Le Père Jean KERJEAN ,
1895-1962


Libreville a été dans la consternation en apprenant le décès du père Kerjean, missionnaire du Saint-Esprit, décédé à Paris à l'hôpital Necker à la suite d'une bilieuse, le 18 juin 1962. Le père Kerjean était né en Bretagne, à Lambézellec, dans la banlieue de Brest, le 9 janvier 1895, fils de Jean-Marie et de Marie-Jeanne Stéphan.

Il avait fait ses études primaires dans sa ville d'origine, puis décida de se faire missionnaire. En ce moment-là, les religieux ne pouvaient avoir d'écoles sur le territoire français. Le jeune breton fit donc ses études secondaires, partie en Italie (à Suse), partie en Belgique (à Gentinnes). Il fut admis au noviciat des Pères du Saint-Esprit en 1913. En 1923, le 28 octobre, il était ordonné prêtre. Entre temps, il avait fait la guerre du 13 mars 1915 au 11 novembre 1918, comme caporal infirmier, ou comme sergent dans un régiment d'infanterie. Il eut l'oreille droite traversée d'en balle allemande le 6 mai 1917 au Chemin des Dames, mérita 2 citations : l'une à l'ordre du 17 1e régiment d'infanterie : "Excellent fusilier mitrailleur, a fait preuve de courage et d'énergie au cours d'une réaction ennemis le 6 mai 1917." L'autre citation à l'ordre de l'infanterie divisionnaire le 5 septembre 1918 : "Excellent chef de demi-section, possède un grand ascendant sur ses hommes. Au cours d'un violent bombardement, quand l'ordre du repli fut donné à son unité, se retira le dernier, donnant ainsi à ses hommes un bel exemple de mépris du danger.". Il reçut la Médaille Militaire et la Croix de guerre avec 2 étoiles de bronze. Resté mobilisé en 1919 il passa cette année-là à Saint-Nazaire comme employé aux chemins de fer d'Orléans. Sa con-naissance des horaires de tous les trains de France, jusqu'à la fin de sa vie, était légendaire au Gabon...

En 1924, il débarquait à Libreville pour faire ses premières armes de missionnaire. Il ne quitta plus guère le Gabon que pour de rares congés. L'un de ces congés - le plus court - connut un éclat extraordinaire en France. C'était à Noël 1958 : il faisait partie des vingt missionnaires à qui la grande station de radio "Europe N' 1 " offrit un voyage. Je le vis débarquer deux jours avant Noël à l'aérodrome d'Orly, sa grande barbe poivre et sel au vent... Il venait de passer par Rome où le Pape Jean XXIII leur avait réservé un accueil très familier. Il parla à la radio comme ses confrères, fut entouré de l'amitié de milliers de Parisiens...

Mais la vie missionnaire du père Kerjean se déroula, elle, dans l'obscurité du religieux toujours prêt à répondre "présent" à toute demande de service. En consultant les archives de Libreville, j'ai été surpris de voir le nombre de poste qu'il a occupés. "C'est qu'il ne savait jamais dire "non", me répondit le vicaire général du diocèse. Il servit pendant plus de vingt ans de bouche-trou. Un missionnaire partait en congé, l'on faisait appel au père Kerjean pour assurer l'intérim. C'est ainsi qu'on le trouve trois fois à OkanoBoué, trois fois à Fernan-Vaz, il passa également à Donguila et à Ndjolé. Mais son principal port d'attache était Sainte-Marie de Libreville, d'où il ne bougea pratiquement plus depuis 1949. Il assurait le ministère de la paroisse, fidèle au confessionnal, fidèle à son tour de prédication. Le reste du temps, il assurait les commissions de la procure pour les missions de brousse.

Brutalement au début de juin, le père Kerjean fut pris d'un malaise. Depuis quelque temps, le père n'était plus aussi alerte qu'à l'ordinaire. Il avait lâché sa pipe, qui faisait partie de son personnage... Lorsque le mardi 12 juin, on lui conseilla d'aller à l'hôpital, il eut cette exclamation désabusée : "A 67 ans à l'hôpital..." Il ne devait plus en sortir que pour prendre l'avion de Paris le 16 juin, et quelques jours après pour attendre la glorieuse résurrection au milieu de ses confrères spiritains, près du tombeau du Vénérable Libermann, à Chevilly.

Une bilieuse très maligne l'avait attaqué, et les médecins de Libreville, au bout de leur science, avaient décidé de tenter un effort suprême en l'envoyant à Paris, où on lui appliqua un rein artificiel. Ce fut malheureusement en vain puisque 48 heures après son arrivée, il rendait le dernier soupir, loin de son cher Gabon, où il avait vécu 38 ans. Que le Seigneur l'accueille en sa Sainte Paix

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