Le Père André KRIEGER,
de la Province de France, décédé à Huruma (District du Kilimandjaro), le 14 juillet 1967,
à l'âge de 91 ans et après 69 années de profession.


Le Supérieur Principal du Kilimandjaro annonçait ainsi au R. P. Pro­vincial la mort du Père Krieger :

« Je tiens à vous informer du décès du Père André Krieger, de votre Province, qui a travaillé en Afrique Orientale ces 64 dernières années. Il est mort le 14 juillet et a été enterré le 15, à Huruma, en présence de cin­quante prêtres et d'environ deux cents religieuses.

« Depuis neuf ans, le P. Krieger avait pris sa retraite, malade, à la Maison-Mère des Soeurs Africaines de Notre-Dame du Kilimandjaro, dans les monts du Kilimandjaro, à environ 23 milles de Moshi, la ville prin­cipale. Durant ces neuf années, sa principale maladie a été la vieillesse, mais aussi un cancer qui se développait lentement sur le côté de la figure près de l'oreille. Il était toutefois encore capable de circuler quand et où il le voulait. L'an passé, il dut cependant garder plus ou moins la chambre, menant une vie tranquille, s'entretenant de ses expériences missionnaires avec ses visiteurs. Il garda toute sa lucidité jusqu'à ces trois dernières semaines. La dernière année, le cancer s'était étendu à l’œil resté valide jusque là, et l'avait rendu complètement aveugle. Une pneumonie a été la cause finale et immédiate de sa mort.

« Ce sont les Sœurs qui se sont constamment et affectueusement oc­cupées du P. Krieger. Elles pourvoyaient à tous ses besoins, lui procurant tout ce qui pouvait contribuer à son confort et aussi à la paix de ses der­nières années. Ce sont ces Sœurs que nous devons remercier et pour qui nous devons prier, puisqu'elles ont fait tant de sacrifices en faveur de l'un de nos confrères, un des pionniers de nos missions. »

André Krieger naquit à Grassendorf, dans le Bas-Rhin, le 30 no­vembre 1875. C'est au collège de Mesnières, en Seine-Maritime, qu'il entra, le 20 octobre 1889. Grignon-Orly étant à l'époque le seul Noviciat pour toute la Congrégation, ils étaient cent novices, à faire profession ce 2 jan­vier 1898; trois d'entre eux étaient promis à l'épiscopat : NN. SS. Paul Lequien, Auguste Fortineau et Xavier Vogt. On relève encore dans cette liste de profès, entre autres, les noms de Maurice Briault, Louis Léna, Camille Coutret, Georges Touquet, Joseph Valy.

Ordonné prêtre à Chevilly, le 28 mars 1903, le jeune Père Krieger faisait sa consécration apostolique le 12 juillet suivant et, un mois plus tard, le 10 août, il s'embarquait à Marseille pour le Zanguebar.

Rentré en congé en France en 1914, il allait être retenu à Paris jus­qu'en 1919 après les hostilités. Il passa ce temps d'abord comme vicaire à Notrc-Dame de la Gare, une paroisse parisienne du XIIII arrondissement (1914-1916), puis comme aumônier militaire des Alsaciens-Lorrains du camp retranché de Paris, sans compter divers autres ministères.

En 1919, accompagné du P. Soul nommé vicaire général de Mgr Munsch, le Père Krieger pouvait enfin rejoindre sa Mission de Kondoa-Irangi.

A son deuxième congé en Europe, il fut retenu comme professeur à Blotzheim, de 1930 à 1932. Il repartait ensuite pour un nouveau stage de quinze ans, jusqu'au 23 juillet 1947. Il faillit bien ne plus repartir, Mgr Le Hunsec, alors Supérieur Général, hésitant à donner son « exeat » à un Père de 72 ans! Le 9 septembre 1948, le Père écrit au R. P. Cromer, Pro­vincial :

« ... Maintenant que les décès de mon frère et de ma soeur, dont les longues et pénibles maladies m'avaient quasi immobilisé, m'ont rendu plus libre, je vais profiter de ce répit pour voir et dire au revoir aux nombreux parents et connaissances. Ce sera un revoir au ciel, car une fois retourné là-bas, au Kilimandjaro, je n'aurai plus d'espoir de revenir une fois encore à Grassendorf : à 73 ans, on n'est plus loin de la « jeunesse éternelle » où l'on ne vieillira plus. .. Si je pouvais être là-bas avant l'hiver, je m'es­timerais heureux, car je redoute l'hiver ici en Alsace.. . »

Le 3 novembre 1949, à Marseille, il s'embarque pour la dernière fois à destination du Kilimandjaro.

Laissons encore au P. Joseph Kelly, c.s.sp. , le soin de nous parler de ce vaillant pionnier missionnaire.

Moshi (Tanzanie). - Quand le P. André Krieger partit pour l'Afrique, en 1903, son docteur ne lui donnait que pour deux ans de vie : il vient de mourir ici, d'une pneumonie, le 14 juillet dernier, à l'âge de 91 ans et après 64 années de labeur en Tanzanie...

La vie africaine du P. Krieger, qui devait devenir célèbre pour toutes les fois où il échappa de justesse à la mort, commença, en 1903, avec un « safari » à pied à travers le pays, de Bagamoyo à Mandéra. « Là, disait­il, j'ai eu une existence terrible : la fièvre, encore la fièvre, toujours la fièvre! » Elle devint plus terrible encore quand il se trouva être le seul européen resté dans ces plaines pendant la rébellion Maji Maji. Sauvé par les gens d'un village ami, il fut ensuite appelé à Tanga pour y remplacer deux Pères qui venaient d'y mourir de la fièvre jaune.

En 1907, on l'envoya commencer une fondation dans le territoire de Kondoa-Irangi, à l'ouest du mont Kilimandjaro. Cela représentait une expédition de 300 km. à pied à travers une contrée infestée de bêtes sau­vages. Tandis qu'il traversait une rivière à la nage, un de ses hommes devait tirer dans l'eau devant lui pour écarter les crocodiles. A cette époque, il avait déjà tué trois lions; mais il y en avait d'autres, et il les tenait à l'oeil ! ...

Après avoir exploré la région de Kondoa-Irangi, il ouvrit une école sous un arbre, pour y enseigner la doctrine en même temps que la lecture et l'écriture. Dès 1910, il avait construit, en briques, onze écoles et une petite église où, cette même année, il put baptiser son premier groupe de chrétiens. Après la guerre, en 1919, comme il revenait en Afrique, il trouva le bateau si encombré qu'il préféra dormir sur le pont. Pour se protéger du vent, et alors qu'un orage menaçait, il se glissa entre deux caisses et s'y trouvait fort bien, quand le commandant, venant à passer, lui fit re­marquer que ces caisses contenaient de la dynamite...

De nouveau sur le sol africain, le P. Krieger tenait à arriver à Kondoa ­Irangi pour la fête de Noël, d'autant plus que sa mission avait été privée de prêtre durant toute la guerre. Cela supposait une marche forcée de plusieurs jours à travers une région dangereuse. Il dut passer une nuit dans un arbre à cause des lions, mais arriva quand même la veille de Noël. Il constata alors les dommages subis par la mission durant la guerre. Après les premières réparations, il se mit au confessionnal, et la cloche sonna pour la messe de minuit. Les gens se rassemblèrent, mais le Père s'aperçut soudain que ses porteurs n'avaient pu soutenir son allure et que son autel portatif n'était pas arrivé. Grande déception de ne pouvoir célébrer la messe pour Noël au milieu de son peuple ! A minuit moins le quart, les porteurs firent enfin leur apparition et bientôt le Christ fut de nouveau présent au milieu de ses fidèles.

Un jour, comme il allait visiter ses écoles, on vint lui dire que des lions décimaient le bétail dans le voisinage. Le missionnaire suivit les traces des fauves jusqu'à ce qu'il découvrît les restes de leur repas dans un fourré. Il y installa un piège et se plaça lui-même en embuscade, en­touré d'une haie d'épineux. La nuit tomba et, deux heures plus tard, les lions retournèrent à leur proie : ils étaient quatre ! L'un d'eux aperçut le Père et bondit vers lui : heureusement, il se prit dans le piège et ne put l'atteindre. Il s'était cependant approché si près que le missionnaire avait senti son haleine près du visage. Les autres lions s'éloignèrent, mais re­vinrent à plusieurs reprises et le Père réussit à en abattre deux. Au petit jour, il n'en restait plus qu'un, un grand mâle, qui rôdait autour de la cachette du missionnaire. Celui-ci sentait la peur l'envahir; il déposa son fusil, récita trois Ave Maria, reprit son arme et abattit son dernier ennemi. Après quoi, il se rendit au village dire sa messe. (Le P. Krieger a raconté lui-même son exploit dans le numéro d'octobre 1949 des « Annales Spi­ritaines » ) .

Après la première guerre mondiale, le P. Krieger resta seul à la mis­sion de Kondoa-Irangi jusqu'en 1923. Il s'était donné pour loi de faire le catéchisme, en personne, chaque jour, quelles que fûssent ses autres occupations. Le christianisme continua à se répandre dans le pays avec les années. En 1934, la mission et son territoire furent confiés aux Passion­nistes, et le P. Krieger alla se livrer à de nouveaux travaux dans la région du Kilimandjaro. Mais il ne devait jamais oublier Kondoa-Irangi.

« Je n'oublierai jamais, disait-il avant sa mort, cette mission que j'ai fondée : j'offre pour elle mes prières et mes souffrances, spécialement pour les Pères, les Frères et les Soeurs » .

Il priait beaucoup, disant sa messe chaque jour, même quand sa vue et ses forces déclinantes ne lui permettaient plus que de concélébrer. Et il souffrait beaucoup, du paludisme, d'une tumeur et du cancer.

Le territoire où a travaillé le P. Krieger compte aujourd'hui, non seu­lement six missions et 27 000 chrétiens, mais aussi - ce qui fut sa grande joie dans sa vie missionnaire - huit prêtres issus de la chrétienté fondée par lui à Kondoa-Irangi.

Bien qu'on ne lui eût donné, en 1903, que deux années à vivre, le P. Krieger a échappé aux crocodiles, aux nuits passées à l'affût des lions, à la dynamite, à la malaria, à la tumeur et au cancer, pour enfin mourir paisiblement dans son lit, d'une maladie relativement bénigne, entouré de religieux récitant leur chapelet, soixante-quatre ans plus tard !

Page précédente