Le Père Léonard JAVOUHEY,
1831-1861.


Fils de Jean-Léonard Javouhey et de Claudine Renard, Léonard Javouhey naquit le 24 mai 1831 à Chamblanc, petit neveu de Mère Anne-Marie, fondatrice des Sœurs de St-Joseph de Cluny. Il fut ordonné prêtre pour le diocèse de Dijon, le 2 juin 1855.

Comment est-il devenu spiritain ? Il saura très bien lui-même nous le dire. Ecoutons-le :

Le 22 octobre 1855, il écrivait de Chamblanc au P. Delaplace

" Mon cher Père, les trop courts instants que le Seigneur m'a permis de passer avec vous, la bienveillante hospitalité qui m'a été accordée dans votre maison, les fragments de la vie de votre vénéré Fondateur que l'on m'a fait connaître, tout m'a fait concevoir un bien vif intérêt pour votre Congrégation. Aussi ne puis-je demeurer sans chercher à compléter la connaissance imparfaite que j'en ai. Permettez-moi donc, cher Père, de vous demander quel est le but de votre Congrégation, quels sont ses moyens pour atteindre cette fin, ses rapports avec les Pères du SaintEsprit et les différences qui distinguent ces deux Ordres, si toutefois différence il y a encore ; les obligations contractées par chaque membre, la durée et les conditions du noviciat et de l'admission dans le sein de l'Ordre.

Le peu de temps que vous avez pu me donner ne me permettait pas de vous adresser ces questions lorsque je me trouvais à Paris ; votre bienveillance, j'ose l'espérer, voudra bien suppléer par lettre à ce qu'elle n'a pu me faire connaître de vive voix. En attendant, veuillez ne -pas m'oublier dans vos prières, et demander àDieu que je connaisse sa volonté sainte et que je m'y conforme généreusement.

Daignez agréer les sentiments respectueux avec lesquels j'ai l'honneur d'être, mon cher Père, votre très humble et très obéissant serviteur. L. Javouhey, prêtre.

Il écrivait, de nouveau de Chamblanc, le 26 janvier 1856 :
" Révérend Père, Le Seigneur me faisait il y a six mois connaître votre Congrégation, et dès lors m'inspirait pour ses œuvres un attrait que je ne pouvais me dissimuler. La persévérance de cet attrait, les sentiments éprouvés à ce sujet après mûre réflexion, les conseils de mon directeur, et plusieurs autres motifs de ce genre m'ont porté à croire que le Seigneur m'appelait à partager les travaux des membres de votre société. Me serait-il permis, Révérend Père, d'espérer que la porte du noviciat pourrait m'être ouverte ; et qu'un jour, s'il plaisait à Dieu, vous pourriez m'admettre au nombre de vos enfants !

Prêtre depuis la Trinité, je n'ai pu, il est vrai, accepter un vicariat que Monseigneur m'avait offert, empêché par une affection au larynx, dont je suis atteint depuis plus de deux ans. Mais l'amélioration actuelle de ma santé me laisse croire que si l'on n'exige pas une trop grande dépense de voix, les fatigues du noviciat ne seront peutêtre pas au-dessus de mes forces. Si, avant de me donner une réponse définitive, vous aviez besoin de plus amples, détails, j'essaierais volontiers, Révérend Père, de satisfaire à vos diverses questions. Ma Tante, la Supérieure générale des Sœurs de Saint-Joseph, et Monsieur le Supérieur du grand Séminaire de Dijon, pourraient également vous donner les renseignements nécessaires.

Daignez agréer les sentiments du profond respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Révérend Père, votre très humble et très obéissant serviteur. L.Javouhey

De Chamblanc, le 9 janvier 1857, il écrit à sa bien chère Tante Rosalie, supérieure générale :
" Bien chère Tante, Je suis en retard, Monsieur le Curé ayant perdu sa mère le trente-et-un décembre, et m'ayant laissé le soin de la paroisse pendant quelque temps, il en est résulté pour moi un surcroît d'occupations qui ne m'ont pas permis de vous écrire au moment où je l'aurais désiré. Mais au pied de l'autel, j'ai conjuré le divin Maître de répandre ses grâces sur vous, chère Tante, et sur toute votre Congrégation, afin que l'année qui commence ne soit pas signalée par moins de bienfaits que celle qui vient de s'écouler. Puissiez-vous, élevée àla plénitude de la sainteté, diriger dans les voies de la sanctification toutes les âmes que Dieu a placées sous votre direction, voir vos noviciats nombreux et fervents, toutes les Sœurs, unies d'esprit et de cœur, marcher à grands pas dans les sentiers de la perfection, et répandre partout la bonne odeur de la vertu !

Marie ne me juge, ce semble, pas encore digne d'entrer dans les rangs des amants de son cœur immaculé. J'avais refusé un nouveau vicariat, extérieurement par défaut de santé, en réalité dans l'espoir d'aller rejoindre le bon Père Delaplace. Mais aujourd'hui je vois que j'avais compté tout seul... Il faudra probablement me résigner a accepter, pour un certain temps, un poste dans le diocèse. Tout ne sera néanmoins pas désespéré : plusieurs ecclésiastiques de ma connaissance, après nombre d'années d'exercice du saint ministère, viennent d'entrer dans différents ordres religieux ; un jour peut-être viendra mon tour. Je frapperai si souvent à la porte du cœur de Marie, qu'à la fin cette Bonne Mère sera obligée de m'ouvrir. - Je dis ceci tout bas et à vous seule, chère Tante, car, lorsque l'exécution d'un semblable dessein est si éloignée, mieux vaut garder le silence et prier en secret, que de s'exposer à parler trop vite. Veuillez prier afin que les obstacles à la réalisation de vos désirs et de mes vœux tombent bientôt.

Ma mère, Émilie et Victor se joignent à moi pour vous offrir leurs souhaits de bonne année. Agréez, chère Tante, les sentiments de ma reconnaissance et l'affection de votre neveu L.Javouhey.

Le 31 juillet 1857, il écrit de Chamblanc, près Seurre, Côte d'or :
" Révérend Père, Depuis les heureux instants que j'ai passés à Monsivry, l'attrait de votre Congrégation, de faible alors s'est manifesté d'une manière beaucoup plus sensible ; je ne sais si la Très Sainte Vierge daignera m'obtenir la grâce de me réunir à vos fervents novices. Depuis quinze jours environ, cette pensée ne me quitte presque plus ; mais c'est pour me jeter dans l'incertitude et l'anxiété. Car chaque fois que je parle àmon Directeur d'entrer dans votre Congrégation, il me répond : Ne serace pas tenter Dieu ? - Il lui semble que je n'aurai pas une santé assez forte pour supporter les fatigues du noviciat et des œuvres auxquelles on est destiné. Parfois je me dis : les fondateurs de la Congrégation du St Cœur de Marie paraissent n'avoir pas eu une santé bien forte ; actuellement encore plusieurs novices ne semblent guère mieux favorisés sous ce rapport. Ne pourrai-je pas essayer comme eux ? - Puis, je suis obligé de m'avouer que tout ira bien, tant que dureront les fortes chaleurs -, mais qu'au moment de la saison froide et humide tout pourra bien changer. En effet, pour vous tout avouer franchement, j'éprouve aux pieds une transpiration habituelle très abondante ; de là, par une température moins chaude que celle que nous avons actuellement, j'ai très souvent les pieds presque glacés et instantanément la douleur du larynx devient extrêmement vive et ne cesse que sous I'influence de la chaleur. Les médecins refusent de faire disparaître cette transpiration. A Monsivry je ne pourrais me garantir de ses effets par l'influence de la chaleur, puisque l'on n'a point de feu dans les chambres et que la chaleur d'une salle commune est insuffisante. Puisje dès lors espérer de pouvoir passer l'hiver au noviciat ?

Telle est, Révérend Père, si je ne me trompe, la difficulté principale qui me retient. C'est peu de chose, vous le voyez ; c'est une toile d'araignée ; et cependant je ne sais comme briser ce faible tissu ; c'est un pont aux ânes qui m'arrête depuis deux ans. Faites-le moi franchir et je serai, ce me semble, à vous dans peu de temps. - Veuillez prier pour moi, afin que le Seigneur me donne la force de faire les sacrifices qu'il exigera peut-être. Me serait-il permis de demander aussi à vos bons novices, un petit souvenir dans leurs prières ?

Daignez, Révérend Père, agréer les sentiments de profond respect de votre très humble et très obéissant serviteur. L.Javouhey.

Sur cette lettre, le P. François-Xavier Libermann écrivit : Le T-R.Père est d'avis qu'on lui dise de venir essayer. Et cette réponse lui fut adressée le 12 août 1857.

La lettre suivante est datée du 23 décembre 1857 :
" Révérend Père, Vous avez dû m'accuser d'inconstance en ne me voyant pas arriver au milieu de vos bons novices et ne recevant aucune lettre qui expliquât mon retard. Il s'en faut cependant bien que j'aie oublié un seul instant et que j'aie porté mes regards d'un autre côté. Après la réception de votre dernière lettre, mes préparatifs de départ étaient à peu près terminés, Plusieurs personnes connaissaient mon intention positive de me rendre au noviciat, lorsqu'une lettre de Monseigneur l'Évêque est venue m'arrêter forcément. Sa Grandeur, tout en prétendant ne pas s'opposer à mon dessein, déclarait avoir plusieurs raisons pour ne m'en pas permettre l'exécution immédiatement et, en attendant, m'offrait un poste dans son diocèse. Malgré ses instances réitérées, j'ai refusé la place qu'il m'offrait, ne voulant pas me créer des liens, et, espérant voir, d'un jour à l'autre, cesser les obstacles, je jugeais inutile de vous écrire. Aujourd'hui, Monseigneur ne peut plus guère s'opposer à mon départ, mais mon directeur *n'y consent toujours que ad duritiam cordis. Il me coûterait de faire une démarche aussi importante que rentrée au noviciat sans avoir la complète approbation de celui dont je dois suivre les avis, et d'assumer sur moi seul la responsabilité de cet acte. Peu à peu, j'aime le croire, tomberont les répugnances que l'on manifeste à mon entrée dans votre Congrégation, et alors je me rendrai promptement et joyeusement au milieu de vos bons novices. Veuillez, Révérend Père, prier pour moi afin que cet heureux instant arrive bientôt. En attendant je m'efforcerai de pratiquer l'abnégation de moi-même pour me préparer à l'immolation que je devrai faire entre vos mains. Il me tardé d'être sous votre direction pour apprendre la pratique de la vie spirituelle.

Me serait-il permis, Révérend Père, de vous demander un souvenir dans vos prières pour mon village : il y aurait tant de bien à faire et il s'en fait si peu ! Veuillez recommander aux prières de l'archiconfrérie ce pays qui a si besoin du secours de Marie, et surtout les pauvres âmes au salut desquelles je dois m'intéresser plus spécialement.

Daignez, Révérend Père, agréer les sentiments de profond respect de votre très humble et très obéissant serviteur. L.Javouhey.

La lettre suivante, toujours de Chamblanc, est datée du 7 septembre 1858 :
" Révérend Père, Permettez-moi de vous demander si vous daignez admettre, au nombre de vos novices, un retardataire qui, depuis longtemps, diffère de se rendre auprès de vous. Si vous ne me rejetez pas, Révérend Père, j'espère partir d'ici lundi ou mardi prochain, et me trouver àMonsivry dans le courant de la même semaine. Il me sera bien agréable d'examiner, sous votre direction, si le Saint Esprit et la Sainte Vierge daignent me permettre de compter parmi les membres de votre Congrégation. Veuillez m'assister de vos prières afin que, de ma part, le sacrifice soit complet et que je m'immole entièrement à la volonté du divin Maître et à la gloire de Marie immaculée.

Agréez les sentiments du profond respect avec lequel je suis, Révérend Père, votre très humble et très obéissant serviteur. L. Javouhey.

En mai 1859, postulant à Monsivry, il sollicite son admission àl'entrée au noviciat :
" Très Révérend Père, L'attrait qui depuis plusieurs années m'attire vers la Congrégation du Saint Esprit et de l'immaculé Cœur de Marie s'étant fortifié pendant la durée du postulat, me donne l'intime persuasion que le Seigneur m'appelle dans cet Institut. J'oserai dès lors solliciter la faveur d'être admis au nombre des Novices. Je n'estimerai heureux si, reçu dans les rangs de votre famille religieuse, je puis sous votre direction, très révérend Père, et sous la conduite des autres Directeurs, apprendre la pratique du renoncement absolu et mériter de travailler un jour au salut des Noirs ou d'être employé à quelque œuvre abandonnée. - Agréez les sentiments du profond respect avec lequel je suis, très révérend Père, votre très humble et très obéissant serviteur. L.Javouhey

L'année de noviciat, 1859-1860.
A Paris, le 12 juin 1859, fête de la Pentecôte
" Très sainte et adorable Trinité, me voici humblement prosterne a vos pieds, dans le sentiment de la plus vive reconnaissance pour toutes les grâces et faveurs dont vous n'avez cessé de me combler, depuis les premiers instants de mon existence jusqu'à ce jour, et en particulier de m'avoir fait sortir du monde par votre infinie miséricorde, et de m'avoir fait entrer dans cette sainte Maison.

Que vous rendrai-je, ô Seigneur mon Dieu, pour tant de bienfaits ? Le plus grand désir de mon cœur serait qu'il me fût permis, dès ce moment, de vous consacrer, pour toujours, par les liens sacrés des vœux de Religion, ma vie et tout mon être dans la Congrégation du Saint Esprit et du Cœur Immaculé de Marie, à laquelle je me crois véritablement appelé par votre divine bonté. Mais, ô mon Dieu, je le sais et je le confesse, je ne suis pas encore digne d'une aussi grande faveur, n'ayant encore ni les qualités ni les vertus requises pour faire partie de cette sainte famille religieuse. C'est pourquoi, n'osant encore aspirer àcette faveur insigne, je me borne à solliciter, en ce moment, mon admission parmi les Novices de ce saint Institut, en attendant qu'il me soit donné d'y être reçu un jour comme Profès. Cette grâce du moins, ô Dieu de bonté, vous ne me la refuserez pas. Je suis d'ailleurs tout disposé à vous faire toutes les promesses, à prendre envers vous, tous les engagements que la Congrégation croit devoir exiger de moi, comme condition et en retour de la faveur que je sollicite en ce moment.

Voici donc ce a quoi je consens a m'engager ici, en présence de Jésus, votre Divin Fils, de la Très sainte Vierge son auguste Mère, de mon Ange gardien et de tous les Saints.

Je veux d'abord à travailler de mon mieux, pendant tout le temps de mon Noviciat, à me rendre véritablement digne d'être reçu un jour dans la Société. Et à cet effet, je m'efforcerai, par tous les moyens qui me seront offerts, d'acquérir les vertus, les qualités, les habitudes et l'esprit qui doivent distinguer ses membres.

Je, m'engage, en second lieu, à faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour me rendre aussi capable que possible de bien servir un jour les intérêts tant spirituels que temporels de la Congrégation ; et, dans cette vue, je ne négligerai aucun moyen d'acquérir et de compléter les connaissances qui pourront m'être utiles à cette fin.

Je m'engage en outre à ne pas suivre mes idées et mes volontés propres pour atteindre cette double fin du Noviciat, mais à me conformer, au contraire, à cet égard, entièrement aux règlements établis, ainsi qu'aux intentions et volontés des supérieurs et directeurs. Je m'engage enfin à persévérer jusqu'à la fin dans l'épreuve du Noviciat, malgré toutes les peines et difficultés, tentations et épreuves qui pourront m'advenir jusqu'au moment de ma Profession, et à ne pas quitter la Congrégation à moins de raisons légitimes, jugées telles et approuvées par les Supérieurs. Tels sont, ô Seigneur mon Dieu, les engagements que vous m'avez inspirés de contracter, en ce moment, envers la Congrégation qui veut bien me recevoir au nombre de ses Novices. Ces engagements, je le sais, quoique non aussi sérieux que ceux que je devrai prendre, par la suite, au jour de ma Profession, ne sont pas cependant non plus sans avoir beaucoup d'importance et de gravité. Par là, en effet, je ne l'ignore pas, je renonce dès maintenant au monde, aux affections de pays et de famille, je cesse même aussi, en quelque sorte, de m'appartenir à moimême, donnant déjà, par le présent acte, des droits sur ma personne àl'Institut. La vue de ces obligations serait donc bien capable, ô mon Dieu, d'effrayer ma faiblesse, mais je mets toute ma confiance dans le secours puissant de votre grâce, et, soutenu par votre infinie bonté, j'espère y être toujours"et constamment fidèle.

0 Marie, ma bonne et tendre Mère, c'est sous les auspices de votre cœur très saint et immaculé et pour votre amour que je viens de prendre ces engagements et de faire ces promesses. Daignez les accepter et les bénir ; obtenez-moi de Jésus, votre divin Fils, la grâce de les accomplir toujours avec une grande fidélité, afin que je puisse un jour avoir le bonheur d'appartenir entièrement à votre Cœur très Pur et Immaculé, dans cette pieuse Société, et de m'y montrer toujours digne de votre tendresse et de votre amour, par une vie toute de ferveur et de sainteté. Ainsi soit-il. Léonard Javouhey, en religion Joseph.

Le 5 août 1859, il complète les promesses par des vœux privés
" Vivent Jésus, Marie, Joseph !
Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.
Très sainte et très adorable Trinité, Considérant attentivement, à la lumière de la foi, toutes les faveurs et tous les bienfaits, tant généraux que particuliers, dont vous n'avez cessé de me combler depuis le premier instant de mon existence jusqu'à ce jour, et en particulier la grâce insigne de la vocation à la vie religieuse, à laquelle vous avez bien voulu m'appeler, je ne puis me contenter des simples promesses que je vous ai faites au jour de ma réception au Noviciat de la Congrégation du Saint Esprit et de l'immaculé Cœur de Marie, et je viens aujourd'hui me lier envers votre auguste Majesté, ainsi qu'envers cette pieuse société ellemême, par des engagements plus étroits et plus sacrés encore que ceux que j'ai contractés jusqu'ici.

C'est pourquoi, ô mon Dieu, moi, Léonard Javouhey, viens faire ici, à vos pieds, en présence de la très sainte Vierge, de mon saint Ange gardien et de mon saint Patron, les différents vœux, permis par la règle aux Novices de la Congrégation, et ce, volontairement, librement, et avec pleine et entière connaissance de cause.

Et d'abord, ô mon Dieu Sauveur, qui m'avez tiré du monde par votre si grande miséricorde, je vous promets et fais vœu de me consacrer à Dieu par la profession religieuse dans la Congrégation du Saint Esprit et de l'immaculé Cœur de Marie, dès que j'en aurai été trouvé digne par mes Supérieurs, auxquels il appartiendra d'éprouver ma vocation de toutes les manières et aussi longtemps qu'ils le jugeront opportun. - Je vous promets en outre et fais vœu de demeurer toute ma vie dans cette sainte Congrégation, une fois que j'aurai obtenu l'insigne faveur d'y être admis, et de ne la quitter jamais pour quelque raison que ce puisse être, même pour embrasser un autre ordre religieux , plus parfait.

Je le sais, ô Seigneur Jésus, des tentations de toute sorte ne manqueront pas de venir m'assaillir pour essayer d'ébranler ma fidélité à ces saints engagements. Mais, ô mon Dieu, je mets toute ma confiance dans le secours puissant de votre divine grâce, et vous promets de résister généreusement jusqu'à la fin à ces attaques et suggestions, de quelque part qu'elles puissent venir, soit du démon soit du monde, soit de ma propre nature.

Appartenant désormais tout entier à votre Esprit Saint et au Cœur très pur et immaculé de votre divine Mère, je veux leur appartenir pour toujours ; les difficultés et les peines, loin de m'ébranler jamais, ne serviront au contraire, avec l'aide d'en haut, qu'à m'affermir de plus en plus dans ma sainte vocation ; je considérerai et recevrai toujours les épreuves comme une marque de votre amour pour moi.

Enfin, ô Jésus, l'unique trésor de mon âme, je viens encore émettre à vos pieds, en attendant que je puisse le faire publiquement, les vœux privés de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, tels qu'ils sont établis dans la Congrégation du Saint Esprit et de l'immaculé Cœur de Marie. Je suis fermement résolu, aidé de votre divine grâce, de les observer avec fidélité jusqu'à mon dernier soupir.

Marie, vous voyez prosterné devant vous l'un de vos enfants qui se fait gloire de vous appartenir désormais de la manière la plus intime. En me consacrant tout entier et pour toujours à Jésus, votre divin Fils et à cette sainte société qui vous est toute dévouée, je suis aussi devenu. votre bien et votre propriété. 0 divine Mère, daignez donc me considérer comme tel, daignez agréer l'offrande que je vous fais de tout mon être, me combler de vos maternelles bénédictions et m'obtenir la grâce d'accomplir, tous les jours de ma vie, avec la plus grande fidélité, les promesses et les saints engagements que je viens de contracter en ce moment. Ainsi soit-il."
A Monsivry, en la fête de notre Dame des Neiges.
Reçu par le P. Burg, au nom du Très Révérend Père.

La rédaction du testament doit précéder la profession religieuse.
Les deux textes suivants, qui encadrent l'émission de ses vœux le 26 août 1860, nous prouveront que Léonard Javouhey, confit en dévotion, ne perdait pas le contact avec les choses de la terre.
Le 19 août, son testament laisse l'administration de ses biens à sa mère et à sa sœur, qui par la suite les passeront à la congrégation des Sœurs de St Joseph de Cluny. Durant sa vie, il en recevra, chaque année une pension de quatre cents francs. A son décès, il prévoit que "les personnes qui auront la jouissance de ses biens feront dire pour le repos de son âme, trois cents messes l'année qui suivra sa mort, cent cinquante les deux années suivantes, et, à partir de ce moment, à perpétuité, chaque année, vingt cinq messes, dont douze devront être dites à Chamblanc dans la chapelle des Sœurs, lorsque celles-ci auront la jouissance de ses biens."
Trois jours après sa profession, il eut à écrire au P. Burg pour justifier un petit problème d'argent ; l'économe réclamait un supplément pour régler sa pension durant son noviciat ; il prouva par les chiffres qu'il avait non seulement tout réglé, mais laissé 62 francs de plus à la Congrégation.

Détails sur les vertus et la mort du P. Javouhey, à l'âge de 30 ans.
" Le P. Javouhey a été appelé à une vie meilleure, presque immédiatement après sa profession religieuse, et encore à la fleur de l'âge. Il était, comme beaucoup le savent, le petit neveu de la Révérende Mère Javouhey, fondatrice de la congrégation des Sœurs de St joseph de Cluny, et par conséquent aussi de la Mère Rosalie Javouhey, seconde supérieure générale de cette congrégation. Dès l'âge le plus tendre, il s'était toujours fait remarquer par une grande innocence et candeur. D'un extérieur timide et réservé, d'une piété toujours demeurée sensible, d'un grand esprit d'ordre et d'exactitude, il produisait un effet édifiant sur tout le monde autour de lui. Ce fut dans ces conditions qu'étant déjà prêtre depuis trois ou quatre ans, mais d'une santé assez délicate, il entra au noviciat, pour se consacrer plus spécialement à Dieu, mener dans la congrégation une vie toute de règle dont son âme sentait le besoin, et y faire un plus grand bien pour le salut des âmes, en unissant ses efforts à ceux de ses confrères. Pour réussir dans les œuvres de la congrégation, il ne manquait pas de certaines qualités précieuses : mémoire heureuse, vivacité et pénétration d'esprit, variété de connaissances utiles, esprit d'ordre, zélé, consciencieux pour ce dont il était chargé. Aussi sa mort est-elle une grande perte pour I'œuvre de la Providence à Bourbon, où il avait été envoyé quelques mois après sa profession, en partie à cause de la bonté du climat de cette colonie, qui semblait devoir mieux convenir à sa complexion délicate.

Le bon P. Javouhey vient de mourir Il a rendu sa belle âme, le trois juillet 1861, à trois heures du soir. Sa mort a été très prompte, il a été emporté par une crise d'oppression, la communauté n'a pas même eu le temps de se réunir pour recevoir son dernier soupir.

Nous n'avons pu faire l'enterrement que le cinq. Monseigneur a voulu luimême faire la cérémonie, me disant qu'il voulait donner à notre congrégation et aux Sœurs de St Joseph une marque de son affection. Toutes les congrégations de la ville de Saint-Denis y étaient représentées par plusieurs de leurs membres. La cérémonie a été très belle, tous nos amis s'y sont rendus avec empressement.

Le bon Père que nous venons de perdre aurait été l'homme de cette communauté de la Providence. Il possédait une foule de connaissances utiles, dont l'établissement aurait profité. Cependant je je ne peux qu'accepter que Dieu nous ait demandé ce sacrifice et que ce cher confrère soit venu mourir au milieu de nous ; il a été pour nous un grand sujet d'édification, et il sera, j'en suis certain, un puissant avocat auprès de Dieu pour notre maison. J'ai toujours pensé que les bénédictions que le Seigneur nous a données jusqu'à ce jour venaient du sacrifice qu'il nous a demandé dès le commencement. Je suis maintenant convaincu que d'autres grâces nous sont réservées par la mort du bon P. Javouhey.

Ses deux grandes vertus étaient : l'amour de la souffrance et l'humilité. Je n'ai jamais vu quelqu'un souffrir avec autant de patience; il ne s'est jamais plaint. Quand on lui demandait s'il souffrait beaucoup, il répondait toujours : "Presque pas." Le médecin m'a dit plusieurs fois qu'il n'a jamais vu un courage pareil. Son humilité était admirable ; il évitait tout ce qui pouvait blesser cette belle vertu, il ne parlait jamais de lui, et, dans la pratique des vertus qui pouvaient le faire remarquer, il savait mettre un tel cachet de simplicité que l'on était étonné de lui voir faire des choses si belles avec un oubli si complet de lui-même.

Son obéissance égalait son humilité. La Sœur qui le soignait n'avait qu'à exprimer un désir, et de suite il se rangeait à sa volonté. Sa dernière parole a été celle-ci : "comme vous voudrez, ma Sœur." C'était du reste sa réponse constante. J'ai remarqué en lui un grand désir de vivre pour se sacrifier au salut des âmes ; il s'intéressait d'une manière admirable à nos œuvres, et, sur son lit de douleur, il était au courant de tout ce qui se passait dans la maison. Cependant, surtout vers la fin, il était complètement résigné à la volonté de Dieu.

Il lui aurait été très agréable de vivre, mais il voulut avant tout faire la volonté du bon Maître. " signé: Duboin.

De son côté, Mgr Maupoint, évêque de la Réunion, écrivait au Supérieur général : "Nous avons enterré hier le P. Javouhey. Je suis allé lui faire de fréquentes visites pendant sa maladie. J'en ai été toujours très édifié. Aussi ai-je voulu officier pontificalement à sa sépulture. Plus de vingt prêtres y assistaient. Jespère qu'il nous rendra cela du haut du ciel. Donnez ces consolants détails à M-e la Supérieure des Sœurs de St Joseph."

Le P. Pascal, qui avait fait son noviciat avec lui, et avait pu par conséquent le voir de près et l'apprécier, écrivait : "Pauvre Père Javouhey ! Je le regrette bien, à cause du bien qu'il aurait pu faire, mais non à cause de sa mort, car il doit être avec le Vénéré Père... Il était si parfait religieux, même avant d'avoir fait ses vœux..."

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