Mgr Marcel GRANDIN,
1885-1947.


Marcel Grandin naquit le 16 janvier 1885, dans la petite paroisse de Beaulandais (canton de Juvigny-sous-Andaine, arrondissement de Domfront, pays bien normand), avant-dernier d'une famille nombreuse. Son père tenait une forge de campagne et la sacristie de l'église, la mère élevait les enfants et tenait un petit magasin. Le père mourut peu de temps après la naissance du sixième enfant. Un jour, la mère veuve demanda à ses trois garçons : Quel est celui d'entre vous qui voudrait être prêtre ? - Moi, maman, répondit Marcel ; et, à l'âge de onze ans, il demanda à être admis au petit séminaire de Sées.

Dans cet établissement, Marcel Grandin se montra excellent élève, se plaçant régulièrement parmi les tout-premiers de sa classe. Cela ne veut pas dire qu'il fût un fanatique de la discipline, ni que son tempérament ne l'entraînât pas, plus souvent qu'à son tour, à commettre quelque entorse au règlement. Mais ses maîtres surent apprécier les ressources de cette nature exubérante, que garantissait, d'ailleurs, une piété sans détours. Son grand-père, rude paysan, n'hésitait pas, quant à lui, à traiter son petit-fils, durant les vacances, comme un valet de ferme. Marcel acceptait volontiers, par amitié pour son grand-père et désir d'entraîner ses forces aux travaux à venir.

Vers la fin de ses études secondaires, il se rendit compte que son tempérament se trouverait mal à l'aise dans le cadre du clergé séculier. Il songea aux missions lointaines et à la vie religieuse. Son service militaire achevé, il sollicita son admission dans la congrégation du Saint-Esprit, où toute une pléiade de Normands l'avait déjà précédé.

Son noviciat et son scolasticat terminés, il fut ordonné prêtre en 1912, et, l'année suivante, il reçut son obédience pour le Bas-Niger. Il y partit en même temps que le jeune P. Biéchy, qui deviendra vicaire apostolique de Brazzaville en 1936, et son voisin à Bangui.

Dans la grande colonie anglaise du Nigeria, le P. Grandin travailla ferme. On lui doit, en particulier, la fondation de l'importante mission d'Eké (actuellement, dans le diocèse d'Enugu, elle compte plus de 25000 catholiques). Apprécié par son évêque irlandais, Mgr Shanahan, il devint, au bout de peu d'années, procureur du vicariat, directeur de renseignement, puis vicaire général, toutes fonctions où il fit preuve d'autant de compétence que d'activité. Toutefois, ce ne fut pas sans surprise, à Bangui, qu'on apprit en 1928 sa nomination de préfet apostolique de l'Oubangui-Chari, en remplacement de Mgr Calloc'h, car les missionnaires d'A.E.F. avaient un peu perdu de vue leurs confrères en territoire anglais. Mais, renseignements pris, le nouvel ordinaire de Bangui jouissait d'une réputation excellente, aussi bien comme religieux et comme confrère, que comme ouvrier apostolique ; bientôt tout le monde reconnut que le choix avait été heureux. Ce qui plaisait surtout, chez le jeune prélat, il avait alors 44 ans, c'était sa simplicité ennemie de toute pose, son abord franc et direct, sa gaieté inaltérable, qui se manifestait par sa conversation enjouée, où l'esprit français s'alliait pittoresquement à l'humour britannique. En peu de temps, il eut rallié à lui toutes les sympathies.

Il n'existait pas d'analogie entre le Nigeria et l'Oubangui-Chari. L'un grouillait de populations actives et intelligentes, l'autre avait de vastes parties désertiques. Le Nigeria avait perfectionné son installation matérielle : il avait des ports, des routes, des voies ferrées, des mines. L'Oubangui-Chari arrivait à peine à "ramasser" son impôt et subissait périodiquement des famines cruelles. Toutefois le gouverneur Lamblin venait d'entreprendre la création des premières routes pour sortir le pays de son habituelle stagnation.

Le territoire confié à Mgr Grandin représentait la république actuelle de Centrafrique et le sud du territoire du Tchad, c'est-à-dire l'équivalent de la France et de la Belgique. Or, à son arrivée, il n'avait à sa disposition que 12 Pères et 4 Frères; le chiffre des chrétiens ne dépassait pas 2000, et une vingtaine de catéchistes instruisaient un millier de catéchumènes, dispersés et difficiles à suivre. Tout de suite, il jugea la somme de travail qu'il faudrait fournir pour faire sortir la mission du marasme où elle se débattait, et il se mit à I'œuvre.

Quand il vit que la partie de son territoire entreprise par les missions s'arrêtait d'un côté à Bambari et de l'autre à Mbàïki, l'idée lui vint d'occuper ses frontières en utilisant les routes nouvellement créées.

Il commença par remonter le cours du fleuve et atteindre Bangassou en 1929, à mi-chemin entre Bangui et la frontière du Soudan, l'immense pays voisin, alors sous domination anglo-égyptienne. Il pénétra ensuite dans l'ouest de son territoire ; il demanda à Brazzaville de lui céder la mission de Berbérati et sa région qui relevait désormais administrativement de Bangui ; en 1931 il fonda la mission de Bozoum ; les années suivantes celles de Doba, Kélo et Moundou, qui constitueront le noyau d'un nouveau diocèse quand les Jésuites entreprendront l'évangélisation du Tchad en 1947. En 1935 , c'est la création de la mission d'Ippy au nord de Bambari ; en 1936, Alindao à l'est de Bangassou ; en 1938, Boda entre Mbaïki et Berbérati.

Durant ces dix premières années, les Sœurs Spiritaines, venues en même temps que lui en 1928, se sont mises au travail à Bangui, Mbaïki et Berbérati , chargées du ministère près des femmes et de la préparation au mariage des jeunes filles. Le chiffre des chrétiens est passé de 2000 à17000, celui des catéchistes d'une vingtaine à plus de 400.

Le Saint-Siège sanctionne ces progrès en érigeant la préfecture en vicariat apostolique, et en conférant, à celui qui en est l'âme, la dignité épiscopale. Mgr Grandin fut sacré à Alençon, le 18 janvier 1938.

Dans son bulletin trimestriel, "Le Semeur", l'abbé Frédéric Goblet nous décrit les armes du nouvel évêque. Des armes simples, dit-il : cc La colombe spiritaine surmontant la Vierge de l'Immaculée-Conception de Sées sur son pilier. Deux rivières : le Niger et l'Oubangui. Un rappel de sa Normandie : deux léopards, passant d'or. Un autre rappel : l'écu chappé du Carrnel, car Alençon où se fait son sacre est le lieu de naissance de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, patronne des missions."

Il énumère ensuite les personnalités entrant dans l'église pour la cérémonie : " En tête les doyens et chanoines en habit de chœur. Après eux, revêtus de la cappa magna l'archevêque de Rouen, Mgr Petit de Julleville, Primat de Neustrie, et le Pontife Consécrateur Mgr Pasquet, l'évêque du diocèse, qui accomplit aujourd'hui son premier sacre d'évêque. Voici l'Elu, en rocher et manteletta, accompagné de ses deux parrains : Mgr Le Hunsec, le "Très Révérend Père" comme on dit chez les Pères du Saint-Esprit, et Mgr Shanahan, venu tout exprès d'Irlande. Suit l'auxiliaire de Quimper, Mgr Cogneau, haute figure émaciée, qui a un neveu spiritain et une nièce religieuse en Oubangui. Puis c'est, en coule blanche ponctuée d'un point d'or, le Rme Abbé de la GrandeTrappe, accompagné du maître imagier, Dom Marie-Bemard. Fermant la marche, les protonotaires en manteletta : Mgr Leconte, grand vicaire, Mgr Lemée, de Montligeon, Mgr Chappoulie, le tout jeune président de la Propagation de la Foi. Un clergé nombreux, braves figures de prêtres qui peinent et qui luttent obscurément pour la cause de l'Église, presque tous amis et relations du nouvel évêque et ajoutant leur joie à la fête. De-ci de-là, sous les surplis, le cordon spiritain : c'est la chorale de l'Abbaye-Blanche venue de Mortain pour les chants. Enfin, plusieurs missionnaires dont trois, les PP. Hück, Fayet et Dufour, représentent l'Oubangui-Chari."

Le nouvel évêque ne sortit de l'église qu'une fois mitré, pour aller ensuite, assisté de ses deux parrains, bénir la foule, en commençant par sa vénérable mère. Ce fut enfin le banquet. Comme toujours la Normandie a largement fait les choses. Par le grand nombre des invités, par la cordialité, qui mettait tout le monde à l'aise. Prélat et dignitaires, représentants de la ville et des associations diocésaines, coloniaux venus de l'Oubangui et du Tchad, laïques, camarades et familiers. Ce banquet fut, comme tout le reste de l'accueil d'Alençon, une chose marquée du sceau de la meilleure tradition.

Le 19 mars, Monseigneur a pris l'avion au Bourget. Mais avant d'y prendre place, il a voulu que sa bonne vieille maman, de 80 ans, reçoive elle-même une sorte de baptême de l'air, en montant dans l'avion. Elle en descendit plus rassurée sur le voyage aérien de son cher évêque. Arrivé à Bangui le 23, il trouva au débarcadère une belle voiture automobile, que lui offraient les Européens de l'Oubangui-Chari. Geste très délicat et révélateur de sympathies, bien capable de toucher le cœur sensible du premier évêque de Bangui.

Aussitôt arrivé, il donnait l'ordination sacerdotale, le dimanche 27 mars, à M. l'abbé Barthélémy Boganda, son élève et premier prêtre indigène de l'Oubangui. Pour commémorer ce souvenir un calvaire monumental a été élevé, près de la résidence de la mission, dans la cour de la cathédrale. La mission de Bangui a désormais fière allure : au centre, son église, aux tours carrées de briques cuites, pouvant accueillir 3000 fidèles, d'un côté la résidence du clergé, de l'autre l'école primaire, et derrière, à toucher la colline, la communauté des Sœurs du Saint-Esprit.

A ce sujet, signalons, entre beaucoup d'autres, la générosité de deux familles, celle de l'abbé Frédéric Goblet et de son oncle le chanoine Patrice, et celle de MI Vacquerie, l'organiste d'Alençon, dont les largesses permirent en particulier la création de la mission de la Sainte-Famille où se dévoua le jeune P. Raoul Goblet.

Malgré les difficultés de la guerre 1939-1945, le développement des missions se poursuit en Oubangui-Chari. En 1941, des missionnaires capucins, français et italiens, chassés du Soudan de Khartoum, viennent prendre en charge la partie occidentale du territoire, où ils créeront par la suite, les trois diocèses de Berbérati, de Bossangoa et de Bouar. De son côté, Mgr Grandin poursuit la création de nouveaux postes - à Sibut en 1943, à Crampel (Kaga-Bandoro) en 1946, à Bossembélé et à Grimari en 1947.

C'est le 11 juillet 1947 que les Sœurs du Saint-Esprit ouvrirent un centre pour les lépreux à Agoudou-Manga, entre Bambari et Ippy. Elles s'appelaient Sœur Aubin Pendélio, Sœur Antoinette de Chalembert, Sœur Marie-Jeanne Bourhis et Sœur Côme Butor, docteur en médecine. Le traitement des lépreux par les sulfones ayant été très satisfaisants, des infirmiers supplémentaires leur furent adjoints qui assurèrent la distribution des sulfones dans les villages, si bien qu'en quelques années, sur l'ensemble de l'Afrique Équatoriale Française, c'est le Centrafrique et le Tchad qui eurent les meilleurs résultats grâce à la régularité des distributeurs et des malades.

A cette date la juridiction de Mgr Grandin comptait 36863 catholiques, 22842 catéchumènes, l prêtre africain et 38 étrangers, 2 religieuses africaines et 26 étrangères. Le petit séminaire ouvert à Bangui, à la mission Saint-Paul, avait été fermé durant la guerre par suite de la mobilisation des professeurs. L'évêque s'apprêtait à reprendre cette œuvre essentielle, à la mission de Sibut. Il songeait aussi à de nouvelles stations dans l'Est du pays, pour y placer une équipe de jeunes spiritains hollandais. Quand les affaires lui laissaient un peu de répit, alors il se consacrait à celle qui, entre toutes, formait son principal souci : l'amortissement progressif des dettes de sa cathédrale.

Le dimanche 4 août 1947, il avait consacré sa journée à faire dans ce but une collecte de plus, et il rentrait chez lui vers les 5 heures du soir, en automobile, seul au volant. On sait qu'entre la ville de Bangui et la mission de Saint-Paul, on doit suivre une route en corniche, souvent à flanc de rocher, avec l'Oubangui en contrebas. Tout à coup, à 1500 mètres de la mission, il se trouva en présence d'une voiture militaire qui venait vers lui. Le passage était étroit. Soudain la voiture de l'évêque plongea dans le fleuve. Quand le corps fut dégagé, toutes les interventions pour le ranimer demeurèrent vaines. Chose singulière, le visage n'avait reçu aucune injure et peut-être Mgr Grandin ne succomba pas par le fait de la noyade. Plus vraisemblablement y eut-il fracture de la colonne vertébrale à la hauteur du cou.

C'est une mission en plein essor que la mort de Mgr Grandin a plongé dans le deuil. A Bangui la consternation fut universelle. Transporté à Saint-Paul, le corps fut revêtu des ornements pontificaux et exposé dans le salon de la résidence épiscopale. Les obsèques eurent lieu à la cathédrale et revêtirent un caractère d'apothéose. Une compagnie de soldats rendit les honneurs militaires, mais le peuple entier, chrétiens, païens, islamisés même, tout le monde était là. Puis la dépouille mortelle fut conduite au cimetière de cette mission Saint-Paul-desRapides, où reposent déjà la plupart de ces pionniers, dont il avait poursuivi et couronné I'œuvre. Mais chez tous ceux qui l'ont connu, Blancs et Noirs, le souvenir n'est pas près de s'effacer, de cette belle figure épiscopale, où les traits du missionnaire se trouvaient reproduits avec tant de relief et tant d'attrait.

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