Mgr Pascal CAMPANA,
1849-1901
Préfet apostolique du Bas-Congo.


L'un des frères du cher défunt, M. Charles Campana, receveur à la maison de santé de Château-Picon, à Bordeaux, a bien voulu nous donner, sur sa jeunesse et l'origine de sa vocation, les détails suivants : Mon frère est né le 12 janvier 1849 dans un hameau du diocèse d'Ajaccio, qui porte, comme notre famille, le nom de Campana. C'est là, dans ce petit village, haut situé dans les montagnes, qu'il a passé ses premières années, fréquentant l'école communale, avec les enfants de son âge. Un jour, il avait alors dix ans, il courait sur le chemin allant à la rencontre de Mgr d'Istria, accompagné de son vicaire général, qui se rendait en visite épiscopale au village. L'évêque remarqua, au milieu des autres, cet enfant blond, pieds nus, et aimablement le prit en croupe avec lui. Le futur missionnaire entra ainsi dans le village, excitant sur son passage l'envie de ses petits camarades. Chemin faisant, Sa Grandeur lui demanda s'il ne voudrait pas aller au petit séminaire, pressentant déjà en lui la vocation sacerdotale. C'est que l'enfant se faisait déjà remarquer par une grande piété.

En 1865, nous quittâmes la Corse et je le conduisis chez un oncle, curé à Saint-Hilaire-Noailles dans la Gironde, qui le fit entrer au petit séminaire de Bordeaux. Il y fit ses classes jusqu'en seconde ; il dut en sortir par suite d'une grave maladie, dont il attribua toujours la guérison a une intervention spéciale de la Providence.

Survint la guerre de 1870-1871. Il fut enrôlé dans les Éclaireurs de la Gironde. Revenu chez son oncle, il fit la connaissance d'un ancien novice de la Congrégation, M. l'abbé Augonnet, alors curé de Lignon au diocèse de Bordeaux, qui le fit recevoir à N.-D. de Langonnet. (Note de M. Charles Campana, 2 janvier 1902)

Ce fut le 12 décembre 1871 que le jeune Pascal Campana entra comme postulant au petit scolasticat, sous la direction du P. Pellerin. D'un caractère gai et enjoué, il était pieux, régulier, appliqué au travail. Aussi fut-il admis, dès l'année suivante, à revêtir le saint habit. Après sa rhétorique, on l'employa deux ans à Cellule, d'où il revint faire son grand scolasticat à Chevilly. Ordonné prêtre le 28 octobre 1881, il fit sa profession le 27 août de l'année suivante et reçut sa destination pour la nouvelle Mission de la Cimbébasie (Angola).

Placé d'abord à Huilla, il fut ensuite envoyé à Humbi. Le Père Duparquet, Préfet apostolique de la Mission, écrivait le 3 août 1884, à l'occasion de sa demande de vœux perpétuels, qu'il émit à Huilla en 1885 : " Je suis très satisfait du P. Campana. Il fait très bien à Humbi et est aimé de tout le monde. J'ai trouvé les enfants de Huilla parfaitement formés par lui." Ces enfants dont le Père avait été chargé, c'étaient ceux de l'Œuvre de St-Francois, composé des petits Noirs rachetés de l'esclavage. Il l'aimait tout particulièrement. Le P. Duparquet l'avait pris avec lui pour la nouvelle fondation qu'il projetait au-delà du Counène, dans le Kouanyama ; mais, vu l'état de sa santé, il le fit rentrer à Huilla.

En 1886, le P. Campana fut envoyé à Landana et placé à la tête de ce grand établissement, en remplacement de Mgr Carrie, qui venait d'être chargé du nouveau Vicariat apostolique du Congo français. Puis, l'année suivante, il fut nommé, par décret du 11 décembre, Préfet apostolique du Bas-Congo. Il a continué à remplir cette charge jusqu'à la fin de sa présence en Afrique.

Pour développer la Mission, il a fondé successivement les stations de Louali, en 1890 ; de Cabinda, en 1891 ; de Loucoulla, en 1893. C'est dans la station de Cabinda qu'il eut le bonheur de recueillir l'infortuné explorateur, le duc dUzès, et de lui adoucir les derniers moments par les secours de la religion.

Le gouvernement de Lisbonne voulut reconnaître le dévouement du P. Campana aux Missions portugaises, en le nommant, le 23 janvier 1896, Commandeur de l'Ordre royal et militaire du Christ. C'est une des plus belles et des plus rares décorations du Portugal. Le 5 mars de la même année, il reçut également, de la part de Sa Majesté Léopold II, roi des Belges et souverain de l'État Indépendant du Congo, le titre de Chevalier de l'Ordre royal du Lion "pour les nombreux services rendus en mille circonstances aux agents du Congo belge."

A ces félicitations officielles succédèrent bientôt d'amères épreuves. On lança contre lui et contre la Mission les accusations les plus graves, et aussi les plus fantaisistes, comme le disait le Bulletin de cette époque. Une violente campagne de presse fut même menée à Lisbonne, à cette occasion, contre les missionnaires et en particulier contre le Préfet apostolique. En 1897, le R. P. Rooney, agréé officiellement comme procureur des Missions du Congo portugais, fut désigné pour aller faire une enquête à Landana. En réponse à son rapport, le ministre de la Marine et des Colonies du Portugal reconnut officiellement, par une lettre du 28 mars 1898, que les accusations portées contre la Mission de Landana étaient sans fondement.

Le Père Campana ne s'était pas laissé décourager par ces attaques. A cette occasion, quelques-uns lui avaient parlé de donner sa démission, en vue du bien de la paix. Il repoussa énergiquement cette idée. C'eut été, disait-il avec raison, reconnaître la vérité des imputations calomnieuses de la presse. Il tint vaillamment tête à l'orage, et continua les œuvres de la mission avec d'autant plus de dévouement.

Cependant, sa santé, déjà bien fatiguée, ne laissa pas de ressentir le contrecoup de ces épreuves. Déjà, à deux reprises, il s'était vu obligé de revenir en France pour enrayer le mal. Dans son dernier voyage, il avait bien encore l'espoir de retourner bientôt dans sa chère mission. Mais après avoir vainement tenté de se remonter par une saison à Vichy, et quelque temps de repos à Pierroton, près de Bordeaux, il n'a pas tardé à succomber.

Voici, sur ses derniers jours en cette communauté des détails édifiants qu'a bien voulu nous donner Mgr Barthet. Le cher et regretté Père Campana nous est arrivé à Pierroton le 11 octobre, toujours gravement affecté d'œdème aux jambes, et gardant malgré cela cette bonne et si joviale humeur qui faisait de lui le plus agréable confrère capable de charmer notre petite communauté de l'Ermitage. Quelques jours après son arrivée, sentant le froid venir, il voulut aller à Bordeaux pour se procurer des vêtements en rapport avec la saison ; il en était totalement dépourvu. Pendant ce voyage il prit froid, ce qui lui causa une pleurésie, avec congestion partielle des poumons ; il en résulta pour le pauvre Père une oppression très pénible, qui lui rendait le sommeil presque impossible. Il continuait cependant à dire la sainte messe chaque jour et à descendre au réfectoire pour les repas, quoiqu'il ne pût prendre part à nos récréations.

Le 5 novembre, le cher malade eut une crise de suffocation, qui nous fit croire à tous et à lui-même que son dernier jour était arrivé. Lorsque toute la communauté fut réunie autour de lui, il demanda pardon à tout le monde des scandales qu'il aurait pu occasionner ; il pria le Père supérieur de faire savoir au Supérieur général qu'il lui demandait aussi pardon pour toutes les peines qu'il avait pu lui causer, et de toutes les fautes qu'il avait pu commettre, comme simple religieux et comme supérieur de mission ; il chargea en outre le Père Ruhle d'écrire à ses confrères du Congo pour leur dire qu'il offrait volontiers sa vie pour la prospérité de la Mission, qu'il en bénissait tous les membres, ainsi que les chrétiens, et se recommandait aux prières de chacun d'eux.

Cependant, après avoir reçu les derniers sacrements et l'indulgence de la bonne mort, le cher malade se trouva mieux... Ses frères, qui avaient été prévenus de l'aggravation de son état, s'étaient concertés pour le transporter à Bordeaux, chez son frère Charles, où il était allé avant de venir à Pierroton.

Lorsqu'ils lui en firent la proposition, il l'accepta d'autant plus volontiers qu'il voyait combien étaient surchargés de travail les deux Frères de la Communauté. Ces bons Frères étaient admirables de dévouement et d'attention à l'égard du cher malade, qui craignait de les voir succomber à la fatigue.

Son frère Xavier vint le chercher deux jours après, 17 novembre, dans une voiture bien fermée... Depuis, nos confrères de Bordeaux l'ont visité à peu près chaque jour.

Pendant qu'il a été à Pierroton, ce cher Père nous a beaucoup édifiés par les délicatesses exquises de sa charité, son grand esprit de foi et surtout par son dévouement à ses chers Noirs du Congo, dont il parlait souvent avec une si cordiale affection...

" Chez moi, ajoute M. Charles Campana, mon frère sembla d'abord reprendre goût à la vie ; il voyait souvent les Pères du Saint Esprit les religieuses de Nevers venaient lui faire des lectures pieuses il recevait les sacrements très souvent. Le 24 décembre, brusquement, la fièvre s'empara de lui ; et le 26 il n'était plus... Il a perdu connaissance pendant de longues heures ; mais dans ses moments de lucidité il a pu parfaitement s'entretenir avec le Père Didier. Le dernier jour à midi, il m'a fait appeler et m'a dit très exactement ces mots : " Je suis perdu ; mais, comme je suis religieux avant tout, je voudrais des religieuses pour m'assister à mes derniers moments. Elles sont venues, se remplaçant à tour de rôle, et il est mort après avoir embrassé le crucifix que l'une d'elles lui tendait..."

Malgré la pluie, ses funérailles ont été vraiment imposantes par le concours de personnes, prêtres et laïcs, qui ont voulu par leur présence témoigner de leur sympathie pour les missionnaires et pour la famille du si regretté défunt. Mgr Barthet y représentait, avec le P. Rulhe, la communauté de Pierroton et les Missions.

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