Le Père Philippe LACAN,
1870-1955.


Au matin du jeudi 3 mars 1955, le Père Lacan était à l'autel, comme d'ordinaire pour commencer sa messe, quand tout à coup il s'affaissa ; c'est ainsi qu'il mourut, réalisant à la lettre les paroles du psaume " Introïbo ad altare Dei". Il était dans sa quatre-vingt-cinquième année et jouissait d'une bonne santé.

La vie active du Père s'est passée en Guinée où il travailla pendant quarante-deux ans. Depuis 1938, il était attaché à la communauté de Bordeaux.

Il naquit à Gaillac, le 27 août 1870. Après ses classes primaires au village natal, il entra chez les Petits Clercs de St Joseph, à Beauvais, d'où il passa à Cellule en octobre 1887. Au moment de sa prise d'habit, le conseil des Pères était partagé à son sujet : 4 pour, 3 contre, et 4 abstentions. L'un d'eux trouvait le candidat trop original. Le directeur, le P. Grès, exposa son avis : " Cet aspirant venu de Beauvais est pieux, dévoué et obéissant. Les enfants ne comprendraient pas pourquoi il ne serait pas admis" ; et le supérieur, le Père Brunetti, compléta: " Ni moi non plus, je ne comprendrais pas, car il est dans les mêmes conditions que Ségala qui a eu toutes les voix.\'bb Bel éloge pour le jeune Lacan que d'être mis sur le même pied que Ségala ! Plus tard, ils se retrouveront tous les deux en Guinée, quand Ségala sera devenu préfet apostolique. C'est ainsi que l'avis du P. Brunetti prévalut contre celui des opposants et des indécis, et Philippe Lacan fit son oblation le 18 mars 1888.

Le moment venu, il commença ses études philosophiques et théologiques, à Langonnet d'abord, où le P. Kraemer, directeur, le trouva dès l'abord " un peu loquace et original". Le correctif " un peu" paraît là de pure complaisance. A Chevilly, le P. Vanaeke le jugea " Un peu hâbleur et tenace dans ses idées". Rien ne devait pourtant l'arrêter. Il devint prêtre et fit profession le 15 août 1896. Mgr Le Roy lui avait dit : " Faites un homme qui dure". Le P. Lacan suivit ce conseil, en durant jusqu'en 1955, après avoir été missionnaire en Guinée de 1896 à 1938.

Désigné immédiatement pour la Guinée française, il s'embarqua àMarseille, en compagnie du P. Ségala, le \fs13 le, octobre 1896.

Le Préfet apostolique de Guinée était alors le R. P. Auguste Lorber, qui céda la place, en 1904, au P. François Ségala qui devait mourir en décembre 1910 et être remplacé par le P. Raymond Lerouge.

Laissons au P. Lacan le soin de nous énumérer les différents postes qu'il occupa durant sa longue carrière apostolique.

" Je suis arrivé, dit-il, le 15 octobre 1896, à Conakry où je fus installé quasi curé, le 8 décembre de la même année. Je fus envoyé ensuite à Boffa, dans le Rio Pongo, comme supérieur intérimaire, en mars 1899. Un an plus tard, j'étais chargé de la mission de Boké (Rio Nunez). Je revins à Boffa comme supérieur, d'avril 1901 à avril 1902. On me confia ensuite la reprise de la mission de Sangha (Rio Pongo) que je dirigeai, d'août 1902 à décembre 1907. Chargé de la fondation de Kindia, où j'arrivai le 18 décembre 1907, j'y suis resté jusqu'au 18 juin 1938.

La vie apostolique a bien changé depuis cinquante ans, et c'est toujours avec un grand intérêt qu'on relit, dans la collection du Bulletin général, l'histoire des premières fondations, celle de la Sainte-Croix de Kindia en particulier.

Le P. Lacan était venu à Kindia pour la premidre fois. en décembre 1907, pour chercher un emplacement et un local. Il y fut reçu à bras ouverts par les Syriens, et notamment par quelques-uns de ses enfants de Conakry et du Rio-Pongo. Les Européens aussi l'accueillirent avec sympathie. A cette époque, Kindia était plein comme un œuf. Il fallait cependant trouver un local : une galerie fermée, appartenant à un Syrien, lui servit, durant quinze jours, de chambre à coucher et de chapelle. Le 25 décembre, la Compagnie Anversoise mit gracieusement à la disposition du Père ses deux grandes salles, les plus belles de Kindia. C'est là que fut chantée solennellement la messe de minuit. Tout Kindia, même européen, y était. Cinq jours après, le Père reprenait le chemin de Conakry pour revenir de nouveau à Kindia, le 28 janvier, accompagné de trois chrétiens qu'il avait ramenés de sa mission du Rio Pongo.

Dès le début, nombreuses étaient les visites des indigènes qui voulaient voir et connaître le " fotémori" le Père des Blancs qui parlait soussou. Le Père accueillait tout le monde, parlait de Dieu, enseignait aux enfants notre belle prière : le Notre Père. Et ainsi, dès les premiers mois, il y avait une vingtaine d'assistants à la messe tous les matins. Petit à petit, la mission s'installa. Les commencements de l'œuvre étaient donc très encourageants, malgré quelques nuages qui ont couvert çà et là l'horizon. Bientôt on enregistrait déjà 26 baptêmes, un mariage, une première communion, 7 enterrements...

En 1930, vingt ans plus tard, le P. Lacan était toujours \fs9 à son poste. Après le P. Cousart, il a, comme socius, le P. Lavenu, et le Fr. Rémy fait aussi partie de la petite communauté. La statistique annuelle donne le chiffre de 1.173 catholiques dont 949 à Kindia et environs, 205 baptêmes, 61 confirmations, 62 premières communions et 22 mariages.

" Uœuvre des enfants, dit le rapport, compte 29 internes, tous candidats au catéchuménat. Nos ressources ne nous permettent pas de dépasser la trentaine ; nous ne pouvons d'ailleurs entretenir les 29 présents qu'avec assez de peine, et grâce seulement à quelques plantations de bananes, ananas, et à l'élevage de chèvres, cochons, lapins, etc..."

Kindia est, en effet, le pays des bananes. Tout autour de la ville, on compte sept grandes plantations. Les indigènes, eux-mêmes, se sont mis à planter, et l'influence du Père Lacan n'a pas été pour rien dans cette orientation. Les villages chrétiens de la Providence, de Sainte-Croix et de Saint-Roch ont donné l'exemple. Aussi rien n'est beau comme ces champs immenses couverts de bananiers chargés de régimes. La Guinée exporte près de 200.000 caisses de fruits dont Kindia a fourni la majeure partie. Les autorités françaises promurent le P. Lacan au grade de chevalier du Mérite Agricole, le 9 février 1927, pour avoir été en quelque sorte " le père de la banane" en Guinée.

Rentré définitivement en France, en 1938 le P. Lacan fut attaché àla communauté de Bordeaux. Il avait 68 ans et aurait très bien pu s'enfermer dans la retraite. Pour lui, ce fut au contraire une période encore très active malgré son âge. Il fut confesseur de plusieurs communautés religieuses, aumônier de deux hôpitaux militaires, assistant de la communauté.

Il s'intéressait beaucoup aux coloniaux de Bordeaux, surtout aux Guinéens, qui lui étaient attachés. Dès qu'il était en contact avec quelqu'un, il s'en faisait un ami. Il en profitait pour faire tout le bien possible : baptême d'adultes, régularisation de mariages. conversion de grands pécheurs. A la veille de son départ pour la Guinée, il catéchisait, en vue de son mariage, un Chinois dont il venait de catéchiser et de marier le beau-père, protestant.

Sa dernière grande joie sur terre fut de revoir avant de mourir cette Guinée où il avait tant travaillé. Le 25 novembre 1954, il prenait l'avion pour Conakry afin d'assister, sur l'invitation du HautCommisssaire de la République en A.O.F., au centenaire du Gouverneur général Ballay que le Père avait connu pendant son séjour là-bas. Il était surtout heureux de revoir son Kindia et les missions qu'il avait fondées.

Le voyage et les réceptions l'avaient fatigué, mais il avait été émerveillé des progrès faits par l'évangélisation depuis son retour en France, ainsi que des progrès matériels du Vicariat apostolique et de la Colonie.

Nous avons signalé la promotion du P. Lacan au grade de chevalier du Mérite agricole, en 1927. Le Gouvernement français ne devait pas en rester là. En 1932, le P. Lacan, était nommé officier d'Académie. Le 25 juillet 1952, M. Pflimlin, alors ministre de la France d'Outre-Mer, épinglait sur la poitrine de notre confrère la croix de chevalier de la Légion d'Honneur. Différentes sociétés voulurent également honorer les mérites du P. Lacan qui était officier des Héros du Devoir, Grand Croix du Mérite français, Grand Dignitaire de l'Ordre de la Couronne de Charlemagne, officier du Dévouement national, titulaire de la Médaille d'Or de l'Encouragement au Bien, de la Médaille d'Or de la Mutualité d'Angoulême, et de la Médaille coloniale.

Ce que nous ne saurions oublier chez le P. Lacan, c'est son dévouement sans limite qui le maintint durant plus de trente ans à son poste avancé, face à l'Islam, pour établir notre sainte religion dans un pays qu'on jugeait incapable de conversion, et cela, au milieu d'épreuves et de contradictions suscitées de tous côtés.

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