Le Père Louis BUISSON,
1821-1899


Voici, reproduit intégralement, pour lui conserver le cachet de son époque, le texte publié par le Bulletin de la Congrégation pour la mort du Père Buisson, décédé à N.D. de Langonnet le 22 avril 1899.

Le P. Louis-Augustin Buisson, qui vient de nous être enlevé si rapidement, était l'un des doyens d'âge de la Congrégation tout entière : il n'y a que deux Pères et un Frère qui puissent se dire ses aînés.

Né au diocèse de Chartres, à Digny, canton de Senonches (Eure-etLoir), le 8 juin 1821, il entra, jeune encore, au petit séminaire de Chartres, puis un peu plus tard, vers l'âge de 15 ans, nous le trouvons dans la capitale, employé dans une maison de commerce. Là, il eut le bonheur de se voir entouré de l'affectueuse et tendre sollicitude d'une sœur aînée, consacrée à Dieu parmi les religieuses de Saint-Paul de Chartres. Tous les soirs, après son travail, il allait, des environs du Panthéon où il demeurait, la voir à son couvent, près de la gare de l'Est ; et c'est à elle, sans doute, qu'il dut en grande partie de pouvoir enfin poursuivre sa première vocation. Le bruit du monde et les tracas du négoce ne convenaient guère, du reste, à sa nature si douce, si paisible et même si timide. Bientôt, en effet, il revint terminer ses études au petit séminaire de Chartres, d'où il passa au grand séminaire ; puis, le 17 mai 1845, Mgr Clausel de Montals l'ordonnait prêtre pour l'éternité avec une dispense de trois Mois d'âge.

Son diocèse étant peu fourni de prêtres, l'abbé Buisson fut aussitôt placé à la tête d'une paroisse. Après deux ans passés comme curé à Saint-Cloud en Dunois, près de Châteaudun, et quatre années à Luz, il fut nomme à Mottereau. Mais, hélas! ces différents postes ne lui donnaient pas plus de consolations les uns que les autres dans son ministère. Après sa messe, rien à faire de toute la journée ; et à Mottereau, où il était depuis cinq ans, il voyait même, a son grand chagrin, le nombre des communions pascales diminuer d'année en année.

" C'était, écrivait-il à son Évêques une position qui lui devenait intolérable. Il ne pouvait faire aucun bien ; et, d'une conscience délicate et craintive, il se voyait lui-même entouré de périls pour sa propre sanctification." Il le suppliait donc avec ardeur de lui permettre d'embrasser l'état religieux, auquel il se croyait appelé. (Lettre. du 7 mai 1851).

Après bien des difficultés, on finit par lui accorder la permission si désirée, et tout aussitôt, après onze années de ministère paroissial, l'abbé Buisson vint frapper à la porte du noviciat, alors à Monsivry. Les deux années qu'il y demeura furent pour son âme, recueillie et portée à la retraite, un bien doux repos ; aussi émit-il avec joie ses premiers vœux, le 22 mai 1858.

Au bout de quelques années passées comme professeur de sciences àSainte-Marie de Gourin et à Langonnet, puis au petit séminaire de Cellule, il fut envoyé à la Martinique, au mois d'octobre 1862 ; trois ans après, il passait en Haïti et enfin, au mois d'avril 1874, il fut destiné à la Guyane, où il est demeure jusqu'au départ de nos Pères de cette mission.

Dans les différents postes qui lui furent confiés pendant ses 41 ans de vie religieuse, on peut dire que le P. Buisson a passe en faisant le bien, tranquillement et silencieusement, toujours respectueux envers ses supérieurs, plein d'égards pour ses confrères et en tout très fidèle à sa règle.

J'ai connu le P. Buisson professeur à Cellule, écrit le P. JeanBaptiste Delpuech, alors que j'étais en troisième, et là, il m'avait paru un parfait religieux ; pour les trois ans que j'ai passés ensuite avec lui au Maroni, en Guyane, je puis affirmer qu'il s'est vraiment dévoué dans son ministère auprès des pauvres transportés, les visitant assidûment dans leurs cases, sans se rebuter jamais. Quelle patience il devait avoir lorsque ces condamnés, qu'il avait à son service, lui préparaient sommairement son maigre repas, pour faire ensuite eux-mêmes meilleure chère à ses dépens ! ... Et quelle assiduité à s'acquitter de son ministère, quelle régularité dans ses exercices religieux ! (Lettre du 1er mai 1899).

Au retour de nos Pères de la Guyane, le bon P. Buisson fut placé à SaintLucien, maison de campagne de notre établissement de Beauvais, pour s'y reposer.

Là comme partout, nous dit le P. Kieffer alors son supérieur, il se montra très édifiant, très aimable pour tous les confrères qui allaient le visiter. Son cœur, toutefois, semblait être en grande partie resté à la Guyane ; il aimait à rappeler les épisodes du saint ministère qu'il y avait rempli si longtemps. Souvent, il racontait comment il était resté sans montre très longtemps dans un poste isolé, obligé de se régler d'après la marche du soleil. La nécessité le rendant ingénieux, il avait construit un cadran solaire portatif, dont il mettait l'aiguille dans le plan de la méridienne au moyen d'un petit mécanisme de son invention, aussi simple que sûr. Il en construisit un semblable à Saint-Lucien, et les professeurs à qui il le montra le trouvaient supérieur à tous ceux que décrivent les' manuels scientifiques.

Le P. Buisson a laissé à Beauvais le souvenir d'un de ces bons missionnaires formés à l'école du R.P. Emonet et du P. Guyodo, simples, humbles, pieux, aimables, fidèles observateurs de la règle, toujours prêts à se dévouer sans paraître se douter qu'ils eussent à cela quelque mérite. (Note du 30 avril 1899)

Cependant, la santé du bon Père s'affaiblissant sous le poids des années, on l'envoya, au mois de mars 1897, à N.D.de Langonnet y terminer ses jours.

Sa mort, écrit le P. Le Douarin, a été paisible et simple comme sa vie. Depuis longtemps, son régime déjà austère s'était encore simplifié : jamais de viande, jamais de vin, un simple verre de cidre noyé dans beaucoup d'eau. Aussi son corps était-il devenu d'une transparence singulière. On ne le voyait assis qu'au réfectoire et aux offices, quand le cérémonial le prescrit. A la chapelle, à la bibliothèque, dans sa chambre, au jardin, partout on le trouvait debout, toujours nu-tête, sans feu en hiver, et la fenêtre de sa chambre ouverte jour et nuit, sans doute à cause de son asthme.

Le jeudi 20 avril, il suit comme à l'ordinaire les exercices de communauté ; on remarque seulement qu'il tousse un peu. Le vendredi 21, il ne vient pas à l'oraison, et comme il était d'une exactitude parfaite, c'est qu'il devait être malade. Le P. Urien le trouve, en effet, très mal et le fait se coucher, en recommandant au Frère Infirmier de le surveiller. Le pauvre Père passe une journée pénible, suffoqué par l'asthme, ne pouvant ni tousser, ni cracher. Le soir, à 7 heures 1/2, on le retrouve à sa fenêtre ouverte, achevant son bréviaire. - "Il va mieux, dit-il, ce ne sera rien." Cependant, à minuit, le Frère chargé de veiller les malades va de nouveau dans sa chambre et le voyant affaissé près de son lit, il appelle les Pères ; on lui donne l'Extrême-Onction, avec l'indulgence de la bonne mort, puis on le couche sur son lit tout habillé, et il trépasse, doucement à l'âge de 77 ans, 8 mois et 4 jours.

Page précédente