Le P. Alphonse HENRY,
décédé à Port-au-Prince, le 11 mai 1954,
à l'âge de 86 ans et après 59 années de profession.


Le P. Alphonse Henry, né à Lièpvre (diocèse de Strasbourg), le 11 mars 1868, est mort à Port-au-Prince, le 11 mai 1954, à l'âge de 86 ans, ayant conservé jusqu'au bout sa présence d'esprit tout entière. Il venait de célébrer le 60 ème anniversaire de son ordination sacerdotale.

Il fut un excellent confrère, aimable et serviable autant que le lui permettaient ses forces, car il fut atteint, de phtisie dès la fin de ses études classiques, et son mal le mina pendant 70 ans avant de l'épuiser.

Tout jeune, il désira se consacrer à Dieu. Sa famille était très chrétienne. Étant l'avant dernier de neuf enfants, il ne pouvait guère éprouver d'opposition de la part de ses parents. Le vicaire de sa paroisse ayant fait ses études à Paris, connaissait la Congrégation; il dirigea le jeune Alphonse vers notre Maison-Mère d'où il fut envoyé à Rambervillers. il était en quatrième quand il passa à Merville,'au bout d'un an et demi. Lorsqu'il prit l'habit, en mai 1884, on lui reproche quelque négligence dans sa tenue: il ne se souciait pas de paraître. Il West pas brillant élève: 9ème sur 12 ; mais il a bon caractère et est d'une placidité exemplaire. Pères et scolastiques sont unanimes pour l'admettre au Scolasticat.

Mais à dix-huit ans, sa santé faiblit: c'est un poitrinaire. A l'époque, ce mal équivaut à une condamnation à mort et à bref délai. Alphonse Henry accepte cette situation: il accepte cette mort prochaine… qui mettra soixante-huit ans à venir. On le maintient à Merville, puis en lui permet l'entrée au scolasticat de Chevilly, puis au noviciat de Grignon. On ne paraît pas craindre le danger qu'il fait courir à ses confrères, et c'est pourtant l'époque où l'infirmerie de Chevilly voit mourir coup sur coup plusieurs scolastiques, et où le Portugal et les Açores en reçoivent d'autres qui ne guérissent pas!

Il est ordonné prêtre au début de son noviciat, le 28 octobre 1893, avec cette note : «il faut le garder, comme cela résulte de sa position; il vaut mieux qu'il soit prêtre tant pour sa consolation que pour le bien de la Congrégation», et le P. Gerrer signera cette information avec le même entrain que s'il avait mis : « bon pour soixante ans de sacerdoce!» Une note rassurante intervient pourtant: «Avec certains soins, il est arrivé à ne plus tousser et à pouvoir suivre tous les exercices de la vie de communauté.» Ce sera là le résumé des progrès du P-Henry vers la guérison: faire en sorte de ne gêner personne autour de lui, ne pas laisser soupçonner qu'il est atteint de maladie grave.

Après sa profession (15 août 1894), le P. Henry fut envoyé à Épinal, chargé de la surveillance et des répétitions, tout en rendant service à l'économat. Le P. Roserot, supérieur, lui donnait, en 1897, cette note un peu sévère: «Bon caractère; sa santé ne lui permet pas de faire grand'chose; auxiliaire de second ordre, d'abord à cause de sa santé (poitrinaire reconnu), puis parce qu'il n'a pas, ce semble, les qualités indispensables au bon professeur et au bon surveillant; intelligence et jugement médiocres; ne se fait pas respecter.» A Épinal, il ne donna pas sa mesure, ou la donna tardivement. Cinq ans plus tard, en effet, le P. Groell devenu Supérieur dit de lui que c'est un très bon religieux qui, malgré une santé délicate s'est dévoué à l'oeuvre avec courage.

En 1903, la fermeture de la plus grande partie de nos maisons de France fut cause de son départ en Haïti. La Maison-Mère pensa que le climat, et les occupations d'un collège, plus faciles à régler qu'ailleurs, conviendraient à son état. Elle ne se trompa pas puisque le Père vécut cinquante ans au Petit Séminaire-Collège Saint-Martial, à Port-au-Prince. Il se soignait sans jamais incommoder personne; il faisait la classe malgré sa voix toujours un peu rauque; il surveillait les récréations, respecté des élèves et obéi par eux sans peine; il procurait les fournitures de classe avec une exactitude parfaite, écartant les demandes indiscrètes. Pour ses confrères, il était aimable, prévenant, bien qu'il aimât à se -montrer bourru. Bon conseiller au besoin, et compatissant à toutes les peines, il mettait à l'aise par sa franchise, et son entrain réconfortait. Tout en ressentant vivement les difficultés dans lesquelles la Maison se trouvait engagée, il n'empiétait jamais sur le rôle des supérieurs. Sans relations au dehors, on remarquait cependant partout ce Père de grande taille, au crâne dégarni, sévère d'aspect - le règlement en chair et en os - qu'on sentait respecté et aimé de tous.

Il connut bien des crises: révolutions politiques, à l'extérieur; projets qui auraient compromis sa tranquillité et sa vie même, à l'intérieur, Mais quels conseils de prudence il savait donner en ces occasions! Sans doute, pensait-il bien à lui-même dans les difficultés; mais avant tout il cherchait l'intérêt de la communauté et de ses confrères. De très rares lettres de lui en font f foi. En 50 ans, il a vu passer sept supérieurs, sans compter les intérimaires: il a su s'accommoder de tous et tous ont été satisfaits de ses services.

En décembre dernier, il fêta le soixantième anniversaire de son ordination sacerdotale et le cinquantième de son arrivée en Haïti, en même temps que le Père Huck qui en était à ses noces d'or de prêtrise. Le Gouvernement haïtien profita de l'occasion pour le décorer de la Croix d'Officier de l'Ordre national «Honneur et Mérite».

Mais le Père se rend compte lui-même qu'il n'ira plus bien loin, et d'une écriture toujours aussi ferme et régulière, il déclare qu'il ne tient plus sur ses jambes, qu'il monte difficilement les escaliers, que la vue ,s'affaiblit; et il demande qu'on prie pour lui.

Le P. Grienenberger nous a adressé les derniers détails sur la fin de cette belle vie. « Rien n'avait laissé prévoir un départ si prompt. Dans la nuit de samedi à dimanche (8-9 mai), le Père avait eu une assez sérieuse indisposition; il manquait de souffle. Le docteur le remit rapidement sur pieds, et le Père se déplaçait de jour comme de nuit, mais restait à l'étage.

« Ce matin (mardi 11), le Père baissait et voulait pourtant descendre au réfectoire pour le déjeuner. Vers 11 h. 30, son cas s'aggrava; devant toute la communauté je lui donnai l'Extrême-Onction et le Saint-Viatique. Pour la première fois depuis six ans, le Père s'était couché sur un lit. Ayant de la difficulté à respirer, il ne s'était jamais étendu, ces dernières années, et, de jour comme de nuit, il se tenait assis à sa table ou dans son fauteuil.

« A midi, la communauté était au réfectoire, un seul Père restant de garde près de notre moribond. Je le visitai à une heure. Il me comprit très bien et me répondit: «Père Supérieur, je serai toujours avec vous.» Après quoi, je partis chercher le P. Le Bihan à Carrefour. « A mon retour, le P. Henry expirait; il était 13 h. 15. C'est le P. Gommenginger qui a reçu son dernier soupir.

« Puisse le saint Coeur de Marie nous donner de nombreux confrères de la trempe du P. Henry Nous perdons en lui «le bon Papa» de la maison. Il était un peu pour les confrères le portier du Ciel. On le trou­vait jour et nuit dans sa chambre prêt à entendre une confession et à donner l'absolution dans une compréhension totale et pleine de bonté. Nous aurions désiré le garder longtemps encore: c'était un magnifique vieillard, ne causant aucun tracas et toujours dans la joie; en même temps, bon conseiller; quel vide il laisse dans une maison comme la nôtre »

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