LE PÈRE PROSPER GOEPFERT
Missionnaire aux Etat-Unis (1842-1914)
(Not. Biog. V p. 360-364)


Le jeune Prosper Goepfert fut le premier sujet présenté par M. l'abbé Melleker, curé de Murbach en Alsace, et ami du T. R. Père Schwindenhammer. « Il est né le 3 avril 1842, écrivait ce prêtre, à Obermorschwihr, petit village situé à une lieue et demie de Colmar. Il a vécu la vie de la campagne ; mais tous les jours il se rendait dans cette ville pour y fréquenter les cours du collège. C'est un jeune homme sage, qui a beaucoup de moyens. Il a été, le troisième eu excellence, dans ce collège où il vient de terminer sa quatrième. » (Lettre du 2 octobre 1859).

Admis sur cette demande, il fut reçu en qualité de postulant à N.-D. de Langonnet, le 7 octobre 1859. Le 27 mai 1860, il prenait l'habit comme petit scolastique ; il passait au grand Scolasticat le 12 octobre 1862, et quatre ans plus tard, an Noviciat. Pendant les huit années qu'embrasse son temps de probation, sa piété s'affirma par l'émission et le renouvellement des vœux privés de religion et de stabilité.

Un des traits à retenir de sa pensée religieuse durant sa probation, c'est au sujet de l'obéissance, ce que porte ses notes. « En a beaucoup, y est-il dit, et il montre une grande droiture et simplicité envers ses supérieurs. » Cette confiance, particulièrement envers ses supérieurs majeurs, fut toujours en lui un sentiment très prononcé : il devait en retirer bien des grâces.

Dans le courant de 1866, il reçoit les Ordres majeurs. Il avait été ordonné prêtre le 22 septembre 1866 par S. E. Mgr Chigi, alors Nonce à Paris; l'année d'après, le 25 août, il faisait sa profession. - « Je ne me souviens pas, disait-il, dans sa lettre de demande, de m'être propose un autre but, depuis qu'il m'est donné de penser et de désirer, que d'entrer dans une congrégation religieuse, Peur m'y sanctifier, en glorifiant Dieu et en sauvant les âmes. » (Lett. du 5 août 1867).

Après sa consécration à l'apostolat il reçut son obédience pour l'Irlande, et fut placé au collège de Rockwell. On le trouve à ce moment fidèle à sa lettre de Direction. Il s'y montre plein de sincérité humble et confiante. «Mes charges, écrit-il, j'ai fait mon possible pour bien m'en acquitter ; mais je ne crois pas avoir réussi au collège cette année J'ai fait beaucoup souffrir le P. Supérieur.... Il me dit que je n'ai pas l'obéissance du jugement. De là des moments de relations pénibles. Mais le jour même, ça se termine par la soumission et le regret. Néanmoins, le vieil homme est toujours là ; je le vois et je reconnais qu'il y a du chemin à faire avant d'être parfait. » Que veut-il ? Que promet-il ? Se remettre au travail avec plus d'énergie pour devenir vraiment un prêtre, un religieux, un missionnaire. « Missionnaire en Irlande, ajoute-t-il, mais que je serais heureux de devenir un jour missionnaire d'Afrique!» (Lett. 22 juin 1867).

Il s'est mis résolument à l’œuvre dès le début. Il continue, sentant le besoin de répondre de mieux en mieux aux fonctions qu'il remplit comme à celles qu'il prévoit. Il est professeur, et, tout en enseignant le latin, le français, le grec, il s'applique à acquérir une pleine connaissance de l'anglais. Cette langue, il le sent, sera l'instrument que réclame son zèle pour l'exercice aussi complet que possible de son ministère sacerdotal. Déjà il entrevoit un travail des plus utiles, une vie du Vénérable Père. Un autre se recommande aussi, comme un complément de l'œuvre de nos Pères de Beauvais, le Messager de Saint Joseph. Il ne veut pas se trouver insuffisant pour cette double tâche. Idées, matériaux à réunir, il pense à cette préparation nécessaire, et s'y applique tout en se formant à la composition littéraire anglaise. En 1870, il sollicitait et obtenait soit admission aux vœux perpétuels. Il montrait toujours d'excellentes qualités, et ses confrères étaient unanimes à les reconnaître. Mais l'obéissance, cette vertu louée chez lui, scolastique et novice, lui était rendue difficile par la spontanéité et la ténacité de son jugement propre.

Ses bonnes qualités n'auraient-elles point à en souffrir, ne se développant pas comme on était en droit de l'espérer ? Il y avait là une pensée un peu inquiète dans l'esprit de ses supérieurs, eux qui trouvaient en lui d'ailleurs un ensemble si heureux de dispositions et d'aptitudes. (Inform. 9 juillet 1870)

Il est touchant de le voir, lui, déjà attentif à ce défaut qu'il avoue et déplore, s'en accuser dans les termes les plus remplis, de sévérité contre lui-­même et d'affectueuse soumission à son supérieur. « Désormais, écrivait-il, mon Révérend et bien aimé Père Supérieur, corrigez, recorrigez, coupez, détruisez en moi à votre aise ; reprenez, désirez, commandez, révoquez. Vous me trouverez toujours in manu tua, paratus ad omnia, comme le veulent nos Saintes Règles... Puissé-je réjouir autant et plus votre coeur d'indulgent Père, par ma fidélité et ma généreuse soumission, que je l'ai contristé dans le passé ! » (Lett. 26 avril 1872)

Devenir un jour missionnaire d'Afrique au lieu de missionnaire d'Irlande, il en avait une première fois déjà exprimé un vague désir. Il y revient seize ans après. Certes, à Rockwell, il avait bien fourni sa tâche, se prêtant à toutes les fonctions où il avait pu répondre à un besoin. Ç'avait été le professoral, l'enseignement continu. Il sentait un vif désir d'être dans un milieu nouveau, en communication avec les âmes, afin de leur devenir plus utiles. C'étaient les âmes des pauvres noirs qu'il avait en vue, et déclarait préférer à tous ses auteurs grecs et latins. Mais tout en disant : « Ecce ego, mitte me, il ajoutait : Je mourrai s'il le faut en enseignant religieusement du grec persuadé que l'obéissance vaut mieux que tous les sacrifices. » (Lett. du 22 août 1873)

Ce n'était pas encore sa vie d'apostolat, mais celle de Supérieur de la Communauté même de Rockwell, qui s'ouvrait pour lui en 1883. Le Père qui devait passer vingt-deux ans en Irlande, en resta cinq Supérieur. Ce fut une période d'activité plus grande encore et d'un rayonnement de ministère et d'oeuvres au dehors, s'ajoutant aux fonctions de professeur dont il ne put se décharger entièrement. Ce ministère était fait surtout de prédications dans les paroisses et de retraites dans les Communautés religieuses.

Le Père eut à s'employer aussi beaucoup à la rédaction et à la publication du Messager de Saint Joseph ; comme à la réédition de la vie du Vénérable Père parue depuis un certain temps. Mgr Croke, le distingué Archevêque de Cashel, avait bien voulu présenter l'ouvrage au public catholique anglais en l'accompagnant d'une préface. Le livre très prôné d'ailleurs par le Freeman's Journal et la presse irlandaise, eut un brillant succès de librairie, gage de résultats meilleurs encore qu'en promettait la lecture. En même temps qu'une oeuvre de propagande au bénéfice de notre Institut, ce travail du Père Goepfert avait été un tendre hommage de sa piété filiale à notre Vénérable Père.

En 1870, le Père Goepfert quittait l'Irlande et rentrait à la Maison-Mère. Il fut temporairement placé à Mesnières, comme professeur d'anglais. C'était le moment où ses aspirations à la vie apostolique, devenues plus vives, allaient être satisfaites. Mais l'Amérique se substituait à l'Afrique. En Amérique, il arrivait armé de toutes pièces pour un ministère immédiat, étendu, fécond. Qu'aurait-il pu accomplir en Afrique dont nulle langue indigène ne lui était connue ?

Placé dès son arrivée aux États-Unis à Saint-Joachim de Détroit, il se mit vite au courant des mœurs américaines et des procédés de ministère propres à en assurer le succès. Et certes il se porta aux oeuvres avec nue ardeur de zèle digne (le tout éloge. Plusieurs fois il écrivit dans les journaux pour défendre la religion contre les calomnies des protestants. Nous le voyons successivement, après son séjour à Saint-Joachim, assistant et Curé dans la paroisse de Dcarbom ; puis à Grem-Bay, à Eajle-River, à Pharsburg. Il gagne l'estime et les sympathies des Évêques des diocèses auxquels il est attaché, en particulier de Mgr Foley et de Mgr Messmer. Il se rend compte des grâces dont Dieu bénit ses efforts par le mouvement religieux qu'il imprime autour de lui a la population chrétienne. Et tout cela l'encourage.

Il n'en est pas moins vrai que cette période de sa vie fut marquée par de douloureuses épreuves. C'est alors qu'il sentit plus que jamais l'avantage incomparable de recourir à ses supérieurs majeurs, afin de s'aider de leurs conseils, de leurs encou­ragements, ait besoin de leurs ordres, pour rester fidèle à sa vocation ou s'y ramener si quelques déviations se sont produites. Ce fut là son soutien dans l'épreuve comme aussi sa filiale dévo­tion au Vénérable Père.

En 1912, il était mis à la retraite et se fixait dans la Communauté de Pittsburgh. Il se sentait usé. Un mal terrible dont il avait souffert une première fois en Alsace, devait bientôt le reprendre et dégénérer en paralysie. « Le P. Goepfert, écrivait le P. Héhir, a été paralysé depuis trois ans, nous l'avons pris dans notre Communauté, où nous l'avons soigné comme on doit soigner nos vaillants et vieux confrères. Les trois dernières semaines de sa vie, il a été obligé de rester au lit. Tous les matins on lui a donné la Sainte Communion, et le 4 octobre je lui ai administré l'Extrême-Onction. Sa fin est venue paisiblement le dimanche 11 octobre. Ce même matin, il avait fait la Sainte Communion. Il est mort tout à fait résigné à la volonté de Dieu et attaché de tout coeur à la Congrégation. » (Lett. du 14 octobre 1914).

Dans une de ses dernières lettres à Mgr Le Roy, le Père Goepfert, en exprimant ses vœux de nouvel an, traduisait ainsi lui-même ses sentiments pour son Supérieur général et sa Congrégation. « Moi le dernier et le plus humble de vos enfants, je vous souhaite encore bien des années pour la gloire de Dieu, la prospérité de la Congrégation et le salut des âmes. Je désire mille fois offrir ma propre vie pour ces fins, vous priant de bénir mes derniers jours et ma dernière heure, et vous demandant un mémento dans vos saintes prières. Je veux rester jusqu'à mon dernier soupir votre reconnaissant et dévoué fils, dans les Saints Cœurs de Jésus et de Marie Immaculée. » (Lettre 18 mai 1912).
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