieu, pour qui travaillait le généreux missionnaire, réservait bientôt d'autres récompenses il ses vingt années d'apostolat. .

Le bon Père, en effet, avait été repris, et plus violemment cette fois, de ses rhumatismes; et, à son vif regret, il se vit obligé de quitter encore la chère Mission. Il avait du reste à régler ses affaires de famille, à la suite de la mort de sa pieuse mère, décédée le 15 avril 1895. Il revint donc en France vers le milieu de l'année 1898. Mais, au bout de quelques mois, quoique tout malade encore et pouvant à peine se trainer, il s'empressa de repartir. Il avait, ce semble, comme la nostalgie de l'Afrique.

Arrivé au Fernan-Vaz, il se remit à l'oeuvre avec un nouveau zèle. Mais bientôt ses forces trahirent son courage, et au mois d'avril 1900, il fut contraint de quitter de nouveau sa chère Mission, et cette fois, pour n'y plus revenir vivant. L'albuminurie, dont il souffrait depuis longtemps, faisait de rapides progrès, malgré tous les soins. Après quelque temps passé au pied des Pyrénées, à Odos, village natal du P. Davezac, revenu en France avec lui, il se rendit au château de sa soeur, Mme Tissot, près de Besançon. Là, il eut une crise terrible d'étouffement et demanda les derniers sacrements. Dès qu'il fut un peu mieux, il s'empressa de rentrer à la Maison-Mère; il y arriva exténué. Les crises d'oppression se renouvelèrent dès lors plus fréquemment; il éprouvait des insomnies continuelles, et l'enflure des jambes montait sensiblement.

Au milieu de ces longues et cruelles souffrances, le soutien du cher malade était la sainte communion. Il la faisait, autant que possible, tous les matins, et retrouvait alors la tendre piété et la foi profonde qui avaient été si souvent son soutien. Mais, malgré tout, la maladie ne tarda pas à transformer cette nature si impressionnable : d'une docilité surnaturelle exagérée puisque parfois il se croyait obligé de demander la permission de s'endormir ! - il passa peu à peu à une excitabilité singulière, qui fut un admirable exercice de patience, pour ceux qui l'entouraient. Un dernier essai que le cher Père demanda à faire du climat de Cannes lui fut plutôt fatal et dans la matinée du 28 décembre 1900 il expirait pieusement, après avoir humblement demandé pardon de ses impatiences et de ses fautes. Près de la maison qu'il habitait se trouve un établissement des Frères de Marie. Le directeur de l'œuvre se fit un devoir d'aller, avec quelques-uns de ses confrères, l'assister à ses derniers moments.

Suivant son désir, sa dépouille mortelle à été transportée le 5 février de Marseille au Fernan-Vaz ; et c'est là, entre l'autel qu'il a élevé au vrai Dieu sur cette terre longtemps inconnue et le lac immense et calme qu'il a si souvent traversé, c'est là que le P. Georges Bichet attendra la Résurrection finale, au milieu d'un peuple pour lequel il a tout sacrifié et dont il fut le premier apôtre...

Le P. Breidel, arrivé ces jours-ci du Fernan-Vaz veut bien, pour compléter cette notice, ajouter les détails suivants :

La nouvelle de la mort du P. Bichet arriva au Fernan-Vaz le 12 février ; elle y causa une vive impression. Ce fut pour tout le monde un grand deuil. Le silence le plus complet régna parmi les enfants, durant toute la journée; on n'entendit pas une parole; chacun allait et venait sans dire mot. Et dans les villages, c'étaient de temps en temps des coups de fusils, à la funèbre nouvelle. C'est ainsi que les Noirs témoignent leur grande douleur, quand il y a un mort parmi eux; et, d'après l'usage, le silence doit être gardé tant que le corps du défunt n'a pas été porté à sa dernière demeure.

Le lendemain, il y eut un service solennel pour le cher défunt, et tous les Noirs de la Mission firent pour lui la sainte communion. Ils se cotisèrent même ensuite afin de faire dire des messes pour le repos de son âme. Ils offraient dans ce but des honoraires en nature, pagnes, manioc, etc. On a fait dire ainsi plus de 40 messes. Dès l'arrivée du corps au Cap Lopez, le P. Breidel alla l'y chercher le 4 mars avec la grande pirogue de la station. Les Noirs ont habituellement une grande frayeur des défunts; le Père demanda aux pagayeurs s'ils n'avaient pas quelque appréhension d'avoir à transporter le corps du P. Bichet. " Oh ! non, reprirent-ils, c'est un Père, c'est un homme de Dieu, nous n'avons aucune peur. "

Ce fut le 7 mars que le cortège funèbre arriva à la Mission. 0r, par une coïncidence remarquable, c'était précisément jour anniversaire de la fondation de l'oeuvre, et aussi le jour, anniversaire de la découverte de la statue miraculeuse de Ste Anne d'Auray, patronne de l'établissement. Le P. Macé fit la levée du corps sur le rivage, accompagné de tous les enfants de l'oeuvre et des Noirs du voisinage. Les Blancs des factoreries voisines y étaient aussi venus, et ils s'offrirent même à transporter le cercueil à la chapelle avec les Frères. Le service d'enterrement eut lieu le lendemain, 8 mars ; la messe fut chantée par le P. Macé, le P. Davezac craignant de ne pouvoir contenir son émotion. Tous les Européens et un grand nombre de Noirs du voisinage y assistaient avec le personnel de la Mission.

Le corps fut ensuite déposé dans un caveau construit en 1895 par le P. Bichet lui-même, devant le portail de l'église, et bénit par Mgr Le Roy (B.G. t. V, p. 498). Il s'y trouve 40 loculi ou places pour des corps. Il est fermé par une grande dalle en marbre noir, entourée d'une petite grille en fer et sur laquelle se détache une belle croix en marbre blanc. Ce caveau a été fait pour tous les membres de la Mission qui mourront au Fernan-Vaz. C'est le P. Bichet qui y a été déposé le premier. R. I. P. (Maison-Mère le 26 juin 1901)

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