LE P. EUGÈNE BISCH
Not. Biog. IV 319-333
Supérieur de la Mission de N.-D des Victoires de Lucula (Congo Portugais)
Décédé le 20 Mai 1910 à Porto (Portugal)


Vers le milieu du mois de juin 1910, il y avait grand émoi à la station de N.-D. des Victoires de Lucula (Prononcer Loucoula), et on peut dire, dans toute la Préfecture apostolique du Bas-Congo, Une nouvelle des plus douloureuses venait d'arriver d'Europe, annonçant la mort inopinée et presque subite du bon et regretté P. Eugène Bisch, parti du Congo pour là mère-patrie il y avait deux mois à peine, sans que rien alors fît prévoir une pareille catastrophe ; car, bien que fatigué par un séjour consécutif en Afrique d'environ dix ans, le cher Père était encore vaillant, et sa forte constitution semblait lui promettre de longues années de vie et de travaux, apostoliques. Il n'en était rien. Dieu avait jugé que la carrière sacerdotale et religieuse de son serviteur était suffisamment remplie et qu'il était mûr pour la récompense éternelle. Lucula dut faire le deuil de son supérieur et père si tendrement aimé, ce deuil tut grand et profond; il dure encore et durera longtemps pour tous ceux qui ont connu le vaillant missionnaire.

Un service funèbre fut célébré au plus tôt à la chapelle de la station; il réunit autour de l'autel, dans une prière commune et émue, des Noirs nombreux, accourus de loin pour donner cette dernière marque de reconnaissance à leur grand et inoubliable bienfaiteur, mais désolés de ne pouvoir contempler encore une fois ses traits si chers, désolés aussi de ne pouvoir se constituer les. gardiens fidèles de son tombeau.

Premières Années

Sur les premières années de notre confrère, voici ce que nous écrit quelqu'un qui l'a très bien connu :

« Eugène Bisch naquit à Boersch, Basse-Alsace, le 15 octobre 1869,. le dernier d'une famille bourgeoise de dix enfants. Le père était vigneron ; la confiance de ses concitoyens l'avait nommé adjoint au maire, conseiller (le fabrique et membre de la commission de l'hôpital de la petite ville natale. La mère était une excellente chrétienne, pieuse, énergique, au caractère bien trempé, telle qu'on la rencontre, en grand nombre, sur la terre d'Alsace,

« Dès sa plus tendre enfance, le petit Eugène donna des signes non équivoques d'une grande piété. Ses délices étaient de construire de petits autels qu'il changeait et ornait avec les différentes fêtes liturgiques. Il aimait à se rendre à l'église, même en dehors des offices; Il aimait surtout les chapelles du cimetière et de Saint-Léonard dédiées à la sainte Vierge.

« Son ancien maître d'école, le Frère Benoît, écrivit la famille lors de sa mort: Eugène était un saint.

« Rarement, on vit pleurer tant de pauvres le jour de l'enterrement de la mère, larmes éloquentes, dernière expression de reconnaissance envers leur bienfaitrice. Le fils avait hérité de l'esprit de charité de sa mère. Certain jour, une femme pauvre de la localité vint dans la famiIle Bisch, se plaignant amèrement et sollicitant des vêtements. --- « Maman, s'écria le petit Eugène du fond de son coin, ôtez-moi ma culotte et donnez-la à la pauvre femme »

« Eugène ne connut jamais l'oisiveté. N'attendant pas des ordres, il cherchait et trouvait de l'occupation, se rendant utile dans les travaux du ménage, des champs et des vignes. Son occupation privilégiée était le soin du jardin.- il plantait, replantait, et tout lui réussissait à merveille. C'était en germe le talent qui, plus tard, devait concevoir et mettre à exécution les magnifiques plantations de la mission de Lucula, grenier nourricier d'un orphelinat comptant de nombreux enfants.

« En 1883, Eugène fit sa première communion avec un recueillement et une piété qui n'échappaient à personne.

« Peu de jours après, lors d'une visite à Dingsheim, chez son frère, instituteur de l'endroit, il y rencontra le R. P. Grasser. Un regard, une petite conversation, suffirent à ce bon Père pour reconnaître dans le jeune homme une vocation de missionnaire. « je serai missionnaire !» c'était la grande nouvelle qu'avec une joie inexprimable il alla lui­-même porter à son frère, alors élève au grand séminaire de Strasbourg.

« Sous l'habile direction de M. l'abbé Buntz, curé de Boeursch, le jeune élève se mit avec entrain à l'étude du latin et du français, en sorte que 18 mois après, il put entrer en quatrième au petit scolasticat de Merville. »

Les études

Eugène Bisch arriva à Merville dans les premiers jours de novembre de l'année 1884, âgé alors de 15 ans. Il resta quatre ans dans cette communauté. Rien de saillant ne le signala à l'attention de ses supérieurs. Pour l'étude. il disposait de moyens ordinaires. Il eut à lutter à cette époque, comme d'ailleurs plus tard encore, contre des défectuosités dans son maintien extérieur. Mais il y mit toute sa bonne volonté. Le 1er mai 1887, il eut le grand bonheur d'être admis à l'oblation. Il se considérait dès lors comme te véritable enfant de la Congrégation, et se réjouissait d'avoir fait ce pas nouveau vers les missions.

Voici comment lui-même a résumé plus tard, dans une lettre au T. R. Père, ses impressions sur le temps qu'il passa à Merville : « Accueilli avec beaucoup de charité par mes confrères, je me suis senti à l'aise dès le premier jour. C'est dans cette maison surtout que mon amour pour la Congrégation et mon désir de sauver les pauvres Noirs se sont fortifiés.»

Sur les cinq années du grand scolasticat et du noviciat écoutons un témoin: « Le P. Bisch se fit remarquer à Chevilly et à Grignon par son grand attachement à la Congrégation et par le vif intérêt avec lequel il suivait la marche de ses oeuvres Quelqu'un voulait-il savoir où était le Père un tel, c'est à M. Bisch qu'on s’adressait ;, il répondait sans hésitation, donnant force explications sur l'oeuvre à laquelle le Père était attaché, sur le bien qui s'y faisait ou qu'on espérait y réaliser, etc., et chacun en le quittant sentait que ce confrère parlait vraiment de sa famille religieuse comme un bon fils parle de sa mère.

« A la mémoire des personnes et des choses de sa Congrégation, le P. Bisch joignait une mémoire à peu près égale des noms de la botanique. De ses études d'histoire naturelle, il avait gardé un grand goût pour les fleurs, leur classification et leur culture. Cela tut pour lui l'occasion de quelques ennuis, car malgré ses efforts pour ne pas se laisser distraire par les fleurs des parterres, il s'oubliait assez facilement, surtout dans le commencement' de ses études théologiques, et bientôt revenait l'observation du P. Directeur que c'était le temps de cultiver les fleurs de la théologie et non la botanique, le temps d'arracher les défauts de caractère: vivacités excessives, nonchalance dans la tenue, démangeaisons de la langue... plutôt que les mauvaises herbes des parterres. Il lui en coûtait quelque peu d'entendre ces réprimandes mais son esprit de soumission et son grand désir de se corriger les lui faisaient accepter avec reconnaissance il se remettait au travail avec un nouveau courage et non sans arriver à de sensibles progrès. Par ailleurs, il se montrait toujours simple, content, affable et rempli de dévouement. »

Quand vint l'heure de quitter le noviciat, il exprima à son supérieur général le vif désir qui le portait, depuis longtemps et à ce moment plus que jamais, à se consacrer à la conversion des pauvres infidèles, mais que malgré cela il se mettait entièrement à la disposition de ses supérieurs pour aller travailler partout où la sainte Obéissance l'enverrait, trop heureux de payer de retour à sa Congrégation le bien qu'elle lui avait fait. C'est dans ces excellentes dispositions et chargé depuis un an déjà des honneurs du sacerdoce, qu'il clôtura ses années d'étude et de formation et qu'il fit sa consécration à Dieu.

Le missionnaire

Le P. Eugène Bisch arriva en Afrique au mois de novembre 1893, et fut placé tout aussitôt à la station de N.-D. des Victoires de Lucula, fondée depuis quelques mois à peine par le bon et regretté P. Paulus. Ensemble, les deux Pères organisèrent la nouvelle mission et se mirent le plus possible en relation avec les Noirs. Ces premiers temps furent heureux pour l'avenir de l'oeuvre. Le P. Paulus était un homme d'une patience inaltérable, d'une grande bonté de coeur et tout dévoué à sa mission d'apôtre. Bien vite, il s'attira la confiance des indigènes et, de concert avec son jeune confrère, établit dans la contrée le bon renom des missionnaires. Son souvenir a survécu dans la mémoire de ceux qui Font connu et aujourd'hui encore on parle de lui avec vénération et regrets. Le P. Bisch eut le bonheur de se trouver ainsi à bonne école tout au début de son ministère apostolique: Sort premier supérieur sur la terre d'Afrique avait su le fortifier et le fixer en quelque sorte dans un amour décisif et pratique de l'âme du Noir, amour qu'il gardera jusqu'à sa mort et qui sera le guide assuré et comme la boussole de toute sa vie de missionnaire.

En décembre 1896, le P. Paulus dut rentrer en Europe et le P. Bisch fut appelé à lui succéder comme supérieur de la station, poste qu'il gardera jusqu'à son départ de ce monde.

La grande préoccupation du P. Bisch, pendant son séjour de 17 ans au Bas-Congo, fut d'implanter le règne de Dieu dans la région encore toute païenne que l'Obéissance religieuse l'avait appelé à évangéliser. Pont- en arriver là, il n'épargna pas sa peine. Sans attendre que le Noir se décidât à venir à la mission, il allait Iui-même, 'le premier, au-devant de lui, Il se plaisait à parcourir le pays à faire la connaissance de ses habitants. Et pour cela, il avait un talent particulier: il savait condescendre à ces pauvres gens, prendre intérêt aux mille riens de leur existence, leur parler avec affabilité et sur un ton enjoué et chose très appréciée - sa main accompagnait le mouvement du coeur, et distribuait, à l'occasion, le petit cadeau, si minime soit-il, qui fait 'toujours plaisir et qui, plusieurs fois renouvelé, devient un argument puissant pour conquérir la confiance et l'affection. De là à la conversion, il n'y a, dans nombre de cas, que quelques pas à faire.

Volontiers écouté des Noirs et leur parlant volontiers, le P. Bisch devint, avec le temps, le confident recherché de presque toute la contrée sur laquelle s'étendaient les limites de la mission de Lucula et souvent même de bien au-delà. C'est à lui qu'on recourait dans les conflits si nombreux en Afrique et si compliqués ; et bien des fois on voyait le bon Père écouter, des heures entières, puis trancher les palabres, que la confiance absolue des indigènes déférait à son tribunal privé comme au ,vrai juge et au chef incontesté du pays. Cette puissante influence du cher Père se manifesta dune façon peu ordinaire, il y a cinq ou six ans, Au commencement de ce siècle, la maladie du sommeil avait fait de grands ravages parmi la population chrétienne et païenne disséminée autour de Lucula, si bien qu'à une époque donnée la mission se vit comme placée au milieu d'un désert et menacée d'une ruine certaine, Dans cette détresse, le zélé supérieur s'adressa aux Noirs plus éloignés, leur demandant de se rapprocher des missionnaires pour repeupler la contrée décimée par le terrible fléau. Son appel fut ut entendu et de tous côtés on vit les anciens villages comme renaître de leurs cendres, à tel point que depuis quelques années la station est entrée dans une nouvelle période de progrès.

Ce rajeunissement de sa chère mission réjouit grandement le vaillant missionnaire, qui y vit une intervention manifeste de la divine Providence et voulut en profiter pour donner de nouveaux développements à son champ d'action, A ce moment, d'ailleurs, il semblait qu'un souffle de foi chrétienne passait sur toute ta Préfecture du Bas-Congo. Dans toutes les stations, les Noirs nombreux, (quelquefois des villages entiers) réclamaient le bénéfice de l'enseignement du catéchisme. Le R. P. Magalhâes, Préfet apostolique, heureux de ce mouvement de conversion, encouragea ses missionnaires et les vit avec bonheur multiplier les postes de catéchistes.

Le P. Bisch se mit donc à l'oeuvre avec une nouvelle ardeur. Il commença par faire un long voyage d'ans la partie de son district du Mayumbe, pour étudier minutieusement la situation. L'année suivante, il y retourna à deux reprises, mais emmenant chique fois des charpentiers et fixant définitivement les différents centres d'instruction religieuse qu'il avait en vue. De ces voyages sortirent les quatre postes de catéchistes suivants: Dodo, Vialele, Bombo, Sungu. Deux autres, projetés dans la même région, ne furent fondés que depuis la mort du regretté Père. Mais le Père Darnal, le nouveau supérieur de Lucula, en transmettant ces renseignements, nous avertit qu'il n'a fait que suivre et exécuter le plan tracé par son cher, prédécesseur.

Le Cacongo, autre contrée du district de Lucula, attira également l'attention du P. Bisch . Cinq cases y furent construites et pourvues chacune d'un catéchiste. Le Père se proposait et préparait d'autres fondations encore; ses continuateurs se feront un pieux devoir de les mener à bonne fin.

Si l'évangélisation extérieure resta toujours chère à notre dévoué confrère, elle n'absorba qu'une partie de ses efforts. La bonne marche de la station réclamait aussi ses soins et il les lui donnait d'un coeur généreux, En première ligne venait l'oeuvré des enfants dont lui-même avait pris la charge. et dont il tic se faisait. certes, pas une sinécure. Il suivait avec attention la conduite de ces jeunes gens. D'après la remarque du P. Darnal, qui a été longtemps le compagnon de ses travaux, H s'appliquait surtout à maintenir parmi eux les bonnes moeurs et à réprimer le vol. A cet effet, il s'efforçait de leur inculquer l'amour des pratiques de piété comme aussi l'amour du travail. Il est à noter que dans la formation qu'il leur donnait, le P. Bisch tenait beaucoup à conserver aux Noirs, les habitudes de simplicité et de sobriété propres au pays sans jamais chercher à changer leurs usages dès lors qu'ils n'allaient pas à l'encontre de la vertu ou des convenances.

C'est dans l'oeuvre des enfants que le cher Père choisissait ses catéchistes. L'expérience lui avait démontré que, pour rendre de réels services en cette qualité, un certain degré d'instruction était requis. Aussi redoublait-il de zèle ces dernières années pour former plus soigneusement à la lecture, à l'écriture, au calcul, mais surtout à la connaissance des vérités religieuses ceux des enfants que leur piété, leur dévouement et leur intelligence rendaient plus aptes à prêter leur concours au missionnaire dans la propagation de I'Evangile.

Former les jeunes noirs à la vie chrétienne et leur apprendre un métier qui sera leur gagne pain plus tard, là ne se borna pas la tâche complète du missionnaire 1. leur égard: une grave affaire est ait bout de tout cela, celle du mariage. Dans une mission, qui n'a pas de Religieuses préposées à l'éducation des jeunes filles, c'est là un gros souci pour le Père chargé dé pourvoir à l'avenir des jeunes gens déjà chrétiens. Le P. Bisch connut ce souci. Lui-même devait trouver, de concert avec l'intéressé, une fiancée à chacun de ses élèves, s'occuper de son instruction religieuse, régler l'importante question de la dot, débrouiller les palabres soulevés à cette occasion, par le-, parents des futurs mariés, préparer la case qui abritera le nouveau ménage, etc. Une longue expérience lui avait heureusement donné le secret de toutes ces négociations : il s'en tirait fort bien, mais il devait y mettre sa peine.

Avec ces différentes occupations, le P. Bish menait encore de front l'administration matérielle de ta mission, Ici, c'est toute une transformation ou plutôt une vraie création qui s'imposait à lui. Et, de fait, quand il prit la direction de l'oeuvre, Lucula était encore à ses débuts et n'avait, comme habitations, que des cases en bambous. Cela ne pouvait durer. Peu à peu, le nouveau supérieur fit disparaître le provisoire et le remplaça par des maisons plus confortables construites en bois du pays. C'est ainsi que sur le petit plateau où est assise la station et où l’on a accès par plusieurs belles allées, l'oeil du visiteur est' charmé aujourd'hui par un ensemble de constructions, formant un rectangle bien régulier, avec une grande pour intérieure, et comprenant, au premier plan, une chapelle fort convenable, à l'opposé la maison d'habitation du personnel, puis, sur les deux autres côtés, et pour compléter le quadrilatère, la maison des enfants, l'école, un magasin, deux cuisines, une charpenterie, les dépendances de la basse-cour : nombreuses unités qui représentent un beau travail et des efforts 'persévérants.

Mais avoir de quoi s'abriter n'est pas tout. Le père de famille doit encore pourvoir, à l'entretien de ceux qui lui sont confiés. Avec les années, les enfants ne faisaient qu'augmenter. Ces derniers temps leur nombre flottait entre 125 et 150 : c'étaient de nombreuses bouches à nourrir, mais aussi, et par bonheur, de nombreux bras aptes .au travail. Le zélé supérieur savait avantageusement utiliser ces bras pour le bien de tous et d'un chacun. Le terrain ne manquait pas à la mission, mais il était d'une fertilité plutôt médiocre. On se mit néanmoins à le défricher. La brousse disparut ; on s'attaqua même à la grande forêt qui s'abattit sur une grande étendue, et l'emplacement de ces terres jusque-là sauvages se transforma ainsi en champ de cultures produisant, quand les pluies étaient abondantes, de bonnes récoltes de manioc, de maïs, de patates douces, d'arachides, d'embrevades, etc.. ce qui, avec un peu de poisson salé, représentait la nourriture des indigènes. Le botaniste d'autrefois pouvait donner libre carrière maintenant à ses goûts pratiques pour les sciences naturelles et à ses aptitudes pour l'agriculture ; ses essais furent pleinement couronnés de succès : les belles plantations de la mission en font toi. Le P. Bisch eut surtout la riche idée de cultiver le bananier, si productif au Congo et dont le fruit, d'ailleurs nourrissant, est très goûté du Noir. La mission de Lucula possède, grâce à l'intelligente initiative du P. Bisch, une bananeraie de plusieurs hectares où l'on rencontre des bananes d'une vingtaine d'espèces différentes. C'est souvent le plat de résistance des enfants de la mission, et ce plat ne coûte aucun travail au cuisinier et bien peu à l'agriculteur.

La station de Lucula a été dotée également par son actif organisateur d'un joli jardin qui, pendant une grande partie de l'année, fournit à la table de la communauté la plupart des légumes de nos pays d'Europe.

Le P. Bisch ne pouvait oublier les arbres fruitiers: Lucula les possède nombreux et variés- orangers, mandariniers, manguiers, papayers, avocatiers, corossoliers, etc., sans compter les palmiers, les cocotiers, les arbres a pain. Ils bordent les différentes allées de la mission, leur servant d'ornement et leur donnant de l'ombre, tandis que leurs fruits, à côté de la banane, de l'ananas... fournissent des desserts appréciés.

Les fleurs elles-mêmes, si chères à l'étudiant en théologie, ont trouvé leur p-lace dans ce coin du Congo. Leur destination toute naturelle était de servir à la décoration de l'autel sur lequel elles jetaient une note pieuse et gaie à ta fo i S.

Il faudrait parler encore de la basse-cour: le P. Bisch sut si bien la garnir qu'elle devint suffisante pour la petite communauté et qu'on put supprimer les conserves.

Nous avons vu l'ascendant que notre regretté confrère exerçait sur la population indigène de sa grande paroisse Outre ce que nous avons rapporté, cet ascendant était dû aussi, pour beaucoup, à la facilité avec laquelle il parlait la langue du pays: le fiot . Ces pauvres gens n'en revenaient pas quand ils entendaient cet Européen manier avec tant de volubilité leur dialecte à eux, enfants de la brousse africaine. C'était, pour le bon Père, un moyen d'atteindre leurs âmes et, en même temps, de pénétrer les secrets quelquefois les plus cachés de leurs usages, de leurs moeurs, de leur vie entière. Aussi, on peut dire qu'il les connaissait à fond. Dans les dernières années de son séjour au Congo, il avait utilisé sa connaissance de la langue pour préparer - avec l'aide de Fr. Gregorio, autre connaisseur habile en la matière - plusieurs ouvrages, entre autres un manuel de prières. Ce manuel dont il avait apporté le manuscrit à son retour en Europe vient d'être imprimé et relié élégamment par les soins et aux frais de son frère, M. l'abbé Bisch, curé d'Otternviller,, près Saverne, et avec le concours du P. Jos. Kuentz. La famille du cher Père, a tenu à en faire hommage de pieux souvenir à la mission é évangélisée par lui.

On l'a vu plus haut, le P. Bisch aimait sa Congrégation, il lui était attaché corps et âme dès le temps de son scolasticat. Cet amour et cet attachement n'ont fait que croître avec les années. Il parla toujours volontiers de sa famille d'adoption et on voyait clairement qu'il la connaissait parfaitement et dans ses membres et dans ses oeuvres, et que ses intérêts étaient les siens propres.

La station de Lucula est placée sous le vocable de N.-D. des Victoires. Le P. Bisch en était particulièrement heureux, car ce titre lui rappelait les relations étroites de la Congrégation avec le sanctuaire si pieux et si célèbre de Paris. Mais il ne se contenta pas d'avoir N-D. des Victoires comme patronne de sa mission. Sa dévotion filiale à Marie lui inspira de faire plus pour obtenir par l'intercession de cette bonne Mère les grâces plus abondantes et toutes spéciales aux âmes confiées à ses soins. Il sollicita donc et obtint du R. P. Préfet l'érection cationique, dans sa chapelle, d'une confrérie de N.-D. des Victoires, confrérie qu'il fit affilier plus tard à l'Archiconfrérie centrale de Paris.

Le regretté Père aimait aussi beaucoup les âmes du Purgatoire, et cet amour se traduisait chez lui par un véritable culte. C'était pour lui un bonheur d'offrir à l'intention de cette portion souffrante de l'Église le saint Sacrifice de la messe et de puiser, en sa faveur dans le trésor des indulgences. Aussi, il profita le plus possible du privilège de la Congrégation en pays d'outre-mer de prendre deux fêtes doubles par semaines pour dire la messe de Requiem.

Quoique bilieux par nature, le P. Bisch se montrait d'ordinaire gai et enjoué. Sa bonne humeur, presque intarissable, aimait le mot pour rire et savait entendre la plaisanterie. Cependant, il était doué en même temps d'une grande sensibilité. Au milieu des préoccupations multiples de sa charge cette sensibilité était pour lui une source de grandes souffrances. Souvent, le moindre heurt dans la marche des oeuvres le tirait de son calme, lui causait des inquiétudes et -provoquait parfois chez lui des mouvements dé vivacité et de brusquerie. Mais ces saillies n'étaient que passagères. Si des paroles un peu âpres lui échappaient ou si la langue lui glissait dé tout autre m'a mère, il était le premier à regretter ces oublis. Le P. Darnal, qui l'a bien connu et qui a fourni sur lui' des souvenirs dont cette notice s'est largement inspirée, nous dit que le Père demandait facilement pardon à qui conque il croyait avoir offensé dans ses moments d'irréflexion par ses procédés peut-être pas assez charitables, En tout cas, soit bon coeur ne savait pas garder rancune, et., si des impatiences se produisaient dans la journée, jamais le soleil ne se couchait sur elles, comme l'écrit soit ancien collaborateur.

Mais ce qui caractérise surtout la physionomie morale du P. Bisch, c'est qu'il était missionnaire d'ans l'âme, missionnaire avant tout. «Evangelizare pauperibus misit me ». Ces paroles, il se les appliquait et s'y conformait. Lui-même a confié, à celui qui écrit ces lignes, qu'une Journée n’était bonne pour lui et qu'il n'en était content que lorsqu'il avait fait quelque baptême, lorsqu'il avait pu travailler, à quelque conversion ou faire un bien quelconque à une âme.

La mort

Le P. Bisch s'était embarqué au Congo en avril 1910 avec le P. Jos. Kuentz et le Fr. Januario.. A bord, ils rencontrèrent le P. Le Mailloux et le Fr. Guilherme. Les voyageurs arrivèrent à Lisbonne le 9 mai. Le P. Bisch paraissait le mieux portant de tous et, à son ordinaire, était plein de gaieté et d’entrain. Il ne se plaignait que de la fatigue dans les jambes.

Il commença par s'occuper tout aussitôt des intérêts de sa mission ; le don d'une généreuse bienfaitrice lui permit d'acheter plusieurs objets, moyennant lesquels il voit lait perfectionner le matériel scolaire de Lucula.

Le lundi 16 mai, il prit le train pour Porto d'où' il devait id gagner la France. Le P. J. Kuentz l'accompagnait. A son départ de Lisbonne, il avait l'air un peu abattu ut se disait souffrir des dents. Le voyage accentua le malaise, et à l'arrivée dans notre ancien collège de Porto, il se trouva que notre confrère était atteint d'une angine grave. Un médecin fut consulté et on prodigua au 'malade tous les soins que l'on put. Mais,. comme les améliorations ne venaient pas, le P. E. Muller, supérieur de la maison, fit venir, le 20 mai, deux médecins à la fois pour une consultation sur la maladie. Ils devaient arriver trop tard. Car, d'après une lettre du P. E. Muller, voici ce qui s'était passé entre temps. « Vers 4 heures 30 de l'après-midi, quand le malade, qui était à se promener dans sa chambre, a voulu prendre son premier morceau de glace, selon les prescriptions du médecin, il a eu une suffocation et il est tombé dans les bras de l'infirmière

Voyant qu'il ne bougeait pas, le Frère infirmier bat des mains pour appeler au secours. J'accours immédiatement, et j'ai tout juste le temps d'exhorter le Père à la contrition, de lui donner l'absolution et l'Extrême-Onction. Le tout n'a pas duré cinq minutes.

A la cérémonie de l'enterrement, une assistance nombreuse vint se joindre au personnel et aux élèves du collège pour conduire à sa 'dernière' demeure le regretté défunt et pour implorer sur son âme les miséricordes de Dieu.

Le 26 mai, un autre service solennel fut célébré en Alsace, dans la paroisse desservie par M. l'abbé Bisch. Des fidèles et des prêtres en grand nombre, ainsi que notre communauté de Saverne, se firent un pieux devoir d'y assister pour s'associer à la douleur du vénéré curé et de ses soeurs, brisés tous trois, quoique résignés, sous le coup terrible qui venait de les frapper d'une façon mi imprévue. Leur joie de posséder bientôt le frère si aimé m'était subitement changée en un deuil des plus cruels. Ce sont là de ces dispositions de la divine Providence que l'homme ici-bas ne peut qu'adorer et qu'il ne comprendra qu'au Ciel !

Quant à notre cher et regretté confrère, un apostolat des plus actifs et des plus féconds, apostolat de 17 années, l'avait certainement préparé au grand voyage, malgré ce qu'il pouvait avoir d'imprévu, et il lui aura mérité, on ne peut en douter, la récompense promise par Notre-Seigneur au bon et fidèle serviteur: « Euge, serve bone et fidelis.. intra in gaudium Domini tui. »
X. KAUFFMANN.

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