Le Père Louis CHAGNON,
1900-1944


Louis Chagnon est né le 30 mars 1900 à Saint-Amand-MontRond, au diocèse de Bourges. Au Pensionnat Marie-Thérèse où il fit ses études primaires, il se distingua par la vivacité de son esprit, son entrain et surtout sa piété. Ne confiait-il pas à M. l'aumônier, le soir même de sa première communion, qu'il désirait être prêtre " afin d'être sûr de pouvoir communier tous les jours. "

En octobre 1911, il entrait au petit séminaire d'Issoudun, pour en sortir en 1916 achevant ses études classiques avec la 1ère partie du baccalauréat. La fermeture du grand séminaire de Bourges lui valut d'aller faire sa première année de philosophie à Issy, et sa deuxième année à la rue du Regard. Avec ces Messieurs de Saint-Sulpice, il fera encore sa 13 première année de théologie. Le grand séminaire de Bourges ayant rouvert ses portes en octobre 1919 M. Chagnon y passa sept mois, s'y révélant un élève assidu, d'un esprit sagace, "d'une ardeur et d'une volonté peu communes, d'une foi profonde, d'un cœur généreux jusqu'à l'oubli de soi".

Devançant l'appel pour son service militaire, il s'engage à Nancy et part, en août 1920, pour lArmée du Levant. C'est de Nancy, où il apprend qu'un de ses amis, mobilisé comme lui, ne poursuivra pas sa carrière ecclésiastique, qu'il écrit à son directeur de conscience, péniblement alerté lui aussi : " Il faut donc que je sois prêtre pour deux ; c'est entendu, je serai missionnaire. " L'âme de l'apôtre se révèle tout entière dans ce cri de foi et d'amour du séminariste-soldat.

A Beyrouth, le caporal Chagnon, sur la demande des Pères Jésuites, est détaché par l'Autorité militaire pour professer à l'Université de Saint-Joseph. Il réussit à ce point, avec les élèves qui lui sont confiés, que le Recteur lui demande de vouloir bien continuer ses fonctions de professeur une fois achevé son service militaire, et il accepte volontiers. On s'en inquiète bien un peu au grand séminaire de Bourges... Il fera les Exercices de Saint Ignace en vue de mettre au point sa vocation apostolique... Il sera missionnaire et missionnaire en Afrique.

Après avoir visité les Lieux-Saints, il revient en France fin juillet 1923 pour rentrer, dès septembre, chez les Pères du Saint-Esprit. Son noviciat terminé à Orly, il y fait profession le 8 septembre 1924. Brillant scolastique - un des premiers de son cours - à Chevilly, il est ordonné prêtre à la maison mère de la rue Lhomond par Mgr Le Hunsec. Le Père Chagnon reçoit son obédience non pas pour l'Oubangui-Chari, où ses rêves du martyre le transportaient souvent, mais pour Madagascar. Il vogue vers la grande Île rouge de l'Océan Indien à l'automne de cette même année.

Se doutait-il que le Père Raimbault son compatriote, supérieur de la Mission de Nossi-Bé depuis 1905, l'avait demandé comme auxiliaire ? Au débarcadère d'Hellville, ce dernier vient le cueillir. Catéchismes et direction de chants sont confiés au nouvel arrivé. Le Père Supérieur pourra rentrer en France : il sait que la Mission ne périclitera pas en son absence.

A peine de retour, le Père Raimbault se voit privé de son bras droit : le Père Chagnon vient d'être nommé à Marovoay, dans le delta de la Betsiboka, au sud de Majunga. Il doit apprendre, en plus du sakalave, le hova, la langue parlée sur les plateaux. La séparation fut pénible, mais acceptée généreusement de part et d'autre.

Son nouveau supérieur lui confie aussitôt la visite des 17 postes de la Mission. Marovoay veut dire : " terre infestée de caïmans " ; on devine les difficultés que le jeune missionnaire aura à surmonter pour aller de village en village visiter ses chrétiens : pistes à peine frayées dans la brousse marécageuse, canaux sans nombre crées par .la nature ou par la main des hommes, voisinage continuel du caïman, redouté même de l'indigène, quand ce n'est pas lutte avec le terrible saurien, insécurité des abris avoisinant la case-chapehe, alimentation irrégulière et peu variée, idiome à peine connu, catéchistes locaux omnipotents, rien n'arrête ni ne rebute le Père Chagnon qui accepte tout d'un cœur joyeux.

Vite il a compris que son premier travail sera la formation méthodique des catéchistes résidents. Songeant à l'avenir, il organise pour eux des récollections, des semaines de pédagogie catéchistique, voire des cours de comptabilité.

Quand il revient à la mission, c'est pour catéchiser les enfants, visiter les malades, confesser, préparer des fêtes religieuses et profanes, et il reprend le canot pour de nouvelles conquêtes.

A ce régime qui dura plusieurs années, le Père Chagnon s'épuise et tombe gravement malade. Une fièvre maligne le met à deux doigts de la mort. Sa robuste constitution finit par triompher, mais une convalescence au pays natal est jugée nécessaire. Il rentre en France en mai 1933. Il reprend aussitôt contact avec le clergé berrichon, où il retrouve des amitiés fidèles, avec le grand séminaire aussi, et sa maison de campagne de Lazenay, où il donne une conférence appreciée sur " les Missions malgaches ". Bref, il fait si bien qu'il met sérieusement à mal l'automobile d'occasion qu'il doit ramener à son Évêque.

Rentré à Marovoay fin mars 1934, le Père Chagnon se remet au travail avec une ardeur décuplée. Ce ne sera pas pour longtemps. Une saison d'hivernage à la Mission d'Analavava pour remplacer provisoirement un confrère malade, et Mgr Pichot, Vicaire apostolique de Majunga, le nomme directeur spirituel de son Séminaire, en même temps que curé de Mahabibo, gros centre religieux de la banlieue du grand port malgache. Il réussit pleinement sur ces deux terrains d'action si différents.

Ce qu'il fit dans cette paroisse noire de Mahabibo est inimaginable. Il commence par réorganiser les catéchismes, à discipliner les centaines d'enfants qui s'y pressent, à les instruire de nos saints mystéres, avec graphiques au tableau noir, à les former au chant et à la piété.

La jeunesse montante ne le laisse pas indifférent. Musicien qui s'est formé lui-même, il n'hésite pas à mettre sur pied une chorale. " Le malgache, diton, est né chanteur. " Toujours est-il qu'en moins de deux ans, jeunes gens et jeunes filles sont à même d'assurer le chant grégorien et des messes en musique. La Messe de Dumont, harmonisée par Mgr Signargout, sera exécutée avec succès en l'église de Mahabibo, avant même son exécution à la Cathédrale de Bourges.

Le Père Chagnon sent le besoin d'appliquer à "sa banlieue rouge les heureuses formules de la nôtre à Paris : Scoutisme et Cœurs Vaillants pour les plus jeunes, sports avec stand, théâtre, groupe de JOC et de JOCF pour les plus âgés, conférences et syndicats pour les adultes. Il pourvoit àtout et à tous, ne comptant ni son temps ni ses forces. C'est à bicyclette ou en moto qu'il fait deux et trois fois fois par jour le trajet du séminaire à sa paroisse. La guerre de 1939 le mobilise durant quelques mois, mais un règlement compréhensif le rend vite à ses brebis sans pasteur.

Tant à Marovoay qu'à Majunga, le Père Chagnon a donné la mesure de son savoir-faire et d'un zèle éclairé. Il est mûr à présent, pour la direction d'une Mission proprement dite. Mgr Wolff, qui a succédé à Mgr Pichot, le nomme supérieur de l'importante mission de Mandritsara, très à l'est de Majunga, sur les plateaux hovas, dont il connaît parfaitement la langue. Dans cette région quasi inexplorée de notre Grand'Ile, il a tout à faire. Le Père Chagnon, aidé d'un jeune confrère, se met aussitôt à I'œuvre et commence la visite de son vaste district. Tantôt en filanzane et tantôt à mulet (un animal têtu qu'il s'escrima àdompter pendant plus d'un an), il va de poste en poste, observant, enquêtant, organisant ou réformant quand il y a lieu. Malheureusement, selon le mot de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus " le fourreau n'était pas aussi solide que l'épée ". Depuis plusieurs mois (on est au début de 1944), il se plaignait de douleurs intestinales, mais ne s'arrêtait pas pour autant. C'est au soir du 27 juillet, alors que des chrétiens étaient là pour l'escorter dans une nouvelle tournée, que le mal qui devait le terrasser vint le surprendre. n souffrait beaucoup de l'estomac.

" Le médecin européen qui se trouvait de passage à Mandritsara le soigna aussitôt et diagnostiqua une péritonite (Lettre de Mgr Wolff a Mgr Le Hunsec). Il commanda d'urgence l'avion sanitaire de Tananarive et le fit transporter à Majunga. Il paraissait encore solide et plaisantait avec son entourage. Il fut opéré et on découvrit un ulcère à l'estomac. Uextrêmeonction lui fut donnée après l'opération. Il fut pris de vomissements et expira. Il fut enterré au cimetière de Majunga. Une foule compacte assistait à ses obsèques et un grand nombre de messes furent demandées par les chrétiens à son intention... C'était un bon ouvrier, qui nous quitte trop tôt. "

De son côté, Mgr Pichot écrivait au Père Raimbault, curé de Saint-Bernard de La Réunion : " Il fut un travailleur acharné, que n'importe quel travail trouvait prêt à se dépenser sans compter. Très discipliné, il avait cependant ses idées à lui, et ne s'en cachait nullement, les énonçant et les défendant en pleine connaissance de cause, toujours prêt d'ailleurs à y renoncer. C'est ce que reconnaissait bien la population de Mahabibo, qui lui était si attachée. Je crois qu'on ne s'en est jamais si bien rendu compte qu'au jour de sa mort. Les regrets unanimes des paroissiens de Mahabibo ont été une révélation pour beaucoup, qui ne l'avaient point suivi, comme je l'avais vu faire au cours des années passées au milieu d'une population assez remuante et très disparate, qu'il avait su prendre et conduire parfaitement. Il ne sera pas remplacé de si tôt, dans le coin le plus difficile assurément de Mandritsara, aux populations encore peu évoluées. Son souvenir n'est donc pas près de s'éteindre à Majunga et j'en suis heureux, car il le méritait amplement par I'œuvre qu'il y a accomplie. " Le Père Chagnon disparaît en plein rendement d'apostolat, dans sa 44e année. C'était une âme magnanime et un grand caractère. Joseph Raimbault. Publié dans La Vie Catholique du Berry, le 2 Mai 1945.

Page précédente