P. Joseph-Julien KOCHER
(1866 - 1912) Biographies 1679 - 1914
Décédé à la Rivière-Sèche (Ile Maurice) le 24 janvier 1912


né à Duttlenheim (Bas-Rhin), diocèse de Strasbourg (67), le 02/01/1866 ; premiers vœux à Grignon, le 15/08/1890 ; vœux perpétuels à Bagamoyo, le 10/06/1894 ; diacre à Chevilly, le 14/07/1889 ; prêtre à Grignon, le 28/10/1889 ; décédé à Rivière-Sèche (Maurice), le 24/01/1912, à l’âge de 46 ans, après 21 ans de profession . Il a travaillé à Maurice du 09/11/1898 jusqu’à son décès ; il est enterré à St Jean .

Le P. Kocher naquit à Duttlenheim, dans le diocèse de Strasbourg, le 9 janvier 1866 . Le jour même de sa naissance il fut baptisé sous les noms de Julien et de Joseph . Ce dernier seul devint son prénom ordinaire . Il fréquenta l'école de son village pour l'instruction primaire . Un prêtre de l'endroit, le vicaire, lui donna des leçons de latin . Bientôt, sentant s'éveiller en lui les aspirations à une vocation apostolique, il obtint de ses pieux parents de suivre en toute liberté ces tout premiers attraits . Il quitta donc les siens, emportant avec lui leur autorisation écrite que terminait la prière suivante, d'un accent de foi si touchant : «Nous prions Saint Joseph d'obtenir à notre fils Joseph-Julien Kocher, la grâce de persévérer dans la résolution qu'il a prise de se faire prêtre et missionnaire, suivant les avis que lui donneront ses supérieurs . »

Le lendemain du jour de sa première communion, il partait pour Beauvais . Là, dans l'établissement des petits clercs, il commençait, pour les terminer ensuite à Langonnet, ses études secondaires . Il suivit plus tard à Chevilly les cours de philosophie et de théologie .

Après ses six mois de postulat, il demandait par lettre du 13 février 1882, la faveur de faire son oblation comme scolastique titulaire . « Depuis mon plus jeune âge, écrivait-il, je me sens un goût très prononcé pour la vie religieuse . »

Le moment venu de solliciter la grâce de la profession, il résumait en quelques lignes son passé, puis s'humiliait de ses défauts, et se portait spontanément à un filial hommage décerné à ses directeurs spirituels, dans un sentiment de religieuse gratitude . « Enfant du P. Limbour, écrivait-il, j'ai passé quinze mois dans son Œuvre bénie des Petits Clercs : jours heureux quoique pénibles ; et trop vite écoulés . C'est le P. Clauss, mon regretté parent, qui m'avait ouvert les portes de ce pieux asile . Le 18 août 1881, je le quitte avec cinq de mes camarades pour me rendre à N .-D. de Langonnet . Là, la pensée du sacerdoce et de l'apostolat se développe, et grandit . Entré en quatrième j'eus des débuts difficiles ; car on m'avait fait faire ma sixième pendant les vacances de 1880 . En mars 1882, je me revêtis de la livrée du Christ . L'enfantement à la vie religieuse ne fut pas sans obstacles . J'étais en présence de moi-même où je trouvais ma nature ardente, impétueuse, irascible, prime-sautière . La moindre observation, le moindre mot mettait en colère . Heureusement cela ne devait point durer . J'eus le bonheur de rencontrer pour professeur de troisième, le bon P. Dunoyer, qui, pour mon bien, fut mon directeur . Grâce à sa direction douce et solide, je finis heureusement mes humanités . En septembre 1885, après un repos de dix mois dans ma famille, je commençai mon grand scolasticat . Le bon P. Kraemer fut pour moi l'ange envoyé par Dieu . Il se rendit vite compte de ma nature et je m'appliquai à profiter de ses conseils . En août 1889, je fis mon entrée au Sacré-Cœur de Grignon, où je reçus le sacerdoce . Ce temps de mon Noviciat s'est passé sans grande secousse, et aujourd'hui je demande très humblement la faveur de devenir membre de la Congrégation par la profession religieuse . » (Lettre du 6 Juillet 1890)

« Heureusement, disait-il en parlant des défauts de son caractère, que « cela ne devait point durer » :

c'était un espoir plutôt qu'un fait acquis . Et ce qui montre la difficulté de se dépouiller de son naturel plus ou moins défectueux, c'est la persistance de ses directeurs, malgré la constatation d'efforts louables, à signaler toujours sa « sensibilité », sa « vivacité », son « irascibilité » . Comme conséquence fâcheuse, ces défauts ont celui de le faire « peu aimer »parce qu'on le juge « fier . » Et cependant il ne l'est point ... Sa vivacité lui donne quelque chose de cassant qui accuse trop sa personnalité : c'est là tout . De cela cependant ses subordonnes auront parfois à souffrir . Mais dans les relations à l'extérieur, il saura éviter cet écueil, garder les forces voulues, se donner même, par son entrain, sa bonne humeur, quelque chose de sympathique et d'engageant .

Le 12 octobre 1890, le P. Kocher, qui avait reçu son obédience pour le Zanguebar, s'embarquait à Marseille . Arrivé à Zanzibar, il fut attaché à la communauté de Saint-Joseph de cette ville . La direction de l'orphelinat lui fut confiée .

Le P. Limbour, qui l'avait bien connu à Beauvais, le disait « laborieux et très dévoué . » Il eut à faire preuve de ces qualités et justifia pleinement, dans l'exercice de sa charge, de cette application au travail et de ce dévouement signalés déjà chez le Petit Clerc .

Tout de suite il se mit à apprendre le Swahili . L'anglais devait aussi lui être très utile : il s'y appliqua également . Il était arrivé en assez peu de temps à parler couramment ces deux langues . Ses rapports devenaient ainsi aisés avec les différentes catégories de gens . Dans cette population de Zanzibar, à éléments si divers, il savait les faire tourner au bien des âmes et à tout ce qui pouvait être de l'intérêt de la Mission . Ce quelque chose chez lui d'autoritaire, d'un effet fâcheux en d'autres fonctions, lui servait très heureusement pour discipliner son petit monde de l'orphelinat . Une observation générale, d'un ton décidé, quoique d'une lèvre un peu bredouillante, - car il avait un léger défaut de prononciation - un mot, un signe, c'en était assez pour tenir chacun à sa place et à son devoir . Avec lui on travaillait, soit en classe soit au jardin, soit dans la maison, aux soins journaliers de propreté et d'entretien des divers locaux . Mais aussi, en temps et lieux on s'amusait . La promenade hebdomadaire ne perdait jamais ses droits . Elle consistait dans une journée passée aux environs de la ville dans la petite propriété de la Mission . Quelques cultures, l'entretien du cimetière qui s'y abritait, s'ajoutaient aux jeux et à la baignade, pour défrayer l'activité remuante de ces petits noirs .

La grande promenade organisée par le Père à certains jours, élargissait, avec son cadre, les divertissements et l'intérêt à la fois instructif et amusant de ces sorties . C'était un point de l'intérieur de l'île qu'il s'agissait d'atteindre ; une petite rivière disparaissant dans le sol pour reparaître loin de là près du littoral, qu'il fallait aller reconnaître ; un palais du Sultan éloigné et souvent abandonné qui méritait d’être visité, ou encore une petite expédition en mer à effectuer . De là une traversée, sur le boutre de la Mission, de Zanzibar jusqu'à l'une des petites îles s'égrenant autour de la rade foraine et où l'on passait la journée . Rien d'animé, de gai, de joyeux entraînement, comme ces excursions marines . Elles faisaient encore surenchère sur les longs parcours si agréables pourtant dans ses ravissantes plantations de cocotiers, manguiers, aréquiers, girolliers, orangers, dont se couvre la campagne Zanzibarienne . Le P. Kocher était l'âme de ces petites fêtes . Il avait pensé à tout, tout prévu, tout combiné . Aussi, tout était mené à bonne fin, et la bonne fin pour ces enfants, c'était surtout le repas copieux servi à point à leur appétit bien ouvert par la marche ou par les balancements du boutre, sinon par le mal de mer .

Ce n'était pas à la seule fin d'y trouver les éléments d'une maîtrise, que l'orphelinat de Zanzibar avait été fondé et subsistait encore, après que la vente des esclaves, laquelle en avait motivé l'établissement dans ce centre musulman, avait été supprimée . On s'était toujours proposé d'en tirer tout un ensemble d'avantages . Ainsi, enfants de chœur nombreux, chantres pour les offices, voix de soprano et d'alto pour la musique à partitions, talents et aptitudes promettant de futurs maîtres d'école, des organistes accompagnateurs de plein chant et de cantiques, tout cela à façonner, à perfectionner le plus possible : voilà ce qu'on s'efforçait de faire rendre à cette sélection spéciale de jeunes noirs .

En réalité ces enfants étaient une façon de petits clercs, sans la cléricature en vue . Le P. Kocher ancien petit clerc de Beauvais ~ sa conversation amicale, rendaient agréables. Il était admis s'était rendu compte de cette analogie . Il dirigea son application et ses efforts en s'inspirant de sa formation première, désireux d'atteindre par les résultats aussi complets que possible les divers buts proposés . Quand il prit l'œuvre en mains, sous l'autorité du P. Aker, alors supérieur à Zanzibar, déjà elle était prospère . Il sut lui donner une impulsion plus vive et plus féconde .Ce fut notamment au point de vue du chant . Il était musicien et avait à cœur que les offices fussent irréprochables, remarquables même, par l'exécution des parties chantées . Une petite schola cantorum existait déjà . Il mit le plus grand soin à la développer en améliorant le choix de ses morceaux ainsi que la manière d'exécution . Le noir, en général bien doué pour la musique, n'a qu'une voix nasillarde ou éraillée et nullement mélodique . Ce défaut irrémédiable à un certain âge, ne l'est pas chez les enfants . Il suffit de les habituer à prendre en chantant, non la voix de poitrine mais la voix de tête .

Le Père s'en rendit compte et il réussit très bien à former des voix d'alto et de soprano, que n'eussent pas dédaignées les cathédrales de France . La virtuosité de ses petits chanteurs était admirée et louée par les officiers des navires français de passage, venant assister à la messe . Elle leur fit une réputation tellement établie de supériorité, que les Révérends de la Mission protestante anglaise demandèrent à conduire en semaine leurs choir-boys aux répétitions d'ensemble . Ce qui leur fut accordé et dont ils profitèrent sans vergogne.

Les chants étaient surtout bien préparés pour la messe et le salut aux grandes fêtes et aux jours d'adoration . Pour ces derniers exercices eu particulier, le P. Kocher considérait les chants et les cérémonies dont ils étaient accompagnés, comme un complément des autres moyens de zèle, mis en œuvre pour les maintenir et en développer l'attrait dans la population catholique, formée surtout de Goanais . En cela encore il secondait le P. Acker, principal directeur de l'association de l'Adoration Réparatrice . Beaucoup de ces adorateurs faisaient partie de ses réunions chorales . C'était pour lui l'occasion de s'assurer de leur assiduité et par eux celle de leurs associés dont les irrégularités ou les négligences venaient à accuser la ferveur . Il se ménageait ainsi des relations que ses qualités naturelles, sa jovialité, sa rondeur, sa conversaton amicale rendaient agréables . Il était admis partout, accueilli, aimé . A l'occasion il avait soin de glisser une observation, un conseil, de faire ou simplement de transmettre une remontrance ; car parfois il servait très opportunément d'intermédiaire . Si toujours il n'arrivait pas et du premier coup aux fins désirées, il ne se sentait pas pour cela éconduit . Il revenait à la charge assuré constamment d'un sympathique accueil et finalement de concessions ou d'aveux . Tout cela mettait du liant, dans les rapports entre la Mission et l'extérieur, bien au-delà du cercle, d'ailleurs étroit, des Goanais et autres catholiques de Zanzibar .

Le P. Kocher après quatre années passées à Zanzibar fut appelé à remplacer le P. Karst à Bagamoyo . Il y resta un peu plus de deux ans . C'était le même genre d’œuvre qu'à Zanzibar , mais dans un cadre élargi et s’exerçant sur un groupement plus considérable d’enfants . Direction générale, instructions religieuses, prédications des dimanches, des fêtes, du mois de Marie, cérémonies, chants, il était soit préposé seul à ces fonctions ou exercices divers, soit y contribuant pour sa part .

A Zanzibar déjà il avait été éprouvé par les fièvres . Des indices d'un commencement de maladie de foie s'étaient aussi montrés . Tout cela le suivit dans sa nouvelle résidence, le trouvant dans de moins bonnes conditions pour résister : climat moins sain, fatigues plus grandes . Un séjour d'une certaine durée en France paraissait utile . Il rentra donc et fut placé à Seyssinet où il passa une année ( 1897 -1898 ) . C'étaient là les Petits-Clercs de Beauvais qu'il retrouvait, et à qui il fut heureux sans doute de donner tout l'emploi de son temps et l'utilisation de son expérience acquise .

Mais comme la plupart de ceux qui ont travaillé en terre africaine, il gardait une sorte de nostalgie de l'Afrique . Et cependant les symptômes de sa maladie de foie conseillaient un climat qu'on aurait voulu moins inclément . Il fut alors envoyé à Maurice . Attaché d'abord à la paroisse de Saint-François-Xavier, il fut nommé en février 1899, curé du St-Esprit de la Rivière-Sèche (La Croix de Maurice, janvier 1912) .

« La paroisse du St-Esprit de la Rivière-Sèche, écrivit le P. Allaire est la plus étendue de l’île . Les chemins n'y sont guère entretenus . Il n'est pas rare de voir les Pères contraints, pour la visite d'un seul malade, de rester absents toute une demi- journée . Elle est aussi une des plus malsaines de la Colonie . De sorte que par suite des fièvres et des fatigues du saint ministère, le personnel a besoin d'être souvent renouvelé . » ( Note décembre 1913) .

Le P. Kocher eut le bonheur d'y travailler pendant près de treize ans, interrompus seulement par un repos de moins d'une année qu'il passa à Bordeaux ( juillet 1906-juin 1907 ) . Au bulletin de juin 1911, il fait l'exposé lui-même de son ministère dans le vaste champ de son apostolat à la Rivière-Sèche . Il reconnaît des lacunes dans la pratique des devoirs et d'abord dans l'instruction religieuse de ses chères ouailles . L'ignorance, un état d'esprit indifférent, l'apathie native des gens, tout cela lui fait obstacle . Mais il se rend compte du travail à fournir et il l'entreprend . Il va surtout là où il trouve l'espoir d'un renouvellement pour sa paroisse, aux enfants et aux jeunes gens . Aux enfants un enseignement du catéchisme très soigneusement fait dans les écoles . Aux jeunes gens des confréries qui les groupent, en garde d'honneur, les premiers vendredis du mois, aux fêtes de la Sainte Vierge, pour les faire s'approcher de la Sainte Table . Voilà ce qu'il leur faut et voilà ainsi précisé un objectif pour son zèle . Avec cela il va, passant par des insuccès, des épreuves, des tristesses; mais trouvant des consolations et puisant surtout dans sa foi au devoir accompli, une espérance qui le soutient .

Il est récompensé de son laborieux dévouement par l'affection de ses paroissiens . Ceux-ci l'aiment : c'est de la reconnaissance ; mais c'est aussi l'expression d'une sympathie profonde qu'a su leur inspirer la cordialité de ses rapports .

Il reste excellent avec ses confrères, empressé à les recevoir, quand d'aventure ils arrivent chez lui, profitant d'un loisir . Le lendemain de la Pentecôte, c'est la fête de la paroisse du St-Esprit . Ils sont tous, aux environs, convoqués à l'agape traditionnelle . C'est un jour de gaieté douce, d'expansion pleine d'intimité et d'abandon, de conversations épanouies, où il sait mettre un trait plus vif, et un entrain plus communicatif . Décidément on aurait eu peine à comprendre alors qu'il eut été jadis « fier » et « peu aimé . » Il se montrait peut-être le plus livré et le plus cordial de tous . On voit quel heureux fruit avaient produit les admonitions premières . Et il avait eu raison d'écrire, en parlant de ses défectuosités de caractère que cela ne devait pas durer . »

. Nous avons dit que la. Rivière-Sèche était d'un climat malsain . Le P. Kocher avec des antécédents fâcheux de santé ne dût pas être longtemps sans s'en apercevoir . Mais il avait été attaché à la communauté d'abord comme directeur puis en qualité de curé de la paroisse . Alors qu'on s'y succédait rapidement avant lui, lui il tint à y rester . Il devait y succomber . Sa. maladie de foie alla progressant et ce fut de cette affection, dont les commencements dataient de Zanzibar, qu'il mourut le 24 janvier 1912 . Il était âgé de 46 ans . La cérémonie des funérailles fut, le lendemain, présidée par Mgr l’Evêque de Port-Louis à l'église Saint-Jean, et l'inhumation eut lieu dans, le cimetière de la paroisse où il repose au milieu de nos pieux confrères ses devanciers dans la céleste patrie .

Voici un passage de l'article nécrologique que lui consacra La Croix de Maurice . « C'est au Saint-Esprit de la Rivière-Sèche que s'écoula surtout la carrière sacerdotale du P. Kocher . A l'ardeur apostolique il joignait un caractère aimable et plein d'entrain, de sorte qu'il gagnait les cœurs tout en attirant les âmes . Il laisse certainement à ses paroissiens, comme à tous ceux qui l'ont connu, de profonds regrets . Le digne missionnaire a terminé saintement une vie vécue pour Dieu, et on peut croire qu'il a reçu déjà la récompense promise au serviteur fidèle . Au besoin, elle serait hâtée par les prières de tous ceux pour qui, abrégeant son existence, il s'est dévoué, et de tous ses amis . » (La
Croix de Maurice 25 janvier 1912) .

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