M. JEAN-MARIE DUFLOS
Cinquiéme Supérieur de la Congrégation et du Séminaire du St-Esprit.
(16 novembre 1788 - 18 août 1792- 28 février 1806)

1. - Naissance. Entrée au Séminaire du St-Esprit.

Élection. Administration.

M. Jean-Marie Duflos appartenait à une honorable famille de l'Artois, qui devait fournir à la Congrégation trois de ses supérieurs : lui-même, M. Bertout, et M.Fourdinier.

Il naquit le 10 juillet au hameau de Le Turne, paroisse de Frencq, Artois, diocèse de Boulogne. Le Turne est situé entre Frencq, Balinghem, Hubersent et Widehem. Aujourd'hui, Frencq est un doyenné et l'une des communes du canton d'Étaples, arrondissement de Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Ca­lais), diocèse d'Arras.

Il avait trois frères et deux soeurs : Louis-François ; Jacques, prêtre, bachelier en théologie; et un troisième, désigné sous le nom de Duflos du Sablon, avocat au Parlement de Paris. Ses deux sœurs étaient Louise-Thérèse-Yves, épouse de M. Jacques Saulnier, avocat au Parlement de Paris, et Benoîte, mère de M. Bertout. Nous n'avons point de renseignements sur la Jeunesse de M. J.-M. Duflos, ni sur ses études littéraires; mais tout porte à croire que son éducation a été soignée et surtout chrétienne. M. Jacques Duflos, son aîné, entra au Séminaire du St-Esprit le ler octobre 1732, par conséquent à l'époque où M. Bouic construisait la grande maison de l'Impasse : il était déjà tonsuré. Il fut admis au nombre des associés le 30 mai 1740, et chargé de l'un des cours du Séminaire. Nommé consulteur le 28 mai 1748, et procureur, il devint, le 6 février 1763, second assistant de M. Becquet. Après une carrière dignement remplie, M. Jacques Duflos décéda au Séminaire, le 26 août 1771.

M. Jean-Marie Duflos entra à son tour au Séminaire de la rue des Postes, le 10 octobre 1742, à l'âge de 16 ans et 3 mois, pour y commencer ses cours de philosophie. Comme son frère, il se sentit appelé à servir l'Église en qualité de membre de la Congrégation du St-Esprit et fut, à partir du 2 juillet 1748, considéré comme aspirant, puis reçu membre de la petite Société le 4 juillet l750 [1]. On a religieusement conservé au Séminaire le souvenir de sa charité envers les Séminaristes et de son empressement à venir en aide aux plus pauvres d'entre eux.

Il y avait alors, parmi les élèves du Séminaire du St-Esprit, l'abbé François Pottier, du diocèse de Tours, qui y passa près de cinq ans (septembre 1748 - mai 1753), et s'y fit remarquer par son bon esprit et ses grandes qualités. Comme il avait un attrait tout particulier pour les Missions d'Extrême-Orient, il entra, en mai 1753, au Séminaire des Missions Étrangères et partit, le 31 décembre suivant, pour Macao, puis pour le Su­Tchuen (Chine occidentale), sa destination. Nommé, le 24 janvier 1767, par Clément XIII, Vicaire apostolique de cette Mission et évêque titulaire d'Agathopolis, le saint et vénérable confesseur de la foi n'oublia pas le Séminaire du St-Esprit, et il correspondait avec ses anciens directeurs à peu près tous les ans. Il ne cessa, dit son biographe[2], de témoigner jusqu'à la fin sa reconnaissance des bons soins dont il fut l'objet, ainsi que le prouve la lettre suivante, écrite le 16 octobre 17U? à M. Becquet : « Depuis mon départ du Séminaire en 1763, je n'ai reçu d'autre lettre de vous que celle qui m'annonça, il y a quelques années, la mort de notre ancien et vénérable Supérieur, M. Bouic : cela ne m'a pas empêché que je ne vous aie écrit presque tous les ans. La reconnaissance me dicte ce devoir, et la mort seule sera la cause qui pourra m'empêcher de le remplir; car, à Dieu ne plaise que j'oublie jamais les biens inestimables que j'ai reçus au Séminaire. Cette sainte Maison m'est toujours présente tant dans mes prières qu'au saint Sacrifice de la Messe. C'est tout ce que me permet de faire l'état où Dieu m'a appelé. »

Dans une autre lettre du 20 octobre 1782, Mgr Pottier entretient M. Becquet des fruits abondants de son apostolat et de celui de ses collaborateurs, mais aussi des terribles persécutions qu'ils eurent à essuyer. Il présente ses respects à. M. Duflos, son ancien professeur de morale, dont il garde bon souvenir.

Comme auprès des Séminaristes, M. J.-M. Duflos était en grande considération auprès de ses confrères. Le 18 juillet 1781, il fut nommé assistant ; puis, après le décès de M. Becquet, (27 octobre 1788), il fut élu Supérieur général le 6 no­vembre suivant. Les électeurs étaient MM. Pierre-Thomas Rupalet, supérieur du Séminaire de Meaux, J.-M. Duflos, Claude Gondré, Charles-Martin Pichon, procureur, Jacques-Magdeleine Bertout et Michel-Louis Fréchon : Mgr de Juigné, archevêque de Paris, confirma celte élection. Ce n'était pas seulement la confiance de ses confrères que lui conciliaient ses remarquables qualités, mais il sut encore mériter l'estime et la bienveillance de l'Archevêque et de beaucoup de personnes des plus recommandables. Il était confesseur des Carmélites de la rue de Grenelle, où résidait la Soeur Thaïs de la Miséricorde, comtesse de Rupelmonde, bienfaitrice insigne de l'OEuvre de M. des Places. Il avait aussi sous sa direction des personnes des hauts rangs de la société, entre autres Mme la comtesse de Villefort, autre bienfaitrice du Séminaire et riche propriétaire de l'ile de St-Domingue. Cette noble dame avait demandé et obtenu, deux prêtres provenant du St-Esprit, pour instruire et procurer les secours de la religion à plusieurs centaines d'esclaves, employés à la culture et à l'exploitation des vastes domaines qu'elle possédait dans cette colonie.

A l'intérieur de la maison, il était affable et plein de charité, tendre et compatissant, surtout envers les séminaristes. Il étudiait, pour ainsi dire, leurs besoins et veillait avec la plus grande attention à leurs intérêts tant spirituels que temporels. Tous les dimanches, il leur faisait une instruction pour les affermir dans l'esprit chrétien et sacerdotal.

Il eut aussi de bonne heure ses épreuves ; il était sujet à la goutte. Cette cruelle maladie commença à exercer sa patience lorsqu'il avait à peine 20 ans. Il l'avait contractée en travaillant, avec d'autres séminaristes, à creuser une pièce d'eau dans le jardin de la maison de campagne de Gentilly, traversée par la Bièvre. Les accès se renouvelaient presque tous les ans, surtout quand il eut atteint un âge avancé. Ils duraient quelquefois jusqu'à six semaines ou même deux mois; pendant ce temps, il restait cloué sur son fauteuil...

Tel était le prêtre, le Supérieur appelé à diriger le Séminaire et la Congrégation à l'époque de la Révolution, qui fut pour lui, comme pour tant d'autres, une cause de douleurs, d'anxiétés et de désastres.

Un des premiers soins du nouveau Supérieur fut de chercher les moyens de se libérer des charges qui pesaient encore sur la maison. Le Séminaire n'avait pu payer entièrement les dettes occasionnées par la construction de la chapelle, du pavillon de l'horloge et du grand bâtiment qui longe la rue des Postes. M. Duflos, dépourvu des ressources nécessaires, adressa un mémoire an roi Louis XVI et une supplique à Mgr de Juigné.

Ces démarches eurent un bon résultat. Il restait à trouver 18,4923 livres. Dans la première moitié de l'année 1789, par ordre royal, M. Gambar régisseur des biens des Célestins, dont les maisons avaient été supprimées à Paris et à Marcoussis, versa cette somme entre les mains de M. Pichon, procureur du Séminaire du St-Esprit, pour l'entière liquidation de ses dettes. Peu après, les événements se précipitaient : c'était la Révolution !

II. - Suppression légale de la Congrégation et du Séminaire du St-Esprit (18 aoùt 1792).

L'ouverture des États généraux se fit le 5 mai 1789.
Bientôt, l'esprit révolutionnaire s'y manifesta et ne fit plus que s'étendre. Après avoir proclamé, le 9 septembre 1789, la liberté de la presse et la « liberté de la conscience », puis, les 4 et 5 octobre, la « déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen », l'assemblée Nationale décréta, le 9 novembre, « que tous les biens ecclésiastiques étaient à la disposition de la Nation ». Le 13 du même mois, elle vote un décret exigeant « une déclaration détaillée de tous les biens mobiliers et immobiliers... ainsi que de leurs revenus et... un état détaillé des charges dont les dits biens peuvent être grevés, etc. ». Le lendemain 14, un autre décret les obligeait à présenter un état de leurs bibliothèques.

M. Duflos ne put se soustraire à ces exigences. Le 25 février 1790, il fit la déclaration demandée et l'accompagna d'un précis historique de l’oeuvre du St-Esprit. Le bon et zélé Supérieur multiplie les démarches et fait alors tout ce qui dépend de lui pour sauver du naufrage sa chère maison et son Institut. Le 25 mars 1790, il adresse aux membres de l'Assemblée Nationale une supplique imprimée, pour lui faire comprendre les services rendus et à rendre par le Séminaire du St-Esprit, en France et dans les Colonies.

Adresse à Nosseigneurs de l'Assemblée Nationale,
de la part des Supérieurs et Directeurs du Séminaire du St-Esprit,
rue des Postes.

« Le Séminaire du St-Esprit est un établissement également utile à l'Église et à la Patrie. Son objet primitif était d'élever gratuitement de jeunes ecclésiastiques sans fortune et de les rendre propres à remplir les emplois les plus pénibles et les plus délaissés.

« Les fruits que ce Séminaire, unique en son genre, a produits dans les différents diocèses dont il a élevé les sujets, ont déterminé le Gouvernement à le charger de fournir aussi des missionnaires pour les colonies.

« Sans abandonner le premier objet de sa destination, les Supérieurs se sont prêtés aux vues du ministre : c'était une satisfaction pour eux de pouvoir rendre un double service à la Patrie.

« Du reste, le Séminaire ne coûte presque rien à l'Etat. La vie frugale, on peut même dire la vie pauvre qu'on y mène, la sage économie avec laquelle ses modiques revenus sont administrés, l'ont fait subsister d'une manière qui tient du prodige. Ses ressources sont la charité de plusieurs personnes pieuses, quelques libéralités du clergé, une pension très modique du roi, et des secours plus étendus dans des circonstances qui ont nécessité des dépenses extraordinaires : ce sont les bâtiments qu'il a fallu construire, lorsqu'on a été obligé d'accroître la maison pour la mettre en état de remplir les vues qu'on avait sur elle. Mais le revenu ordinaire donnait à peine de quoi fournir au strict nécessaire de quatre-vingts personnes qui y sont actuellement. Les séminaristes n'y sont rien qu'à titre de pauvreté, et celui qui serait en état de payer ailleurs plus de cent livres de pension n'y serait pas admis : c'est le prix fixé pour les pensions, et, toute modique que soit cette somme, plusieurs sont hors d'état de la payer, et on ne l'exige pas.

« Les motifs qui font espérer aux Supérieurs et Directeurs de ce Séminaire qu'il sera conservé sont faciles à saisir :

« 1° C'est le seul établissement de ce genre qui existe dans le royaume ;

« 2° Il procure l'éducation de bons sujets que la fortune a disgraciés, il les rend propres là servir utilement l'État et la Religion ;

« 3° On y élève des missionnaires, qui, accoutumés à une vie dure, n'en seront que plus en état d'affronter les dangers et de changer de climat. Ces missionnaires s'appliqueront singulièrement à attacher à la Nation les différents peuples confiés à leur sollicitude, en leur inspirant les sentiments d'une religion pure et d'une saine morale ;

« 4° Enfin, cet établissement ne coûte presque rien à l'État.

« D'après ces motifs, dont Nosseigneurs de l'assemblée Nationale sentiront toute l'importance, et qu'il est inutile de développer ici, les Supérieurs et Directeurs du Séminaire du St­Esprit osent se flatter que, quelque projet que l'assemblée puisse adopter relativement aux Séminaires en général, elle daignera considérer que celui-ci a une destination spéciale, et qu'il rend à l'Église et à J'État des services particuliers, qui semblent réclamer puissamment en faveur de sa conservation.

« On finira par une dernière observation : c'est que les pensions qu'il faudrait assurer aux ecclésiastiques qui composent cet établissement coûteraient plus que l'établissement lui-même, et qu'il n'est aucun moyen de rendre plus économique le régime des missionnaires. Il n'entre dans tout ce qui vient d'être dit aucun motif d'intérêt personnel. Cette réclamation n'est dictée que par l'amour du bien publie et par le zèle le plus pur pour la Religion et pour l'État. Les Supérieurs et Directeurs s'oublient eux-mêmes dans ce moment, car tout changement d'état, quel qu'il fût, ne pourrait qu'améliorer leur sort temporel. Jamais ils ne pourront trouver ailleurs une vie plus pénible, plus laborieuse, plus frugale et plus dure. Ce n'est donc pas pour eux qu'ils sollicitent la conservation de leur maison. Des vues plus nobles et, plus patriotiques les dirigent. Ils n'ont d'autre désir que de continuer à se rendre utiles, en se dévouant aux plus durs travaux, sans aucun espoir de récompense. La seule dont ils soient jaloux, et qui leur suffira toujours, est la satisfaction de faire le bien. »

A cette supplique était jointe une recommandation très bienveillante de la part de M. Lescallier, commissaire général des Colonies et ancien ordonnateur de la Guyane française. On la lira avec intérêt.

Certificat concernant le Séminaire du St-Esprit, qui fournit des Missionnaires à la Guyane.

« Je soussigné, Commissaire Général des Colonies, ci-devant Ordonnateur de la Guyane, certifie que les Missionnaires qui desservent dans cette colonie les paroisses et les Missions aux Indiens rendent des services essentiels à la religion et aux bonnes moeurs, et sont singulièrement utiles à l'avancement de cette colonie. Ils prêchent constamment et avec succès aux maîtres et géreurs d'habitation l'humanité et la douceur envers les nègres, sentiment dont ils donnent eux-mêmes l'exemple. Ils offrent des consolations aux esclaves, leur inspirent la bonne conduite et la soumission. Les soins zélés qu'ils rendent sont peut-être les meilleurs moyens d'entretenir la tranquillité et la sûreté ainsi que le bon ordre dans cette colonie, dont le local étendu offre beaucoup de bien à faire et beaucoup de difficultés pour y parvenir. Des faits connus du ministère confirment cette assertion : quelques-uns de ces missionnaires, par des voyages très pénibles dans des pays marécageux et des forêts presque impénétrables, à de grandes distances et à travers les plus grands dangers, ont été chercher à diverses fois et ont ramené à Cayenne plus de 100 nègres fugitifs, qui sont ainsi, par leur entremise, rentrés avec ordre et soumission chez leurs maîtres respectifs. La difficulté des lieux rendait les expéditions à vive force contre ces malheureux presque impraticables, où elles n'avaient d'autres effets que de coûter la vie à quelques-uns d'entre eux, d'effaroucher davantage les autres et d'éloigner ainsi l'espoir de les revoir. Un de ces missionnaires a eu pour récompense de ses travaux une pension de 600 livres.

« Le Séminaire du St-Esprit, où se trouve une pépinière de ces missionnaires, en entretient constamment le nombre de vingt dans la Guyane ; le bon esprit qui règne dans cette institution, leur vie simple, austère et frugale, sont la principale cause de l'excellente conduite de ces missionnaires, dont l'administration en général est très satisfaite et dont plusieurs ont un mérite distingué ; le genre d'éducation qu'ils reçoivent parait les rendre particulièrement propres aux travaux et aux fatigues qu'ils sont obligés de supporter dans cette colonie.

« Ces considérations font désirer la conservation de cet établissement qui fournit des sujets si précieux et si utiles au bien de l'administration. Il se prépare dans la Guyane, par ordre du ministère, pour doter cette Mission, une habitation qui, étant mise en valeur, pourra un jour suffire à tous les frais de cette Mission et en soulager l'état. Outre cet avantage, on y trouvera celui de fournir à la colonie un exemple de plus des moyens de concilier la nécessité d'employer des nègres à la culture des terres avec tous les principes de l'humanité.

« En rendant aux missionnaires du St-Esprit le juste témoignage que je leur dois, je représente que l'administration trouve en eux un de ses plus grands moyens de parvenir au bien-être et à la prospérité de ce grand pays, dont la position géographique, les ressources et les circonstances particulières diffèrent essentiellement de nos autres colonies, et exigent d'autres vues et d'autres moyens. J'ajouterai que si cette colonie, mal jugée jusqu'à présent, est un jour dirigée selon les vrais principes, ils y pourront germer mieux qu'ailleurs, et elle pourra servir d'exemple aux autres ; et, sous ce point de vue essentiel, les missionnaires de la Guyane et le Séminaire du St-Esprit ou ils reçoivent leur éducation sont dignes de la protection du Gouvernement. »
« Signé : LESCALLIER. »
à Paris le 25 mars 1790

Rien n’y fit.
Le 12 juillet 1790 fut voté le décret de la Constitution civile du clergé. Par l'article 2, les évêques, et par l'article 38 les curés étaient astreints à prêter serment à cette Constitution. Le décret du 27 novembre 1790 étendait celte obligation odieuse aux supérieurs et directeurs de séminaires. Le 3 septembre 1791, l'Assemblée constituante vota la Constitution dite de l'an 1791, dont faisait partie intégrante la Constitution civile du Clergé et la Déclaration des Droits de l'Homme.

Comme on le pense bien, ni M. Duflos, ni les directeurs du Séminaire ne prêtèrent le « serment civique, condamné par Pie VI, et dénoncé par lui comme schismatique et entaché d'hérésie (Brefs du 10 mars et du 13 avril 1791) Aussi, pour avoir refusé de prêter le serment et de le faire prêter aux jeunes prêtres avant leur envoi dans les Colonies, M. Duflos se vit supprimer l'allocation de 10 000 livres que lui faisait le ministère de la Marine depuis 1777.

Tout allait être consommé. Par son décret du 18 août 1792, l'Assemblée législative supprima les Congrégations, et nommément celle du St-Esprit. Pour en faire disparaître toute trace, elle prohibait en même temps les costumes religieux et ecclésiastiques et mettait la main sur leurs biens. Le lendemain 19, le Séminaire fut envahi par des bandes armées.

« A cette époque, lit-on dans une note laissée par l'un des Directeurs, la sensibilité d'âme de M. Dufflos eut à subir une cruelle épreuve. Il restait avec lui au Séminaire : M. Rupalet, Supérieur du Séminaire de Meaux, M. Boudot, l'un des directeurs de ce Séminaire, et MM. Gondré, Pichon, Bourgin, directeurs du Séminaire de Paris, ainsi que 15 séminaristes, prêtres, diacres, sous-diacres et quelques minorés. Le dimanche 19 août (1792), entre 6 et 7 heures du soir, plusieurs milliers de « sans­-culottes », armés de piques, débouchèrent du faubourg St­Marceau par la rue de l’Arbalète et la rue des Postes, tambour battant et précédés d'une pièce de canon. Arrivés devant la porte du Séminaire, ils braquèrent leur canon, y mirent des gardes et poursuivirent leur marche jusqu'à la rue du Cheval Vert, où ils entrèrent au Séminaire des Irlandais. Ils n'y trou­vèrent que les domestiques. Les directeurs et les élèves s'étaienl retirés à la campagne. Leurs perquisitions terminées, ils entrèrent chez les Eudistes, maison n° 20 (rue des Postes), qui appartenait alors à ces religieux. Ils y arrêtèrent 32 de ces Messieurs qui s'y trouvaient, entre autres le P. Hébert (Supérieur général) confesseur de Louis XVI. Les autres étaient les Supérieurs et Directeurs des Séminaires de Bretagne et de Normandie. Tous ces prêtres furent conduits aux Carmes, où ils périrent dans la nuit du 2 au 3 septembre.

Entre 10 et 11 heures du soir, les sans-culottes passèrent au Séminaire du St-Esprit en escaladant le mur qui sépare les deux jardins. En abordant celui qui alla au-devant d'eux, ils lui dirent qu'ils venaient chercher des armes et s'assurer s'il n'y en avait pas de cachées. Ils demandèrent d'abord à visiter la cave : le domestique les y conduisit, et ils y burent à discrétion. Comme ils n'avaient pas de tire-bouchons, ils cassaient le goulot des bouteilles pour aller plus vite en besogne. Pendant que les uns étaient allés boire, d'autres se mirent à fouiller une vieille maison située sur l'Impasse des Vignes, à quelque distance des grands bâtiments. Cette maison, qui servait alors de magasin, était pleine de paille, et les séminaristes y avaient caché des brochures du temps. L'un des perquisitionneurs, en remuant la paille avec sa pique, amena accrochée à la pointe de son arme, une de ces brochures. Heureusement, il ne savait pas lire. Un homme de bien, qui était près de lui - car, parmi les brigands, il en était venu pour empêcher le mal autant qu'il dépendait d'eux - prit la brochure et la remit au séminariste présent à cette perquisition, en lui disant : « Je vous remets le livre que vous avez laissé tomber. »

La visite dura environ trois quarts d'heure. En s'en allant, ils ne franchirent plus les murs - et pour cause ! - Ils sortirent par la porte. Il était alors environ 11 heures de la nuit.

Pendant cette espèce d'agonie que l'on eut à endurer de 7 à 11 heures, plein d'angoisses et d'anxiétés à la pensée des maux qui le menaçaient, M. Duflos était en prière et exhortait tout le monde à la résignation. Chacun se croyait arrivé à sa dernière heure ; on s'embrassait les uns les autres comme ne devant plus se revoir que dans l'éternité. Le danger passé, des sentiments de joie succédèrent aux alarmes!

II était heureux pour la maison de n'avoir pas été notée et recommandée par les chefs aux exécuteurs de leur fureur. Mais le bonheur d'avoir échappé au danger fut de courte durée. La nouvelle des massacres de septembre vint bientôt jeter les habitants du Séminaire dans la plus grande consternation. La plupart des amis de la maison furent au nombre des victimes : les Eudistes, les PP. Le Gay, Véron, Second, Jésuites, et bien d'autres...

Le 3 septembre 1792, après la messe, M. Duflos, craignant pour les séminaristes, leur fit quitter l'habit ecclésiastique et procura des vêtements laïques à ceux d'entre eux qui n'avaient pas les moyens d'en acheter. Il conseilla à ceux qui pouvaient en avoir la facilité, de trouver des retraites dans Paris, jusqu'à ce que le danger fût passé...

« Ce n'est que le 13 septembre l792 que les barrières furent ouvertes, mais dès lors tout le monde put quitter la capitale sans passeports. On profita de cette circonstance pour éloigner du Séminaire une partie du personnel qui y était resté jusque-là. Il n'y eut plus alors dans la maison que MM. Duflos, Rupalet, Pichon et Boudot, directeurs, et MM. Guérin, Leinne et un jeune homme de Meaux, séminaristes. »

Quelques-uns des directeurs, avec M. Guérin, qui était déjà prêtre, au péril de leur vie, rendirent de grands services à Paris et dans la banlieue en visitant les malades et en administrant les sacrements. M. Boudot surtout se fit remarquer par son zèle et sa piété pendant ces temps lamentables. Il se rendit très utile aux religieuses cachées dans le voisinage et à d'autres personnes pieuses. Lorsque l'on put rouvrir la chapelle, ces Sœurs aidèrent à la nettoyer, à l'orner; elles venaient y assister au saint sacrifice et recevoir les sacrements. Aussi M. Boudof était-il en haute considération dans le diocèse. En 1820, le cardinal de Talleyrand-Périgord, archevêque de Paris, le nomma chanoine titulaire. Mgr de Quélen qui, en 1821, remplaça le Cardinal, conféra à M. Boudot le titre de Vicaire général et le choisit pour son confesseur. Ce digne prêtre mourut à Paris le 24 décembre 1838.

III. - Confiscation des biens de la Congrégation et du Séminaire du St-Esprit [3](1).

La Révolution ne se contenta pas de supprimer les Congrégations et les Séminaires, elle s'en prit encore à leurs biens, tant meubles qu'immeubles. Le décret du 18 août 1792 prescrivit la vente de leurs maisons et autres propriétés. D'après l'article 1er , ces biens devaient être administrés, à partir de ce jour, par une Commission dite des domaines nationaux, et les immeubles vendus. L'article 19 portait que les membres des Congrégations avaient à évacuer leurs maisons le 1er octobre suivant.

M.Duflos, n'ayant pu, malgré tous ses efforts, soustraire la Congrégation au naufrage général, essaya du moins de sauver la maison dont la construction avait coûté tant de peines. Il était persuadé que l'état de choses où la France était réduite par la Révolution ne pouvait durer, et que la conservation de la maison lui faciliterait le moyen de relever l’œuvre de ses ruines. C'est pourquoi, avec le concours des confrères restés près de lui, il dressa un nouveau mémoire. Ce document débute par l'historique de l’œuvre du St-Esprit il en l'ait connaître le fondateur, le but et les travaux ; mais il s'attache surtout à montrer que la maison du St-Esprit est essentiellement une oeuvre de charité et de sacrifice : charité de la part des âmes pieuses, qui contribuaient par leurs aumônes à son entretien ; sacrifice de la part des associés, qui se dévouaient pour donner à la foi et à la civilisation des apôtres bien formés et pleins de générosité. Voici un extrait de ce mémoire :

« La Nation a paru contente de cet établissement, et elle en a recueilli les fruits ; mais, à l'époque présente, elle ne juge plus à propos de conserver cette maison qu'elle assimile aux autres qui sont chargées de l'éducation publique ; elle ordonne que ceux qui l'ont édifiée avec tant de peines et de fatigues la quittent au moment même où les constructions sont à peine achevées; ... la Nation n'a contribué en aucune façon à la dépense que la construction et l'installation de ces bâtiments ont occasionnée. Ce qui y a pourvu, ce sont les aumônes humblement demandées par les directeurs de cette Communauté, charitablement à eux accordées, sans conditions et sans charges, abandonnées à leur discrétion, mises entre leurs mains pour les aider à payer les dettes où les mettait cette laborieuse entreprise, souvent longtemps après l'échéance des obligations, et ce qu'il ne faut pas passer sous silence, souvent, pour avoir des fonds, on était exposé à essuyer les froideurs, les délais, les plaintes et les reproches... »

« Si la Société lui a donné, elle lui a donné peu ; et elle ne lui a donné que sous forme d'aumône, sans pacte, sans obligation quelconque... »

« Leur unique objet fut toujours d'aider une Communauté pauvre, qui s'employait à élever des enfants pauvres, ayant l'intention de se consacrer au service spécial des pauvres. Les fidèles charitables, en fournissant aux directeurs les fonds dont ils avaient besoin pour bâtir, meubler, entretenir leur maison, n'ont eu et n'ont pu avoir d'autre intention que celle de leur offrir à eux personnellement ce qui était nécessaire à l'accomplissement de leur dessein...

« Les bâtiments qui constituent le local du Séminaire, y compris ceux de leur maison de campagne et quelques autres acquets, appartiennent à la Communauté des directeurs de ce Séminaire exclusivement à toute autre personne... Il est donc évident que, si la Nation s'adjuge ces bâtiments, elle ne peut le faire qu'en indemnisant les directeurs. A bien des titres, ces immeubles sont leur propriété : ils les ont acquis par leurs travaux, même, en bien des occasions, par leurs travaux ma­nuels ; ils les ont payés en partie de leurs deniers personnels, lorsque, dans les moments critiques, les entrepreneurs réclamaient leurs créances, ou bien au moyen des aumônes qu'ils ont reçues, sans qu'il soit intervenu ni convention, ni pacte ; sans qu'aucune charge ne fût imposée. Ils se trouvent donc absolument dans le cas d'un homme qui, voulant former un établissement, reçoit de la libéralité de ses amis les fonds nécessaires à cet effet, acquiert, bâtit selon qu'il le juge conve­nable à ses projets ; mais acquiert et bâtit pour lui tout seul., ne devant à ses amis que de la reconnaissance, et à la Nation au milieu de laquelle il se trouve, que de l'attachement et de la fidélité, dispositions qui ne peuvent lui donner aucun droit de le déposséder de sa propriété.

« Du moins, une telle expropriation ne pourrait-elle se faire sans une indemnité proportionnée à la valeur de l'immeuble; et j’ajoute proportionnée, autant que possible, aux peines qu'il a prises pour former et soutenir cet établissement, surtout si ces peines ont été extrêmes ; et si, à ce prix, il n'a acheté que le plaisir de se rendre utile à la société...

« Qu'il nous soit donc permis de le dire, telle est la situation fâcheuse et difficile, accablante même, des directeurs du Séminaire du St-Esprit; puisque, au moment où ils commencent à en jouir, non pour eux, mais pour la Religion et pour l'Etat, ils se voient contraints d'abandonner une demeure qui leur a coûté tant de soins, de travaux, d'inquiétudes; à plusieurs d'entre eux même le sacrifice de leur nécessaire; à tous des gênes et des incommodités notables ; une maison chère à leurs cœurs, puisque seuls ils en ont été les créateurs. On peut dire qu'ils l'ont créée dans les douleurs et les afflictions : c'est ce que semblent attester les pierres elles-mêmes qui composent les murs de ces édifices. Si ces plaintes ne trouvent pins d'écho, leur devise sera désormais le cri du poète :

« Nos patriae fines et dulcia linquimus area,
ou plutôt ces gémissements du Prophète : « Vox in Rama audita est, ploratus et ululatus multus : Rachel plorans filios suos et noluit consolari !

IV. - Le Séminaire vendu.
Dispersion de la Communauté. Mort de M. Duflos.


Quelque justes et touchantes que fussent ces représentations, elles ne rencontrèrent que des cœurs insensibles, emportés par le tourbillon de la Révolution et par les nécessités de la guerre.

Toutefois l'aliénation de l'immeuble de la rue des Postes ne s'effectua pas immédiatement. Il n'était pas toujours facile, en effet, de trouver des acquéreurs des biens ecclésiastiques, devenus propriétés nationales. Les bâtiments du Séminaire furent donc loués. Enfin, le 28 mai 1793, ils furent adjugés à un M. Choet ; mais la somme offerte par lui (1,750 livres) avant été trouvée insuffisante par la Commission de l'administration des biens nationaux, une nouvelle adjudication eut lieu le 4 juin suivant. C'est alors que M. Pierre-André Angar, ci-devant huissier-priseur, devint adjudicataire, au prix de 9,600 livres, de l'immeuble de la rue des Postes. Le 2 thermidor an IV (20 juillet 1796), au « Bureau du domaine national du département de la Seine, rue Montmartre, à Paris, au ci-devant hôtel d'Uzès, près le vieux boulevard », Mme, veuve Angar (son mari était mort dans l'intervalle fut déclarée définitivement acquéreur, au prix principal de 40,683 livres.

Mme Angar, ayant pris possession de l'immeuble, le 11 thermidor an IV (29 juillet 1796), loua à ces Messieurs leurs anciennes chambres, où ils restèrent inconnus et ignorés pen­dant la Terreur, et le surplus à des religieuses du quartier, les Dames de la Providence, de St-Michel, de Ste-Anne, du St­Sacrement, de l'Enfant-Jésus, etc.

Après le coup d'État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797), ce qui restait des deux Conseils vota, presque sans délibération, une loi qui accordait au Directoire le pouvoir d'agir et de sévir arbitrairement contre les prêtres : il y eut donc recrudescence de rigueur et de persécution à l'égard des ecclésiastiques demeurés fidèles. M. Duflos et les trois autres Mes­sieurs ne se trouvaient plus en sûreté au Séminaire. Devenu aveugle et accablé d'infirmités, le bon Supérieur alla prendre son logement dans la maison n° 14, Impasse des Vignes, et n'eut plus pour le soigner que le fidèle Vaillant, ancien cuisinier du Séminaire.

M. Pichon, procureur de la maison, et l'abbé Guérin s'in­stallèrent dans le n° 13, aujourd'hui n° 19, rue des Postes. Quant à M. Boudot, il est probable qu'il resta caché au Séminaire.

En 1800, la chapelle fut rouverte au publie. MM. Boudot, Pichon et Guérin y célébrèrent de nouveau la sainte messe. M. Duflos n'eut plus cette consolation, comme il n'eut pas non plus celle de voir le rétablissement de sa chère Congrégation et du Séminaire du St-Esprit, que son neveu et confrère, M. Bertout, cherchait à réaliser depuis son retour d'Angleterre, après le Concordat de 1801. Le pieux vieillard mourut le 28 février 1805, âgé de 79 ans, dans la maison de l'Impasse des Vignes, où il s'était retiré.

Élu à la veille de la période révolutionnaire, en novembre 1788, M. Duflos n'avait été Supérieur que pour assister, dans un immeuble à peine terminé, à la ruine de l’œuvre qui lui avait été confiée!

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[1] L'abbé Lefebvre, qui est du mème pays, nous apprend qu'en 1744, un cousin des Duflos, fils de Claude et d'Antoinette Leleu, du hameau Le Turne, vint les rejoindre au Séminaire du St-Esprit. Il y fit ses études théologiques et y reçut la prêtrise; mais il ne s'engagea point dans la Congrégation et rentra dans son diocèse, où il exerça le saint ministère dans des postes importants jusqu’en 1763, époque de son décès. (Abbé F.-A. LEFEBVFRE : Notice sur trois prétres boulonnais, Supérieurs de la Congrégation du St-Espril. Boulogne­sur-Mer, 1893.)
[2] GUIOT (Léonide) : Vie et apostolat de Mgr Pottier, évêque d'Agathopolis. Paris, TEQUI.1892.
[3] M. Duflos eut la douleur de voir confisquer non seulement l'immeuble de la rue des Postes, mais encore la maison de campagne de Gentilly, le petit domaine de Sarcelles et celui de la Chyperie, près Orléans. Comme on l'a dit plus haut, Sarcelles ne fut ni restitué ni racheté ; mais l'immeuble de la rue des Postes fut plus tard racheté par M. Bertout, ainsi que la maison de campagne de Gentilly. Quant à la Chyperie, la Révolution ayant pu trouver d'acheteur, cette propriété resta invendue, et elle fut rendue à la Congrégation par le décret du 23 mars 1805. La Congrégation la vendit en 1848.

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