Le Frère Julien Juncker,
décédé à Chevilly, le 17 juillet 1908,
à l’âge de 34 ans.


Né le 28 mars 1874, à Heimsbrunn (Haute-Rhin), d’une famille de cultivateurs, Aloyse Juncker perdit de bonne heure ses parents.

Les voyages en Alsace de plusieurs membres de notre congrégation, en attirant l’attention d’Aloyse Juncker, lui suggérèrent le désir d’entrer au noviciat des frères, à Chevilly, où il émit ses premiers vœux, le 20 mars 1893, sous le nom de F. Julien.

Attaché à la mission du Counène, le nouveau profès séjourne quelque temps au Portugal, afin de faire connaissance avec la langue officielle du pays dans lequel il va se rendre.

Le 21 juin 1893, il s’embarque à Lisbonne, à destination de Huilla. Chargé de la culture des champs, il se montre actif au travail. Le savoir du F. Julien s’étendait à d’autres métiers que celui d’agriculteur : outre la dextérité qu’il possédait dans le soin de l’intérieur de la maison et de la basse-cour, il s’entendait quelque peu en cuisine. Suivant le besoin, il maniait aussi la truelle et le marteau du maçon, la scie et le rabot du menuisier. L’occasion d’utiliser ces dernières aptitudes lui fut surtout fournie à la station de Kihita, qui le compte parmi ses fondateurs.

Le F. Julien rentra à Lisbonne, le 24 juin 1897, et fut placé, le mois suivant, à Orgeville. Au mois d’octobre de la même année, on l’envoya à Saint-Michel-en-Priziac, comme chef de section aux cultures. Il y resta près de quatre ans. Pris de la nostalgie des missions, le F. Julien demanda que les supérieurs voulussent bien lui assigner un nouveau poste en Afrique.

Le Frère débute à la communauté de Brazzaville où il cumule les fonctions de cuisinier et de sacristain avec celles de jardinier et de briquetier.

En 1902, il demeure quelques mois dans la communauté de Lékéti, puis passe dans celle de Sainte-Radegonde. Sous la direction du P. Donnadieu, avec l’aide des enfants de la station, le F. Julien construit un bâtiment de vingt-cinq mètres sur cinq, avec véranda de trois mètres, vraie merveille pour le pays.

Le logement construit, le frère s’ingénie à en ravitailler les habitants. Sur le bord de la rivière, il établit un jardin, qui devient bientôt magnifique. Par ailleurs, de nombreux volatiles et des quadrupèdes prospèrent sous sa surveillance, au grand profit de la table et de la bourse communes, comme des santés individuelles.

Atteint de la maladie du sommeil, le frère dut revenir en France. Débarqué à Bordeaux, le 23 juin 1906, il gagna Paris, où on le fit entrer aussitôt à l’hôpital Pasteur. Là, le docteur Martin qui espérait venir à bout de la redoutable maladie, soumit le F. Julien, pendant plusieurs mois, à un traitement très pénible. Le pauvre patient ressentait des douleurs (atroces parfois) dans tout le corps, mais principalement aux pieds et à la tête, douleurs qu’il caractérisait ainsi : « Il me semble parfois que ce sont des élancements dans les nerfs ; d’autres fois, des tas de fourmis qui me dévorent… Ce n’est pas le mal des pieds qui m’ennuie le plus, mais les nerfs qui me travaillent dans tout le corps. Pas un jour, je ne puis dire : je n’ai rien senti aujourd’hui. C’est ce qui m’empêche de sortir, car j’ai toujours peur d’être surpris par un accès dans les rues. Si encore je pouvais lire pour me distraire ! Mais j’ai toujours mal aux yeux… Toute la journée, je reste à peu près seul entre les quatre murs de ma chambre. »

Dès que les médecins ne jugeaient pas sa présence à l’hôpital rigoureusement nécessaire, il rentrait avec bonheur à la maison mère où, entre deux assauts de son mal, il savait égayer ses confrères par des réflexions de joyeuse bonne humeur.

Le F. Julien éprouva des améliorations sensibles, mais passagères, dans son état. À certain moment, on le crut même guéri.

Le 24 avril 1908, il fut amené en automobile de l’hôpital Pasteur à Chevilly, après avoir reçu l’extrême-onction. Complètement paralysé du côté gauche, ayant de la difficulté à parler, il éprouvait cependant de la satisfaction à se retrouver au sein de sa famille religieuse pour se préparer à la mort. Des crises épileptiformes, qui semblaient chaque fois gagner en intensité, le torturaient par intervalles. Une sorte de méningite vint encore lui apporter de plus grandes souffrances.

Durant cette agonie prolongée, un fait étonnant se produisit. « Le 21 juin au soir, raconte le P. du Plessis de Grénédan, étant allé le voir, je m’aperçus qu’il paraissait gémir, mais en regardant une image de Notre-Dame des Sept Douleurs fixée au mur de sa cellule. Ce gémissement se traduisait par cette parole, la seule qui sortait de sa bouche : Ave, ave, ave. À peine avais-je quitté sa chambre que, me trouvant avec le Frère infirmier, nous l’entendîmes très distinctement entonner, d’une voix forte et claire, l’Ave maris stella, dont il chanta la première strophe. Il commença ensuite celle de Monstra te esse matrem, mais sans pouvoir aller plus loin. C’était le dernier cri de l’enfant vers sa mère, cri qui semblait tenir du prodige, car ce fut l’unique circonstance de sa maladie où il put ainsi chanter, lui qui pouvait à peine prononcer une parole. »

Le 17 juillet 1908, se terminèrent enfin les souffrances du F. Julien. Vers six heures du soir, pendant que le P. Dalais lui donnait une suprême absolution, il rendit son âme à Dieu. -
Louis Dedianne - BG, t. 3, p. 363.

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