P. Jean-Alexandre HACQUARD
TOME XII p. 270
Décédé à N.D. de Bagamoyo le 2 mars 1882
(B.G. n° 149, mai 1882)


Né le 27 / 12 / 1844 à Gugnécourt, (Vosges), diocèse de St Dié (88) ; premiers vœux à Chevilly, le 28/ 08 / 1870 ; diacre à Chevilly, le 18 / 09 / 1869 ; prêtre à Paris, le 14 / 11 / 1869 ; à Maurice du 14 / 05 / 1871 au 01 / 01 / 1876 ; décédé à Bagamoyo, (Tanzania) le 02 mars 1882 .

Sur la fin de son Noviciat, le 30 juillet 1870, le P. Hacquard écrivait au T.R. Père : « Admis par une faveur spéciale au nombre des novices, je crois obéir aux desseins de Dieu en déposant à vos pieds mon grand désir d’embrasser bientôt la croix du missionnaire, sous la bannière de notre vénéré et bien aimé Père …

« Qu’ai-je fait qui m’encourage dans cette démarche ? Rien – Que puis-je faire ? Je ne sais … Du moins, j’offre ma vie pour que le Bon Dieu conserve plus longtemps dans la Congrégation le plus utile de ses membres . »

Cette offrande, Dieu vient de l’agréer, en son temps, en appelant à lui ce cher Père, dans la 38° année de son âge et la douzième de sa profession religieuse .

Le P. Hacquard (Jean-Alexandre) naquit le 27 décembre 1844, fête de St Jean l’Evangéliste, à Gugnécourt, petite commune des Vosges . En 1868, après deux années théologiques faites avec succès au Séminaire de St Dié, se sentant plus vivement pressé du désir qui le poussait depuis longtemps vers les Missions, il pria M. l’Abbé Grandclaude, son directeur, de solliciter son admission dans la Congrégation . « Je crois, disait le savant professeur, qu’il s’agit ici d’une solide vocation, éprouvée par la résistance la plus opiniâtre d’une famille qui ne sait voir que les sacrifices matériels faits jusqu’alors . Je serais heureux de le voir entrer dans une Congrégation déjà célèbre par les services qu’elle a rendus à l’Eglise, persuadé qu’il sera à la place que Dieu lui assigne, et deviendra un ouvrier utile dans la maison de Dieu . » (lettre du 17 octobre 1868)

Le jeune séminariste, alors minoré, vint frapper à la porte du Grand Scolasticat, le 30 octobre 1868, et le 28 août 1870, il embrassait avec bonheur sa croix de missionnaire .

Mais la guerre franco-allemande venait d’éclater . Il fallut au P. Hacquard, comme à ses confrères, s’éloigner pour quelques temps, en attendant le poste que lui assignerait l’obéissance . Resté dans sa famille jusqu’aux premiers jours d’avril 1871, il y reçut l’ordre de s’embarquer à Marseille à destination de Maurice, avec le P. Lainé .

« Vraiment, écrivait-il de Marseille au T.R. Père, je n’étais plus religieux, et je soupirais après le moment qui me séparerait du monde, des parents et des amis et me placerait sur mon champ de bataille tant désiré . J’ai commencé mon voyage par la prédication . A mon tour, je puis dire avec Joseph II, près de qui ? devinez – Près des grands d’Epinal peut-être ? – mieux que cela pour le futur missionnaire . Les pauvres les plus abandonnés sont l’objet de nos soins . Or je n’étais pas encore tout à fait remis des émotions du départ que le Bon Dieu m’appelait par la voix d’un de mes amis à dire un mot aux prisonniers d’Epinal . Je le fis donc ; persuadé que cette première petite bonne œuvre attirerait sur les voyageurs un regard favorable du ciel . » (lettre du 15 avril 1871)

Contrairement à ses goûts, il eut à faire, pendant près de six ans, une classe au collège de Port-Louis . A l’expiration de ce terme, il fut envoyé, selon ses désirs, dans la Mission de Zanzibar . Il écrivit de Zanzibar peu après son arrivée : « Je suis parti de Maurice le premier janvier 1876, et je suis ici depuis le 5 février, après 8 jours de repos à Tamatave et 15 à Nossi-Bé, chez les Pères Jésuites …

Je n’ai qu’un désir, celui de travailler avec ardeur à notre chère Mission . Je ne me fais pas illusion sur les difficultés ; mais le Bon Dieu est là … Entrain dans l’action, voilà en deux mots ma profession de foi missionnaire . » (lettre du 9 février 1876)

Tel était, en effet, le P. Hacquard . Il a passé six ans dans cette chère Mission, trois à Bagamoyo et trois à Mbonda, travaillant avec zèle et ardeur .

A Bagamoyo, il était spécialement chargé de la direction du village chrétien . – C’est là, disait-il, ce qui me va le mieux . Là, je me sens missionnaire, au milieu de mes noirs . Le village est à cinq minutes de notre habitation . Nous y avons élevé, l’an dernier (1876) une petite chapelle où, soir et matin, hommes et femmes se réunissent pour la prière, les observations, s’il y a lieu, des gronderies, des encouragements, et après cela une classe de chant … Il y a beaucoup de bien de fait . c’est, à mon avis, l’œuvre capitale de la Mission . » (lettre du 28 février 1877)

Revenu l’an dernier en France pour cause de santé, il repartit pour le Zanzibar avec un nouveau courage le 16 octobre (1881) . Au mois de janvier de cette année (1882), le P. Baur le prit avec lui, comme compagnon de voyage, dans une excursion qu’il avait entreprise pour visiter les établissements de Mbonda et de Mandéra, et choisir l’emplacement d’une troisième station, que l’on projette de créer . La connaissance que le P. Hacquard avait de la langue du pays, le Kisigwa, son activité, son expérience et son savoir faire avaient porté le P. Baur à lui confier la nouvelle fondation . Mais Dieu en avait disposé autrement . Voici le récit qui nous est envoyé sur les derniers instants de ce cher confrère .

Partis de Bagamoyo le 16 janvier (1882), les PP. Baur et Hacquard y revinrent le 25 février . Ce dernier avait eu plusieurs accès de fièvre durant le voyage . Cependant, le lendemain de son retour, le dimanche 26 (février 1882), se trouvant assez bien, il voulut offrir le St Sacrifice ; mais il se sentit pris de vertiges, et sur le conseil du P. Supérieur, il se contenta d’assister à la messe principale ; encore dut-il pour cela se faire une grande violence . Le lundi, voyant que les médicaments les plus énergiques ne produisaient aucun effet, il pressentit sa fin, se recommanda de toute son âme au Cœur Immaculé de Marie, et demanda de lui-même les derniers sacrements, en faisant généreusement à Dieu le sacrifice de sa vie pour les peuplades infidèles qu’il était allé visiter . « Oh ! nous dit-il, que de bien on pourrait faire chez ces peuples ! Les enfants surtout semblent avoir le cœur ouvert ; il serait facile de les catéchiser, car c’est par eux qu’il faut commencer ; alors on mourrait content, en voyant le nombre de catholiques qu’on laisserait après soi … mais que la volonté de Dieu se fasse ! » Jamais il ne s’est plaint que les peines qu’il occasionnait aux sœurs chargées de le soigner et aux deux enfants qui les aidaient . On l’avait transporté, pour mieux lui donner les soins nécessaires, dans l’infirmerie de la Communauté, située à côté de notre clôture et accessible aux sœurs .

Le mardi soir, la fièvre devint plus intense . Il souffrait beaucoup : « C’est maintenant, s’écriait-il, le cas de répéter : adjuva nos, Deus salutaris noster . » - Plein d’une confiance inébranlable en la bonté divine, la mort ne lui a pas fait peur . Il priait sans cesse et baisait de temps en temps avec amour sa croix, son chapelet, ses reliquaires, qu’il avait toujours avec lui .

Le mercredi nous laissa une lueur d’espoir ; mais la nuit annonça une fin prochaine . L’on se hâta donc de porter au cher malade le St Viatique . Il le reçut avec de grands sentiments de piété ; et fit paisiblement son action de grâces . Vingt minutes après, une défaillance le prend ; aussitôt, les Pères les Frères et les Filles de Marie se rangent auprès de lui pour assister à l’administration de l’extrême-onction . Avant la cérémonie, il prie le P. Supérieur de s’approcher, et prononce à haute voix les paroles suivantes :

« Je suis content de mourir ; oui, je suis heureux et content ; je meurs tranquille . Je vous fais mes derniers adieux à vous tous . Je demande pardon au T.R. Père et à tout le monde de la peine que j’ai pu leur causer ; … et à vous aussi, mon cher Père ; je vous ai toujours aimé beaucoup, mais je vous ai fait aussi beaucoup de peine . Oui, je suis heureux de mourir . Dites à mon père, à ma mère, à mes frères et à mes sœurs que je leur fais mes adieux ; que je suis content de mourir en Afrique . Dites leur qu’ils ne s’inquiètent pas de moi, qu’ils prient pour moi, et je prierai pour eux au ciel, oui, beaucoup, beaucoup, pour tout le monde, pour nos œuvres … Je meurs content … »

Tous les cœurs étaient attendris . Suffoqué par l’émotion, le P. Supérieur eut de la peine à réciter les dernières prières . Se sentant un peu soulagé, le cher malade se tourne vers les sœurs, les remercie des peines qu’elles s’étaient données et leur assure qu’au ciel, il prierait aussi pour elles . Les deux enfants qui l’avaient soigné furent également l’objet de son attention ; il fit appeler l P. Supérieur pour les faire remplacer, afin, dit-il, que ces pauvres enfants ne fussent pas trop fatigués . Puis, il ne songea plus qu’à se préparer à bien mourir . Il énumérait les indulgences attachées à ses scapulaires ; s’interrompant tout à coup : « Que faut-il faire, demanda-t-il, pour les gagner toutes ? » -Vous savez bien, mon cher Père, lui répondit quelqu’un, que, pour gagner beaucoup d’indulgences, il suffit de prononcer le nom de Jésus, Maris, Joseph . » - « Je vous remercie ; rappelez-le moi bien souvent ; » Une heure après : « Est-il nécessaire de les prononcer de bouche ? il doit suffire de les prononcer de cœur ? » - Sur la réponse affirmative qui lui fut donnée, le malade continua sa prière qu’il interrompait souvent pour répéter ces paroles : « Oh ! comme il ait bon mourir religieux ! »

Le jeudi matin (2 mars 1882), à partir de 9 h ½, sa faiblesse augmenta rapidement ; à 11 h, une sueur froide couvre son front ; le P. Baur lui donne de nouveau l’absolution avec l’indulgence in articulo mortis, et lui fait prononcer ses vœux perpétuels . Puis, il ajoute : « Courage mon cher Père ! Paratum cor meum ! Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi . Il domum Domini ibimus ! »

Le P. Hacquard répond par un sourire et un signe de tête et répète : « Jésus ! Marie ! Joseph ! » - et un moment après, il ajoute d’une voix animée : « Vivat crux ! » - La voici, votre croix de missionnaire », lui dit alors le P. Baur . Et le malade, avec cette énergie qui le caractérisait, reprend : « Oui, Missionnaire ! »

Peu après commença l’agonie . Les membres de la Communauté accoururent aussitôt . On récite les prières des agonisants ; et à 11 h ½ tout était fini . Notre cher confrère avait rendu son âme à Dieu, nous laissant tous émus et édifiés ; car c’était vraiment la mort d’un prêtre religieux et missionnaire .

Les obsèques eurent lieu le lendemain avec toute la solennité possible . Le corps du défunt repose au cimetière, à droite de la grande croix . Tout autour, sont 21 tombes, contenant les restes des Frères et des Sœurs qui attendent le signal de la résurrection ; et à côté, quelques centaines de petites croix, souvenir de ceux de nos enfants que nous avons eu la consolation de préparer pour le Ciel .

Le P. Hacquard est le premier Père qui soit mort à Bagamoyo . Plaise au Ciel, que de longtemps encore, il soit le seul !

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