Le Père Alphonse FRAISSE,
1869-1911.


C'est au hameau de Pentostier, paroisse de Planchamp, canton de Villefort, que naquit le 30 mai 1869 Alphonse Fraisse, benjamin d'une famille nombreuse de modestes propriétaires qui vivaient du fruit de leurs champs. Deux de ses aînés entrèrent au noviciat des Frères des Écoles chrétiennes, et l'Abbé Alméras, curé de Luc, était son oncle maternel ; on comprend que le jeune vicaire de Planchamp, qui fut ensuite curé de Florac, fut bien reçu quand il se proposa de préparer le jeune Alphonse à entrer au collège de Langogne. Il y suivit, dans de bonnes conditions, les classes de huitième, septième et sixième.

C'est dès la sixième qu'Alphonse prit la résolution de se donner à Dieu dans la Congrégation. Son père et son oncle l'encouragèrent dans cette voie. Le 18 septembre 1883, il fit ses adieux à sa famille et se rendit au petit scolasticat de Cellule, au diocèse de Clermont. Cette nouvelle année scolaire, en classe de cinquième, fut le vrai point de départ de l'élan intellectuel de notre jeune scolastique. Il prit d'emblée la tête de sa classe. L'année suivante il fut heureux de revêtir l'habit des petits clercs et de choisir le nom de Paul pour sa vie religieuse et apostolique, et, à partir de ce jour, la Congrégation fut sa véritable famille.

A la fin de sa seconde, il fit, sous la conduite de son vieil oncle, le bon curé de Luc, le pèlerinage de Lourdes. Ils furent les heureux témoins d'un miracle : une jeune fille de dix sept ans, aveugle de naissance, recouvra soudainement la vue. Son année de rhétorique couronna ensuite le cycle de ses études littéraires : il se vit décerner, outre les principaux prix de sa classe, le prix d'honneur, fondé par l'Association des anciens élèves du Collège.

En octobre 1888, le grand Scolasticat s'ouvrit devant lui. A Chevilly se fit le premier contact entre son intelligence et les sciences philosophiques pour lesquelles son esprit réfléchi et observateur lui donnait une aptitude remarquable ; jamais, dans la suite, il ne cessa de s'y intéresser. Le résultat de cette année fit juger qu'il y aurait avantage pour lui à continuer à Rome ses études ecclésiastiques. On l'envoya en 1889 au Séminaire Français, où il devait, sous la conduite des maîtres éminents de l'université Grégorienne, tel le R.P. Billot, parcourir le cours complet de la théologie dogmatique, morale et canonique. Il se mit avec ardeur à cette étude. Il obtint le doctorat de théologie et concurremment le doctorat de philosophie de l'Académie de Saint-Thomas.

Le Séminaire n'ayant pas alors de maison de campagne, pères et scolastiques passaient les vacances scolaires tantôt dans une région tantôt dans une autre, àAlberti par exemple ou à Subiaco. Les relations avec quelques bons ecclésiastiques du pays lui valurent la connaissance pratique de la langue italienne qu'il parla dès lors avec facilité et élégance. C'est à Rome, dans la basilique de Saint-Jean de Latran que l'onction sacerdotale lui fut conférée le 24 septembre 1892. L'année suivante, il quittait Rome pour son année de noviciat à Grignon, près d'Orly. Pour ses deux allocutions, à titre d'exercices, il parla sur la Réparation et sur la Vierge Rosa Mystica ; le ton simple, suave et pénétrant de sa parole produisit sur ses auditeurs une impression durable. Le 15 août 1894, il prononça ses premiers vœux officiels, et sous forme privée ses vœux perpétuels. Sa tendance à la perfection religieuse se concentrera sur la pratique de la vie intérieure, qu'il résume comme notre Vénérable Père : Etre présent à soi, être présent à Dieu, et agir en vertu de cette présence."

Préparé par ses études universitaires à former des prêtres et des missionnaires, le Père Fraisse entra avec ardeur dans ses fonctions de professeur. Il les exerça un an à Langonnet, chargé du culte, de l'argumentation et de l'histoire de l'Église ; l'année suivante à Chevilly pour l'argumentation, l'éthique, l'histoire et le chant. En 1896, il rejoignait le Séminaire Français à Rome comme répétiteur de philosophie ; l'année suivante il prenait en plus la direction des scolastiques spiritains En 1900, le Père Eschbach, supérieur du Séminaire, qui estimait le Père Fraisse comme "un excellent Père à tous points de vue", le choisit comme adjoint. C'était l'époque où Loisy commençait à publier les petits livres qui lui valurent son excommunication en 1908 pour ses idées modernistes. Le Père Fraisse, avec une clairvoyance rare, les eut bientôt découvertes ; il sut réagir en conséquence. Il sut d'autre part attirer au Séminaire de grands spécialistes d'archéologie et de musique sacrée. Pour le cinquantième anniversaire du Séminaire Français, en 1903, son intelligente initiative et sa tenace persévérance assurèrent le succès de ces fêtes.

A Noël de cette même année, le Supérieur général rappelait le Père Fraisse en France comme directeur du Scolasticat de théologie de Chevilly. Ce départ fut vivement ressenti à Rome, mais le religieux obéit.

Sept années durant, le P. Fraisse va mettre à la disposition des scolastiques de Chevilly son cœur agrandi encore par le sacrifice et son intelligence élargie par l'expérience. Ce qu'il entend leur donner ce ne sont pas seulement ses leçons, ses conseils, c'est lui-même, lui tout entier, et toujours de bon cœur. La vocation aux missions ne peut s'accommoder d'une formation médiocre. Tout doit concourir àélever l'âme du missionnaire. Tout d'abord la vie spirituelle, mais aussi la vie intellectuelle, scientifique, professionnelle, et l'élévation des sentiments, du langage, des manières. Il y contribuera par la discipline générale de la communauté du séminaire, comme par la direction intérieure personnelle des individus. Toujours dans l'esprit du Vénérable Libermann, dont il était luimême comme un portrait vivant.

Au Chapitre général qui s'ouvrit le 22 juillet 1906, le P. Fraise fut invité à titre exceptionnel, et, malgré son âge peu avancé, il fut élu Conseiller général. Avec son ami d'enfance, le Père Benoît, il fut encore nommé secrétaire du Chapitre, rude travail que sa connaissance de la sténographie lui facilita. Enfin une décision du 19 mars 1910 le nommait Préfet général des Études. Nul n'était plus apte que lui à remplir cette importante fonction.

Mais la Providence ne voulait que montrer ce but au cher père. Sa vie va prendre brusquement une allure imprévue : il touche à sa dernière étape, étape trop rapidement franchie, avant le terme final et le sacrifice suprême. Le 15 avril 1910, Mgr Le Roy, lui écrit : " Je suis heureux de vous informer que, par décision du Conseil général, vous êtes nommé Visiteur de nos Missions de l'Afrique occidentale, à l'exception des Missions portugaises, que visite en ce moment le P. Cancella." Dix jours après il s'embarque à Bordeaux sur le paquebot l’Afrique. Il va parcourir les pistes et les fleuves du Congo, de l'Oubangui-Chari et du Gabon, heureux de se donner sans compter. Mais en novembre, Mgr Le Roy lui demande de rentrer en France où on a besoin de lui. Le 19 décembre, le P. Fraisse rentrait à la Maison Mère où ses fonctions de Conseiller général devaient désormais le fixer. C'était compter sans le paludisme -contracté durant sa visite africaine : la terrible bilieuse hématurique le terrassait bientôt. A 41 ans, le 12 janvier 1911, il offrait aux Missions le sacrifice de sa vie.

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