LE P. Jean-Joseph BUBENDORF décédé à Agouléri le 12 février 1905

En présentant au petit scolasticat le jeune Jean-Joseph Bubendorf, son paroissien, le curé de Neuwiller, ancien condisciple du P.Thiersé, le dépeignait en ces termes. Né à Neuwiller, c'est un enfant, intelligent, docile, pieux, innocent, tel qu'on aime les enfants de son âge Il vient de faire sa première -communion et n'a pas encore 15 ans. Il est né le 21 septembre 1860. - Il va depuis deux ans, pour apprendre lès langues et les sciences, à une école laïque en Suisse, dont, les -trois: professeurs sont protestants et l'un franc-maçon. On n'y parle ni de Dieu,. ni du diable, ni d'aucune religion. Ventant n'au " pas moins gardé ses bonnes dispositions. Il désire se faire missionnaire. Ses parents voient son départ avec une grande peine, car c'est leur seul garçon et l'aîné de leur petite famille. Ce n’est qu'à force d'instances qu'il a pu obtenir leur consentement. (Lettre du 2 août 1875)

Sur cette excellente recommandation, le jeune aspirant entrait en cinquième à N.-D. de Langonnet le 25 septembre 1875. Sa conduite ne rit que confirmer le témoignage qu'avait rendu de lui son digne curé. Aussi, de l'avis unanime de ses directeurs, fut-il admis à revétait l'habit religieùx le ler novembre 1877. Il se faisait surtout remarquer par un vif attachement à sa vocation. Il en donna une preuve frappante, en 1882, durant son grand scolasticat. Se trouvant alors un peu fatigué, il avait été autorisé à aller pour quelque temps au pays natal.Un de ses confrères, infidèle à ses engagements, tenta de l'entrainer après lui. M. Bubendorf résista. énergiquement en déclarant que: " jamais il n'abandonnerait sa belle vocation de missionnaire ". Il fit même tout ce qu'il put pour ramener le pauvre égaré qu'il voyait, écrivait-il, courir vers l'abîme: et qui fut éconduit du Séminaire de Strasbourg où. il avait voulu entrer. (Lettre du 6 janvier 1882.) Des maux de: tète, l'empêchant de continuer ses études. de théologie, en l'envoya pendant deux ans à Cellule, afin "aider à la surveillance et. de faire un cours de français. Pour reconnaître et récompenser son dévouement, on le fit avancer à la tonsure à Clermont le 23 décembre 1883, et l'année suivante, il reprit ses études à Chevilly. D'un caractère- agréable et joyeux, il était le boute-en-train. des récréations, des promenades et des fêtes. Actif, ingénieux, d'un esprit inventif, il remonta le cabinet de physque. Mais là où il excellait surtout, c'était dans les: décorations de la chapelle aux jours de fête et dans la préparation des reposoirs pour la procession de la Fête-Dieu.

Élevé à la prêtrise le 1er novembre 1887, il fit sa profession le 26, août 1888, et reçut aussitôt sa. destination pour la Mission d'Onitsha, entreprise depuis trois ans sur la rive gauche du Niger. Commencée sous la dépendance du vicariat des Deux-Guinées ou du Gabon., elle fut, l’année suivante, érigée en. préfecture apostolique indépendante. Le P. Bubendorf se dévoua de tout coeur à cette oeuvre, à laquelle désormais va être consacrée sa vie tout entière. A Onitsha, il fut d'abord chargé de l'économat, en même temps que de l'oeuvre des enfants. Il y resta jusqu'en en août 1898 où il fut nommé supérieur de la station de St-Joseph. d'Agouléri; c'est là qu'il vient de succomber.

Raconter en détail les 16 années que le cher Père a passées dans la Mission, ce serait, dit le R. P. Lejeune, faire l'histoire de la Mission elle-même. Le P. Bubendorf, en effet, a été, durant: ce temps, l’un des principaux collaborateurs des quatre Préfets apostoliques, qui l'ont successivement dirigée; et c'est lui également qui les a remplacés pendant les longs intérims occasionnés par la mort ou la maladie. Aussi sa mémoire est-elle particulièrement gravée dans l'esprit des indigènes. Il connaissait tout le monde, et tout le monde le connaissait. Son nom était répandu très loin jusque chez les; sauvages Oké, les cannibales Ada et dans toutes les villes des Ibos.

Les Noirs l'appelaient, Okpala Iké (fils aîné et fort), où Ebuébué (qui porte le fusil). La réputation d'Okpala Iké, lui venait surtout de son habileté en chirurgie. Les dentistes de Paris n'ont pas plus de pratique qu'il n'en avait et sa clinique - chirurgicale n'était pas moins fréquentée que les cliniques les plus courues. de la capitale. Après les guerres incessantes: que se livrent des différentes villes du voisinage, on l'appelait aussitôt pour soigner les blessés. Il fallait extraire des balles, panser des blessures, recoudre des ventres entr'ouverts, etc. Le Père se livrait comme un praticien à toutes ces opérations.

Les palabres prenaient aussi une bonne partie de son temps. On sait combien chez les Noirs ils sont fréquents et longs. Le Père s'y faisait généreusement le défenseur de l'innocent et du faible opprimés; et le plus souvent, par son habileté, sa patience, le prestige de son influence, il parvenait à les délivrer. C'est ainsi que, grâce à lui, nombre de femmes enlevées par des séducteurs ont été rendues à leur mari légitime, beaucoup d'enfants volés remis à leurs parents ! sans parler de ceux qu'il a rachetés de l'esclavage, et de ceux aussi qu'il a recueillis abandonnés dans la brousse, comme les enfants jumeaux condamnés à périr par le fait même de leur naissance. Dans ces palabres, il a également arraché à la mort beaucoup de veuves destinées à suivre leur mari dans la tombe; bien des sorcières qui sans lui auraient été victimes de l'épreuve de l'Oratshi; nombre de prisonniers, condamnés au supplice. Il a même arrêté plus d'une fois des guerres sanglantes entre les diverses peuplades du pays, toujours prétes à entrer en lutte à la moindre occasion.

Rien n'effrayait le vaillant missionnaire, quand il y avait une oeuvre de zèle ou de charité à entreprendre. Comme le dit un journal de Bruxelles, Le XXe siècle, il aurait pu aller seul avec un bâton parmi les tribus les plus farouches; personne n'aurait osé l'attaquer. (Cet article élogieux, que nous regrettons de ne pas avoir, est du à la plume du consul belge de Ténériffe, en voyage au Niger. Il a paru en novembre dernier).

Il se rendait souvent, du reste, au milieu des sauvages, et là précisément où il savait qu'il y avait du danger. Arrivé dans un de ces villages de cannibales, il s'asseyait sans façon dans n'importe quelle case, secouait les mains calleuses des vieux chefs, mangeait avec les indigènes et à leur manière, sans se soucier de cuiller et de fourchette, ce qu'on lui offrait, ignames, bouillie de manioc, sauce à l'huile de palme, buvait à même l'eau des cruches de la case, et trinquait au vin de palme, avec les calebasses crasseuses, à la santé des anciens.

(Il faut ajouter, pour dire toute la vérité, que le cher Père aurait pu être plus prudent; et, plusieurs fois même, il a failli payer de sa vie sa trop grande témérité. Un jour dans la forêt, il avait à moitié assommé un python de 3 mètres d long. Il l'enroula comme un cache-nez autour de son cou, et revint ainsi portant son trophée à la Mission. Mais, c'est que le serpent n'était pas mort, et bientôt il serra si fortement ses anneaux que le pauvre Pére en est presque étouffé. Heureusement accourt un Noir, qui avec son couteau coupe le boa en deux. - Une autre fois, apprenant qu'un serpent cracheur a tué une dinde à la basse-cour, il se met, sans hésiter, à sa poursuite et reçoit dans les yeux toute la bave de la bête. On se demande comment il n’est pas resté aveugle.)

Le vieux roi Ezoba avait tué son enfant, puis il l'avait broyé dans un mortier, avec le pilon qui sert à écraser le manioc et le maïs. Et cette bouillie affreuse, il l'avait conservée dans une gourde, qu'il portait toujours au bras. Le P. Bubendorf cherche à lui arracher cet horrible fétiche. Ezoba aussitôt saisit sa lance pour le transpercer. Le Père esquive le coup par un mouvement de côté; puis il s'approche d'Ezoba, et lui dit en lui frappant amicalement l'épaule : " Allons, Ezoba, embrassons-nous". La réputation dont il jouissait au loin parmi les Noirs le fit demander dernièrement par le colonel Montanaro pour accompagner une expédition dans l'intérieur. Les. officiers, comme les commerçants et les autres Européens, l'aimaient beaucoup. Il partit joyeux et léger; mais, au lieu de se joindre à la colonne expéditionnaire, il alla au-devant d'elle au milieu de tribus soulevées. Les soldats brûlèrent la ville, et le Père, de son côté, alla mettre le feu a toutes les cases fétiches de la forêt, sans s'inquiéter du danger auquel il s'exposait.

Le cher Père s'occupait avec zèle. de son village chrétien d'Agouléri. Il confessait régulièrement tout son monde, non seulement aux fêtes de l'année, mais encore au premier vendredi du mois. Il organise des réunions récréatives pour les jeunes gens et pour les jeunes filles, afin de les attirer à la Mission et d'assurer ainsi leur persévérance. À Agouléri, c'était vraiment entre le missionnaire et les chrétiens la vie de famille. Tous l'aimaient aient comme leur père et lui obéissaient comme. à leur chef.

Cependant, par suite de ses travaux incessants, la santé du P. Bubendorf commençait à décliner. Déjà il. avait dû rentrer en France en 1890 et 1896 ; mais, après quelques mois de repos, il s'était empressé de retourner dans la Mission. En 1903, le R. P. Lejeune, le voyant fatigué, l'avait invité à revenir de nouveau pour quelque temps en Europe; et, en 1904, il renouvela cette invitation. Le P. Bubendorf crut devoir attendre. Cette année cependant il devait venir avec le R. P. Préfet; mais le bon Dieu l'avait jugé mûr pour le ciel. Voici, d'après une lettre du R. P. Lejeune, du 16 février 1905, quelques détails sur ses derniers instants :

" Le vendredi 21 janvier, jour où j'allais à Oba pour empêcher les soldats de l'expédition de brûler toute.la ville, le P. Bubendorf. revenait à Agouléri, après avoir passé trois jours à Onitsha. Il paraissait fatigué. Le lendemain, on lui amena deux indigènes terriblement blessés, l'un d'un coup de lance, l'autre d'un coup de coutelas. Le Père se mit aussitôt à panser leurs plaies. Ce travail le fatigua beaucoup; il tomba épuisé, et tout de suite après cet acte de charité, il se couchait pour ne plus se relever.

"Le P. Alphonse Bisch, installé à Nsoubé, depuis quelques jours seulement, fut appelé auprès de lui le 4 février; le 6, trouvant le ( Il manque une ou deux lignes)

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