Père Noël FAURE
décédé Marcoussis (Seine-et-Oise), le 5 mars 1964, à l'âge de 78 ans
après 58 années de profession.


Noël Faure naquit à Plauzat, près d'Issoire, au diocèse de Clermont­ Ferrand, le 25 mai 1885. Il n'avait fait que commencer ses études primaires, quand sa famille vint s'établir dans la capitale de cette province d'Au­vergne, à laquelle il resta attaché jusqu'à ses derniers jours, de tout son esprit et de tout son cœur. Il en parlait en poète... de cette terre féconde et belle, de ce plateau de Gergovie qui bornait l'horizon de sa petite en­fance et peuplait de visions héroïques son imagination précocement éveil­lée, de cette chaîne des Dômes qui dessine, à l'ouest de Clermont, comme une ligne puissante et bien rythmée de neumes grégoriens. Il aimait à évoquer les souvenirs puérils de son enfance heureuse, malgré les deuils qui frappèrent alors sa famille : la mort de sa petite sœur Alice tant aimée, suivie bientôt de celle de leur père. Cinq mois avant de mourir, il faisait écrire à un compatriote: « Quels chers souvenirs vous avez réveillés ! Ces vacances à Issoire chez la tante Agathe! Elles n'avaient rien de mystique, mais se signalaient par des prouesses culinaires et toutes sortes de gâteries renforcées par le cousin pâtissier très généreux au cours des nombreuses visites que je lui faisais volontiers. »

Vers l'âge de treize ans, conseillé par son bon vieux curé de Plauzat, Ïl entra au Petit Scolasticat de Cellule, alors en plein essor. Dès le début, ses succès littéraires furent remarqués, et plus encore sa docilité, sa régularité, sa piété. Il fut admis à l'oblation, au cours de sa seconde (on disait encore « les humanités ») Il s'y épanouit sans peine: de là, il voyait encore sur l'horizon se profiler, plus largement ,que de son obscur quartier clermontois, ses chères montagnes... Mais l'épreuve ne tarda pas à fondre sur cette chère Maison où il se trouvait si bien. Un décret combiste ordonna la fermeture immédiate. En plein cœur de l'hiver, il fallut partir pour la Belgique, si l'on voulait rester fidèle à sa vocation religieuse et missionnaire. Ce fut très douloureux, mais sans causer la moindre hésitation à ce « titulaire » (c'est ainsi qu'on dé­signait les élèves autorisés à porter le saint habit), Il prenait tellement au sérieux sa « dignité », qu'on le désigna pour être le protecteur (on disait « l'auxiliaire ») des plus jeunes et en particulier de ceux pour qui cette brimade sectaire avait fait éclore une vocation spiritaine, laquelle aurait tardé vraisemblablement plus longtemps à se manifester dans le cours normal des événements, et qui passèrent de la catégorie des séminaristes à celle des scolastiques. Cette charge quasi-paternelle, il l'exerça avec beaucoup de charité et de dévouement, à ses propres dépens. Pour les pro­téger du froid tout au long du pénible voyage vers l'exil et durant les premières nuits de leur installation dans ce vétuste « château, » de Gen­tinnes, en Belgique, d'assez belle apparence extérieure, mais qu'on n'avait eu le temps ni d'aménager, ni de meubler même sommairement, ni bien sûr de chauffer, le bon « auxiliaire » leur passait l'unique couverture, que, comme chacun d'eux, il avait apportée de France. Il leur distribuait aussi une large part de sa ration de pain, de ce bon pain belge pétri avec du lait, et qui leur semblait du gâteau. Par sa bonne humeur, ses bons offices, il contribuait à amalgamer en une fraternelle entente - ce qui n’allait pas sans quelques difficultés - ces adolescents rassemblés des dif­férentes « écoles apostoliques spiritaines », qui, comme ceux de Cellule, avaient dû prendre la route de l'exil. S'ils eurent faim un peu parfois, très froid surtout, ils gardèrent quand même chauds leurs cœurs d'aspirants missionnaires grâce, en grande partie, à l'enthousiasme généreux de leur bon « Père Noël »

Sa rhétorique achevée, le jeune homme revint en France pour faire son noviciat et commencer ses études théologiques à Chevilly. Elles furent bientôt interrompues par le service militaire. La vie de caserne était pénible, en ce temps-là, pour les séminaristes. Il y fut brimé. Mais là encore il sut vaincre le mal par le bien. Son oubli de soi, son infatigable souci de rendre service, avec ce bon sourire de sympathie et de franche gaîté qui marquait déjà son visage agréable, permirent à sa fidélité religieuse, à sa rectitude morale sans défaillance, d'exercer une influence salutaire sur plusieurs de ses camarades, dont certains ont continué pendant de longues années à lui témoigner leur reconnaissance, à l'occasion du premier de l'an, ou de leur mariage... ou hélas ! de leur départ pour la guerre. S'il fit beaucoup de bien à la caserne, ce fut aussi à ses dépens.

Quand il revint poursuivre le cours normal de ses études, sa santé exigea plusieurs assez longs séjours en différents sanatoriums. Il y apprit surtout à se donner les soins que demandera désormais sa débilité, et qui resteront jusqu'à sa mort des pratiques de mortification bien pénibles pour lui ennemi de toute singularité et d'occupation de soi-même. Il fut enfin ordonné prêtre, le 28 octobre 1912. On l'avait promu - disait alors le R. P. Genoud, son ancien Maître des Novices - pour lui donner la consolation de pouvoir célébrer quelques messes avant de mourir, Mais le Seigneur en avait décidé autrement. Après sa consécration à l'a­postolat, qu'il fit à Chevilly, le 13 juillet 1913, voici, en résumé, les différents postes qu'il occupa jusqu'à sa mort.

Envoyé comme professeur à Cellule, en 1913, il y est nommé directeur en 1914. Le Noviciat des Clercs de la Province de France qui, pendant la guerre, s'était établi à Langonnet, est transféré à Neufgrange, le 26 septembre 1919. Le P. Faure est alors nommé sous-maître des novices, fonction qu'il con­tinuera d'exercer à Orly, à partir de 1921.

Le 18 septembre 1923, il est nommé Maître des Novices Clercs.
Le 14 novembre 1924, il s'embarqua à Bordeaux pour la Guadeloupe, ,où Mgr Genoud le prit comme secrétaire de l'Evêché en le nommant éga­lement chanoine de l'insigne Cathédrale de Basse-Terre. Ce qui est surtout à retenir de son séjour aux Antilles, c'est qu'il fit le clergé diocésain de Guadeloupe, répondant en cela à l'Evangile et à l'Encyclique « Maximum illud » de Benoît XV.

Rentré en France le 6 juillet 1927, il est de nouveau nommé Maître des Novices Clercs de Grignon-Orly, fonction qu'il cumule, à partir de 1934, avec celle de Supérieur de la Communauté du Noviciat.

Le Noviciat évacue à Piré-sur-Seiche, et le P. Faure reste une année encore Maître des Novices avant de céder la place au P. Desmats. De 1942 à 1945, il sera confesseur des Novices.

En 1945, il quitte définitivement l'OEuvre du Noviciat pour devenir, à Marcoussis, l'aumônier des Sœurs de Sainte-Thérèse. C'est là qu'il attendra l'heure du grand départ.

Frappé à la veille du sacerdoce par la maladie, ce formateur de mis­sionnaires était physiquement incapable d'être missionnaire. Telle est parfois la sagesse des paradoxes de la grâce. Un tel chef devait être tout disposé à porter l'accent sur l'efficacité de la vie intérieure, de l'amour, de la sainteté, âme de tout apostolat.

Prisonnier de sa faiblesse physique, comme l'avait été le Vénérable Père, comme sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, prisonnière d'amour dans sa cellule de moniale, il fut, comme elle, un chef de missionnaires et leur aide certain, par la richesse contemplative de sa vie religieuse, par l'in­tensité de sa charité, par la générosité du don de soi sans limites, par l'obéissance délicate et joyeuse.

Un de ses novices, l'ex-lieutenant de Beauregard, mort durant son noviciat, avait compris cette noblesse de la doctrine spirituelle du Père Maître. Avant d'expirer, il lui confiait cette pensée profonde, écho de la formation reçue : «Oui, c'est bien cela : nous avons peur d'être des saints ! » Par les leçons du Père Faure, il avait compris que les champs de bataille spirituels demandent plus de force que tous les autres et que la conquête de soi est la plus difficile.

Le Père Faure avait le charisme de la direction spirituelle, qui entraîne doucement et fortement vers les sommets du sacrifice et de l'amour. Il était de ces êtres choisis dont le contact apaise, éclaire et rend meilleur. Il était porté à l'amitié sans rien de mièvre ni d'égoïste. Il attirait sans le vouloir. Il attachait à lui tous ses amis, si nombreux, tous ses fils et filles spirituels, par son regard pétillant d'intelligence pénétrante et de charité, enveloppante, paternelle, mais aussi très humble et très discrète.

C'était, en effet, un éducateur-né ! L'extrême finesse de son esprit, la délicatesse de son cœur, son universelle sympathie affinée par ses propres souffrances, sans compter les lumières surnaturelles qu'il puisait dans une oraison constante, firent de lui un directeur de conscience hors ligne. Il devinait les âmes et leurs plaies les plus secrètes. Il les révélait à elles ­mêmes en pleine vérité. Il savait les traiter avec une discrétion et une dé­licatesse souveraines, sans jamais les flatter, certes, ni non plus les abattre. Sachant dire au moment voulu la parole qu'il fallait, voilée, quand elle eût risqué de paraître dure, d'une ironie qui la rendait agréable à entendre. On se sentait compris, vraiment aimé, parfaitement à l'abri de toute miè­vrerie ou de recherche personnelle, et non seulement au moment fugitif de l'entretien ou de la lettre de « direction », mais profondément et à jamais. On pourrait caractériser sa « méthode » en disant qu'elle était celle de l'amitié fraternelle, paternelle, mais en la comprenant dans son sens chrétien de charité théologale parée de ces nuances exquises de délicatesse, de vigueur, de tendresse aussi des dilections humaines., que, bien loin de les atténuer, exalte au contraire la splendeur de la reine des vertus sur­naturelles.

On comprend qu'il ait été beaucoup aimé et qu'il en ait ressenti beau­coup de joie. Qu'il ait beaucoup souffert aussi quand certains, à qui il offrait de plein coeur et à pleines mains les trésors spirituels de son sa­cerdoce, s'obstinaient dans un refus opiniâtre. Ils furent rares en vérité, et c'était bien la seule chose que, sans leur garder rancune, il n'arrivait pas à comprendre.

Un peu plus fréquents furent les oublis, les négligences de quelques ­uns à qui il s'était particulièrement prodigué : sa charité, à lui, restait neuve et fraîche comme à l'état naissant, même si les ans vieillissaient celle de certains autres. Il en souffrait, mais il savait s'en consoler au besoin par un humble sourire ironique sur lui-même. Mais quand il apprenait que tel ou tel de ceux qu'il avait aimés « tournaient mal », sa souffrance devenait vraiment atroce : son affection permanente, son zèle persévérant ne le laissaient plus en repos, et ils furent presque toujours récompensés par le retour, humainement inespéré, de ces pauvres brebis empêtrées dans les broussailles du monde maudit, qui se laissaient, enfin, rapporter au bercail sur ses épaules de Bon Pasteur. Qui pourra dire alors sa joie et sa reconnaissance envers la toute puissante miséricorde du Bon Dieu et le Saint Cœur Immaculé de Marie, Refuge des pécheurs!

Ses conférences spirituelles étaient toutes nourries de l'Evangile as­sidûment médité, toutes chaudes de son amour pour Notre-Seigneur, pour la Sainte Vierge, pour le Souverain Pontife. Il se pénétrait de la doctrine des Encycliques des Papes à mesure qu'elles paraissaient : il les analysait la plume à la main, les faisait pour ainsi dire siennes pour les transmettre fidèlement à ses novices, non par la lecture froide de quelques courts ex­traits, mais par un exposé clair, vivant, personnel, adapté aux besoins spirituels de ceux qu'il instruisait. Il aimait à se proclamer « romain ». Il avait eu la grâce de faire un pèlerinage à Rome au temps de Pîe XI qui l'avait favorisé d'une audience et d'une particulière Bénédiction Apostolique - ce qui fut une des grandes joies de sa vie. Mais ce qu'il voulait signifier par ce mot, c'était son souci de rectitude et de plénitude doc­trinale. Sa manière fervente de réciter le « in eodem Spiritu recta sapere » du « Veni Sancte Spiritus » avant chacune de ses instructions impression­nait, bien qu'elle fût toute simple et sans déclamation, comme l'étaient d'ailleurs toutes ses prières en publie.

Il ne se passait guère de journées sans qu'il se donne le loisir de lire et de relire quelques pages de théologie savante mais non aventureuse : la Somme de Saint Thomas d'Aquin et les commentaires de ses disciples fi­dèles avaient ses préférences. Mais son livre de chevet, c'était l'Imitation de Jésus-Christ. Peut-être n'aurait-on pas pu dire de lui à la lettre ce qu'il aimait à dire de son cher et vénéré P. Liagre - avec qui il avait eu la chance très appréciée de collaborer au Noviciat - « qu'il savait par coeur tout ce petit livre d'or », mais il était si imprégné de sa doctrine que ses maximes revenaient à tout propos dans ses instructions, ses lettres, ses conversations, citées souvent textuellement, mais plus encore sous une forme toute personnelle. Il en vivait. Il en faisait vivre les autres. Il l'avait toujours à portée de la main sur sa table de travail... tout près des écrits ~de son autre grande amie sainte Thérèse de Lisieux. Ce sont ces livres qui l'ont introduit, guidé, soutenu dans ces voies de l'abnégation de soi, du renon- -cement, du dévouement apostolique où il marchait en toute simplicité, confiante et généreuse, filialement, en «esprit d'enfance», qui l'ont conduit à une intimité peu commune d'union à Dieu et dans lesquelles il s'efforçatoute sa vie d'entraîner les autres.

Des épreuves de tous genres, la maladie surtout depuis sa profession religieuse et son ordination sacerdotale, avaient fait de sa vie un long chemin de croix. Devenu, en août 1945, Père spirituel des Soeurs Thérésiennes récemment fondées par le R. P. Marc Duval, Directeur Général de l'OEuvre des Orphelins-Apprentis d'Auteuil, il put faire publier par leurs ateliers bien connus de la rue La Fontaine, différentes formules de Chemins de Croix. Priées et vécues avant d'être rédigées, elles connurent un réel succès. Mgr Le Hunsec lui écrivit à ce sujet: « Il est parfait votre Chemin de Croix des âmes qui aspirent à la perfection »; et, plus explici tement, le Carmel de Lisieux: « Ce Chemin de Croix se gravit généreusement en compagnie de Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Avec elle, on y apprend le prix de nos souffrances quotidiennes, l'Homme des douleurs ». la Maintenant que l'auteur de ces précieuses plaquettes est mort, ces légers opuscules lourds de doctrine et de piété restent aux mains de ceux qu'ils ont aidés à approfondir le mystère de notre Rédemption, les plus beaux joyaux de l'héritage spirituel que leur a laissé le Père tant aimé qui les a quittés, mais non pas abandonnés.

Il allait être, lui, « consommé » en homme de douleur. La vieillesse -était venue ajouter son lourd fardeau au poids de ses souffrances habi­tuelles. Il allait l'accueillir sacerdotalement, lui qui avait si souvent répété à ses novices : « Sacerdos alter Christus : immolans, immolatus » et qui leur suggérait cette devise pour leurs souvenirs d'ordination: « Sacerdos et Victima. Hostia pro Hostia ».

Le 4 avril 1961, on le trouva étendu inerte sur le plancher de sa chambre. Le médecin appelé en toute hâte diagnostiqua des spasmes vas­culaires cérébraux fort inquiétants. Des soins énergiques le ranimèrent, lui laissant cependant de pénibles vertiges, des maux de tête, une inca­pacité de toute application mentale un peu prolongée. Il pouvait cependant écrire quelques jours plus tard à un ami : « Veuillez demander à notre Maman du Ciel que ces rappels de la vieillesse me rendent plus intime avec le Seigneur. »

On a trouvé après sa mort, dans son bréviaire, un tout petit papier retaillé dans un feuillet de calendrier portant la date du 1er février, fête de saint Ignace d'Antioche, qui désirait tant « être broyé par la dent des bêtes pour devenir un pain de toute pureté », où il était imprimé, au verso, cette pensée des « Novissima Verba » de Ste Thérèse: « Je pense aux paroles de Saint Ignace d'Antioche: il faut moi aussi que par la souffrance, je sois broyée pour devenir le froment de Dieu ».

Broyé il le fut à la vérité, dans son âme comme dans son corps. A ses souffrances physiques s'ajoutait une inquiétude mortelle pour l'avenir de ses Thérésiennes du cher Bailliage de Marcoussis. « Mon cher Bail1iage qui m'est de plus en plus cher », au point qu'il avait exprimé le désir d'être enterré dans le caveau de cette Famille Religieuse qui passait alors par de bien douloureuses épreuves. Leur première Professe de Vœux perpétuels et Première Maîtresse, Mère Madeleine Cariou, mourait le 8 juin 1962. Ce fut pour le pauvre vieux Père un deuil immense. « Dominus dedit, Dominus abstulit », écrivait-il ce jour-là. Pire encore : le R. P. Duval, leur Fondateur, épuisé par un travail excessif de vingt ans à la Direction des OEuvres d'Auteuil, qu'il avait fait croître étonnamment, au milieu de l'hostilité jalouse que ne manque jamais de susciter le succès des oeuvres de bien, venait de subir un grave accroc de santé. On lui imposait un long repos : il avait été contraint de donner sa démission le 18 avril 1962 et d'abandonner même la direction de la Congrégation qu'il avait fondée. Ce fut le coup de grâce pour le P. Faure qui l'avait si fidèlement secondé, en pleine communion d'esprit et qui estimait que l'active présence du Fon­dateur était absolument nécessaire au développement et même à la survie de cette Institution... Il ne put qu'offrir ses souffrances, et sans doute le sacrifice de sa vie, pour obtenir le retour de leur Père parmi elles. Il ne perdit jamais l'espérance... mais il n'en vit pas la réalisation

Au milieu de toutes ses peines, il eut un jour une grande joie. Le 28 octobre 1962, dans la stricte intimité du cher Bailliage, on célébra pieu­sement le cinquantième anniversaire de son ordination sacerdotale. Il se félicitait qu'une série de circonstances empêchât toute manifestation ex­térieure. « Cela me facilitera un silence bénéfique, écrivait-il. J'ai si grande horreur de l'exhibition... C'est le Seigneur qui a tout fait. Qu'il soit loué : ! » Il demandait qu'on prie beaucoup pour lui. Il eut, en effet, beaucoup de prières. Des quatre coins du monde affluèrent des témoignages de sympathie reconnaissante et anxieuse pour sa santé. Il fit répondre à toutes ces lettres par de bénévoles secrétaires quelques mots affectueux. Il tenait à ajouter la signature de sa propre main. La Bénédiction papale qu'il reçut à cette occasion, très particulièrement mo­tivée et étendue à celles dont il était devenu depuis plus de quinze ans le Père Spirituel, fut accueillie avec une très humble et toute filiale recon­naissance. Le diplôme enluminé qui l'attestait - « l'image très aimée de mon Jubilé » disait-il - devint le seul ornement de sa très pauvre cellule. Il le fit placer à côté de cet écriteau - qui était loin d'être un ornement - où était tracée, en grosses lettres, cette phrase (occasion d'innocentes taquineries de visiteurs qui lui demandaient si c'était une invitation à abréger leur visite : « Aime Dieu et va ton chemin ».

Il devait plus d'un an encore gravir le sien si raboteux. De temps en temps, une chute qui le privait de célébrer la messe pendant plusieurs jours, un constant accablement qu'il surmontait héroïquement. Ces messes de ces derniers mois dans la chapelle du Bailliage! Les Soeurs ont remarqué que, malgré l'extrême fatigue que lui ont occasionnée les direc­tives de la hiérarchie sur la lecture en français de l'Epître et de l'Evangile, sur l'homélie à faire chaque dimanche, il a voulu s'y astreindre jusqu'au bout par discipline pastorale, donnant ainsi un suprême exemple de son amour pour l'Eglise et de la docilité dont tout au long de sa vie il avait fait preuve.

Son état empirait lentement. Il s'en rendait parfaitement compte et restait totalement soumis à la volonté de Dieu, amoureusement abandonné à sa providence d'amour. Le 5 mai 1963, il pouvait encore écrire, de sa belle écriture si claire, si loyale, si élégante dans le rythme harmonieux de son ordonnance : « Mon état réel ? Il serait fort inquiétant si Jésus n'était pas le plus ami qui sait tout, tout qui peut tout et nous aime.Oh oui! croyons à cet Amour ! »

L'heure de la consommation devait sonner un peu avant huit heures, le jeudi matin 5 mars 1964. Depuis juste une semaine, on sentait la mort s'avancer à grands pas... Paralysie de la langue et du côté droit, état comateux. Il s'éteignait doucement après avoir reçu l'Extrême-Onction, et manifesté, par de multiples signes, bien qu'il ne pût parler, qu'il s'unissait aux prières des agonisants qu'on récitait près de son lit.

Après de solennelles et ferventes funérailles en l'église de Marcoussis, il fut enseveli à Chevilly parmi ses confrères. Et nous qui le pleurons, nous espérons fermement voir se réaliser sur sa tombe l'austère et magnifique promesse d'Evangile qu'il avait si souvent méditée et fait aimer à ses enfants spirituels : « Nisi granum frumenti cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum manet; si autem. mortuum fuerit, multum fructum affert. » Jo. XII, 24, 25. Sur cet obscur sillon où a été enfouie cette précieuse graine se lèveront de belles et opulentes moisson

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