LE F. VINCENT DIRINGER
DE LA MISSION DE SIERRA-LEONE
décédé à Mobé, le 24 juin 1909
Not. Biog. IV p.129-133


François-Joseph Diringer connu plus tard sous le nom de Frère Vincent - dut s'y prendre à deux fois pour arriver à se fixer dans l'Institut. Il mourut le 24 juin 1909, juste trois mois après avoir prononcé les voeux perpétuels qui seuls établissent un homme dans la perfection de l'état religieux. S'il parvint tard à ce but tant désiré, ce n'est pas faute d'attachement à la Congrégation, ce n'est pas non plus manque de constance, c'est parce qu'il commença par se fourvoyer dans la recherche de sa voie. En effet, au lieu de se rendre immédiatement au Noviciat des Frères, la véritable voie pour lui, il perdit beaucoup de temps dans les étapes judicieusement sériées du petit et même du grand Scolasticat. Cette erreur, le jeune Diringer eut de la peine à la comprendre.. lorsque, le jour de la tonsure arrivé, ses directeurs ne crurent pas devoir l'appeler. Deux ans durant, il demeura encore hésitant, se demandant toujours si vraiment il ne pouvait plus prétendre entrer dans la cléricature.

François-Joseph Diringer était né le 13 avril 1874, à Walbach (Haute­Alsace). Son cousin, le P. Ott, le fit d'abord accepter comme élève de cinquième en notre collège d'Épinal

L'année suivante, 19 octobre 1890, le jeune homme passa comme postulant au Petit Scolasticat de Cellule. Dans l'établissement, il fit régulièrement toutes ses classes. On le jugeait bon travailleur, mais de capacités médiocres. Cependant, à Chevilly, il fut encore admis à suivre les cours de Philosophie et de première année de Théologie. C'est alors qu'on l'arrêta. Outre le manque de moyens, ou plutôt de méthode pour tirer bon parti de ses moyens, les directeurs trouvaient en lui un esprit d'indécision qui le rendait pusillanime et incapable par lui-même de sortir des moindres embarras.

Sujet allemand et n'étant plus élève ecclésiastique, il devait subir la loi militaire. Il s'engagea donc, fit ses deux ans de service tout uniment; puis, toujours par la médiation du P. Ott, demanda s'il pouvait revenir. On lui fit comprendre qu'il ne serait réadmis que comme aspirant Frère, et il se soumit très humblement à cette décision des Supérieurs. En conséquence, s'étant rendu à Chevilly dès les premiers jours de l'année 1900, il fut autorisé la renouveler le 6 janvier l'oblation qu'il avait déjà faite à Cellule en 1891 ; et il prit le nom de F. Vincent-Ferrier.

Pendant ses années de probation, le F. Vincent fut à peu près constamment employé à la dépense et au réfectoire. Il s'y montra fort dévoué, accomplissant sa fonction avec beaucoup d'esprit de foi, sans raire acception des personnes, accueillant tout le monde d'un air affable et toujours souriant. Son empressement ne devançait pas les désirs, mais, calme et modeste, le bon novice se tenait à la disposition des confrères, servant chacun avec complaisance et simplicité. Il ne s'impatientait pas des contretemps, ni ne se plaignait des moments de surcharge ; même alors, il vaquait fidèlement à tous ses exercices religieux.

Cependant, son année canonique de noviciat était révolue, et suivant l'usage ancien, le F. Vincent attendait paisiblement l'échéance du 19 mars pour émettre ses premiers voeux, quand, de Miserghin, le P. Libermann fit savoir qu'il avait besoin d'un réfectorier. Le F. Vincent était l'homme tout désigné pour l'emploi. Il se rendit au poste le 10 février 1901, et il y resta jusqu'à la suppression de la Communauté en 1904, toujours diligent, toujours généreux, et devenant de plus en plus expert dans l'art de servir. A la date attendue, il avait fait sa profession. Jusqu'à son départ pour les Missions, il n'y eut pas d'autre événement notable, sinon le voyage qu'il fit en France, en septembre 1901, pour accompagner le P. Libermann, malade et paralysé.

Dans l'île de Sherbro (Vicariat apostolique de Sierra-Leone), nos missionnaires occupent deux postes, Bonthe et Mobé, celui-ci de fondation plus récente (1902). C'est là, qu'à partir de 1904, le F. Vincent a dépensé son zèle et ses forces pour le salut des âmes, s'employant suivant les besoins, tantôt dans l'une, tantôt dans l'autre de ces stations. Celle de Mobé surtout lui fut chère : il lui avait voué tout son coeur, précisément parce que là il pouvait plus facilement faire oeuvre de missionnaire. Toutefois il est à dire, et bien haut, qu'au moindre signe de ses supérieurs, le F. Vincent faisait abnégation de ses préférences et portait son activité là où l'appelaient leurs désirs. On l'employait à tout faire, et en dépit des fâcheux pronostics qu'auraient pu prononcer ceux qui jadis l'avaient jugé, tranquillement, doucement, modestement, il venait àbout des tâches entreprises. D'humeur franche et gaie, simple et bon homme, bienveillant et affable, joignant à ces qualités beaucoup de vertu et de piété, il faisait sur les gens du dehors une excellente impression ; et tel de ses Supérieurs, interrogé sur quelques bon avis à lui donner, n'en trouve pas de plus opportun que celui-ci : « continuer... »

Jamais, après le dur labeur de la semaine, le F. Vincent ne se serait accordé, le dimanche, un repos pourtant très légitime. Ce jour-là, à moins d'impossibilité, il s'en allait l'après-midi dans l'un ou l'autre village de l'intérieur, et des plus difficile à atteindre ; il y réunissait tout le monde, présidait la prière, et faisait le catéchisme. Et même aux autres jours, par n'importe quel temps, il était toujours prêt à parcourir de grandes distances, pour se rendre, à la place de son Supérieur infirme, auprès des malades et des mourants : il eut ainsi la consolation d'instruire ou de baptiser bon nombre de personnes (lui autrement ne l'auraient jamais été. En ce temps là, les villages, trop éloignés de Mobé, ne connaissaient pas d'autre missionnaire que le F. Vincent.

Du reste, quand le Père était dans les alentours occupé à mon ministère, le F. Vincent, ainsi retenu à la maison, ne se lassait pas de lui venir en aide par la prière. Voici un fait : Un jour, le grand chef de l'autre côté de la rivière envoya un exprès à la Mission , son propre frère, faisait-il dire, était dangereusement malade ; ne pourrait-on pas venir le voir ? Immédiatement, le Père se rend sur les lieux, emportant l'eau baptismale, te remède le plus utile pour un païen qui va trépasser. Pourtant, il n'est pas sans appréhension : en voudra-t-on? se demanda-t-il, car, par le fait des pratiques superstitieuses du pays, les préjugés contre le baptême sont bien difficiles à. extirper. Arrivé au village, le Père entreprend son malade, l'instruit et lui fait comprendre qu'il n'y a plus pour lui qu'un seul moyen d'éviter les rigueurs de la divine justice, à savoir la réception du sacrement qui nous fait chrétiens. A grand' peine le moribond et son frère consentent à la proposition. Mais, voici que du sein de la roule assemblée autour de la case s'élèvent de violents murmures, qui bientôt éclatent en protestation générale : « Nous ne voulons pas du baptême. » Il fallait capituler. « Rien à faire pour le moment, se dit le Père, mais je reviendrai. » Et déjà, il se dispose à partir. Tout à coup un inconnu se met à haranguer l'assistance, si bien qu'en un instant, l'opposition tombe et fait place au bon vouloir.

Après avoir répandu l'eau sainte sur le front de l'heureux converti, le Père, tout pensif, rentrait à Mobé, admirant dans son coeur cet étonnant mystère de grâce. « Eh bien ! lui dit le F. Vincent, que s'est-il passé ? » Je suis parvenu à baptiser le brave homme », répondit le Père. - « C'est ce que j'espérais, reprit le Frère, car depuis votre départ je n'ai pu faire autre chose que prier la Sainte Vierge et dire le chapelet pour lui. » Ainsi, c'était à sa prière qu'était dû sans doute l'heureux changement opéré dans les sentiments de la foule.

Quelque temps après l'arrivée d'un second Père à Mobé, le F. Vincent fut réclamé à Bontbe pour les travaux préparatoires à la construction de la nouvelle église. Puis, il revient à Mobé afin d'aider à l'achèvement d'une maison pour les enfants. C'est là qu'il plut à Dieu de le choisir comme première victime de la mission nouvelle, cette mission à laquelle il s'était si généreusement donné. Le matin du 21 juin, le cher Frère s'était mis à la tâche comme d'habitude. A midi, il avait encore mangé de bon appétit. Mais le soir il se sentit fatigué, mal à J'aise, fiévreux. On n'eut pas de peine à reconnaître les symptômes d'une bilieuse hématurique et, ce même jour, le malade fut descendu à Bonthe. Aux enfants qui l'entouraient affectueusement au moment du départ : « N'auriez-vous pas peur de mourir ? Moi, je n'ai pas peur », disait-il avec simplicité ; « il suffit d'être prêt ; il faut toujours être prêt ». Quelques jours auparavant, alors qu'il était en parfaite santé, il avait tenu le même langage à un bon vieux noir de ses amis qui lui manifestait des craintes au sujet de l'au-delà.

A Bonthe, tous les soins possibles lui furent prodigués ; rien n'y fit, la fièvre ne voulut pas déloger, et le fatal dénouement se précipita, Réconforté par les secours de la Religion, le bon religieux, le zélé missionnaire, rendit son âme à Dieu le jeudi 24 juin, vers 3 heures. Il est mort comme il avait vécu, tout doucement, et le sourire aux lèvres.

P. THIERRY.

Page précédente