Le Père Alain HéMERY,
1872-1934


Le P. Hémery naquit à Elliant le 15 avril 1872. De belle taille, d'allure dégagée, intelligent, pieux, il fut remarqué par un vicaire de la paroisse et préparé par lui à entrer à Beauvais parmi les Petits Clercs de Saint-Joseph. Il y resta deux ans, vint ensuite à Langonnet et termina ses humanités à Merville. A Chevilly pour sa préparation au sacerdoce, son directeur le jugea d'abord hautain ; son visage impassible et son œil scrutateur en imposaient, mais tout changeait dès que les relations étaient établies.

Prêtre en 1895, profès en 1896, le P. Hémery demanda à être placé n'importe où pourvu que ce ne fût pas en Europe : " Que je travaille sur les rives de l'Ogowé, des Amazones ou par delà les Cordillières, pur accident, simple combinaison, pourvu qu'il y ait beaucoup de souffrances : car il n'y a que la souffrance à me ramener au sentiment de la réalité, quand la mauvaise nature cherche à percer de quelque côté.

On l'envoya au Zanguebar (Afrique orientale), et son premier poste fut Boura, dans les montagnes de Taita, sous la conduite du Père Mével, son compatriote de Plougastel-Daoulas, et missionnaire avisé. Pendant que le Frère Solanus ouvrait des routes et que le supérieur dirigeait et organisait, le P. Hémery fondait des postes de catéchistes, qu'il visitait chaque semaine au prix de grandes fatigues, car les montagnes de Taïta sont coupées de profonds ravins, à pentes très rudes et qui défient les plus habiles marcheurs. Mgr Allgeyer jugeait que le P. Hémery était en train de convertir tout le Taïta !

Cet essai valut au P. Hémery la confiance de son Vicaire apostolique, qui l'emmena avec lui au Kénya, pays kikouyou. Le chemin de fer de la côte à Nairobi était déjà construit ; les voyageurs y arrivèrent le 5 août 1899, et, après une première inspection, le P. Hémery fut chargé de l'établissement projeté dans ce pays. Il y avait pour lui matière à observation dans cette rencontre qu'il avait sous les yeux, de la vie primitive et de la vie européenne : les Anglais d'une part s'essayant à prendre de l'influence sur les indigènes, les Goanais s'infiltrant par le commerce, et les Kikouyous jouissant dans leur majestueuse indolence. Pendant que le F. Solanus bâtissait, le P. Hémery courait le pays, liait des relations avec les indigènes et apprenait leur langage. Aucun ouvrage n'avait paru sur la langue kikouyou : le Père Hémery publia en 1903 un manuel de ce dialecte. Deux ans plus tôt, il avait donné un vocabulaire français swahili-taita, fruit de ses travaux à Boura ; ces ouvrages, pour n'avoir pas la perfection de ceux qui ont été faits depuis, n'en furent pas moins appréciés et rendaient encore service après trente ans.

En décembre 1903, Mgr Allgeyer appela le P. Hémery à Zanzibar pour en faire son secrétaire et le procureur du Vicariat. Sur Zanzibar, les souvenirs du P. Hémery étaient multiples et piquants. Dans la communauté, ses longues audiences silencieuses avec les Indiens de ses amis, son flegme imperturbable au milieu des événements les plus déplaisants, ses réponses monosyllabiques qui, à toutes les affaires, donnaient en apparence la même solution ; dans le monde officiel ses relations avec sir Rodgers, premier ministre, avec le sultan son élève, à qui il enseignait le français ; avec le consul de France, M. Ottavi, qui cédait aux Pères ses habits défraîchis pour les employés de la mission, et voyait ainsi ses costumes participer au culte catholique ; dans son ministère près des Goanais aux longues rapsodies pendant la Semaine Sainte, etc.

Ayant passé plus de dix ans en Afrique orientale, le P. Hémery revint en France. Quand il se fut reposé parmi les siens, on résolut de l'envoyer à Fribourg, pour se perfectionner dans la connaissance de l'anglais, afin qu'il pût prêcher en cette langue, ce que Mgr Allgeyer estimait nécessaire à Zanzibar. Mais il fut bientôt destiné à Haïti, où il débarqua le 10 janvier 1908.

Il y fut chargé de l'économat à une époque où le pays, bouleversé par les factions politiques, avait perdu tout crédit à l'étranger, et où, par suite, la monnaie nationale subissait d'étonnantes dépréciations et d'inconcevables variations. La position du P. Hémery était donc bien difficile ; il y fit face pourtant. Il fut le plus exact des comptables, en même temps que prudent administrateur ; on peut vraiment dire qu'en ces occasions il donna tout son concours aux supérieurs qui se succédèrent, sans jamais sacrifier à des vues de perfection irréalisable. Lors de l'occupation américaine à partir de 1915, il entra en rapports confiants avec les occupants, parce qu'il savait leur langue ; il leur fut utile en mille circonstances, sans blesser les justes susceptibilités des Haïtiens ; il aida ces derniers près des Américains autant qu'il le put, et, de part et d'autre, on lui garda une vive reconnaissance. Il laissa encore d'unanimes regrets quand il quitta Haïti, en avril 1928.

Sa santé était gravement compromise, on craignait même qu'il n'arrivât pas vivant jusqu'au Havre, mais les soins du docteur du bord lui rendirent quelque vigueur. L'air natal fit le reste ; il se remit assez pour se sentir capable de quelque travail: ce sont les sanatoriums de Blinis qui bénéficièrent de ses dernières énergies.

Aumônier du sanatorium des femmes, il aimait ses malades ; il voulait les gagner, et pour atteindre celles que l'indifférence ou l'hostilité auraient tenues à distance, il se fit professeur d'anglais ou même de latin. Ces rencontres quotidiennes lui fournissaient occasion de parler religion ; insensiblement on passait de l'anglais ou du latin au catéchisme, du catéchisme à la première communion, à la reprise des devoirs religieux, et pour quelques-unes au baptême. Il était consulté par les Sœurs, les pensionnaires, les gens de service : on savait trouver chez lui le conseil éclairé, net et ferme, que l'on désirait.

En quittant Bligny, il sentait que s'en était fait de lui ; chaque jour il s'affaiblissait. Us docteurs après un laborieux examen conclurent à un cancer de l'intestin inopérable. On le conduisit à Chevilly. Le dimanche 11 mars, il reçut le sacrement des malades. Le lundi 16 avril 1934, il attendait la visite de son frère et de sa sœur, venus de Bretagne pour le voir, quand, avant leur arrivée, l'agonie commença. Il avait 62 ans.

Riche nature, d'un bel équilibre, sans ambition, le P. Hémery a été bon par tendance de caractère, mais aussi de propos délibéré, au point de sacrifier tout le reste pour être bon, toujours et en tout.

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