Le P. Edouard GEORGER,
décédé à Wolxheim-Canal, le 25juin 1951 à l’âge de 82 ans après 55 années de profession.


Le P. Georger a passé 45 ans en mission, dans l'Angola. Ce n'est pasun record ; d’autres, qui sont morts, ont fait davantage; d'autres, qui vit­ vivent encore, ont largement dépassé ce terme et ne paraissent pas disposés à s'arrêter, si, du moins, des infirmités, qu'on ne saurait qualifier de précoces, ne les empêchent d'aller encore plus loin.

Le Bulletin de la Province est heureux de saluer de pareils exploits pour encourager ceux qui montent. Tous, nous n'en doutons pas, sont prêts à suivre ces exemples « si Dieu leur prête vie »; ceux à qui cet avantage est donné méritent notre admiration, car ils y ont mis leur part en persévérant.

Edouard Georger naquit le 21 décembre 1868, à Duppigheim, au diocèse de Strasbourg; quelques jours après, il perdit sa mère. Jusqu'à sa première communion, en 1882, il vécut à la ferme paternelle avec demi frère plus âgé que lui de huit ans; il fréquentait l'école et aidait aux travaux des champs.

De bonne heure lui vint le désir d'être prêtre; mais comment, sans ressources, faire des études? Un de nos scolastiques, de la même paroisse lui révéla l'OEuvre des Petits Clercs de Saint-Joseph, à Beauvais, qui n'éxigeait pas de rétribution pour les frais d'éducation. Après maintes ­difficultés et des retards, il fut admis à l'école à la rentrée de l883, il avait quinze ans et n'avait pas alors l'intention de devenir missionnaire, l'ambiance et surtout la bénédiction de Saint Joseph le décidèrent.

Il passa au Petit Scolasticat de Langonnet, en septembre 1886, puis celui de Cellule quand Langonnet devint en 1889, grand Scolastical, de philosophie. Enfin, en 1890, il revint à Langonnet pour y commencer ses études ecclésiastiques.

Pendant ce premier temps d'études, notre jeune homme obtient d'excellesntes notes: « Sujet plus qu'ordinaire pour la piété, la régularité et même pour les études ». Cette information est signée du P. Jégou. Dans la suite, les mêmes témoignages de satisfaction lui sont donnés par les PP. Kroemer et Vanaeke. En l'étudiant plus à fond, on le trouve pourtant, « un peu sensible, un peu susceptible, pas beaucoup d'initiatives dans ses fonctions». On lui confie néanmoins des charges de quelque importance auprès de ses confrères et il s'en acquitte à souhait. C'est le Maître des novices, le P. Gerrer (1894-1895), qui, le premier, va au fond de ce tempérament: à l'extérieur, manières embarrassées; pour l'esprit, idées étroites et tenaces. Voilà bien ce que sera toujours le P. Georger: une bonne volonté indéniable, une piété très profonde, obséquieux au dehors, hésitant dans l'action, incapable de se plier, dès le premier moment, aux vues d'autrui, raisonneur et n'avançant qu'après mûre réflexion encore ne cède-t-il pas tout à fait - en somme, un caractère personnel, parfois entêté et, sans s'en douter, chicanier.

Prêtre le 28 octobre 1894, il fit sa profession religieuse à Grignon le 15 aoùt 1895, et fut désigné pour l'Angola (district de Loanda, comme on disait alors, et qui devint quelques années plus tard le district de la Lounda). La première résidence du district avait été ouver dans la ville épiscopale même, en 1898: elle était destinée à servir de Procure aux sta­tions qui seraient établies dans l'arrière-pays. La première de celles-ci le fut, en 1890, dans la paroisse de Malange; la seconde, à Calulo, dans le Libollo (1893), pays d'anthropophages, où sévissait l'esclavage dans toute son horreur. Les gens n'y étaient guère disposés à se soumettre à l'autorité portugaise, pas plus qu'à se faire catholiques. C'était en outre une région montagneuse et difficile d'accès. Ce fut, pendant de longues années, le fief du P. Georger, souvent seul, sans confrères, parfois avec un Père e tun ou deuxFrères, au milieu de difficultés sans cesse renaissantes. Il aima son Libollo, s'y dépensa et y souffrit; mais il eut aussi, à son départ, la consolation d'y voir lever enfin la semence évangélique qu'il y avait répandue.

Il n'y fut pas placé tout d'abord ; on le mit à Malange, à son arrivée dans la Mission (3 décembre 1895). Pendant plusieurs mois, dès ses débuts, il dut garder la chambre par suite d'un abcès au pied. Puis on l'envoya à Loanda pour le service de l'hôpital; et, quand il fut bien remis, on ledirigea sur le Libollo, à la station de Calulo. L'installation matérielle y etait encore fort imparfaite. Pères et Frères y travaillaient de leurs mains la semaine entière; seule, la journée du dimanche leur donnait le loisir de visiter les villages des alentours. Aussi les progrès de l'évangélisation étaient-ils fort lents: quand, en mai 1898, le Père quitta Calulo pour Ma­lange, la station comptait deux familles chrétiennes et, à l'école, une quarantaine d'enfants. Malange n'était guère mieux partagé: 10 familles chrétiennes avec 80 à 90 écoliers. Le Père fit très bonne impression parmi ses confrères; c'est l'époque où il renouvelle ses premiers voeux et nous avons à ce sujet l'information louangeuse du P. Moulin, son Supérieur.

Son séjour à Malange se prolonge jusqu%ux environs de son premier congé en Europe, qu'il prit en 1906; il était revenu à Libollo, à titre de supérieur en remplacement du P. Callewaert et après avoir passé quelque temps à Loanda.

Le P. Callewaert, grand bâtisseur, avait, pendant les sept années de son supériorat, bâti à Calulo une église à trois nefs, l'avait ornée de vi­traux de couleur et doté d'un autel, véritable oeuvre d'art, disait-on; cadre de belles cérémonies et de chants réussis, qui attiraient européens et in­digènes. L'essor semblait donné à la station: encore fallait-il des épreuves pour que l'oeuvre eût le cachet de Dieu. Nous ne parlons pas des colla­borateurs du P. Georger. Les principaux parmi ceux qui ont disparu, les P. René Robert, Oscar Kohler, Germain Faroux, ont fourni chacun une magnifique carrière de missionnaires, en des genres différents, avec une note bien nette d'originalité personnelle; tous se sont épuisés à la tâche.

Mais voici la série noire des calamités :
Le secteur Est de la Mission se soulève, le 10 août 1905, en protestation des prestations exigées des indigènes pour la construction de la ligne de chemin de fer de Malange. La répression fut molle, faute de troupes, les forces du Gouvernement étant retenues dans le Sud de la Colonie contre d'autres rebelles. L'impunité enhardit les révoltés qui retournent à leurs pratiques de licence sans frein et de barbarie. Toute l'avance des missionnaires chez les Kissangos fut anéantie. Quatre années, durant, l'accès de la région leur fut interdit. Sans se déconcerter, les ouvriers évangéliques reprirent peu à peu le labeur interrompu. C'est alors qu'une épidémie, maligne se déclara au centre de la mission, ct, pour comble d'ennui, la sècheresse aggrava encore la calamité.

On reprenait espoir quand l'annonce de la Révolution de 1910, à Lis­bonne, met de nouveau le feu aux poudres. Cette fois, ce ne sont pluss les indigènes qui s'attaquent à la station, mais les autorités portugaises elles-mêmes avec la population d'origine européenne, qui manifestent contre les Pères. On projette de chasser ces derniers et de fermer leur résidence, pour obéir aux décrets du Gouvernement provisoire. La per­sécution religieuse s'annonce sans merci.

La Maison-Mère a cependant adressé des instructions: résister au nom de l'Acte général de Berlin et de la Convention de Bruxelles. Le 26 novembre 1910, une tentative d'expulsion est faite. Fort des traités in­ternationaux, le P. Georger proteste qu'il ne bougera pas. On en réfère au Gouvernement général à Loanda, lequel demande des instructions à Lisbonne. Lisbonne donneordre de suspendre toutes mesures de coer­cition jusqu'à nouvelles instuctions. Tout ce bruit était l'effet d'animosités, personnelles des chefs, car il ne se produisit pas partout. Bientôt, le ré­sident de Libollo, le lieutenant Brandao, franc-maçon ardent, se met en mouvement. Avec une insigne brutalité, il ferme la maison, licencie le personnel et déclare les bâtiments propriété de la République. Les PP. Georger et Kohler s'y opposent inutilement; ils n'ont d'autre ressource que de réclamer contre ces agissements auprès du Gouverneur général de Loanda et d'attendre justice. Justice est faite: les Pères sont réintégrés dans leur domicile; leur adversaire Brandao est rappelé et part, le ler jan­vier 1911. Six mois plus tard, le 4 juillet, nouvel inventaire, nouvelle ap­position de scellés, nouvelle expulsion, complète: l'église est fermée, les deux chambres laissées aux Pères leur sont interdites; ceux-ci logent dans des cases indigènes et attendent.

Le 9 août, tout penaud, l'auteur de ces méfaits vient rapporter les clés des bâtiments et la mission ressuscitée sonne ses cloches, reprend ses of­fices et, le 15 août, célèbre solennellement sa délivrance La mission avait bien souffert: des défections s'étaient produites; par contre, des convictions s'étaient affermies et l'on entrevoyait une so­lide reprise.

Et voici la guerre mondiale qui éclate! Le P. Robert rejoignit l'armée i-ançaise, fut dénoncé comme allemand et forcé, en décembre 1916, de se rendre à Loanda pour faire état de sa nationalité française. En face de ces tracasseries, il ne revint pas au Libollo et fut placé à Malange. En son absence, une nouvelle révolte éclata dans son district; les européens se retirèrent au fort. Dans une première rencontre, les indigènes eurent le dessus; une seconde expédition contre eux fut nécessaire; de Malange, P. Georger essaya d'intervenir. Il n'y réussit pas tout d'abord, mais enfin le pays s'apaisa et la station fut rouverte.

Il resta seul plusieurs années; on a dit qu'il y trouva occasion de sat­isfaire ses goûts érémitiques. Nous n'en disconvenons pas, mais à la longue, cette solitude lui pesa. Pourtant, il continua son oeuvre au centre de Calulo et en tous les points qu'il put atteindre.. En 1928, la station comp­lait 3.200 catholiques et 200 catéchumènes: c'était beaucoup pour un seul.

En 1922, il était revenu en Europe; il le fit encore en 1932, pour pren­dre part à la récollection de Chevilly, comme un jeune, malgré ses trente sept ans de service. Puis il retourna en Angola.

L'ère des pionniers était close; la station bénéficiait des progrès mo­dernes: les routes s'ouvraient, les quartiers les plus éloignés étaient vi­sités à peu de frais, et le bien se faisait. Le R. P. Riedlinger, revenant de sa visite de 1926, exprimait son admiration pour ce qu'il avait vu à la Lounda et déplorait qu'à la Maison-Mère et dans la Congégation en général on ignorât le bien qui s'y faisait. N'en a-t-il pas été toujours ainsi dans les milieux où le travail absorbe toutes les activités?

En 1927, le P. Georger demanda à quitter la Lounda; il y souffrait le l'isolement auquel il était réduit. Se doutait-il que, peut-être, par son comportement, il avait contribué à faire le vide autour de lui? Quoi qu'il -ii soit, ses supérieurs ne peuvent s'en expliquer et ne répondent que vaguement à ses plaintes. A son retour de congé en 1932, il fut placé à Malange. Bientôt nous le trouvons au Coubango, à Balombo. Il ne s'y fit davantage et, rentré en Europe, en 1939, il se décida à rester au Por­tugal. Il vécut à Braga.

En 1946, il demanda à rentrer en France, et tandis qu'à Porto on préparait son départ, une place d'aumônier lui fut offerte dans une com­munauté de Clarisses; il n'y resta que quinze jours. A Lisbonne, il avait trouvé à desservir une chapelle de Carmélites. Il essaya de s'y attacher, puis il fut placé dans la propriété non encore aménagée qui devait devenir au siège du Scolasticat de la Province. L'hiver de 1949 lui fut très pénible. Il arriva enfin à Paris et la maison de Wolxheim qui venait d'être achetée en Alsace lui offrit un lieu de retraite. C'est là qu'il devait mou­rir quelques mois plus tard, le 25 juin dernier.

Quelques semaines avant sa mort, on avait dû le transporter à l'hô­pital Sainte-Odile,à Strasbourg, pour essayer de guérir les troubles qu'il ressentait à la vessie. Le jour même où il devait mourir, son Supérieur, le P. Gross, écrivait au R. P. Provincial:

« Vendredi de la semaine dernière, je suis allé à l'hôpital voir le Père Georger; je l'ai trouvé très déprimé et découragé. Il en avait déjà assez de l'hôpital et voulait rentrer à la maison. J'en parlai aux Soeurs et au médecin traitant. Les premières ne demandaient pas mieux que de se voir débarrassées d'un patient si intraitable. Le docteur n'y voit aucun inconvénient pourvu qu'il y ait quelqu'un qui sache faire cette petite opération de lui vider la vessie de temps en temps... On avait fixé pour aujourd'hui (lundi 25 juin) ce retour du Père à Wolxheim. Or, hier di­manche, pendant que tous les valides étaient absents en ministère, on téléphona de Sainte-Odile de venir d'urgence chercher le malade. Comme notre auto n'était pas disponible, c'est l'ambulance de l'hôpital qui ra­mena le pauvre Père. Il était encore plus déprimé que vendredi; nous l’avons veillé toute la nuit. Le matin, il s'est un peu remis, mais je crois qu'il n'en a plus pour longtemps. »

Le lendemain, le P. Gross écrivait de nouveau au P. Provincial: « Le dénouement n'a pas tardé; le cher P. Georger est mort hier soir vers 22 heures. On était à peine couché que le Fr. Wendelin, faisant son tour de veillée, vint appeler. On eut encore le temps de donner au moribond l'in­dulgence de la bonne mort et de réciter les prières des agonisants. Le Saint-Viatique et l'Extrême-Onction lui avaient été administrés anté­rieurement. »

Le P. Georger entrait dans son éternité quinze jours après le P. Germann qu'il avait reçu à Libolo, en 1926.

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