Le Père Lucien BURGET,
décédé à Hagentbal-le -Haut (Haut-Rhin), le 12 mai 1966,
à l'âge de 56 ans
BPF n° 139 p. 101-103


Il y a trois mois, le P. Lucien Burget nous quittait pour la France; très malade des reins, il devait subir une délicate opération chirurgicale. Celleci avait bien réussi, mais 1 a convalescence fut entravée, après un bon départ, par deux attaques de congestion. Le vendredi 13 mai, un télégramme annonçait le brusque décès du Père, et Radio-Bangui diffusait la triste nouvelle.

Tous ceux qui avaient connu le P. Burget - et ils sont nombreux! étaient remplis d'émotion et sentaient qu'ils venaient de perdre un grand ami... Sans chercher à s'imposer, le Père avait conquis une large influence en tous les milieux : sa personnalité, en effet, était très attachante, et l'on allait volontiers à lui. Il avait hérité de ses parents un solide équilibre, un jugement droit et une sensibilité très fine.

Ses études du séminaire, la vie spirituelle et l'exercice de son sacerdoce avaient affermi et développé ces belles qualités. Si bien que les traits profonds de sa personnalité rayonnaient de lui et lui gagnaient les coeurs.

A sa foi chrétienne solide et sans faille, s'alliait le goût de l'humain de la vie : il était ainsi porté à respecter profondément ses interlocuteurs et ceux qu'il fréquentait. Lorsque son regard, si lucide et pénétrant, se posait sur quelqu'un, on se sentait compris, estimé, et non pas jugé. Le Père savait reconnaître le bien qui est en chacun, et, pour lui, cela avait toujours beaucoup de prix.

Peut-être trouverions-nous là la raison de l'aisance qui était la sienne dans ses relations avec des personnes de milieux, ou d'opinions si variées... comme aussi, la raison du succès avec lequel il mena à bien tant d'affaires délicates et de tous ordres. Il savait, d'ailleurs, tout aussi bien, manifester son désaccord, devant certains procédés ou certaines attitudes; son respect des autres ne l'entraînait pas dans les compromissions.

Il aimait la liberté, et pensait avec saint Paul que la liberté que le Christ nous a apportée est l'un des plus grands trésors de l'homme : liberté intérieure surtout. C'est ainsi qu'il n'usa jamais de ses relations amicales avec certaines personnalités, ni de ses dons de sourcier, pour obtenir des faveurs ou des avantages. Il y aurait vu une déchéance, une perte de liberté.

Ses dons de sourcier sont connus : il eut maintes fois occasion de les exercer pour le bien de tous. Les puits qu'il trouva, tant à Bambari même qu'en République Centrafricaine, au Congo, au Tchad, seront autant de traces­-souvenirs de son passage, et du bien qu'il aimait à faire. Là encore, il gardait jalousement sa liberté, faisant remarquer, avec malice, qu'on ne lui écrivait pas après son passage, qu'en cas d'échec des forages, et rarement en cas de succès... Et il continuait à chercher et à faire forer... Il pensait souvent à cette phrase de l'Évangile où Jésus dit que le soleil luit pour tous, et que la pluie féconde tous les champs. Le Père avait un don, il aimait en faire profiter...

Ses dons pour détecter les maladies, déterminer ce qui était bon ou nocif à l'organisme, soulager, étaient célèbres : il ne se refusait pas, ému par les souffrances des autres. Il se donnait alors entièrement « au cas » qui lui était soumis; cela le fatiguait d'ailleurs beaucoup, et bien souvent l'épuisait. Il aurait considéré comme indigne de lui d'en profiter pour un quelconque avantage, ou influencer les consciences, ou encore se dérober. Chacun, d'après lui, doit faire du bien selon ce qu'il a reçu de Dieu.

Il en allait du P. Burget comme de tout homme: les défauts du caractère s'entremêlaient aux qualités: sa grande bonté devenait parfois faiblesse, sa sensibilité le poussait à répondre à tout appel, et il en omettait parfois d'autres devoirs, ou ne savait pas s'organiser; il avait un côté « têtu » qui parfois étonnait; une poussée de colère parfois l'agitait... Mais tous, nous l'aimions et l'estimions tel qu'il était; notre admiration et notre affection pour lui voyaient en lui l'homme et le prêtre, tel qu'il se présentait à nous, simple et bon.

A M'baïki, jeune missionnaire, il avait passé douze ans; à Bambari, homme mûr, il a donné dix-huit années de sa vie, entouré de l'estime générale. Sous sa direction, la Paroisse Saint-Joseph s'était affermie et ,développée : des écoles, un cours ménager, le presbytère, l'aménagement de l'église, etc... sont le fruit de ses travaux, en collaboration avec les Frères Juventius et Jean-Marie. Il avait vu se fonder : Notre-Dame des Victoires, Grimari, Kouango, paroisses-filles, nées de la vieille tige de Bambari. A tous les confrères du secteur, il prodiguait accueil cordial et encouragements. Il était notre Doyen, aimé et estimé.

Par les nombreux travaux qu'il a su lancer et confier à ses collaborateurs, notamment la briqueterie, il a procuré du travail et un revenu fixe à de nombreux ouvriers qui trouvaient ainsi une amélioration sensible de leur situation. Et cet aspect de son rôle lui plaisait beaucoup.

Rapprochés dans la peine, nous le sommes aussi dans le souvenir et l'espérance, car le Seigneur nous dit (Évangile de saint Jean, Messe des Défunts) : « Celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors » ... Que le Seigneur, pardonnant les fautes de son bon serviteur, l'accueille près de Lui, dans la joie qui ne finit pas.
P. Jean TROUPEAU Supérieur Religieux Bangui, 17 mai 1966.

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