Mgr Jean DÉROUET, décédé à Loango, le 4 mars 1914, à l'âge de 48 ans.

Né le 31 janvier 1866, à Saint-Denis-de-Villenette (Orne), Jean Dérouet était diacre au grand séminaire de Séez, lorsqu'il entra dans la congrégation du Saint-Esprit.

La vie des missionnaires est une existence très à part où le convenu compte pour peu de chose, où les secousses morales sont violentes et prévues, où l'abandon à la Providence est nécessaire plus que partout, où forcément il ne faut, hélas, donner à la mort que peu de larmes. C'est un dur métier pour les hommes de cœur.

On s'en aperçoit lorsque le câble d'Afrique jette brusquement sur la table de notre Supérieur général des dépêches comme celle qui, le 5 mars dernier, en deux mots impitoyables, nous annonçait la mort de Mgr Dérouet, vicaire apostolique de Loango, et cela juste au moment où l'on savait que le regretté prélat avait arrêté son retour prochain en France.

Rien ne faisait prévoir cette mort. Mgr Dérouet était jeune : quarante-huit ans, et, chez nous, lorsque l'acclimatement a laissé vivre son homme, on dépasse facilement quarante-huit ans. D'autre part, Mgr Dérouet n'avait jamais subi le danger d'une transplantation : venu jeune prêtre à Loango en 1891, c'est à Loango et pour le Loango qu'il était devenu évêque. Il était donc fait au pays plus que quiconque.

Mais il faut bien croire qu'au regard de Dieu nul ici-bas n'est nécessaire.

Comment est-il mort ? Les lents courriers de la côte ouest-africaine ne nous l'ont pas encore appris et l'énorme taxe des câblogrammes n'a pas permis de mettre quelques détails sur la dépêche. On sait seulement la date ou du moins, on la suppose : 4 mars.

Quoi qu'il en soit de ce que les circonstances ajoutent à ce deuil, la perte que le Loango vient de faire est très grande de par la valeur du prélat qui disparaît.

Venu tardivement chez nous, il apporta au noviciat une vocation de séminariste grave et instruit. Il fit sa profession le 4 octobre 1891. Vingt jours après, il partait pour le Congo français où le vénéré Mgr Carrie discerna tout de suite son mérite et le retint au chef-lieu de la mission pour y diriger le séminaire indigène.

Dans la notice qu'il a plus tard consacré à cette œuvre, Mgr Dérouet, en louant beaucoup ses devanciers et ses successeurs, oublie de dire quel principal rôle il a joué lui-même dans la formation de sept ou huit prêtres indigènes du Loango.

Entre autres bonnes mesures pour la formation de ses clercs, il maintint très ferme la tradition qui existe là-bas de les laisser le plus possible dans leur milieu d'origine. C'est excellent, mais cela exige de l'éducateur qu'il prenne lui-même avec ce milieu un contact très immédiat et très assidu. Le P. Dérouet l'avait compris. Au bout de peu de temps, le professeur du séminaire s'était initié à toutes les pratiques et expériences du ministère et parlait la langue vili de façon à en rendre toutes les finesses et à y traduire toutes les nuances de sa propre pensée.

Dans ces conditions, il sentit naître l'attrait d'un apostolat autrement infructueux et rebutant : il le subit fortement et le goût lui en restera toute sa vie. Il le suivra dans la malsaine et pénible station de Bouenza dont il fut un instant supérieur, puis à la côte nord où il exerça la même charge à Sette-Cama.

Il était, en 1906, supérieur de la mission de Loango et pro-vicaire lorsque l'ordre lui vint de rentrer en France où l'on s'occupait de trouver un successeur à Mgr Carrie. Il fut sacré le 3 février 1907, vicaire apostolique de ce qui devint avec lui la mission du Loango, l'ancien titre de Congo français ayant été assigné au siège épiscopal de Brazzaville.

Évêque, il continua d'être catéchiste, beaucoup plus incliné vers ces peuples que répandu dans la société coloniale où il savait cependant faire à l'occasion grande et digne figure. Aimé et apprécié de ses missionnaires, il pouvait répondre à tous, aux zélés, aux infatigables, aux linguistes, aux théologiens, aux prédicateurs, à ceux qui tenaient la plume comme à ceux qui tenaient l'outil : Et Ego ! Ou plutôt, on le savait si bien qu'il n'eut jamais à le répondre.

Il avait eu la consolation, au cours des deux dernières années, d'ordonner deux nouveaux prêtres indigènes, ses anciens élèves. Il avait fondé à Mourindi, sur les confins du Gabon, une station nouvelle. Il devait rentrer pour reprendre des forces, pour préparer différentes organisations nouvelles, peut-être a-t-il trop attendu !

Il a eu; du moins, cette consolation de mourir à son poste et la récompense lui a été donnée en plein travail de moisson apostolique. Lors de son sacre, Mgr Le Roy , qui composa son blason, lui avait proposé comme devise la parole de Paul à Timothée : Opus fac Evangélistæ. C'était l'avoir bien jugé et c'est à quoi il a été inviolablement fidèle.

Que le Seigneur, Juge équitable des mérites, lui accorde cette couronne que l'apôtre ne craint pas d'estimer due en justice à tous ceux qui auront aimé l'avènement du Christ ! -
Maurice Briault - A, avril 1914.

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