Le P. Camille LAAGEL, décédé, à Cuinia (district de Nova-Lisboa), le 11 mars 1956,
à l'âge de 76 ans et après 53 années de- profession.

Grand missionnaire, ami des malades déshérités, radiesthésiste renommé: tels sont les titres que personne n'oserait disputer au Père Laagel qui fut rappelé à Dieu dans la nuit du 13 au 14 mars dernier. Annonçant son décès, le journal catholique de Luanda déclarait que notre confrère avait été «un profond connaisseur de la mentalité indi­gêne, des coutumes et des traditions des peuples qu'il évangélisait et dont il su acquérir la confiance avec une perfection rarement atteinte par d'autres Européens; ce qui lui permit d'entrer dans les secrets de ces peuplades. Sa renommée s'était propagée dans toute l'Angola, grâce, principalement, à sa profonde connaissance de la médecine indigène qui fit de lui un des plus grands spécialistes des plantes médicinales de la brousse ... »

C'est assurément une lumière qui vient de s'éteindre parmi nous; car le P. Laagel a lui dans les ténèbres africaines durant près d'un demi-siècle, réchauffant la froideur païenne par la chaleur de sa parole vive et bonne, et portant remèdes et réconfort, inlassablement, à ses « pauvres chers malades». Réellement doué pour la radiesthésie, notre confrère savait pratiquer avec succès et discrétion cet art si délicat; seul en Angola, il avait la permission de l'Evêché pour la recherche et l'ap­plication des remèdes nouveaux. Comme il avait coutume de le dire: «On peut bien étudier les vertus curatives des plantes que le Créateur a daigné, dans sa bonté, déposer dans le grand jardin botanique de la brousse!» La véritable science ne rapproche-t-elle pas de Dieu?

Fils d'un instituteur de vieille souche, Camille Laagel naquit à Colmar, le 7 septembre 1879. Un peu comme tous les Alsaciens», il fut, dès sa jeunesse, vif et alerte comme un Français, tenace comme un Anglais, assez sentimental comme un Portugais, et, en, plus, toujours de bonne humeur.

Ordonné prêtre à Chevilly, le 28 octobre 1906, le P. Laagel était dans la cinquantième année de son sacerdoce. Dès le début de sa longue carrière missionnaire, il eut le souci de se pencher sur les plaies purit­lentes des corps pour atteindre les âmes qui lui étaient confiées. A l'exemple du Christ, il a conumencé par soulager les misères corporelles pour mieux préparer les âmes à assimiler la doctrine du salut: mens sana in corpore sano!

Le prêtre indigène, Pedro Luis, qui administra les derniers sacré­ments au moribond, raconte avec fierté comment le P. Laagel fut à l'origine de sa vocation: «Quand j'étais encore petit garçon, il y a 35 ans, païen comme toute ma parenté, un homme blanc à longue barbe est passé dans notre village. Ma grand'mère était gravement malade, et je souffrais moi-même d'un horrible mal de dents. En vain, les féti­cheurs avaient essayé de guérir la vieille. L'homme blanc, avec ses remèdes, réussit à remettre la malade sur pieds, ce qui me mit d'abord en grande confiance. Puis, quand le Père eut arraché ma mauvaise dent, je ne me sentais plus de joie, et sautais, et dansais autour de lui. Il me dit alors sans ambages: «Eh bien, mon petit vaurien, qu'est-ce que tu feras quand tu seras grand? Roi ou féticheur? - Ni l'un, ni l'autre, lui répondis-je, mais inissionnaire comme toi.» Baptisé en même temps que mes parents par le P. Laagel, j'entrai, quelques années plus tard, comme interne à la mission de Caconda. Puis, le jour même de la fon­dation de la nouvelle missionfiliale de ce Culma Cambinda dont il est le fondateur, je l'ai accompagné en camionnette pour entrer le leudemain au séminaire.»
Cinquante ans durant, le P. Laagel vécut son idéal de missionnaire, tendant à la perfection en assouplissant sa nature bouillante et son tem­pérament assez vif. Il avait la parole facile, connaissant parfaitement la langue des Noirs - le bundu -- langue pour laquelle nombre de jeu­nes confrères montrent une certaine aversion, bien qu'elle fut et restera longtemps encore la petite clé d'or qui ouvre le coeur si fermé du Noir. Il faudrait tant de missionnaires de la trempé du P. Laagel: pas trop philosophes, ni trop modernes, mais sachant encore voyager à pieds, à bicyclette ou à dos d'âne. C'est surtout dans les quinze dernières années de sa vie que notre confrère put enfin se dévouer plus efficacement à son art de la radies­tésiste. Il l'a su faire d'une manière délicate et bienfaisante. De près ou de loin, Blancs et Noirs ont afflué vers lui, à pieds, en, voitures, voire en avion.. Semaine par semaine, le courrier amenait des dizaines de let­tres de consultations ou de remerciements pour guérisons obtenues. Mais ce médecin-guérisseur n'en devenait pas riche pour autant. L’ar­gent importait peu: «Le Créateur, disait-il, doit être un très bon patron puisqu'Il ne m'envoie jamais de facture pour les plantes médicinales cueillies dans sa brousse!» Le Gouvernement français lui fit remettre la Médaille d'Honneur des Epidémies, en vermeil, et portant, gravée au verso, le nom de notre confrère. ~C'est le Consul de France en Angola qui lui remit cette décoration (cf. Bulletin n' 74, mai 1955, page 455). La dernière lettre que put lire le Père, et datée de l'avant-veille de sa mort, le félicite encore en ces termes: «Les âmes humbles et désin­téressées comme la vôtre ne vieillissent jamais, puisqu'elles possèdent pour s'animer cet éternel effluve divin qui les revigore et les rend conti­nuellement plus utiles et heureuses en cette vie et surtout dans l'autre.» Ce qui ne veut pas dire que le P. Laagel fût toujours épargné par les épreuves et les souffrances. Il en eut son lot comme tout le monde, car c'est dans la fournaise ardente que l'or se purifie: entre-t-on au Royaume dn Christ sans une croix sur les épaules ? Dix jours avant sa mort, le Père donne encore de pertinents conseils a son fils spirituel par excellence, l'abbé Pedro Luis, en partance pour une nouvelle tournée en brousse. Au prêtre qui lui dit: au revoir et à bientôt, le Père réplique: «Non, mon fils, nous ne nous reverrons plus sur cette terre, je le sens, mon temps est achevé. Ne m'oublie jamais et prie pour moi!» Le soir même, on le vit, assis et plongé dans la méditation, à l'endroit du cimetière où il devait être enterré. La veille de sa mort, le Père travaillait encore, pendule en main, au service de ses malades. Le lendemain, un peu avant l'heure des mes­ses, on le trouva inanimé au pied de son lit: la mort était venue conint, une voleuse. Mgr- Daniel Junqueira, évêque de-Nova-Lisboa, tint à assister en personne aux obsèques de ce saint prêtre et religieux. Entouré d'une foule de chrétiens, après la messe de Requiem, Monseigneur chanta l'absoute et les prières liturgiques. Toute la nuit précédent la cérémonie, les internes de la mission et les chrétiens des villages voisins se firent un devoir sacré de passer une veillée d'honneur en prières reconnais­santes autour du cercueil exposé dans le choeur de l'église de la Mission. Larmes, pleurs et couronnes pleuvajent dans la tombe ouverte. Une étoile brillante vient de s'éteindre parmi nous, mais le souvenir des bontés du P. Laagel restera encore longtemps vivant au coeur des bénéficiaires de sa grande charité. L. Fuchs.

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