Fr. CONTOZ Dosithée[1]
Notices Biographiques (p. 396 - 420)
1832 - 1910


Cette notice à défaut d'autre mérite, aura du moins celui d'avoir été retracée par le Frère Dosithée lui-même . - Une autobiographie, sans doute ? - Non, ce n'est pas une autobiographie . Le bon frère a tout simplement pris soin de coucher par écrit les événements les plus saillants de son existence . Ce sont autant de pierres préparées et taillées qu'il ne s’agit plus que de rapprocher et superposer pour la construction de l'édifice . La truelle du cimentaire apparaîtra à peine pour opérer les jointures .

On remarquera que le style du Fr. Dosithée éclate de naturel et de simplicité avec un caractère d'originalité qui charme le lecteur . C'est pourquoi l'on s'est bien gardé d'y faire d'autres retouches que celles des fautes d'orthographe dont il est trop richement émaillé .

I. - Origines et vocation

Etienne Dosithée était le troisième des quatorze enfants nés du mariage de François-Marie Maillet Contoz et de Jeanne- Joseph Goutry . II naquit le 30 décembre 1832 . à Mégève, alors que la Savoie était encore attachée au Royaume de Sardaigne . Il y avait dix ans qu'il en était sorti, lorsqu'il salua l'annexion à la France .

Laissons-Ie nous raconter son arrivée à Paris, sa première entrevue avec le Vénérable Père Libermann, puis son départ pour le Gard, et ses rapports nouveaux et derniers là, avec le bon Père .

« Le vénérable Père, dans son voyage en Savoie de 1846, passa au collège de la Roche, où se trouvait mon frère aîné qui fut tellement impressionné de son air de sainteté, qu'au mois d'octobre 1847 son départ pour le Séminaire du Saint-Esprit fut chose décidée .

La révolution de 1848 le ramena au pays avant les vacances ; c'est alors qu'il nous parla de la fusion qui devait se faire de la congrégation du Père Libermann avec celle du Saint-Esprit . Il nous apprit en même temps qu'on y recevait des Frères coadjuteurs pour aller en mission ; il fut convenu qu'il parlerait de mon admission, dès son retour au Séminaire en octobre 1848 . Le V. Père répondit affirmativement, en témoignant le désir que j'apprisse ... un métier .

Mes bons parents qui cherchaient avant tout le salut de nos âmes, y consentirent ; on choisit le métier de tailleur comme convenant mieux à mon faible tempérament . Après une année d'apprentissage, on prépara mon trousseau, et mon départ fut fixé au 16 ou 18 janvier 1850 . Ce préambule est pour arriver à la réception que me fit le vénérable Père .

Le 23 janvier à 4 h. du soir, j'arrivais rue des Postes, 30, le cœur plein d'émotion ; mon frère fut appelé par le bon Frère Etienne Durand, portier . Après cette entrevue fraternelle la sérénité me revint, mais je redoutais la visite qu'il m'annonçait à M. le Supérieur, car j'étais timide et peu hardi . Il me rassura en me disant que M. le Supérieur était bon et simple ; il me conduisit donc chez lui, me présenta et me laissa seul . La première entrevue me remplit de confiance et d'abandon, et je me trouvai tout à mon aise .

Le bon Père m'embrassa, attisa son feu de cheminée, me fit asseoir près de lui, et commença à m'interroger avec une bonté qui m'inspira aussitôt une vénération comme pour un saint venu du ciel: « Quel âge avez-vous? me dit-il . -18 ans . - Savez-vous pourquoi vous venez ici ? - Pour me faire religieux et aller en mission . - Quel est votre prénom ? - Etienne Dosithée . - On vous appellera Dosithée, parce que nous avons déjà un Frère Etienne . Connaissez-vous la vie de votre saint patron? - Non, monsieur le Supérieur . »

II se mit alors à sourire, et me dit que c'était un religieux convers, disciple de saint Dorothée, et me raconta sa vie au long, comme on la trouve dans Rodriguez, avec une bonté charmante dont le souvenir m'est encore présent . Puis il me dit, que je pouvais rester ici quelques jours avec mon frère, avant d'aller à Notre-Dame du Gard, recommanda au Frère portier de me faire visiter quelques églises et de prendre soin de moi .

Le 1° février, je partis pour Notre-Dame du Gard, où tous les ans nous avions le bonheur de le posséder pendant quelques jours . Les plus petits de sa famille n'étaient pas les moins bien partagés ; à chaque récréation de midi il nous consacrait un moment, nous l'entourions avec un empressement filial ; chacun voulait être à ses côtés . Mais il s'informait s'il y avait des nouveaux et ceux-là étaient appelés près de lui, et il nous recommandait d'être bons et charitables pour eux, et faisait connaissance avec chacun de nous .

Le dimanche il se réservait toujours de nous faire la conférence de 8 h. 1/4 ; c'était pour nous un vrai bonheur de l'entendre ; sa personne seule, avec son air de sainte simplicité parlait à nos âmes plus que tout le reste ; c'était comme Notre-Seigneur au milieu de ses Apôtres . Notre vénération pour sa personne captivait nos cœurs aussi fortement que sa parole notre esprit . C'est dans cette visite, 1850, qu'il passait tous les jours à l'infirmerie pour voir le jeune Frère Auguste Pagnier, malade de la poitrine, à qui il écrivit en juillet 1851, la lettre qui se trouve dans nos règles .

Enfin, au mois d'août 1851, il vint encore à Notre-Dame du Gard, hélas ! pour la dernière fois. Atteint déjà de sa maladie, il gardait la chambre, il nous fit appeler, le frère Jean et moi, qui allions prochainement faire notre profession . II nous fit cette direction allongé modestement sur son lit . Comme je n'étais pas très avancé en spiritualité, il se chargea lui-même de me signifier mes défauts, et j'ai compris depuis qu'il était tombé juste sur les tendances mauvaises de mon caractère, objet de combat pendant toute ma vie . Dans une récréation du soir, il nous fit venir tous ensemble ; nous entourions son lit avec un profond respect, il nous parla malgré ses souffrances, avec une gaieté simple, qu'on ne rencontre que chez les saints ; c'était la dernière fois que nous avions le bonheur de le voir . »

Les deux Allobroges dont il est question dans ce document, à savoir les Frères Dosithée et Jean firent donc leur profession en 1851 ; De plus, quatre ans plus tard, lors de la première cérémonie de l'émission des vœux canoniques dans la congrégation, le 9 septembre 1855, ils eurent l'honneur d'être du nombre des cinq Frères appelés à prononcer leurs vœux perpétuels ; les trois autres étaient les Frères Jean-Baptiste, Marie et Elie .

Après sa profession en 1851, le Frère Dosithée remplit les fonctions de portier-tailleur, à Notre-Dame du Gard, puis il fut appelé à Paris . C'est pendant qu'il était à la Maison-Mère que lui survint une étrange histoire qu'il aimait à raconter . II est à regretter qu'il ne l'ait pas, consignée par écrit .

2 - Incident des papiers de M. Rohrbacher

Le bon Frère avait été chargé par le vénérable Père (que l'on n'appelait alors que Monsieur le Supérieur) de faire la chambre de M. Rohrbacher . II profita pour faire ce travail, du temps où le célèbre historien disait la Sainte Messe . Mais la dite chambre était un vrai laboratoire de savant, avec les in-folios éparpillés sur les meubles, sous les chaises, de tous côtés sur le plancher ; les uns ouverts, les autres fermés, tous ornés de notes, de papiers, de marquantes ...

Le bon Père Le Vavasseur, alors encore vivant à Paris, est venu un soir près de mon lit à Zanzibar où j'étais retenu depuis quelques jours par une fièvre qui m'a mis à toute extrémité, il était accompagné de deux âmes qui m'étaient extrêmement chères : le Père Pernot, dont j'ai appris la mort peu après ; — et en confrontant la date de sa mort avec le jour où je l'ai vu, cela se passait exactement le même jour, — et mon frère aîné l'abbé Contoz mort depuis 14 ans . O tous les trois étaient revêtus d'un surplis . O ils étaient resplendissants de beauté, de santé et de vie . Le Père Provincial parut faire attention à moi ; il était dans l'attitude d'un homme en prières, ses deux compagnons n'ont fait que passer lentement près de mon lit, avec une grâce et un sourire angéliques. En tournant la tête pour les suivre du regard, je me suis aperçu de mon illusion, mais je restais convaincu que Dieu dans son extrême bonté, voulait par là m'encourager à supporter patiemment mes souffrances, cela m'a donné un si grand désir de mourir que j'avais complètement fait à Dieu le sacrifice de ma vie, et je regrettais de me voir revenir à la santé .

Dans une autre circonstance à Maurice, après une journée de souffrances et de difficultés pour l'accomplissement de ma charge, un soir agenouillé près de mon lit, je me sentais accablé d'une grande peine d'esprit, sans pouvoir m'en défaire, je l'offrais à Dieu en expiation de mes péchés, et me recommandais à la sainte Vierge, la priant de venir me secourir dans mon affliction . Durant la nuit le bon Père Le Vavasseur m'est apparu revêtu d'un surplis, avec le sourire sur les lèvres, et m'a adressé avec une bonté paternelle quelques paroles de consolation, que je n'ai pas pu retenir ; mais sa présence près de moi m'a délivré complètement de ma peine ; j'ai été plusieurs jours préoccupé d'une manière sensible de ce qui venait de m’arriver, cela m'a été d’un grand secours dans la suite pour supporter avec plus de patience et de conformité à la volonté de Dieu, les difficultés et les peines semées sur mes pas par la Providence divine . Dieu voulait sans doute par là m'encourager dans mes petites épreuves, et me montrer la charité qu'avait pour moi ce bon Père, en lui permettant de continuer à me faire du bien à quatre mille cinq cents lieues de distance .

6. -Bourbon . - Les lépreux . - Zanzibar

Le Frère Dosithée a passé onze ans à Bourbon, de 1860 à 1871, les sept premières années à la Providence Saint-Denis, et les quatre dernières à la Léproserie . A la Providence il remplit les fonctions d'infirmier et de chef de musique . Doué d'un talent inné, plutôt que de connaissances techniques, il mit sur un excellent pied et la chorale et surtout la fanfare . Celle-ci figurait avec honneur dans les grandes fêtes de la colonie . Le Frère Dosithée paya cher le légitime orgueil qu'il en pouvait tirer . C'était en 1866, en la fête de Sainte Anne . Appelés à relever l’éclat de la fête patronale en l’Eglise de la paroisse Sainte- Anne, nos musiciens occupaient une estrade de 4 à 5 mètres de haut qui s'effondra sous eux . Il y eut des blessés, et le plus grièvement fut le chef lui-même . Les craintes du premier moment disparurent au bout de quelques jours ; les soins et le repos firent le reste, et l'on rendit grâces à la bonne Mère Sainte Anne de cette miraculeuse préservation .



On peut affirmer que les plus beaux jours que le Bon Dieu ait donné au frère Dosithée de goûter sur cette terre, comme il aimait à le redire avec émotion, furent les quatre années qu'il passa au service des pauvres lépreux, à la montagne Saint-Bernard . Là il partageait son temps d'une part entre les soins assidus qu'il prodiguait à ces membres souffrants de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui sur terre paraître comme un lépreux frappé de Dieu et profondément humilié ; et d'autre part les travaux de l'apostolat auprès des pauvres noirs, misérables débris de l’ancien esclavage, épars en ces montagnes si peu accessibles de la Rivière à Jacques et de la Grande Chaloupe . Il secondait vaillamment le zélé jeune Père chargé de ces dessertes, dans les catéchismes et dans les courses, dans les soins des malades et dans les fêtes de l'Eglise, les retraites, les Cérémonies de baptêmes d'adultes et de premières communions, qui faisaient alors la grande édification de la paroisse Saint-Bernard . A ces travaux, sa santé toujours mauvaise se trouva bientôt ruinée, et en 1871, il demanda à venir se retremper au pays de France . Avant d'attendre la réponse de Paris, son Supérieur, le P. Duboin, commit l'erreur, pour ne pas dire la cruauté de le diriger sur Zanzibar . Le bon religieux obéit. Mais en passant aux Iles Seychelles, il ne put retenir un cri d'angoisse . Le sacrifice était au-dessus de ses forces, et néanmoins, il l'acceptait . Voici sa lettre adressée à son Supérieur général :

J. M.J. Seychelles le 15 décembre 1871 .
Mon Très-Révérend Père,
Je vous écris ce petit mot dans mon voyage de Bourbon à Zanzibar, où j'ai reçu mon obédience . Je ne m'attendais pas qu'après douze ans de colonie, y avoir contracté des maladies qui réclament au moins un séjour de quelques mois en France pour me rétablir, avec un estomac qui ne me laisse de repos ni jour ni nuit, je serais envoyé à Zanzibar, pays beaucoup plus chaud et plus malsain . J'avoue que j'en ai éprouvé d'abord un abattement profond . Mais enfin j'ai pris le dessus : j'aime mieux aller à une mort certaine que de manquer à l'obéissance . je continue donc ma route, m'abandonnant tout entier à la volonté du Bon Dieu . »

Des sentiments aussi généreux émurent profondément nos Supérieurs ; et voici la lettre fort touchante qu'y répondit sur le champ le Père Collin, au nom du Très-Révérend Père Général et du bon Père Le Vavasseur .

Paris, le 18 janvier 1872 .
Mon bien cher Frère,
Notre R. P. Général a été fort édifié de votre lettre des Seychelles, ainsi que le R. P. Le Vavasseur . Vous avez voulu vous abandonner à la Providence, et partir pour Zanzibar, malgré votre état de santé et vos douze années de mission à Bourbon . Le Bon Dieu ne manquera pas de vous bénir pour ce sacrifice très méritoire . Vous aviez de plus en perspective assez rapprochée, le bonheur de revoir bientôt et la Maison-Mère et la Patrie, et votre vieille mère avec vos autres parents ; vous en avez fait le sacrifice : Notre-Seigneur vous en tiendra compte, et bien des fautes seront effacées par cet acte d'amour généreux . L'amour est le meilleur moyen de nous faire pardonner nos péchés . Notre-Seigneur a voulu nous l'enseigner lui-même : « Beaucoup de péchés, dit-il en parlant de Sainte Marie-Madeleine, lui ont été pardonnés, parce qu'elle a beaucoup aimé . » Voilà le principe posé, à nous désormais d'en faire l'application .

Continuez donc, mon cher Frère, à vous sacrifier pour les pauvres abandonnés de Jésus-Christ . Vous ne pouvez lui donner une plus grande marque de votre amour ; et alors vous aurez une pleine confiance à l'heure de la mort d'être entièrement pardonné parce que vous aurez entièrement aimé . » Et le P. Collin ajoute ce post-scriptum ; du plus cordial encouragement encore de la part du T. R. P. Schwindenhammer .

« Notre T. R. Père à qui je viens de lire cette lettre me dit d'ajouter qu'il vous envoie une bénédiction toute particulière . »

Ce fut ensuite au tour du Supérieur qui avait eu le cœur trop peu sensible, à recevoir autre chose que des compliments de la Maison-Mère, en attendant les reproches plus accentués du P. Horner, faisant observer que pour sa mission du Zanzibar, ce sont des hommes apostoliques valides et bien portants qu'il convient d'envoyer, et non des malades, des invalides, des épuisés . Et en décembre de la même année 1872 il renvoyait le F. Dosithée en France .

7. — Mort de sa mère . — Mission de Maurice

Ce retour était providentiel . Le bon Frère arrivait à Mégère pour clore les yeux de sa vénérable mère . Voici la lettre qu'il écrit de chez lui au T. R. Père, à la date du 26 mai 1873 .

« Je viens vous faire part de la rude épreuve qui afflige aujourd'hui notre famille . Ma bonne mère, à mon arrivée le 18 de ce mois me dit : « Pauvre toi, tu viens m'enterrer . Je n'attendais plus que toi pour mourir . » Jusqu'au mardi 2O, elle ne changea rien dans ses habitudes, allant chaque matin à la messe, et elle fit encore la sainte communion ce mardi . Le lendemain elle garda le lit, exprimant le désir de mourir pendant le mois de Marie . Et le Bon Dieu l'a exaucée . Elle s'est endormie dans le Seigneur sans agonie, sans souffrances, le vendredi, 23, entourée de ses enfants agenouillés, pleurant, priant, et assistée de M. le curé, M. I'abbé Monnard, qui pleurait aussi . II était de la famille, et rien ne s'est fait chez nous sans lui . Ma mère était sa mère, nous étions tous ses enfants . »

Après avoir rendu les derniers devoirs à sa mère, et consolé tous les siens, le frère Dosithée rentra à Paris, et fut envoyé refaire ses forces à Toulon et à Cellule .

Après une vingtaine de mois de repos en France il est assez bien remis pour être renvoyé à la mission de l’île Maurice, septembre 1874 . Par la lettre suivante adressée à son bon Directeur. le P. Le Vavasseur, il rend compte de ses dispositions et de ses épreuves dans cette nouvelle mission :

Mon Révérend et bien cher Père,
C'est avec le plus grand plaisir que je fais aujourd'hui un effort contre ma paresse pour vous écrire un mot ; je vois que de moi-même, je ne puis rien produire de bon, pas même de m'entretenir un instant avec vous, quoique cela me soit le plus agréable, sans secouer mon apathie . II est vrai que le bon Dieu ne m'a pas doué de la parole, je me creuse la tête pour ne rien obtenir, ma nature mauvaise ne me favorise pas davantage pour la pratique de la vertu, c'est une méchante bête qui n'avance qu'à coup de fouet, aussi, le bon Dieu qui veut mon bien, se charge lui-même de me fustiger, non seulement par des souffrances, mais encore en permettant que l'on mette en doute mes meilleures intentions, en faisant peser sur moi des choses très pénibles, dont je ne me serais jamais douté, sans pouvoir trouver nulle part aucune consolation, si ce n'est aux pieds de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge et dans le témoignage que me rend la conscience d'avoir fait de mon mieux tout ce dont j'étais capable, je n'ai pas voulu me justifier, soit par crainte, émotion ou timidité, et que je voulais à tout prix conserver la paix et la charité . Je me suis renfermé dans le silence et la patience, convaincu, comme vous me l'avez souvent dit, que le bon Dieu permet toutes ces choses pour mon plus grand bien, que ce sont là de riches occasions pour m'avancer dans la vertu d'humilité, et de précieux trésors pour le ciel . Aussi, je ne vous fais ici qu'une confidence je ne veux pas me plaindre, au contraire j'embrasse d'avance toutes les peines et misères qui pourront m'arriver par la suite, vous avez toujours si bien réussi à me consoler et à m'encourager par vos bons conseils, que je vous considère comme l'ange bienveillant que le bon Dieu m'a donne sur cette terre . Un soir que je m'étais couché bien peiné, je vous ai vu dans mon sommeil m'adressant de bonnes paroles, pour me consoler . La même chose m'était arrivée une autre fois à Bagamoyo, j'en conclus que votre charité est très grande pour moi, et que je dois m'adresser à vous avec confiance, comme le bon Dieu semble me le manifester ; je ne vous ferai pas la nomenclature de mes défauts, ce serais trop long, et du reste vous les connaissez, la plupart tiennent à mon caractère irascible et susceptible, étant avec cela peu pourvu de mémoire et de jugement, je reste à l'écart de tout ce qui peut heurter ces cordes sensibles . Je sens mieux le poids de ces misères que je ne puis les expliquer, quelquefois elles m'attristent beaucoup, malgré la volonté que j'ai, et les bons propos souvent renouvelés en la présence de Dieu, de me conduire en tout selon son bon plaisir . Mais je pense qu'il est un bon Père, qu'il ne me grondera pas quand j'aurai fait de mon mieux, et qu'il me pardonnera les fautes et les misères où je tombe par faiblesse, dès que je lui en demanderai pardon ; c'est ce qui soutient mon courage dans le combat, et augmente ma confiance et le désir que j'ai de faire en tout sa sainte volonté, afin de lui être agréable . Mes occupations m'absorbent moins qu'autrefois, je trouve plus de facilité et de bonheur dans la journée à me tenir en la sainte présence de Dieu, et à invoquer la Sainte Vierge, pour qu'elle vienne en toute occasion soutenir ma faiblesse . Je dis chaque jour régulièrement deux chapelets, je fais mon chemin de croix le dimanche, la sainte communion quatre fois dans la semaine avec un grand désir de me sanctifier ; mon R. Père je me recommande à vos bonnes prières, continuez-moi, je vous prie votre charité, demandez au bon Dieu qu'il m'éclaire dans le chemin de la vertu, et que je sois fidèle et généreux à correspondre à ses grâces pendant le peu d'années qu'il me reste à vivre .
F. DOSITHÉE.

8. — La France . — Mesnières .

En 1878, le Frère Dosithée rentre en France, et restera désormais à la Maison-Mère durant cette dernière période de son existence qui sera de trente-deux ans (1878 -1910) . Ses emplois seront ceux de portier, de commissionnaire, d'agent pour les écoles et orphelinats de Langonnet, de Saint-llan et surtout de Mesnières . Nous ne saurions donner une idée plus juste de ses opérations en cette dernière œuvre, qu'en reproduisant une adresse de ses chers enfants lue au bon Frère par l'un de ces enfants au nom de tous, à l'occasion de ses noces d'or 1901.

Bien cher Frère Dosithée
Nous avons appris, que le 9 Octobre dernier, vous avez célébré le cinquantième anniversaire de votre profession religieuse, dans la Congrégation du Saint-Esprit .

A cette occasion, vos confrères dans la vie religieuse vous ont félicité, ont prié pour vous, et vous ont souhaité encore de longues années de bonheur dans le service du bon Dieu .

Les enfants de Mesnières, qui, presque tous sont venus ici par votre intermédiaire, et qui par conséquent, vous doivent en quelque sorte, l'éducation chrétienne qu'ils y reçoivent, ne seraient ni reconnaissants, ni polis, s'ils laissaient passer votre séjour au milieu d'eux, sans vous exprimer fleurs félicitations, leur gratitude, et leur respectueuse vénération .

Pour eux tous, en effet, vous êtes le bon frère Dosithée, que les mamans trouvent toujours si aimable, si complaisant, si bon ; le bon frère Dosithée, qui pour dorer la pilule à la mère, qu'effraye la distance, ou pour sécher les larmes, de l'enfant qui sanglote, fait miroiter de si belles choses : l'antique manoir, le beau site, le bon air, le bon pain, sans parler de la mer, que l'on peut voir des fenêtres du dortoir ; le bon frère qui d'un pas rapide, malgré les ans, sa serviette sous le bras, s'achemine dans les rues de ce grand Paris, pour arrêter le départ d'un nouveau, consoler des parents, revoir un ancien, placer un sortant, décider une maman .
C'est là votre vie, depuis bien des années .

Dieu veuille, cher Frère, vous conserver encore de longues années, alerte et vigoureux, plein de zèle et d'ardeur, pour nous amener de bons petits camarades, et augmenter ainsi la petite armée du pensionnat de Mesnières .

Bonheur ! santé ! longue vie, cher Frère, voilà nos vœux la l'occasion de vos cinquante années de vie religieuse, passées à aimer le bon Dieu, à vous dévouer, et à servir Mesnières .

Louis-Joseph MUFFAT.
Elève au pensionnat.

9. — Les fêtes du jubilé

Les noces d'or du Frère Dosithée ! Oui, ce privilège assez rare parmi nous, dit le Bulletin, de célébrer le cinquantenaire de sa profession religieuse, le bon Frère Dosithée Contoz l'a connu ; et la Maison-Mère l'a fêté le 10 octobre 1901, en la fête de la Maternité de Marie . La messe de communauté des Frères fut dite par Mgr Le Roy, et tous offrirent leur sainte communion pour le vénéré jubilaire . Après quoi on a entonné un Magnificat d'actions de grâces . Le repas du midi, présidé par le R. P. Grizard fut servi comme aux grands jours de fête, les souhaits et les vœux exprimés avec un rare bonheur d'expressions et de sentiments par le R. P. premier Assistant, au nom de tous . Le Frère Dosithée visiblement ému répondit en ces termes :

Mes bien chers Pères et Frères,
Je dois tout d'abord à Dieu et la Sainte Vierge, mille actions de grâces, pour le grand bienfait de ma vocation .

Cinquante années de vie religieuse, dans la pieuse famille du vénérable Père, ce n'est pas une faveur ordinaire . Aussi quelle reconnaissance déborde en ce jour de mon cœur, pour les bontés de Jésus, Marie et Joseph .

Mais à vous, aussi, mes très chers Pères et Frères, ma reconnaissance bien sentie, pour; la part que vous voulez bien prendre à cette fête, merci de vos sentiments Paternels et Fraternels merci de vos bonnes prières .

Tous ensemble, unissons-nous encore pour remercier le Seigneur de ses bienfaits .

Vous m'avez souhaité longue vie . Je dis, longue vie à tous, et, au bout de la carrière, réunion de tous au ciel, pour l'éternité .

La joie de la fête continua, comme une marée montante, dans la cour de récréation . Là, un poète improvisé qui avait suivi de près et souvent partagé la carrière du Frère Dosithée, la développa et chanta en un Pot-pourri dont chaque couplet emprunte un air approprié à la circonstance .

I. — (Air: Accourez tous, etc. )

Ecoutez-moi, Pères et Frères,
Avec grande docilité,
Je veux vous chanter la carrière
De notre Frère Dosithé
Qui vécut par dévotion
Cinquante ans en religion .

I I . — (Air: Il est né . )

Il est né sur le beau versant
Des grandes Alpes Savoisiennes,
A Mégève, pays charmant,
Tous admiraient ce bel enfant,
Grandissant avec les marmottes,
Courant les prés et les vallons,
S’en allant cueillir des Pivottes (poires du pin) Pour le foyer de la maison .

III. — (Air: Le Petit Savoyard. )

Il faut quitter notre Savoie
Pour t'en aller loin de cheuz nous,
Dieu t'appelle en sa sainte voie,
Pars donc pour lui, priant pour tous.
Et quelquefois sur cette grève
Où t'enverra le doux Sauveur,
Tu te souviendras de Mégère,
Cela te portera bonheur.

IV. — (Air: Tout n’est que vanité. )

Et sitôt, quittant tout,
Parents, clocher, pays si doux,
Et pour Dieu, joyeux, il part
Vers le Vénéré Père au Gard ;
Au noviciat
On le place
Sous le patronat
Du Laplace,
Qui dit : . « Y a du bon
Dans ce gros garçon,
J’en réponds .

V. — (Air: Oyez, Oyez.)

En cinquante, un jour mémorable,
Que nous célébrons aujourd’hui,
Il fit ses vœux, l'heureux de lui,
A Dieu ses vœux irrévocables,
Y a-t-il pas cinquante ans depuis ?

VI . — (Air: Juif Errant . )

En mil huit cent soixante,
Il partit pour Bourbon,
Sans craindre la tourmente,
Il est fort sur le pont,
Jamais on n'avait vu
Un marin si féru .

VII. -- (Air: Papa Nicolas.)

Après trois mois de navigation
Par le cap de Bonne-Espérance,
Il est enfin en rade de Bourbon
Et débarque à la Providence;
Bonzou, Frère, lui dit Hector,
Vous va rester avec nous dans Bitor,
Pères Pineau, Homer, Diboin,
Tout ça li bon mond, sirtout Père Collin .

VIII. — (Air: Au clair de la lune.)

Bon chef de musique,
Ainsi qu'infirmier,
Suivant la chronique,
il faillit passer,
Un jour qu'à Sainte Anne,
Tombant de très haut,
Il brisa son crâne,
Son nez et ses os.

IX. -(Air: Le.contrebandier.)

Un beau jour, il monte joyeux (bis)
A Saint Bernard-de-la-Montagne,
Pour soigner les pauvres lépreux,
Jamais, jamais; il ne fut plus heureux
Qu'en cette sainte campagne,
Au service des malheureux. ,

X. -(Air: Gastibetzo.)

L'avez-vous vu dans l'Ilette à Guillaume,
Aux Mangallons
Chevauchant, fier, vaillant comme un jeune homme, Sur Fleurimont ?
C'était alors un. rude missionnaire, .
Je le sais bien ;
Malheur à qui me dira le contraire,
J'en fus témoin (bis).

XI. -(Air: Adam.) ..

Mais on l’envoie au Zanguebar,
A zanzibar; ,
Parcourant les côtes d'Afrique,
Bagamoyo,
C'est là que sur sa tête pique
Le soleil chaud.

XII. -'- (Air: Malbrough. )

En route pour Maurice, mirontori,
Refaire ta santé
..Sous un climat propice,
Mon pauvre Dosithé,
Mais il fallut en France,
Un repos mérité.

XIII. -{Air: Biribi.)

En notre Maison-Mère,
Au centre de Paris, biribi,
Il pourra, se refaire
Au milieu des amis, ripini,
Le voilà recrutant
Des enfants.
De l’argent,
En tous lieux, en tout temps ;
Et de Mesnière (bis), il est fidèle agent..

XIV. -(Air: Combien j'ai douce. )

Dans ce jour de réjouissance
Nous souhaitons pour récompense
-- Que vous viviez longtemps heureux
En Francé : ici: Puis avec tous les bienheureux Aux cieux.
AD MULTOS ANNOS !

De tous côtés plurent les félicitations . Le premier à les adresser fut un autre vaillant jubilaire, le bon et digne Père Delaplace, le Maître des Novices du Frère Dosithée au Gard . Voici sa lettre :

« Quels souvenirs pieux et touchants rappelle à l'un et à l'autre cet anniversaire ! Le vénérable Père, Notre-Dame du Gard, avec sa délicieuse chapelle, ses belles et touchantes cérémonies !

Depuis un demi-siècle, que de choses, que d'événements se sont passés ! Et nous passerons à notre tour, maître et disciple … Que le Saint Cœur de Marie protège la fin de notre carrière mortelle, et nous conduise un jour au milieu de sa famille de Pères, de Frères, de Missionnaires, d'Apôtres.
Cependant de bon cœur disons et redisons : AD MULTOS ANNOS !

Nous voudrions citer encore la lettre de M. l'abbé Monnard, qui exprime avec ses propres sentiments ceux de la famille, ceux de tout Mégève . Mais il faut nous borner .

X. - Où l'on voit produire le grain de froment mis en terre

Le Fr. Dosithée se montra toute sa vie fort attaché à tous ses devoirs religieux, et fidèle à les bien accomplir . Il donnait un soin tout spécial à ses retraites annuelles . Pénétré de leur haute importance pour sa vie spirituelle, il y pensait longtemps d'avance pour s'y préparer sérieusement, il gardait les résumés des instructions qu'il relisait plus tard, notamment en ses retraites du mois, et les couronnait en précisant ses résolutions, afin de tirer du fruit de ces salutaires exercices . De ses nombreuses notes ainsi conservées, toutes fort édifiantes, nous ne relèverons que la page suivante, qui donne une idée des autres :

« Fidélité à mes exercices de piété ; à mon règlement, surtout à la sainte oraison .

Union avec le bon Dieu dans le cours de la journée ; je lui offrirai dès le matin toutes mes actions par Notre-Seigneur, pratiquant avec soin la mortification, la douceur et l'humilité, me rappelant que Dieu résiste aux superbes, que l'Esprit-Saint n'agit pas dans les âmes où règnent l'amour-propre et l'orgueil .

J'aurai une grande charité et indulgence pour mon prochain, dans mes pensées et mes jugements, mes paroles et mes procédés, sans être jamais pour personne un sujet de peine ; mais plutôt obliger les autres par tous les moyens que l'amour du bon Dieu sait suggérer . L'obéissance est le grand trésor du religieux . J'y veux puiser en toutes circonstances . Et quand je sentirai mes inclinations qui répugneraient, l'idée du bon plaisir de Dieu me portera à tout accepter et à tout accomplir .

Mes principales dévotions seront toujours : Notre-Seigneur dans le Très-Saint Sacrement de l'autel ; le Sacré-Cœur dé Jésus, pour qu'il embrase mon cœur de son amour; la Sainte Vierge, ma bonne Mère, son Cœur Immaculé, pour qu'elle me conduise à son Fils Jésus ; saint joseph, mon directeur dans la vie intérieure, pour qu'il me conduise au ciel ; mon ange gardien et mes saints patrons, les âmes du Purgatoire., en faveur desquelles je vais faire l'acte héroïque ; enfin, le vénérable Père, mon modèle que je veux toujours avoir devant les yeux .

Tout pour la plus grande gloire de Dieu, ma sanctification et le salut des âmes . »

Voici la formule de son acte héroïque :
Pour votre gloire, ô mon Dieu, et pour imiter le plus possible le cœur généreux de Jésus, mon Rédempteur, afin aussi de montrer mon dévouement à la Très-Sainte Vierge, ma mère, qui est aussi la mère des âmes du Purgatoire .
Moi Frère Dosithée, je cède et abandonne en faveur des âmes du Purgatoire, la partie satisfactoire de toutes les bonnes œuvres que je ferai à l'avenir, et tous les suffrages que je pourrai obtenir après ma mort, afin que leur application soit faite entre les mains de la Très-Sainte Vierge, en témoignage de reconnaissance de toutes les grâces qui me sont venues par les mains de cette bonne Mère .
Fait aujourd'hui, 2 mai 1880, jour de retraite du mois .

En ces dernières années le bon Frère Dosithée a senti de terribles frayeurs aux approches de la mort. Il ne voulait pas qu'on lui en parlât . Néanmoins ses directeurs, et un Père en particulier de ses amis des anciens jours combattirent avec succès ces terreurs excessives . Les exemples de placidité du vénérable Père en face de la mort, de la joie véritable du P. Laval, produisirent sur son esprit d'heureux effets. Il a lui-même écrit une relation longue et détaillée d'une faveur toute spéciale obtenue par l'intercession du vénérable Père, le 1er février 1908. Il s'agissait de violentes tentations contre la Foi, contre l'Espérance de son salut . Ces agitations d’esprit ne lui laissaient depuis huit jours aucun repos, lorsque à la Xll° station du Chemin de la Croix, il se sent intérieurement porté à s’adresser au vénérable Père . La voix intérieure qui l’inspirait, lui donnait en même temps l'assurance qu'il serait exaucé . Son chemin de croix fini, il est là aux pieds de Marie, et du vénérable Père, il prie avec pleine confiance et son trouble disparaît pour faire place à la paix la plus profonde . Et depuis lors, le Frère Dosithée ne songea plus qu'à se préparer à quitter ce monde . Toutes ses actions, ses communions quotidiennes, ses aspirations montaient vers Dieu par le vénérable Père et la bonne Vierge Marie, pour obtenir la grâce d’une bonne mort, ora pro nobis peccatoribus, nunc et in hora mortis nostrae . Amen . C’était là une sainte inspiration, car la mort qui vint sans se faire annoncer ne le surprit pas . Il a rendu son âme à Dieu le matin du 15 juin 1910, et a été enterré le lendemain à Chevilly . Deux anciens, les Pères d’Hyèvre et Limbour, compagnons de ses premières campagnes, l’accompagnaient à sa dernière demeure, en se disant : moriatur et anima nostra morte justorum, et fiant novissima nostra hujus similia . (Num 23, 10)
[1] né à Megève (Haute -Savoie), diocèse d’Annecy, le 30/11/1832 ; premiers vœux à N.D. du Gard, le 08/10/1851 ; vœux perpétuels à Paris, le 26/08/1853 ; décédé à Paris le 15/06/1910, à 77 ans, après 58 ans de profession . Il a travaillé à Maurice de septembre 1874 à 1878 .

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