Le Père Maurice Briault,
1874-1953

(Ceci est un résumé de la notice rédigée par le Père Bouchaud)

Maurice Briault naquit le 3 novembre 1874, d'une famille de cultivateurs, au village de la Vérablière, dépendant du gros bourg dellr~, dans la Manche. C'était donc un Bas-Normand et il garda toujours, au physique et au moral, l'empreinte de son terroir, ayant solidement les pieds sur terre et ne s'en laissant point conter. Mais il avait en même temps une âme "artiste, sensible et vive, et ce mélange de réalisme et d'idéalisme lui composait une personnalité vigoureuse, hors de la commune mesure, qui lui valut beaucoup de satisfactions et pas mal d'ennuis.

Il commença ses humanités au collège oratorien de Saint-Lô et les termina au petit séminaire de l'Abbaye-Blanche à Mortain. Un passage de Mgr Le Roy dans cet établissement décida de sa vocation missionnaire. Son père s'y opposa d'abord, puis se laissa fléchir. En 1892, le jeune Maurice entrait au postulat de Langonnet, pour y commencer ses études cléricales, car, à cette époque, le noviciat couronnait le scolasticat, au lieu de le précéder comme de nos jours. Après son service militaire, qu'il fit à Saint-Lô, en 1894-1895, il vint à Chevilly, où le directeur, le Père Van Haecke, méritait ce qu'on disait de lui : "On se sentait dans la main d'un saint, et encore qu'on redoutât d'être par elle vigoureusement pétri, on se laissait faire..." Cela ne fut pas facile pour notre jeune artiste de séminariste, mais un courant de confiance réciproque lui permit d'avancer aux vœux religieux et à l'ordination sacerdotale.

Lors de sa consécration à l'apostolat, il reçut son obédience pour le Gabon et, le 29 septembre 1898, il débarquait à Libreville pour y commencer sa vie de missionnaire. Il fut placé successivement à la mission de Donghila et à celle du Rio-Mouni à la frontière de la Guinée espagnole. Il se spécialisa dans l'apostolat auprès des Pahouins. Il apprit leur langue et, sans devenir un spécialiste en cette matière, il la posséda assez bien pour communiquer avec eux et pénétrer leur mentalité.

En 1904, il rentra en France et profita de son congé pour suivre, pendant un an, les cours de l'Université de Fribourg, en Suisse. Sous la conduite de Jean Brunhes, auteur de la géographie humaine , il apprit à apprécier la méthode et la probité scientifiques, ennemies du bluff et de l'à peu près. De retour au Gabon en 1905, il fut affecté à Saint-Martin des Apindjis. Mais là il ne put s'habituer. Il se plaignait d'être tenu à l'écart, inutilisé : "Ici, je suis et resterai longtemps l'étranger, le réfugié ; mon esprit s'isole et mon cœur jeûne." Il demanda et obtint son départ pour la France. Mgr Le Roy l'accueillit avec bonté et l'employa à son secrétariat. On fit ensuite appel à son talent pour décorer de peintures murales un des réfectoires de Chevilly. Le moral étant revenu, il revient en Afrique en 1910.

Cette fois, il est placé à Ndjolé, où il a comme confrères deux hommes remarquables et faits pour le comprendre : les Pères Martrou et Tardy, qui devaient plus tard devenir, l'un après l'autre, vicaires apostoliques du Gabon. Et, de fait, les premiers temps, tout marche à merveille, le P. Briault ne rechigne pas à prendre part au bon travail qui s'y fait. Puis les choses commencent à se gâter. Cela s'aggrave quand il doit prendre la succession du Père Martrou. Il n'était point fait pour être supérieur et il se sent débordé. Une difficulté de santé lui permit de rentrer en France en 1912. Cette fois, il ne devait plus revoir le Gabon qu'en passant lors d'une tournée d'informations en 1932-1933.

On le voit, le séjour effectif du Père Briault en pays de mission n'a pas été des plus longs, mais toute son activité ultérieure devait être marquée de cette expérience gabonaise, de cette douzaine d'années passées dans les régions de l'Ogooué et de la Ngounié. Il en tira le parti maximum, car il savait observer et, bien qu'il fût doué d'une excellente mémoire, il ne manquait pas de noter, par la plume ou par le pinceau, le fruit de ses observations. Il a presque constamment tenu son journal (ce qui, en Afrique, est aussi rare que méritoire) et rempli de nombreux carnets de pochades et de croquis pris sur le vif. Il se constituait là une réserve précieuse pour les années à venir et, de fait, c'est dans cette mine qu'il a puisé le meilleur de son œuvre littéraire et artistique. Il ne faudrait pas croire que, du fait qu'il portât un intérêt particulier à la littérature et à la peinture, et que c'et intérêt, comme il arrive souvent, n'ait pas fondu au soleil africain, le P. Briault n'ait été qu'un missionnairearnateur. La lecture de son journal et de sa correspondance prouve qu'il a bien pris sa part du travail commun, et il y aurait de l'injustice à lui reprocher d'avoir négligé son ministère pour le vain plaisir de dessiner des bonshommes. Mais il faut reconnaître que ces passe-temps furent souvent pour lui un refuge.

Il redevint pour un temps secrétaire particulier de Mgr Le Roy, pour lequel il professait une véritable vénération, que renforçaient non seulement la communauté d'origine, mais aussi la similitude sur beaucoup de points, des idées et des goûts, bien que leurs tempéraments fussent fort différents. A ses moments libres, à cette époque de sa vie, il aimait à s'occuper du patronage Sainte-Mélanie, rue Tournefort, dont il était l'aumônier. Il y rencontrait des gamins du quartier, dont la turbulence et la franchise lui plaisaient et, parmi les jeunes gens qui s'y dévouaient et étaient principalement des élèves des grandes écoles, il noua des relations utiles et des amitiés très chères, dont certaines durèrent toute sa vie. Dans la carrière sacerdotale du P. Briault, l'apostolat du patronage fut comme une oasis dont il ne garda que d'agréables souvenirs.

Mobilisé, durant la guerre de 1914, dans les hôpitaux militaires de Bretagne, puis affecté spécial au Cameroun en 1916, il s'arrêta un temps à Dakar, où la grippe espagnole lui fournit une belle occasion de se dévouer et il n'y manqua pas. En avril 1919, il rentrait en France, et, cette fois, pour de bon.

Après son retour à Paris, sa principale occupation fut la direction des Annales des Pères du Saint-Esprit, qu'il devait garder pendant une trentaine d'années. Il prit cette tâche fort à cœur et voulut que ses "chères Annales" fussent quelque chose de différent des autres publications analogues. Il les voulut précises, objectives, soucieuses d'exactitude et d'information rigoureuse, et pour cela il ne ménagea pas sa peine. Il en porta a peu près tout le poids, se chargeant en majeure partie et du texte et des illustrations.

Aux Annales il avait adjoint, à Paris et dans quelques grandes villes de province, des ouvroirs où des dames dévouées confectionnaient, sous sa direction, des vêtements liturgiques destinés aux missions spiritaines. Ces ouvroirs organisaient à Paris, une vente de charité, où ils exposaient leurs travaux et qui était, pour leur directeur, la grande affaire de l'année.

L'œuvre littéraire du P. Briault ne s'est pas bornée à la rédaction des Annales. Sans parler des nombreux articles qu'il publia dans d'autres périodiques, comme le Correspondant ou les Études, ni des conférences qu'il fut souvent appelé à donner dans les milieux les plus divers, il est l'auteur de plusieurs ouvrages. Parmi ceux-ci, il en est quatre qui forment peut-être le meilleur de son œuvre : Sous le zéro équatorial (1928), Dans la forêt du Gabon (1930), Récits de la Vérandah (1939), et Sur les Pistes de L'A.E.F. (1945).

Le P. Briault ne fut pas seulement un homme-de-lettres, il fut aussi un artiste de grand talent. Tout jeune, il montrait de remarquables dispositions pour le dessin. Plus tard, il évolua vers la peinture et se montra plus sensible à la couleur qu'à la ligne. Il développa ses dons naturels en prenant des leçons, à Paris près du maître Pinta, mais bien plus encore par son travail personnel constant. Il figura à deux reprises au Salon des Artistes français et fut choisi pour la décoration de la section africaine de l'Exposition vaticane de 1929, ainsi que celle du Musée Pontifical du Latran.

Mais le meilleur de son œuvre picturale n'est pas là. Il est dans ces aquarelles qui tapissaient les cloisons de son appartement, au 28 de la rue Lhomond, et peut-être plus encore dans les nombreux carnets et albums, dont il se servait, au cours de ses déplacements, pour noter telle scène ou tel paysage. Nul peut-être n'a saisi comme lui la beauté grave de la nature équatoriale, la lumière de ses ciels orageux, les eaux noires des grands fleuves, les verts profonds de la forêt vierge, les lointains bleus qu'a lavés la dernière tornade.

Grâce à ses écrits, à ses peintures, aux déplacements qu'il s'octroyait facilement, le P. Briquai avait beaucoup élargi le cercle de ses relations et obtenu une véritable notoriété dans les milieux coloniaux et missionnaires. Quand on l'avait une fois rencontré, on ne l'oubliait plus. Il ne dissimulait d'ailleurs pas sa qualité de spiritain. "Chez nous, au Saint-Esprit" proclamait-il, et on savait tout de suite à quoi s'en tenir.

En mourant, le P. Briault a laissé de nombreux manuscrits. En les feuilletant, on est surpris de voir combien ils comprennent de pages religieuses, et combien ces pages expriment une spiritualité sérieuse et profonde. Plus que quiconque peuvent en témoigner les personnes qui ont bénéficié de sa direction perspicace et sage ou de son exigeante amitié.

Nous avons confiance que le Divin Maître aura su récompenser ce bon serviteur, qui fit si bien fructifier les nombreux talents qu'il avait reçus en partage.

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