Le Père Hervé JEGOU,
1838-1906


Né à Saint-Eutope, le 17 mars 1838, Hervé Jégou commença ses études à Plougonven. Dès ses plus jeunes années, il n'eut d'autre ambition que de se donner à Dieu et de se dévouer aux salut des âmes. Aussi, apres avoir fait ses humanités au petit séminaire de Pont-Croix, il vint faire sa rhétorique au collège de Gourin, en 1857. Les Pères du Saint-Esprit avaient depuis peu succédé à M. l'abbé Maupied dans la direction de cet établissement. C'est en les voyant de près, en méditant sur la meilleure manière de servir Dieu et les âmes, que le jeune Hervé prit la résolution de consacrer sa vie àl'évangélisation des pauvres de l'Afrique et des colonies. D'une grande réserve, d'une modestie et d'une discrétion peu commune à son âge, il ne communiquait guère ses intentions à ses condisciples ; mais, docile à la voix de Dieu et à la discrétion de son confesseur, il demanda, vers la fin de sa philosophie, qu'il fit au séminaire des colonies à Paris, à être reçu dans la congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Coeur de Marie. Sa détermination ne surprit personne.

Au mois de décembre 1862, l'abbé Jégou recevait l'onction sacerdotale et, le 23 août 1863, il émettait ses voeux de religion entre les mains du Supérieur général de la Congrégation. Ses confrères de noviciat reçoivent leur obédience pour l'Amérique, la Trinidad, 1 île Maurice, le Sénégal ou d'autres missions ; le bon Père Jégou se résigna à revenir en Bretagne ; il est placé par la sainte obéissance à N.D. de Langonnet. Avec son esprit de foi , il n'envie pas les postes confiés à d'autres ; il sait que c'est au Maître de la vigne qu'il appartient de désigner à chacun des ouvriers la tâche qu'il doit remplir. C'est donc à l'Abbaye de Langonnet que le bon religieux a écoulé sa longue carrière sacerdotale ; pendant 43 ans, il y a travaillé avec douceur et zèle, remplissant de son mieux les diverses charges qui lui ont été confiées.

Dans sa communauté, d'après le témoignage unanime de tous les Pères, Frères, scolastiques, élèves, postulants, serviteurs, qui pendant près d'un demi-siècle l'ont vu de près, le P. Jégou fut toujours un religieux modèle, par l'observation exacte et consciencieuse de la règle, par sa douceur, son humilité, son esprit conciliant. Sans sacrifier jamais les principes, il était bon pour les personnes ; il savait condescendre et céder aux circonstances, avec patience et charité. Les fonctions importantes d'économe, de directeur du noviciat des Frères, de supérieur de l'Abbaye et de Saint-Michel en Priziac lui furent confiées successivement, et parfois même simultanément.

Comme économe, il dut s'ingénier pour aménager, avec des ressources bien modiques, les bâtiments délabrés de la vieille abbaye cistercienne aux exigences des oeuvres multiples et très variées que la congrégation entreprit à N.D. de Langonnet. Bien des fois, il dut tendre la main. Notre clergé breton et nos chrétiennes populations ne sont pas riches. Oh! disons-le tout de suite, avec reconnaissance, les coeurs et les bourses s'ouvrirent généreusement ; les tournées du cher quêteur lui valurent quelquefois des déboires. Et bonnement, il acceptait tout, avec une édifiante gratitude.

Comme supérieur, il savait alléger aux autres le joug de la sainte Règle, par sa fidélité à l'observer lui-même: le langage muet du bon exemple qu'il donnait constamment à ses frères était pour eux la plus efficace des exhortations. Quand le missionnaire, usé par les fatigues et le climat des pays d'outre-mer, vient passer quelques mois en Europe pour réparer ses forces, les constitutions de l'Institut lui disent que, tout en prenant les soins voulus pour remettre sa santé, il doit profiter aussi de ce temps de repos pour retremper son âme. Le séjour dans la communauté de Langonnet donnait admirablement aux convalescents, comme aux vétérans des missions, le moyen de satisfaire à ce désir des supérieurs, car les hôtes du Père Jégou trouvaient dans sa maison une communauté vraiment édifiante.

Comme directeur du noviciat des Frères, nous aurons fait d'un mot le formateur, en disant que la plupart des chefs des Missions d'Afrique manifestèrent souvent à leur Maison Mère le désir d'avoir des coadjuteurs sortis du noviciat de Langonnet.

Disons, en terminant, un mot sur la vie apostolique du bon Père Jégou. Sans aller en Afrique, ni en Amérique, ni dans les îles lointaines, il a bien mérité de l'Église et de la Religion, dans notre pays bas-breton. L'antique abbaye se trouve à la limite des trois diocèses bretonnants : les populations qui l'avoisinent sont éloignées de leurs centres paroissiaux ; le P. Jégou était souvent le seul prêtre de l'abbaye parlant la langue du pays : aussi a-t-il été un précieux auxiliaire pour ses confrères du clergé paroissial. Ce bon religieux devait donc ajouter à ses fonctions, déjà suffisantes pour l'occuper, l'exercice du saint ministère : MM. les Recteurs et Curés avaient toute confiance en lui ; ils lui donnaient toute autorisation pour confesser, prêcher, visiter les malades ; et les populations savaient apprécier cet homme intelligent et bon, avenant pour tous ; les enfants, les vieillards, les pauvres, les infirmes, les malheureux de toute sorte connaissaient bien le chemin de l'abbaye ; les pasteurs euxmêmes, ne pouvant pas toujours se rendre aux retraites pastorales dans les villes épiscopales, aimaient à passer quelques jours dans la pieuse maison de Langonnet, et le P. Jégou était un ami sûr et un confident éclairé en qui ils avaient toute confiance.

Avant d'appeler son bon serviteur à entrer dans la joie et le repos, le Seigneur a voulu le purifier par une longue et douloureuse maladie, qui nous a montré plus clairement sa patience et son aimable douceur. Courageux jusqu'au bout, il faisait des efforts inouïs pour offrir tous les jours le saint sacrifice. C'est le dimanche des Rameaux, 8 avril, qu'il eut la dernière fois le bonheur de monter au saint autel ; le mercredi saint, 11 avril, il demanda et reçut le sacrement de l'extrême-onction ; le jeudi saint, il reçut Jésus en viatique, et depuis le dimanche de Pâques jusqu'au jour de sa mort, c'est-à-dire pendant .32 jours consécutifs, il reçut la sainte communion de la main de ses chers confrères, avec une piété bien touchante. Enfin, le mercredi 15 mai, il s'est endormi dans le Seigneur, ayant conservé sa connaissance à peu près jusqu'à son dernier moment.

Quatre chanoines, un grand nombre d'ecclésiastiques, de nombreux fidèles, accourus des diocèses de Vannes, de Quimper et de Saint-Brieuc, vinrent par reconnaissance et par affection assister aux obsèques de ce bon religieux qui fut pour presque tous le Père de leurs âmes et un véritable ami.

Comme résumé de sa carrière si bien remplie, nous citerons cette appréciation de M. le chanoine Le Garrec, curé de Gourin, qui présida aux funérailles : " Le P. Jégou a été un religieux modèle, un bon et zélé prêtre. Sans aucune recherche de lui-même, il était toujours prêt à tout : prédications ordinaires ou extraordinaires, missions, retraites religieuses, premières communions, fêtes patronales, n'importe quel ministère, en breton, en français, toujours il acceptait de rendre service et de se dévouer, ne voyant que Dieu et les âmes."

Tant que notre pays produira de pareils hommes, nous pourrons passer par des épreuves, mais nos si catholiques populations resteront fidèles àDieu et à la Patrie ! Pour les condisciples et amis du R.P. Jégou, Couturier, recteur du Saint. (1906)

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