Le Frère Cosme LAGUERRE
décécé le 24 mai 1983, à Chevilly, à l'âge de 83 ans

(homélie prononcée à la messe de ses funérailles par le Père Alphonse GILBERT)

Jean-Baptiste LAGUERRE, né au bourg de l'Arcahaie, en Haïti, voici 82 ans ; était commis dans une maison de commerce lorsque, dit-il, « Dieu m'appela à la vie religieuse chez les Spiritains ». A 22 ans, il débarqua au Havre avec un autre frère noir haïtien, le Frère Damien. « C'est ainsi que j'ai pris à Chevilly le nom de Frère Cosme, à cause de Cosme et Damien. » Il sera, durant 57 ans, cordonnier : 1 an à Allex, 4 ans à Cellule, 10 ans à Mortain, 6 ans à Pire, 36 ans à Chevilly. « Mon nom commence par un C. A Chevilly, je fais les trois C : cordonnier, caviste et coiffeur. » Pourquoi toujours cordonnier ? « Parce que, dans ces maisons de formation, on avait besoin d'un cordonnier. Dans la Congrégation, vous savez, on peut faire toutes sortes de choses. » Il ne retourna que 3 fois dans son pays. « Je n'ai pas voulu retourner. Il y a trop de misère ! Voir les gens souffrir sans pouvoir les soulager, non, ce n'est pas possible ! » Je dois dire que nous avions organisé avec sa paroisse d'origine un plan d'assistance à sa famille dans le dénuement ; ce fut un grand réconfort pour lui, car, il portait dans son cœur l'immense souffrance des siens. Il avait une façon créole de prononcer le mot misère qui l'apparentait à la détresse et à l'espérance de tout son peuple haïtien. « Bon Dié bon ! » répétait-il comme eux.

Bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en de petites choses ; je t'établirai sur de grandes, entre dans la joie de ton Seigneur! : c'est la Parole de l'Évangile qui nous vient spontanément à l'esprit, tandis que nous allons célébrer cette Eucharistie, assurés que le Seigneur lui-même, selon sa promesse, a mis, à son tour, son tablier pour le servir à ce banquet éternel de l'intimité divine. Frères et soeurs, prions le Seigneur de purifier nos coeurs. La leçon qui nous est donnée par cette vie est celle de l'humilité et du service. Puissions-nous être, comme le Frère Cosme, des serviteurs fidèles !

- « Cosme, es-tu un Frère heureux ? » lui a-t-on demandé cette année.
- Oui, je suis en paix. Je suis entre les mains du Bon Dieu. Il faut demander son pain tous les jours, il faut demander de faire sa volonté tous les jours ; ça ne se donne pas en une fois. Il faut toujours demander le secours de Dieu. Quelquefois, on ne sent rien ; on croit que tout est perdu, alors que le Bon Dieu est toujours là.
- On dit que tu ne te plains jamais, que tu es toujours souriant. Quel est ton secret?
- Mon secret! Il n'y a pas de secret. C'est la grâce de Dieu ; c'est sùr, c'est la grâce. Par la prière, la prière. Je demande à Dieu la force de faire sa Volonté, de surmonter les coups durs. Même à la fin de sa vie, on croit que tout va tout seul : non, il y a des épreuves, des moments très durs, c'est la prière qui aide à surmonter. Il faut tenir, ne pas lâcher le Bon Dieu, être toujours fidèle.
- Quel est le conseil que tu nous laisses pour aujourd'hui et pour demain ?
- Pour aujourd'hui : faire de mieux en mieux la Volonté de Dieu au jour le jour. Toujours fidèles.
Et pour demain : tâcher de faire la Volonté de Dieu au jour le jour, c'est tout. Si l'on veut être heureux.
Vous savez, c'est plus dur de connaitre la Volonté de Dieu que de l'accomplir. On peut s'illusionner. Les supérieurs, c'est pour nous aider à discerner. Il faut faire ce qu'on croit être la Volonté de Dieu.
- Alors, tu es un pilier de Chevilly ?
- Mais non, ce sont les autres qui me soutiennent. C'est comme pour les bouteilles. Maintenant, je ne peux plus porter les bouteilles. Mais les jeunes Frères sont très bien ; ils me rendent service. Ils me portent les bouteilles. La Communauté, c'est ça, c'est notre vie tous ensemble. On se tient comme ça! On ne sait pas tout le bien qu'on fait quand on fait le bien !
Si vous parlez de moi, tâchez de dire seulement ce qui est la vérité. »

« A ceci, nous connaissons l'amour », dit saint Jean. « Jésus a donné sa vie pour nous nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères. Aimons en acte et dans la vérité. »

Telle fut ta vie, cher Cosme : une longue vie d'amour, de service, de fidélité. Jésus, nous venons de le chanter, s'est fait le serviteur en acte par excellence, dans la fidélité absolue à la Volonté du Père, obéissant jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté ; c'est pourquoi tout homme peut dire : « Jésus est Seigneur. »

Le don de ta vie, Cosme, en union avec le sien, ou plutôt assumé par Lui, aura été et devient définitivement associé à sa Pâque rédemptrice, et source de fécondité non seulement présentement pour tous ceux qu'Il t'a confiés, mais encore, avec Lui, jusqu'à la fin des temps. A la gloire de Dieu le Père ! Parce que tu as été fidèle à Sa volonté.

- Bienheureux es-tu car, habitué à ne compter que sur son secours, tu fus ce vrai pauvre spirituel devant lequel s'ouvrent les portes du Royaume.
- Bienheureux es-tu pour ta douceur qui t'a fait aimer de tous.
- Bienheureux es-tu pour ton esprit de compassion envers les malades, les infirmes, les personnes abandonnées, quand tu partais les visiter en boîtant : « Ce que tu as fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi, dit Jésus, que tu l'as fait... »
- Bienheureux es-tu pour ton désir de Dieu, qui t'a comblé.
- Bienheureux es-tu pour ton esprit de pardon, pour ton oeuvre de paix : tu fus un vrai fils de Dieu.
- Bienheureux es-tu pour ton coeur simple ; maintenant que tu vois Dieu, sollicite pour nous cette simplicité du coeur.
- Bienheureux es-tu pour avoir accepté sans murmurer épreuves et contradictions ; ta récompense est grande dans les cieux.
Cosme, sans l'avoir voulu, avec le sourire malicieux - et si bon - qui fut le tien, tu nous rassembles en cette Eucharistie que nous allons célébrer en nous souvenant de toi, et tu nous laisses un ultime message, celui que tu m'as dit un jour, chapelet en main, en revenant du cimetière : « Ce qui leur reste - ce qui nous reste -, c'est d'avoir toujours été fidèles à la Volonté du Bon Dieu. C'est ça la vie religieuse : Dieu nous a choisis parce qu'il nous aime. Mieux on fait Sa volonté, mieux on L'aime. Mieux on L'aime, mieux on sauve les âmes. C'est drôle, moi, je viens d'un pays de mission, et je n'ai pas été en mission. Mais le Bon Dieu m'a fait missionnaire d'une autre manière. A sa manière ! C'est drôle ! » Et tu t'es mis à rire !!!
Père Alphonse GILBERT

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