Monseigneur Raoul de COURMONT,
1841-1925.

Mgr de Courmont naquit le 15 avril 1841, au Carbet, ancien bourg d'origine Carbet, où Christophe Colomb débarqua le 15 juin 1502, lors de son quatrième voyage aux Amériques. Le père de famille était grand planteur au Morne Vert, qui jusqu'en 1837 faisait partie du Carbet. Son grand-père maternel, Jean-Baptiste Ozier de Bellevue, qui fut son parrain, était maire de Vauquelin, sur la rive atlantique entre le François et le Matin.

Raoul de Courmont fut baptisé le 3 juin, sept semaines après sa naissance. De sa première éducation religieuse nous ne savons que peu de choses. Dans les vers qu'il consacre en 1882 à la mémoire de son père, il laisse entendre que le chef de famille, très respectueux des croyances d'autrui, n'avait pas de la religion une connaissance assez profonde :

Père, aux nobles vertus, pour le monde vrai sage,
Mais, pour Dieu, du chrétien encor trop pâle image


Raoul allait avoir sept ans quand éclata la révolution de 1848, qui transforma l'état social aux Antilles. La proclamation de la liberté des esclaves fut un désastre pour M. Aristide de Courmont. Il lui fallut, comme aux autres propriétaires, une surveillance plus active qu'autrefois, et sa présence continuelle au milieu des ateliers s'imposa ; malgré son bon vouloir, il ne put suffire à ces exigences, de là des pertes importantes. En même temps, la lutte était ouverte entre les planteurs des colonies et les raffineurs de sucre de betterave en France. On sait que l'industrie métropolitaine triompha. En 1850, Aristide de Courmont sentait déjà sa fortune menacée ; il voulut cependant assurer l'éducation en France de son fils Raoul. Il se détermina à le confier au petit séminaire de Saint-Pé, dans les Hautes-Pyrénées. En voici la raison.

M. de Courmont avait été lui-même envoyé en France très jeune placé au lycée Henri IV , il s'était trouvé perdu dans la masse des élèves, sans que jamais il reçut du directeur une marque d'attention. Eviter à son fils cet isolement, tel avait été son but en l'envoyant à Saint-Pé, sur la recommandation d'un ami, le chanoine Pène, qu'il avait connu pendant qu'il faisait son Droit à Toulouse. Le but fut atteint, au-delà de tous ses désirs. Mgr de Counnont a en effet gardé du petit séminaire de Saint-Pé le souvenir le plus attendri ; Saint-Pé fut vraiment sa maison ; jusqu'au bout, il aimait à se dire l'enfant de Saint-Pé.

D'une extrême sensibilité d'âme, Raoul de Courmont reçut à SaintPé une éducation qui correspondait parfaitement à sa nature. Il fit sa première communion dans la maison ; il y puisa sa piété très profonde pour le Saint-Sacrement. Il s'y vit surtout dans ce qu'il appelait le domaine de Marie. Les madones vénérées sont nombreuses aux environs ; il les visita, prit goût à leurs mystérieuses légendes, et d'abord s'attacha surtout à Notre-Dame de Bétharam, où résidait le Père Garicoïts, le futur bienheureux, dont la réputation de sainteté existait déjà. Il n'avait que treize ans quand fut proclamé le dogme de l'Immaculée-Conception ; les fêtes célébrées à cette occasion éveillèrent son imagination d'enfant. Des impressions plus profondes se gravèrent en lui quand la Vierge Marie apparut à Bernadette dans la grotte de Lourdes. Raoul de Courinont était alors' en seconde, capable déjà de comprendre à fond, et encore ouvert aux vives émotions.

L'élève tira grand profit de l'enseignement de son établissement ; les professeurs, le supérieur en particulier, n'hésitaient pas à converser familièrement avec les élèves pendant les récréations ; et durant les vacances Raoul mangeait à leur table, les accompagnait dans leurs promenades, rencontrait leurs hôtes, souvent remarquables, et ainsi s'instruisait et se cultivait. Il sortit de la maison bachelier ès sciences.

Mais quels rêves d'avenir faisait ce jeune homme, si bien doué de qualités naturelles, et si souple sous l'action de ses maîtres ? L'Ecole Navale, que son père eût désirée pour lui, ne l'attira pas ; il projeta plutôt d'entrer à l'Ecole Polytechnique. Mais à la suite de la retraite annuelle de l'une de ses dernières années d'études, il se tourna vers la piété : "l'épaulette d'officier n'exerça plus sur lui la même fascination". Le supérieur, M. Burosse, surveillait cette évolution du jeune homme et la dirigeait sans que celui-ci s'en doutât. La Providence, de son côté, y mit la main : Raoul de Courmont fut atteint au genou d'une infirmité qui le rendait pour le moment impropre au service militaire . c'était une humeur froide dont il se ressentit longtemps, mais qui s'atténua assez pour qu'il pût marcher sans qu'il y parût, après qu'il eut lavé son genou avec de l'eau de la Grotte de Lourdes.

Dans la carrière militaire il n'avait vu qu'une carrière de dévouement; or le sacrifice, il trouverait à le pratiquer plus largement encore dans l'état ecclésiastique. Il ne fut pas difficile au supérieur de le lui faire entendre ; et ce sacrifice du prêtre est d'autant plus grand qu'il est ignoré des hommes, qu'il est pratiqué à l'égard de gens plus misérables, plus ignorants et plus pervers. Sans prévoir encore où Dieu l'appellerait, le jeune homme vivait déjà de ces nobles desseins.

Pour mieux mûrir ce nouveau projet et le faire agréer à ses parents, Raoul se décida à passer une année au séminaire, après avoir terminé sa philosophie ; il était censé y continuer ses études, mais ses préoccupations étaient toutes à la piété et à l'avenir sacerdotal, auquel il aspirait. Dans cette sainte retraite, les doutes du jeune homme s'éclaircirent, toute hésitation cessa. De la Martinique, ses parents l'informaient qu'ils ne s'opposeraient pas à son dessein. Il ne lui resta plus qu'à faire les démarches pour être admis au séminaire du Saint-Esprit, à Paris, qui devait le préparer au ministère sacerdotal dans les colonies. C'est ainsi qu'on désignait alors les Antilles dans l'Océan Atlantique, et les Mascareignes dans l'Océan Indien.

Le séminaire, le scolasticat, le noviciat.

M. de Courmont entra au séminaire le 15 octobre 1860, il avait dixneuf ans. C'était le jour de la rentrée des classes ; les séminaristes étaient au nombre de 66 sous la direction du P. Frédéric Le Vavasseur. Entre le directeur originaire de la Réunion et Pélève né au Carbet les relations devinrent vite très cordiales ; créoles tous les deux, tous les deux avaient eu Vintention d'entrer à Polytechnique ; en outre, les principes du P. Le Vavasseur dans la conduite des âmes répondaient aux secrètes aspirations de M. de Counnont, qui voua au Père un attachement sans borne et continua de le consulter pendant longtemps quand ils furent séparés, bien qu'ils vécussent à grande distance l'un de l'autre.

A côté des séminaristes, vivaient alors, dans la maison de l'impasse des Vignes, 34 scolastiques spiritains avec une dizaine de postulants. Des échanges réciproques se faisaient fréquemment : scolastiques renonçant à la vie religieuse pour s'agréger au clergé des colonies, ou séminaristes désireux d'entrer dans la congrégation. Raoul de Courmont, qui devait finir par là , mit deux ans à entendre pour lui cet appel du bon Dieu.

Ses notes pendant ce temps sont invariables, tout est marqué \i\fs20 très bien, \fs21 sauf sa santé qui passe du bien, l'assez bien, puis au faible. Il eut pour professeur de philosophie le P. Xavier Libermann, pour professeur de morale le P. Gaultier et pour professeur de dogme le P. Jean-Baptiste Corbet, frère de Mgr Corbet.

Le dimanche 7 septembre 1862, il fut admis sur sa demande au scolasticat des spiritains, comme postulant. Il s'y trouva sous la direction immédiate du P. Xavier Libermann, son ancien professeur. Sa santé, chancelante au séminaire, parut plus compromise encore au scolasticat. Il lui fallait du repos ; on l'envoya chez ses parents à Tours, pour gagner de là la Martinique en avril 1863.

Ce retour dans l'île natale ne laissait pas que de l'inquiéter. Il demandait qu'on priât pour lui. Il avait fait en effet le vœu d'entrer dans la congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie ; comme son infirmité au genou eût pu l'empêcher d'y faire profession, il demandait dans ses prières avec instance sa guérison. Il crut même l'avoir obtenue, quand il constata à la Martinique qu'un mieux sensible s'était produit par le seul changement de climat.

Dans la lettre où il constatait cet heureux effet, il exposait en même temps au Père Le Vavasseur la triste situation de ses parents : depuis deux ans son père avait cessé de fabriquer du sucre, le sucre de la Martinique ne se vendant plus. Son père courageusement accepta des fonctions qui ne cadraient pas avec son ancien état de fortune. A son exemple, Raoul de Courmont, sans se laisser abattre, demanda, au lieu de se retirer au grand séminaire du Trou-Vaillant, qu'on lui trouvât une place de professeur au collège de Saint-Pierre, ou à celui de Fort-de-France, afin de venir en aide aux siens. Il fut d'abord employé à Fort-deFrance, sous la conduite du P. Jules Brunetti, dans le collège que la congrégation venait d'ouvrir. Œuvre nouvelle, toute à organiser, ce collège absorbait tous les instants de ceux qui en avaient la charge. Rien d'étrange que M. de Courinont ne s'y soit senti comme entraîné dans un tourbillon ; il se plaignit d'abord d'avoir perdu la paix dont il jouissait à Paris ; puis il se fit peu à peu à cette occupation constante de son esprit dans ses devoirs d'état et se contenta, sans consolation sensible, de se donner entièrement à Dieu pour accomplir la tâche qui lui était imposée. Il retrouva ainsi le calme.

Bientôt il ne lui fut plus possible de den pas parler: il avait vingt-six ans et dans sa famille on trouvait étrange qu'il ne fût pas encore prêtre. Autorisé à quitter la Martinique, il craignit que son brusque départ ne gênât ses confrères de Saint-Pierre, et particulièrement le supérieur, le Père Emonct, à qui il était très attaché. Ainsi s'écoulait l'année 1867 ; le voyage paraissait remis aux premiers mois de 1868 quand, fin septembre, tout s'arrangea au mieux. M. de Courmont partit de la Martinique et arriva à Paris le 4 décembre. Le P. Frédéric Le Vavasseur, qu'il vit à la maison mère, l'engagea à se rendre le soir même au noviciat de Chevilly. Or il faisait déjà nuit, et M. de Courmont ne connaissait pas la nouvelle communauté de Chevilly achetée en 1864. Il n’hésita pas cependant à obéir et parvint par l’Hayles-Roses et la Rue à rejoindre Chevilly. Les notes des Pères de la Martinique à son sujet lui rendirent facile son admission aux Ordres sacrés ; moins de trois semaines après son entrée dans la maison, il ftit promu au sous-diaconat ; il fut ordonné prêtre le 6 juin 1868 et fit sa profession religieuse le 23 août suivant.

Séjour à Paris.

- Un mois après sa profession, le P. de Courmont écrivait au P. Le Vavasseur : " Je me tiens tranquille au sujet de mon placement et je ne vous recommande rien. La Sainte Vierge sait mieux que moi ce qu'il me faut et elle conduira l'esprit du Supérieur général pour le faire entrer dans ses vues, mieux que personne n'y réussirait."

La part qui lui échut répondait bien à son talent : il fut retenu à Pariis au secrétariat général de la congrégation pour aider aux travaux du Bulletin et de la cause de béatification du Vénérable Père. La cause du Vénérable Père commença le 20 février 1868 ; les écritures exigées en pareil cas sont nombreuses et réclament la connaissance exacte du Droit chez celui qui les dirige et chez ceux qui les exécutent ; en outre, de nombreuses démarches s'imposent près des juges, des témoins, des officiers du tribunal ; le P. de Courmont devint vice-postulateur le 1décembre 1869 pour la durée du concile du Vatican.

C'est aussi à lui que le Supérieur général recourait quand la maladie l'empêchait de prendre connaissance des lettres, des journaux et des revues. Le P. Schwindenhammer exigeait des précisions, ce fut pour son lecteur un exercice très profitable. Il aurait enfin manqué quelques chose aux occupations du P. de Courmont s'il n'avait pas eu à collaborer à l'éducation et l'instruction des séminaristes. Bien des séminaristes de ce temps ont gardé de lui le souvenir d'un véritable entraîneur à la vie communautaire et au travail intellectuel.

Le 8 décembre 1869 s'ouvrait le concile du Vatican ; en 1870 c'était la guerre en France, et l'année suivante le mouvement insurrectionnel de la Commune de Paris. Notre maison mère fut convertie en hôpital ; le P. de Courmont s'offiit comme aumônier des forts et des ambulances. Or quand on lui conseillait de se ménager et de prendre du repos, il protestait que jamais il ne s'était mieux porté, et il exprimait le désir de rester à Paris. En 1875, il prit même la direction du séminaire colonial et la charge de professeur de philosophie. Exact à préparer son cours, tout donné à son enseignement, il devint une figure marquante du séminaire.

Au Zanguebar.

- En 1881, au P. Schwindenhammer avait succédé le P. Le Vavasseur, qui mourut au bout de quatre mois, pour être remplacé par le P. Emonct, ancien supérieur de la Martinique, qui connaissait le Père de Courmont et sa famille.

A peine élu, le P. Emonet s'occupa de faire ériger la Préfecture du Zanguebar en Vicariat apostolique. Fondée en 1860, dirigée par la congrégation depuis 1862, et entièrement confiée à ses soins en 1872, on travaillait ferme dans la Préfecture du Zanguebar, et si l'on réclamait un évêque à la tête de la Mission, c'était pour avoir un chef mieux qualifié pour conduire les missionnaires à la conquête de l'arrière-pays, tribus déjà islamisantes, moins faciles à gagner que les fétichistes ; en outre, le protestantisme, adversaire de plus en plus puissant, réclamait des moyens plus énergiques, que seule l'action d'un évêque pourrait, pensait-on, fournir aux catholiques.

Le candidat du P. Emonet était le P. de Courrnont. Il fut nommé par bref du 23 novembre 1883, avec le titre épiscopal de Bodona, et sacré dans la chapelle de la maison mère le 16 décembre suivant. Le prélat consécrateur, Mgr Fava, évêque de Grenoble, ancien évêque de la Martinique, et fondateur de la mission du Zanguebar quand il était vicaire général de la Réunion, fit valoir dans son discours l'apostolat de la congrégation sur la côte orientale de l'Afrique. Il rappela tout ému ses attaches avec le nouveau vicariat, en chargeant Mgr de Courmont de ses vœux pour ses anciennes ouailles. Ce fut la fête au séminaire du SaintEsprit, fier de donner un de ses directeurs aux Missions d'Afrique ; ce fut la fête dans la petite colonie martiniquaise de Paris, heureuse de saluer un des siens dans le Vicaire apostolique du Zanguebar, et surtout de rappeler que, si la Martinique donnait enfin un évêque à l'Eglise, elle avait déjà donné à l'Etat des hommes remarquables dans toutes les branches de l'administration.

Trois semaines après son sacre, Mgr de Courmont partait pour Lourdes et Saint-Pé, qu'il revoyait pour la première fois depuis 1860. De là il gagnait Rome, puis Naples et Zanzibar, où il arriva le 24 mars 1884.

Son premier séjour dura plus de huit ans, jusqu'au 4 décembre 1892. Il y travailla suivant un plan nettement arrêté, dès 1884, dans une réunion avec ses principaux missionnaires, tenue pendant huit jours àl'issue de la retraite annuelle, vrai synode où furent étudiées, selon l'expérience acquise par les anciens missionnaires, les conditions de l'apostolat dans le Zanguebar à cette époque. Chacun s'y révéla avec sa compétence spéciale : langues, organisation des œuvres, catéchistes, orphelinats, villages chrétiens, ministère près des païens, des malades. Chacun fut écouté ; des décisions très sages furent arrêtées qui laissent la conviction au lecteur qu'aucune lumière ne fut négligée et qu'aucune audace utile ne fut proposée sans être loyalement discutée.

Un procédé d'expansion propre au Zanguebar est la fondation de villages chrétiens, formés de jeunes gens des orphelinats de Bagamoyo, pour la plupart esclaves rachetés et libérés, qu'il fallait établir quand ils étaient en âge de se marier. Lorsqu'une colonie était ainsi prête, les garcons Dartaient avec un Père et un Frère pour établir une nouvelle station en un lieu désigné d'avance. ils y construisaient leurs cases, la maison des missionnaires, la chapelle provisoire, puis rentraient à Bagamoyo, où ils prenaient femme, pour s'en retourner bientôt dans leur village. Des règlements très précis et très fermes dirigèrent ces opérations délicates, dont dépendaient le bonheur des élèves de la mission, et la prospérité du nouveau centre d'évangélisation. Ils prévirent les obligations des habitants du village à l'égard des Pères et leur émancipation progressive ; ils déterminèrent enfin l'autorité du Père supérieur, chef civil du nouveau groupement, à l'instar des droits et prérogatives des chefs voisins. On peut reconnaître dans cette organisation un souvenir des Réductions des Jésuites au Paraguay.

Mgr de Courmont avait calculé que l'apport d'enfants élevés à Bagamoyo lui permettrait de fonder tous les deux ans une nouvelle station. Parcourir le pays, pour choisir le site où l'on s'établirait, lui paraissait être le lot du chef de la Mission. Les voyages d'ailleurs intéressaient Mgr de Courmont ; il les entreprit en compagnie du Père Alexandre Le Roy, qui s'en fit le chroniqueur dans des ouvrages à part, ou dans des articles de revue qui leur ont valu la célébrité dans le monde des amis des Missions.

La fatigue de huit années d'apostolat nécessita un congé en France à la fin de 1892. Dès le 6 janvier 1893 il se rend à Troyes à la fin de février il accompagne à Rome le P. Emonet et voit le Pape en avril il est à Solesmes, en mai à Tours dans sa famille, en juin à Lourdes et à Saint-Pé. Sa démarche la plus importante fut la tournée qu'il fit en Allemagne avec le P. Guillaume Kra~mer ; il visita les bienfaiteurs de la mission du Zanguebar et revint satisfait de l'accueil qu'il reçut de tous. Il se rembarqua pour sa Mission en octobre et reprit ses fonctions.

Mgr de Courmont visita en 1894 ses postes de la côte, puis du 10 août au 23 octobre parcourut la région de Mandera, Mhonda, Mrogoro, Tununguo, ... quand, hélas, il fut forcé subitement de rentrer à Zanzibar, et de Zanzibar en France : il était profondément atteint d'anémie ; son état inspira même assez d'inquiétude pour qu'un de ses Pères l'accompagnât jusqu'à Aden en décembre 1894.

Les deux années suivantes se passèrent dans des alternatives d'espoir et de découragement, réclamant un repos cérébral absolu. En mai 1896, il songe à demander un coadjuteur; mais des nouvelles moins bonnes de Zanzibar l'alarment, il veut partir, cette préoccupation l'excite à nouveau, l'obsède, lui cause de la contention d'esprit. Trois mois de réflexion et d'expérience lui démontrent enfin la nécessité de se retirer : le 16 novembre 1896, il donne sa démission, qui est acceptée le 6 mars 1897.

- La retraite à Paris sera la plus longue période de cette vie si bien remplie, période bien féconde elle-même. Sa résidence est la maison mère ; ce qui l'y retient, c'est sans doute la présence de Mgr Le Roy, devenu Supérieur général, à qui il reste étroitement lié ; c'est aussi un ministère qu'il aime ; ce sont encore ses habitudes d'autrefois, c'est le séminaire du Saint-Esprit, où il a étudié quatre ans et enseigné quinze ans.

Son ministère est très actif. Sa dignité d'évêque ne lui permet pas de remplir les fonctions d'aumônier ou de confesseur ordinaire d'une communauté, mais il se met à la disposition des religieuses qu'il a autrefois connues : volontiers il leur prêche leur retraite, continue par correspondance de leur donner ses conseils. Sa sollicitude ne va pas aux seules maisons de Paris, mais dans la banlieue et en province il se prodigue avec le même zèle infatigable. Il tient par dessus tout aux tournées de confirmations : le chiffre qu'il relève dans sa statistique s'élève à 277113 confirmations. Il s'offrait aussi volontiers à bénir les mariages et à conférer le sacrement de l'ordre. En ses dernières années surtout, il était touchant de voir ce bon vieillard, à la petite chapelle du séminaire, accomplir avec un soin méticuleux les moindres rites de l'ordination. Ce ministère était sa vie ; par là il avait conscience d'aider encore l'Église.

Mais ce qui fut le plus admirable en lui, pendant ses années de retraité, c'est sa piété et sa régularité. Il ne manquait aucun exercice de communauté, ni aucun office public, et ne s'en excusait jamais sur sa dignité, son âge ou ses infirmités. Car sa vie montante était toute embaumée des parfums d'autrefois : la Martinique, Saint-Pé, le séminaire du Saint-Esprit, le Zangueban Avec la même joie il saisissait l'occasion de parler le patois basque des Pyrénées et le Kiswahili de l'Afrique orientale ; les nouvelles des Antilles avaient toute son attention, comme les moindres faits du séminaire l'intéressaient. Vers le 1- janvier 1925 il se trouva plus faible ; il était dans sa ouatre-vinet-uuatrième année. Il avait demandé au bon Dieu la grâce de célébrer la sainte messe jusqu'à son dernier jour ; les trois derniers jours cependant un confrère dut célébrer la messe dans sa chambre, et le 20 janvier l'une de ses dernières paroles fut qu'on ne manquât pas le lendemain d'offrir le saint sacrifice près de lui.

Son corps repose au cimetière de Chevilly, non loin de la tombe de Mgr Augouard, évêque de Brazzaville (1921) et de Mgr Allgeyer évêque du Sénégal (1924).

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