LE P. ANTOINE ERDEL
Décédé à Langonnet,le 10 septembre 1910,
à l'âge de 85 ans.
(Not Biog. V p. 189-192)

Le F. Antoine était Luxembourgeois d'origine. Il naquit le 9 février 1825 à Scheidel, commune de Bourscheid, dans le Grand Duché du Luxembourg. Comment connut-il la Congrégation, lui, ainsi que son frère, le P. Bernard Erdel Rien ne l'indique. Il est intéressant de relever dans Une lettre où il sollicite la permission d'aller régler sur place quelques affaires de famille, le principal motif qu'il allègue : faire connaître la Congrégation ; car, dit-il : « Nous sommes, mon frère et moi, les seuls de notre pays qui lui appartenions; et elle n'est pas connue chez nous. » (Lettre du 21 mars 1869.)

Pensée bien louable, dont on ne saurait trop s'inspirer dans des circonstances semblables, pour une fervente quoique toujours discrète propagande, en faveur de notre cher Institut. On ne peut relever ni la date précise de son oblation, ni celle de sa profession. Celle-ci cependant est mise par le Bulletin à l'année 1957, sans indication de jour.

En même temps que lui, émettait ses premiers voeux le Y. Bernard­-Marie Erdel. Et au même jour, 28 août 1860, tous les deux étaient admis, aux voeux perpétuels; mais lui à Notre-Dame de Langonnet, tandis que son frère se trouvait à l'île Bourbon, à la communauté de la Providence.

De Langonnet où il avait été placé dès le commencement, le F. Antoine fut. envoyé à Chevilly en 1864. C'était le moment où l'on s'installait dans la communauté nouvelle du Saint-Coeur de Marie. Il était menuisier de son état, et il avait jusque-là été employé comme tel à Langonnet. On comprend le travail considérable qu'il eut à fournir et les précieux services qu'il rendit à Chevilly, dans ces premières années où tout était à faire. .

Il s'y trouvait encore , lorsque l'invasion allemande amena l'évacuation de la communauté sur Paris et les autres Maisons de province. Sa besogne alors fut toute tracée : sauver tout ce 'il pouvait emporter ou cacher du matériel de son atelier; ce qu’u'il fit avec le plus grand soin.

Une fois à la Maison-Mère, il aurait eu le temps de quitter la capitale avant l'investissement. Mais. une grave maladie le cloua sur place. Il dut s'unir au personnel des Frères désignés pour passer le siège de Paris, soit dans le service de l'hôpital du Gros-Caillou, soit dans celui de l'ambulance établie à la Maison-Mère. Comme il était d'origine étrangère, il fut gardé à demeure et employé à toutes sortes d'offices. Il se créait en outre, par l'intérêt pris à tout ce qu'il voyait en souffrante autour de lui, dans le désarroi général de ces mauvais jours, un surplus de 'continuelles occupations. Il avait notamment la spécialité des cachettes, la seule chose qu'il fit et se crut obligé de faire, comme il le disait, « en cachette de ses Supérieurs ». Il fallait qu'interrogés, ceux-ci fussent à l'aise pour répondre à leur gré dans un cas de perquisition.

Un train de vie s'était à peu près organisé, quand le bombardement provoqua, avec un nouvel émoi et de nouveaux dangers, un aménagement et des précautions que les circonstances jus­que-là n'avaient pas rendu nécessaires. Il fallut, entre autres choses, installer tout le sous-sol de la grande chapelle en salle d'ambulance et en dortoir, formant ainsi deux compartiments peu assortis à une telle destination et qu'une cloison de planches séparait. Un des premiers appelés à Payer- de leur métier et de leur personne fut le bon F, Antoine: comme infirmier et comme menuisier, c'était bien son affaire. Ce qui, l'était moins, c'était de se sentir brusquement éveillé et secoué par l'éclate­ment d'un obus. Quand il n'était pas de garde, il couchait avec, six autres Frères dans l'infirmerie. Or le 12 janvier, à 2 heures et demie de la nuit, un énorme projectile vient se briser contre le mur extérieur, à l'étage au-dessus. Sursaut général et vive émo­tion. On se regarde à la lueur fumeuse de la petite veilleuse, on s'interroge e pour savoir si nul n'est atteint. Personne heureusement. C'est bien u-ne bombe cependant; mais où donc a-t-elle heurté? « Oh! contre ce mur, dit le P. Antoine, car mon lit a roulé. » Le lendemain, au jour, on put constater qu'autre chose encore avait roulé. D'énormes pierres de taille avaient été broyées on disjointes et des moellons pulvérisés. (Note du F. Paul.)

Il quitta la Maison-Mère pour Chevilly et de là fut envoyé une seconde fois à Langonnet. Il y reste de 1872 à 1878 eu est alors placé à Saint-Ilan. Nous le retrouvons là à ses fonctions ordinaires, emplois de Profession ou d'attrait. Il est menuisier, chargé de toute une section d'apprentis, et aussi sacristain, soit bénévole, soit d'office.

Le F. Antoine, on a pu le soupçonner déjà, était d'une ne nature calme, d'un esprit positif et précis, très avisé de ce que comportaient ses diverses charges, et d'une activité soutenue, bien conduite, ne se perdant en rien d'inutile, tout appliquée, au contraire au travail qu'il devait fournir. Il s'efforçait à faire des jeunes colons qui lui étaient confiés, des hommes bien rangés, par des habitudes d'ordre, de régularité, de piété. Aussi avait-il pour eux une sorte d'affection jalouse, qui supportait mal de les voir trouvés en défaut.

Sa piété était l'âme de cette vie tout à son devoir dont, il donnait l'exemple. Ses fonctions de sacristain lui en servaient d'aliment, et il était heureux d'y trouver aussi, pour ses sentiments, et ses pratiques de dévotion, des voies toujours ouvertes aux épanchements d e sa foi vive et de son tendre amour pour Dieu et Marie. C'est surtout quand il s'agissait d'orner la chapelle, d'imaginer et de fabriquer certains décors à mettre aux différentes fêtes, d'enrichir le mobilier du culte de quelque pièce moins banale, à la fois mieux conçue et mieux travaillée, que sa piété donnait essor à son talent de menuisier et mettait ou oeuvre toutes ses ressources d'habile ouvrier. Ainsi on lui doit. deux reposoirs démontables faits par lui à Langonnet et à Saint-Ilan, lesquels ont été longtemps conservés dans ces deux maisons et dont l'un sert peut-être encore dans la première.

Tout en vivant au jour le jour, livré à ses occupations et, ses travaux courants, le bon Frère avait une pensée très nettement arrêtée sur ses fins dernières. Il voulut; la rendre en quelque sorte plus obsédante encore en se fabriquant pour lui-même son cercueil. Cette lugubre boîte était gardée dans soit atelier, et, comme son aspect macabre n'allait, guère a égayer l'esprit, tic ses confrères, ceux-ci prenaient leur revanche, en s'amusant (le ce qu'ils appelaient son travers. Lors de son départ pour Langonnet, en 1904, un des Fi-ères voulant le plaisanter lui dit : « Antoine, votre malle est toute trouvée; prenez votre cercueil, mettez-y tous vos effets, puis en route. - Non, non, répondit le Frère, cette malle-là est pour le grand voyage; peut-être le ferez-vous avant moi. Je vous la laisse. » (Note du F. Rogatien.)

A Langonnet, le F. Antoine continua la vie de piété et de travail si pleine d'édification qu'il avait toujours fournie. Mais avec les années, ses forces physiques déclinaient, et son esprit lui-même subissait des défaillances. Voici comment le P. Le Beller résume cette période finale de sa longue existence et raconte ses derniers moments :

« Le F. Antoine Erdel végétait depuis longtemps, abattu par l'âge et la maladie. Il a eu une attaque d'apoplexie il y a environ trois ans et depuis lors il se traînait péniblement. Souvent il tombait sur le plancher de sa chambre et ne pouvait se relever tout seul. Il conservait sa lucidité d'esprit, mais ses paroles n'exprimaient plus fidèlement sa pensée; ce n'était que par-ci par-là qu'elles tombaient justes. Il est mort ce matin, 10 septembre, à 9 heures et demie. Comme il était mon voisin de chambre, je suis accouru auprès de lui : j'ai pu lui donner une dernière absolution et lui suggérer des invocations pieuses, jusqu'à son dernier soupir. Il y a quatre jours déjà, en l'absence du R. P. Supérieur, je lui ai fait renouveler ses voeux, ensuite je lui ai donné l'extrême-onction et l'indulgence de la bonne mort. Il n'a pu communier en viatique, parce que le sens du toucher était comme oblitéré chez lui. Cependant il a reconnu le R. P. Supérieur, à son retour de Paris, quand celui-ci est venu le voir.

« Le F. Antoine endurait avec beaucoup de patience les souffrances de sa longue maladie. Nous aimons à croire qu'elles auront servi à purifier soit âme en ce monde. » (Lettre du 10 septembre 1910.)

Le bon Frère était âgé de quatre-vingt-cinq ans et il en avait passe cinquante-quatre dans la Congrégation, dont cinquante deux et cinq mois de profession.

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