Le P. Adolphe CABON,
1873-1961


C'est le 1er mai 1873 que naquit l'enfant de Joseph Cabon et de Joséphine Cardialaguet, qui fut fait chrétien sous le nom d'AdolpheFrançois-Marie. Le logis des Cabon, ses parents, commerçants, se trouvait au cœur de la vieille cité, entre la rue Royale qui grimpe vers le Likès, rue qui avoisine avec la rue des Gentilshommes, la rue du Salé et la place au Beurre, de sorte que le fait d'avoir vu le jour dans ces parages donne droit au titre de Quimpérois de nature, presque un titre de noblesse ! Que de fois, surtout au soir de sa vie, le P. Cabon s'est plu à rappeler ces vieux souvenirs et ces vieux noms ! Quimper eut toujours une large place dans son cœur.

Elève de l'école des Frères des écoles Chrétiennes, le Likès, il s'y rendait avec son cousin René Cardialaguet qui devint prêtre, lui aussi, et chanoine d'un grand prestige dans tout le diocèse de Quimper. Ces deux enfants, plutôt que de s'amuser en chemin comme on le fait à cet âge, repassaient leurs leçons et se les récitaient. Ils prenaient déjà leur vie au sérieux, même leur vie d'écoliers.

A douze ans, il fut mis en pension au petit séminaire de Pont-Croix. Il y resta un an et poursuivit ses études à Ste-Anne d'Auray, où il les termina en 1891 par le baccalauréat-ès-lettres. C'est là qu'il connut la congrégation du Saint-Esprit, par un de ses professeurs, l'abbé Jérôme Buléon, frère du futur évêque du Sénégal en 1899. Le supérieur de Ste-Anne le recommanda au Scolasticat de Langonnet par ce billet : "Je suis heureux de pouvoir vous dire que Cabon Adolphe de Quimper, qui vient de terminer ses études au petit séminaire de Sainte-Anne, a été un élève exemplaire à tous égards. Il est rare de rencontrer un jeune homme plus accompli." Cet éloge était sans doute mérité, car l'Association des anciens élèves du petit séminaire lui décerna son prix d'honneur pour cette année 1891. Scolastique spiritain à N.D. de Langonnet de 1891 à 1895.

Adolphe Cabon avait trop l'âme bretonne pour ne pas se laisser prendre par le charme austère de cette contrée. Il ne l'oublia jamais, si bien qu'au soir de sa longue vie il venait s'y reposer en travaillant loin des embarras et des brutis de la grande ville. Il avait dit qu'il y mourrait et il a tenu parole.

Cependant, jeune et nerveux, il eut quelque peine à fusionner avec des confrères d'origines diverses et à garder le silence dans cette grande communauté. Il fut pour cela retardé aux ordres mineurs, et, comble de sévérité, il ne fut pas autorisé à se rendre aux obsèques de sa grand-mère, qui l'avait élevé, lui et l'un de ses frères. Mûri par ces humiliations, et béni par Dieu de les avoir acceptées sans murmure sinon sans peine, les obstacles tombèrent. Le 15 août 1895 il émettait ses vœux de religion à Orly et le même jour se consacrait à l'apostolat ; à quelques semaines de là, le 21 septembre, il était ordonné prêtre dans la chapelle des Missions étrangères de Paris.

Vingt-cinq ans en Haïti. Professeur au séminaire-collège St-Martial de Port-au-Prince, de 1895 à 1909, pour lui permettre de s'initier aux secrets de l'enseignement, son supérieur jugea opportun de lui confier une fonction que l'on croirait facile et qui, en réalité, exige une grande maîtrise de soi, celle de maître d'étude. Le P. Cabon se disait gentiment "professeur de silence" en classe de huitième. Dans d'autres classes, il enseigna pertinemment ce qui convenait : lettres, sciences, mathématiques, histoire, philosophie. Longtemps préfet des études il se réservait l'enseignement religieux dans les hautes classes. Bref il eut le temps de donner sa pleine mesure, si bien que lorsqu'il fallut remplacer le supérieur, c'est à lui que Mgr Le Roy pensa naturellement. Il eut beau se défendre, il dut accepter d'être Supérieur de Saint-Martial en 1909.

Le P. Cabon sut s'adapter à ses nouvelles fonctions et maintenir le bon renom du Séminaire-Collège. La plus grande difficulté vint de la guerre 1914-1918 et de la mobilisation de la plupart des professeurs. Mgr Le Roy décida la fermeture de l'établissement, dont on étudierait la réouverture après la guerre... Dans tout le pays se fut la consternation. La réaction fut générale et immédiate. Les anciens élèves, le Ministre de l'Instruction publique et l'évêque d'Haïti recoururent à Rome... et Mgr Le Roy revint sur sa décision. Le P. Cabon continua l'œuvre. Il eût pu même devenir évêque d'Haïti : le Nonce apostolique lui avait demandé d'accepter cette charge. Il préféra rédiger la vie de celui qui venait de décéder ; il la publia en 1929 : " Monseigneur Guilloux, deuxième évêque de Port-au-Prince. " (626 pages). Il rédigea aussi en 4 volumes " L'Histoire d'Haïti, de la découverte de l'île par Christophe Colomb à l'indépendance de l'ancienne colonie française en 1804 " ; puis un cinquième volume intitulé : "Notes sur l'Histoire religieuse d'Haïti de 1789 à 1860" Le P. Cabon était historien dans l'âme. Il sut le montrer de nouveau à Paris.

Quarante ans à Paris. En septembre 1919, le P. Cabon fut rappelé à la Maison Mère pour y remplir les fonctions de Conseiller général, charge qu'il garda jusqu'en 1950, et que, de 1919 à 1934, il cumulera avec celle de Secrétaire général. Il était parfaitement préparé à ce double rôle. Il entreprit en outre un énorme travail d'archiviste et d'historien. Un de ses prédécesseurs, le P. J.B. Delaplace avait mis dix-sept ans pour réunir 1.500 lettres du Père Libermann, ne laissant au P. Cabon que quelques-unes à glaner. Or le P. Cabon réunit et édita une œuvre monumentale de 14 volumes de 500 pages, plus deux petits volumes d'appendices, sous le titre bien connu : Notes et documents relatifs à la vie et à l'œuvre du Vénérable François-Marie-Paul Libermann.

Le P. Cabon est, peut-on dire, l'homme qui a le plus étudié, le mieux connu, le plus aimé peut-être le Père Libermann, et en tout cas, un de ceux qui l'ont le mieux servi.

Que de conférences du 2 février données par lui, soit à Chevilly, soit à la Maison Mère, que de retraites par lui prêchées, et dont la doctrine évidemment était celle du Père Libermann. Il avait pour lui un véritable culte, il s'était fait son homme lige.

Aux fonctions déjà bien lourdes qu'il remplissait à la Maison Mère, il ajouta en 1920, celle de Supérieur de. la Communauté durant trois ans, de Directeur du Séminaire des Colonies durant quatre ans, et enfin celle de Maître des Cérémonies. Toute sa vie, le P. Cabon fut servi par une très heureuse mémoire, il le dit lui-même en 1957, à 84 ans : "Je ne suis plus grand chose, ma mémoire est pourtant restée fidèle. Je suis devenu comme un fichier qui fournit des renseignements, les pièces restent dans leur coin, on les consulte quand besoin est, souvent à des intervalles fort longs, mais lorsqu'on veut un renseignement, on veut que le fichier soit à sa place : j'en suis là, vieux meuble qui attend."

Que penser d'une écriture qui reste la même toute une longue vie ? A quatre-vingts ans passés, il formait toutes les lettres des mots exactement comme à vingt ans. Il avait appris "l'anglaise" à l'école des Frères, il ne la quitta jamais, n'omit jamais un point ni une virgule, pas un iota ne manque, mais rien n'y est ajouté en fait de fioriture qui pourrait l'enjoliver comme aussi l'alourdir. Le P. Cabon ne mit pas non plus de fioriture dans sa vie ; il ne se crut jamais artiste - quoiqu'il eut le goût sûr - il n'eut jamais de violon d'Ingres, et son art suprême fut d'élever son âme, et celles qui se confiaient à lui, dans le pur amour de Dieu, toujours plus haut.

Les derniers jours. Tels sont les traits 'caractéristiques de la vie du P. Cabon, une longue vie, pleinement remplie, marquée par les trois grandes étapes de Langonnet, Port-au-Prince, Paris. Et c'est à Langonnet que s'inscrira la quatrième, la dernière et la plus courte.

D'apparence chétive, le Père fêta pourtant ses noces d'or sacerdotales, puis ses noces de diamant, et il venait en 1960 d'entamer sa quatre-vingt-sixième année quand sa santé commença à donner des signes sérieux de fléchissement. Il demanda à se rendre à Langonnet où il fut conduit la veille de Noël. C'est, dans la vieille "Abbaty" qui l'avait accueilli, jeune aspirant, près de soixante-dix ans plus tôt, que le P. Cabon, entouré de ses confrères, expira doucement au matin du 21 août 1961, veille de la fête patronale du Saint-Cœur de Marie.

Il avait demandé que son décès soit annoncé à sa famille à l'hippodrome de Quimper et à ses deux frères : Louis Cabon à Marseille, et François Cabon à Concarneau. Il est inhumé à Langonnet.

Avant de quitter Paris, il avait laissé dans son bureau une petite page écrite de sa main en manière de testament spirituel, et que l'on retrouva en classant ses papiers " A tous mes confrères adieu, qu'ils prient pour moi, je prierai pour eux, à ceux de France, à ceux de Paris, à ceux d'Haïti. Qu'ils prient pour moi. Je demande pardon à tous ceux que j'ai offensés ou blessés, qu'ils me pardonnent les torts que j'ai eus à leur égard. Nous nous retrouverons au ciel. Que Dieu les bénisse tous."
Cette notice est un résumé de celle rédigée par le P. René Piacentini.

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