P Joseph BURGSTHALER.
Annales du Diocèse de Port Louis 1916-1926 p. 164 (12 juillet 1924)


Il s’est éteint au presbytère de l’immaculée vers quatre heures de l’après-midi, âgé de 53 ans . La cause de cette mort prématurée ? Une affection cardiaque déclenchée pendant la traversée de la Mer Rouge, lors de son voyage vers Maurice – Affection cardiaque sur laquelle vint se greffer une phlébite chronique .

Il était né à Rhinau, diocèse de Strasbourg, le 22 décembre 1870 . Son père, Séraphin Burgsthaler, combattait à ce moment dans l’armée française . L’année suivante, le traité de Francfort, 10 mai 1871, livrait l’Alsace au nouvel Empire Allemand . Nombre d’Alsaciens émigrèrent alors, refusant de se muer en sujets du roi de Prusse . Séraphin Burgsthaler opina différemment : il résolut de continuer à cultiver les champs que sa famille travaillait depuis des générations, plutôt que de livrer les terres ancestrales à des colons prussiens .

Joseph eut dès l’enfance la vocation sacerdotale et missionnaire . A quinze ans, en 1885, il entra dans la congrégation du Saint-Esprit comme postulant . Amorcées à l’école apostolique de Beauvais[18], ses très brillantes études se terminèrent au collège de Mesnières par les deux baccalauréats, ès lettres et ès sciences . Ses talents se révélaient tels, que malgré son jeune âge, vingt ans, les supérieurs lui assignèrent des cours à son alma mater de Mesnières ; il y enseigna les mathématiques pendant trois ans, avec un si retentissant succès qu’il se vit transféré à Castelnaudary pour y prendre les classes préparatoires au baccalauréat, 1894-1896 .

C’est seulement alors, août 1896, qu’il put commencer son noviciat . Ayant poursuivi privément majeure partie des études acheminant vers le sacerdoce, il fut vite à même de recevoir la prêtrise : Monseigneur LeRoy la lui conféra le 1° janvier 1898 .

Tout à fait à l’encontre de ses aspirations missionnaires, de même que sa vie scolastique, sa vie de prêtre allait être une vie de collège . D’abord à Beauvais, en qualité de Préfet général, 1898-1903 . Puis à la Martinique, à Ste-Marie de Fort-de-France, qu’il réformât de fond en comble et mit sur un pied excellent . Tout en demeurant recteur de cet établissement, il devint Supérieur Principal de ses confrères spiritains . Cette promotion élargissait singulièrement son champ d’activité . Il sut en tirer parti . A Fort-de-France même, il créa l’orphelinat Saint-Louis qui fut vite florissant . Tout près de la ville, le Mont-Rouge avait pratiquement été anéanti par la terrible éruption du Mont-Pelé, le 8 mai 1902 . Il aida à en relever les ruines : il y construisit d’abord un bâtiment servant à la fois de presbytère et de chapelle, puis une nouvelle église . Il comptait donc à son actif des résultats fort importants losqu’en 1909 les lois anticléricales votées dans la Métropole contre les Associations furent promulguées dans la colonie . Elles sonnaient le glas de ses entreprises scolaires, crut-il . Plutôt que d’assister à leur débâcle, il préféra s’en aller . Il quitta la Martinique le 27 mai (1909) .

Un bref séjour en France, et il passa au collège de Porto, encore une fois comme préfet général, en octobre 1909 . Juste un an plus tard, la Révolution d’octobre 1910 abolit la Royauté, chassa les religieux, et donc l’expulsa du Portugal .

Il se réfugia à Fribourg . De là, il s’offrit pour servir « en simple ouvrier » à la Martinique .

On l’envoya au Canada . Une rude tâche lui incombait, hérissée de mille complications : diversifier la CORPORATION AGRICOLE ET INDUSTRIELLE DES MISSIONNAIRES DU SAINT ESPRIT . L’œuvre périclitait ; elle ne répondait plus aux vues de sa fondatrice, la richissime Mme Le Baudy, copropriétaire d’une des importantes raffineries de sucre en France, la mère du fameux « Petit Sucrier », qui s’était affublé du titre d’Empereur du Sahara . Le P. Burgsthaler trouva ici l’occasion de donner toute sa mesure d’organisateur et d’administrateur hors paire . Avec une ténacité inflexible, sous le couvert d’un tact infini et d’une bonne humeur imperturbable, il réussit à surmonter ou à tourner chaque obstacle . Opposition systématique, froide réserve calculée, rien ne le fit dévier d’un pas de la voie qu’il s’était tracée . La CORPORATION devint LE COLLEGE SAINT ALEXANDRE DE GATINEAU, doté de tous les bâtiments nouveaux que nécessitait l’évolution visée . A l’ouverture de la maison, le 1° janvier 1912, celle-ci accueillit seulement cinq élèves ; en 1918 elle en comptait cent soixante ; en 1919, 12 de ses jeunes gens entraient en divers séminaires, sept autres dans la Congrégation du Saint-Esprit . Le rôle qui lui avait été assigné, le Père l’avait joué avec un bonheur spectaculaire – au-delà des espoirs les plus prometteurs . Il sentait qu’en s’effaçant, il servirait son collège . D’ailleurs, il était fatigué . Il sollicita et obtint son rappel en 1921 .

Quelques mois de repos en France – agrémenté de ministère – et, le 11 octobre 1922, il nous arrivait .

La cure de l’Immaculée Conception à Port-Louis se trouvait vacante par la mort du R.P. Rochette de Lempdes CSSp.(25/09/1922) : il l’occupa . Seulement pendant vingt-et-un mois . Mais ce court pastorat aura marqué dans la vie de la populeuse paroisse . Matériellement, par la vaste salle d’œuvre, presque achevée, en pendant de la sacristie, et que la Fabrique a décidé de nommer « la salle Père Burgsthaler » ; par l’artistique chemin de croix qui va être érigé bientôt ; par le riche ciboire commandé en Europe – spirituellement, par l’énergique stimulant infusé dans les œuvres ; par la vie chrétienne des fidèles appréciablement intensifiée ; par le nombre abondamment accru de communions, autant parmi les enfants que parmi les adultes . Tous ces progrès au prix d’une activité dévorante qui – à la lettre – l’épuisé . D’autant plus qu’à sa fonction de curé s’ajoutait l’office de procureur du district spiritain . « Il travaillait sans relâche toute la journée, le soir jusqu’à minuit, quelquefois davantage, et il se levait toujours à quatre heures et demi avec la communauté », déclare un confrère qui vivait à ses côtés . A pareil régime aucune santé n’aurait survécu, encore moins la sienne, sapée par une maladie de cœur et une phlébite chronique .

Le Père Burgsthaler était un homme remarquable . Physiquement, une haute taille, une belle prestance, un port de tête noble, un regard vif et perçant, lui prêtait grande allure – quelque peu intimidante au premier abord, mais bien vite humanisée par une bonhomie rayonnante et une sincère cordialité . intellectuellement, sans ombre d’ostentation, comme malgré lui, perçaient dans ses propos une immense culture générale, une science approfondie des mathématiques . Cela se faisait jour surtout au Comité de l’Instruction Publique où, depuis 1923, il avait rejoint l’abbé Mamet pour représenter avec lui les écoles primaires catholiques . Ascétiquement, transparaissait sa foi d’Alsacien, foi naïve et simple, sa piété d’enfant . Bref, devant lui on se sentait en présence de « quelqu’un », à tous points de vue .

Ses funérailles ont lieu à l’Immaculée, dans l’après-midi . Grande affluence : sa personnalité hors série lui avait attiré l’affection de la paroisse et l’estime du public . Courte oraison funèbre par Monseigneur l’Evêque[19], vraiment touchante .

[18] 1° vœux à Chevilly le 02/01/1889 ; vœux perpétuels à Beauvais le 04/01/1901 ; Ordonné diacre à Paris le 12/07/1924 ; il a travaillé à Maurice du 11/10/1922 à sa mort le 12/07/1924 ; il est enterré à Ste Croix
[19] Note du P. HYM : Mgr Jean-Baptiste MURPHY

Page précédente