Le P. Pierre JUNG
+1959
BPF 106 p 289-292


Avec le Père Jung, disparaît un grand missionnaire de la race bassa, et le Cameroun pleure en lui un de ses meilleurs apôtres.

Le Père Pierre Jung naquit à Bitche, en Moselle, le 7 juin 1888. Issu d'une famille chrétienne de vieille souche, où les vertus solides faisaient l'apanage du foyer et où le service de l'autel était à l'honneur, le jeune Pierre ne tarda pas à sentir éclore en son âme la vocation du sacerdoce. C'est avec fierté que son père le confia aux Prêtres diocésains qui dirigent le Petit Séminaire dans sa ville natale; après l'«Abitur», il continue ses études théologiques au Grand Séminaire de Metz. C'était vers 1910, et dans les grands Séminaires d'Europe, en particulier ceux de Metz et de Strasbourg, on parle beaucoup de la détresse des peuples d'Outre-Mer, tant spirituelle que matérielle. Le bon coeur du jeune séminariste s'en émeut; il y réfléchit, il prie, et bientôt, il demande à entrer dans la Congrégation du Saint-Esprit. Il fait son noviciat et ses dernières années de théologie à Knechtsteden, en Allemagne. Le 29 juin 1915, il est ordonné prêtre et de­mande à ses supérieurs de réaliser son idéal en partant en Missions.

C'est l'époque de la Grande-Guerre; il est impossible de rejoindre les Missions. Aussi, en 1916, le trouvera-t-on sur le front de la Marne en qualité d'aumônier militaire.

En 1920 cependant, le Père Jung débarque à Douala. Il est affecté tout d'abord à Ngowayang. En 1921, il arrive à Édéa, mission ancienne déjà, mais qui avait beaucoup souffert de la guerre. Presque tous les bâtiments y étaient à refaire, puisqu'ils avaient été démolis en 1916 par un bombardement d'artillerie. Le Père se mit aussitôt au travail avec cette ardeur qui est le propre de la jeunesse. A cette époque au point de vue spirituel, tout le pays bassa, c'est-à-dire toute la région de la Sanaga-Maritime et toute la région du Nyong-et-­Kellé, dépendait de la seule mission catholique d'Édéa. Avec un zèle débordant, le P. Jung parcourt tout le pays du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest; on le rencontre aussi bien sur les pistes des montagnes babimbi que sur les pistes de Makak. Aucun coin de brousse ne lui reste inconnu. Il connaît tous les Bassa, bons ou mauvais et jusqu'aux féticheurs les plus cachés, il a toujours un mot aimable pour les chefs de village. Il parle plus ou moins bien la langue bassa, ce qui, durant tout son long séjour de 30 ans, lui sera très pénible; il n'avait pas- reçu le don des langues, mais il se fait très bien comprendre des Africains, ce qui -vaut une influence considérable. Il est très au courant de toutes les coutumes bassa, et plus d'une fois l'Administration a eu recours à ses conseils.

Monsieur Yves Nicol, administrateur en chef des colonies, l'a consulté très souvent pour écrire son livre: La Tribu des Bakoko. Des mois entiers, le Père passera en brousse avec son lit de camp et ,sa maigre caisse-cuisine; de village en village, il ira prêchant, catéchisant, instruisant, redressant des situations, encourageant les faibles, corrigeant les coupables, mais surtout distribuant le baptême. Dieu seul sait à combien de Bassa il a ouvert le Royaume de Dieu. L'un des soucis majeurs était la formation des catéchistes, ces inestimables collaborateurs du missionnaire, dont on ne dira jamais assez le bien qu'ils ont fait.

Il nous faut signaler un autre aspect de la vie du P. Jung : la volonté de libérer de l'ignorance toutes ces tribus analphabètes : l'école était un 4e ses dadas, comme l'on dit. Une grande pitié pour ces hommes et pour ces femmes qui ne savent ni lire ni écrire l'avait fait se pencher sur cet important problème. Aussi, dans les postes, ses catéchistes sont-ils promus d'office instituteurs. C'est un tour de force que le P. Jung a réussi là : ces pauvres gens, aux connaissances plutôt rudimentaires, qui savent à peine ânonner un texte, se mettent résolument au travail, et, malgré la pauvreté de leur moyens, partagent avec leurs frères la petite dose de leur savoir. Les résultats ne se font pas attendre : presque toutes ses ouailles, à l'intelligence encore malléable, parviennent à lire et à écrire le bassa, leur langue maternelle. Ne serait-ce que pour cela, les Camerounais auraient ,envers le Père Jung une immense dette de reconnaissance. On peut le dire, sans crainte de se tromper de beaucoup : le P. Jung a été, sur les encouragements de Mgr Vogt, le premier instaurateur de l'instruction primaire dans le pays bassa.

Dans ces régions où le P. Jung a semé dans les peines et les souffrances, d'autres récoltent, à présent, dans la joie. Une belle couronne de Missions se dresse là où il a évangélisé. Voici, par ancienneté, la liste des composantes de cette oeuvre - Samba, Eséka, Botmakak, Makak, Logbikoy, Bisseng, Mandoumba, Mom, Kan, Hègba et Mayambè. Aux jeunes, les paroles manquent pour exprimer leur étonnement et surtout leur admiration devant cet homme qui n'a jamais tenu entre les mains un volant d'auto, car son seul et unique moyen de locomotion était ses pieds, aidé d'une canne, dont il possédait une belle collection .... « Ah ! qu'ils sont beaux les pieds des Messagers de la Paix! » Rares sans doute sont les missionnaires qui peuvent se vanter d'avoir autant de kilomètres dans les jambes que le regretté P. Jung. Il a fait ces courses vraiment apostoliques !» dans le seul but de gagner les hommes au Christ.

En 1954, ses forces physiques le trahissent; les marches, les privations, fatigues, le climat ont fini par user cet homme d'une vigueur exceptionnelle. Malade, il quitte le Cameroun. Il va prendre sa retraite dans la Lorraine natale. Jusqu'à la fin, il essayera de se rendre utile. Il accepte l'aumônerie d'une école de Frères en Sarre, à Bad-Rilchingen. Il profite au relations, qui étaient nombreuses, pour garder un coeur missionnaire. Son souvenir se traduit en actes de façon particulièrement active: les plus déshérités jouissent de sa chaude affection. En effet, les lépreux de Saint-André ont profité largement de son immense charité; le docteur Maggi et la Soeur infirmière pourraient en témoigner. Ses faveurs vont ensuite à ses chers anciens catéchistes, à ses bons et loyaux serviteurs, sans eux, certes, l'oeuvre n'aurait pas eu les proportions actuelles; aussi, les gâte-t-il par des dons en argent et en nature. Comme saint Paul, son esprit se reporte sur toutes « ces communautés » qu'il a fondées, il en garde le souci et les besoins : à telle Mission, il envoie un calice, à telle autre, c'est un ornement qu'il sait usagé, etc ....

Mais le Cameroun, lui non plus, n'a pas rangé dans ses oubliettes son grand bienfaiteur. Le Gouvernement lui a attribué une petite distinction : la médaille du «Mérite Camerounais » l'a rejoint dans sa retraite et a été pour lui une cause de grande joie.

A présent, ce grand coeur a cessé de battre; il est entré dans l'histoire du Cameroun, sinon dans la légende. Le souvenir du Père Jung restera dans la mémoire des générations camerounaises comme celui d'un homme d'une bonté sans limites, d'une générosité sans bornes, d'une force d'âme incomparable.

Que le cher Père Pierre Jung repose en paix dans sa terre lorraine, loin de son cher Cameroun, où il aurait préféré dormir son dernier sommeil... (Extrait du journal « L'Effort Camerounais » n° 183, du 5 avril 1951).

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