Mgr Joachim BULéON,
1862-1900


Joachim Buléon, né à Plumergat le 6 mars l862, avait deux frères prêtres dans le diocèse : son aîné Jérôme, curé-doyen de Bignan, et son plus jeune frère, vicaire de St-Patem à Vannes.

Prêtre à Chevilly le 9 novembre 1884, Joachim Buléon devint spiritain par sa profession le 23 août 1885. Son obédience lui donna le Gabon comme champ d'action missionnaire. Il s'y rendit en s'embarquant à Liverpool le 2 octobre suivant.

Arrivé à Libreville, il dirigea d'abord le petit séminaire indigène, dont il fut en quelque sorte le restaurateur, car cette œuvre si importante et si difficile avait été suspendue depuis plusieurs années.

En 1893, le P. Buléon obtint de Mgr Le Roy, nouvel évêque du Gabon, l'autorisation de faire une excursion, à l'est de la mission de Fernan-Vaz, chez les Eshiras. Il revint, après une absence de 27 jours, assurant qu'il avait trouvé là-haut un pays magnifique, une tribu nombreuse, tranquille et hospitalière, et un champ de travail immense.

Durant son congé en France, de mars 94 à mars 95, Le Père Buléon fit imprimer les livres religieux qu'il avait composés en langue pongoué, et se mit à la disposion du Supérieur général qui lui demandait de faire connaître en Bretagne la mission du Gabon. Après avoir prêché la retraite au petit séminaire de Ste-Anne, au pensionnat des Frères de Lorient, aux enfants des Frères du Faouët, et de St-Michel de Langonnet, le P. Buléon fit une tournée dans les séminaires de Bretagne. Il a parlé sur les missions aux grands séminaires de Vannes, de Quimper et de St-Brieuc ; aux petits séminaires de Sainte-Anne, de Ploërmel, de Tréguier, et de Séez ; aux collèges des Jésuites de St-François-Xavier à Vannes, de St-Charles à St-Brieuc, des Eudistes à Rennes, à l'œuvre des vocations tardives de Rennes, etc. Partout il a reçu, de la part des directeurs et des élèves, l'accueil le plus sympathique.

A son retour au Gabon, Mgr Le Roy décida la fondation prévue depuis deux ans chez les Eshiras, et pour laquelle il avait, entretemps, obtenu de Rome des fonds spéciaux destinés à cette mission.

Le 3 juin, le P. Buléon et le F. Isaure empruntant la pirogue d'un colon anglais, remontèrent la rivère pour préparer le lieu de la prémière étape. Tout allait bien, quand tout à coup la pirogue heurta un tronc d'arbre et se coucha sur le flanc : toutes les caisses à la dérive et les pagayeurs à l'eau se cramponnant où ils pouvaient. Ce jour-là il durent dîner par cœur, mais trouvèrent, le soir venu, un traitant nkoïni au village d'Aguma, qui les régala avec du manioc et quelques bananes. C'est là que le 23 juin, l'évêque, le P. Steinmetz et le F. Hermès vinrent les rejoindre.

La seconde étape consistait en une marche à pied de 60 km, sur des pistes non balisées et peu fréquentées. Le P. Buléon raconte leur arrivée : " Après plusieurs jours de courses et d'examen des lieux, on se décida pour une colline, au pied de laquelle coule une source ferrugineuse qui ne tant jamais ; un panorama splendide aussi loin que la vue peut porter ; cà et là, dans ces vastes plaines, des bosquets d'arbres verdoyants, des champs d'ananas poussant sans culture avec une vigueur extraordinaire ; beaucoup de gibier ; un grès grand nombre de villages aux alentours, et, dans ces villages, une population nombreuse qui nous accueille avec sympathie ! Et tout autour de ce tableau, des chaînes de montagnes qui rappellent aux confrères alsaciens leur beau pays s'étendant au pied des Vosges. Nous resterons donc ici. Aussitôt dit aussitôt fait, une croix fut taillée et plantée à l'endroit où s'élèvera la Mission. Nous nous mîmes a genoux pour prier ensemble. Sainte-Croix des Eshiras était fondée, le 29 juin 1895. L'Eglise célébre ce jour-là la fête des saints apôtres Pierre et Paul.

Mgr Le Roy recommanda aux confrères de se créer des ressources locales par des plantations de caoutchouc et de café ; et d'améliorer progressivement l'état social de la population, tout en gardant pour but final l'évangélisation du pays eshira.

Les Frères se mirent à construire et à planter, le P. Steinmetz à fréquenter les villages environnants et le dimanche à diriger les chants au rythme de l'harmonium. Le P. Buléon, qui était passé facilement du breton au français et au pongoué de Libreville, se mit avec ardeur à la nouvelle langue eshira, où tout était à faire : la découvrir avec les villageois, puis apprendre à la lire aux futurs catéchistes. Bientôt parut un catéchisme eshira, des cantiques, un formulaire de prières, le chemin de la Croix, et un petit vocabulaire français-eshira.

Les missionnaires travaillaient dans la joie, car ils se sentaient acceptés par la population . les anciens appelaient volontiers le Père pour assister à leurs palabres et participer aux décisions ; les femmes recouraient à eux pour soigner les malades. Un jour il arriva même qu'une vieille femme dit au Père : "Tes remèdes sont bons pour les vivants, mais moi, je me sens déjà envahie par la mort, aussi donnemoi seulement le moyen d'entrer de l'autre côté par la bonne porte, car je veux voir Maria! "

Le P. Buléon raconte encore : " Un mot de nos fêtes. Le 14 septembre est notre fête patronale, et, dès la première année, nous avons tenu à élever un calvaire monumental à la place de la petite croix du premier jour. Tous les Eshiras des environs s'étaient donné rendezvous ce jour-là à la Mission, on ne sait pourquoi ; personne ne les avait convoqués, mais ils étaient venus, disaient-ils, parce qu'une idée leur disait de venir, et toutes les vieilles barbes du pays y étaient. Quand le Frère Hermès eut achevé ses derniers préparatifs, tout le monde se mit à la besogne, et l'on peut dire que c'est le peuple eshira qui a élevé cette croix qui se voit de toute la contrée. Elle mesure onze mètres de hauteur, et est située sur une petite élévation, à 200 mètres de nos cases d'habitation. Ce fut une fête inoubliable, et les vieux aiment à rappeler encore, le jour où ils ont mis debout le signe de Dieu.

" Un petit sentier conduit de cette croix jusqu'à la grotte de Notre-Dame de Lourdes ; il pénètre sous bois et serpente en zigzags gracieux le long des flancs de la colline. Au fond du ravin notre fontaine coule de la roche et, au dessus, le F. Hermès a construit une grotte au moyen d'énormes blocs de pierre. Le 25 mars, une jolie statue de Notre-Dame prenait possession de la place, et de bien loin sont venus des Eshiras tout exprès pour voir Maria dans sa maison de pierres. Ces braves gens sont émerveillés de tout ce qu'ils voient ici, et ils s'en retournent en disant : "Voilà que nos yeux ont vu des choses que nos pères auraient désiré voir, et qu'ils n'ont pas vus ! Ce Dieu dont on parle doit être bien grand, puisque déjà ses envoyés nous semblent tels ! "

" Voilà ce que nous avons fait depuis un an. Que réserve l'avenir àcette petite mission naissante ? C'est le secret de Dieu. Mais nous avons bon espoir.

" C'est ainsi que passent nos semaines et nos années ; la vie du missionnaire se consume ici en voyages, en prédications et en prières. Souvent le mois qui s'en va, emporte plus d'une illusion et plus d'une espérance longtemps caressée ; mais l'enthousiasme du missionnaire à son premier jour d'Afrique est encore là, le feu sacré qui a dirigé sa vocation ne s'éteint pas, et nous prions le bon Dieu de nous garder toujours cette dernière énergie, cette foi dans notre œuvre, que rien ne déconcerte.

En 1899, les deux juridictions spiritaines, de la Sénégambie et de St-Louis du Sénégal, se trouvaient sans titulaire. Mgr Le Roy, Supérieur général, demanda à Rome de confier ces deux juridictions du Sénégal à une même personne. Or le choix du Saint-Siège se porta sur le Père Joachim Buléon.

Le sacre de Mgr Buléon eut lieu dans la basilique de Sainte-Anne d'Auray, le samedi 28 octobre, en la fête des saints apôtres Simon et Jude. La Semaine religieuse du diocèse a consacré, au récit de cette solennité, les 24 pages de son numéro de la semaine suivante :

" Le Prélat consécrateur est Mgr Latieule, évêque de Vannes ; les évêques assistants, Mgr Le Roy, supérieur général de la congrégation du Saint-Esprit, et Mgr Rouard, évêque de Nantes. Cette bene cérémonie a attiré plus de 300 prêtres et un grand nombre de fidèles de tous les points du diocèse.

" Après la bénédiction qui termine la messe, le nouveau consacré quitte l'autel pour aller, à travers l'église, bénir la foule. La première bénédiction est pour sa vénérable mère, que sa chrétienne famille entoure d'une grande et belle couronne.

" A midi, 300 prêtres et quelques laïques invités par Mgr Buléon entraient au petit séminaire, où l'amabilité du nouvel évêque les réunissait pour des agapes vraiment familiales.

" Les condisciples de Mgr Buléon - ceux de la même classe qui restent toujours les préférés - étaient réunis à la même table, prêtres et laîques, fraternisant comme autrefois, et plus heureux encore que les autres de la haute dignité de leur ancien ami.

" Pour finir, la parole revenait de droit au jeune évêque qui, dans son allocution, montra que, s'il est un vaillant missionnaire, ne reculant jamais devant le péril et la fatigue, il est aussi un fin littérateur, plein d'esprit et d'humour, et un dessinateur habile, capable d'illustrer de vivants croquis, les récits qu'il compose : Ut pictura poesis...

" Rien ne pouvait mieux terminer la fête que ces paroles, pleines d'esprit et de cœur, où rien ni personne n'était oublié.

" Mgr Buléon peut être sûr que nos vœux les plus ardents le suivront dans la nîssion lointaine où il va continuer son apostolique labeur

Mgr Buléon rejoignit son poste par le paquebot quittant Bordeaux le 17 novembre. Il arriva à Saint-Louis le 2 décembre. Bien qu'il eût témoigné le désir d'arriver incognito, le Gouverneur général avait envoyé pour le saluer, à la descente du train, l'un des officiers de son état-major. M. le Maire de Saint-Louis, M. le Président du Conseil général et les principaux notables de la ville étaient également présents, entourés par les nombreux enfants des écoles catholiques avides de contempler le visage de leur nouveau Pasteur.

Le ministre des Colonies avaient donné des instructions pour la réception officielle de l'évêque, à son entrée en fonction, le dimanche 3 décembre : un détachement de soldats pour escorter l'évêque, et une salve de cinq coups de canon à son entrée dans l'église.

Au commencement de la messe, à laquelle assiste M. le Gouverneur général, Monseigneur, répondant à l'allocution du Père Jalabert, curé de la paroisse, remercie les chrétiens de Saint-Louis de raccueil qui lui est fait. A l'issue de la messe, le Prélat reçoit, dans le grand salon de la Préfecture, la visite des corps constitués. Tout se passe avec un très grand ordre, qui n'empêche pas la cordialité de part et d'autre. Le soir, il allait lui-même en grande tenue, entouré des officirrs de l'Etat Major, rendre à Monseigneur la visite que Sa Grandeur lui avait faite le matin.

A ce jeune évêque dont les premières années d'Afrique avaient été couronnées de résultats et de succès, tous les espoirs étaient permis. Dans une de ses dernières lettres, il reconnaissait qu'il était en pleine forme. Mais dans la rédemption du monde, le chemin de la croix est l'unique chemin. Ce n'est pas l'homme qui se sauve, c'est Dieu qui le ressuscite. L'homme propose, Dieu dispose. Mgr Buléon, six mois après son entrée en fonction, a terminé son sacrifice le 13 juin 1900, il avait 38 ans. Cette année-là, il a été la première victime de la fièvre jaune parmi les missionnaires du Sénégal. Après lui ont aussi succombé le P. Verrier, le P. Lacombe et le P. Hurst. Si nous vivons nous vivons pour le Seigneur. Si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Béni toujours, soit son saint Nom. Amen. Alleluia...

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