Le P. Antoine LAURENT ,
BPF 108 p. 349-353
décédé à Efok, le 6 novembre 1959,


Le P. Antoine Laurent est mort subitement, à Efok, le 6 novembre 1959, à l'âge de 47 ans. Deux jours plus tard, il devait prendre l'avion pour un congé en France.

Né dans le Haut-Rhin, à Niedermorschwihr, petit village au pied de N.­D. des Trois-Epis, le 8 décembre 1911, il reçut les prénoms de Marie et d'Antoine, car, en Alsace, on a une très vive dévotion à saint Antoine, dont la statue se trouve dans presque toutes les églises.

Cadet de quatre enfants et l'aîné des garçons, le jeune Antoine, fils de viticulteurs, était normalement destiné à la culture des vins d'Alsace. Mais, à douze ans, un Père Jésuite le fit entrer à Florennes, en Belgique. C'est en pleurant que son père et sa mère le virent s'éloigner de ces beaux coteaux de Niedermorschwihr et de Turckheim, qui sont la fierté de nos bons vignerons des environs de Colmar.

Bien doué et pieux, Antoine se montrait cependant, au gré de ses éducateurs, un peu trop turbulent et bagarreur. On lui reconnaissait pourtant une vocation sacerdotale certaine. Il fut donc dirigé, comme beaucoup d'autres, vers le noviciat des Pères du Saint-Esprit. En, septembre 1929, nous le voyons à Neufgrange, entre les mains du P. Windholz qui connaissait ces tempéraments, bavards, farceurs, mais bons enfants et pleins de bonne volonté. Durant le noviciat, la perte de son père fut pour le jeune novice une grande épreuve qui le fortifia dans sa vocation.

Il fit profession, à Neufgrange, le 8 septembre 1930, fut ordonné prêtre, à Chevilly, le 28 octobre 1938. Le 2 juillet suivant, il recevait son obédience pour le Vicariat apostolique de Yaoundé. Le 18 juillet, en présence de ses frères et sœurs et de sa bonne maman, il célébra sa première messe solennelle au pays natal où il passa ses vacances avant le grand départ pour l'Afrique.

Il était déjà installé, à Bordeaux, sur le « Foucauld », quand l'ordre de mobilisation du 2 septembre 1939 le contraignit à remettre pied à terre et à rejoindre son ancienne unité de 1934, le 152e Régiment d'Infanterie. Il fut blessé à Rethel, d'un éclat d'obus dans le jarret; aucun médecin n'osa l'opérer, de peur de lui couper un nerf. Jusqu'à sa mort, le P. Laurent conservera cet éclat d'obus dans la jambe : c'était pour lui un véritable baromètre, et quand les douleurs se faisaient sentir plus vivement, le Père annonçait la pluie pour le lendemain.

En 1940, il assiste tristement à l'Exode. Étant encore en traitement pour sa blessure, dénué de tout comme beaucoup de ses compagnons d'armes, il réussit à échapper aux Allemands et se réfugie à Cellule. Mais bien rapidement, l'inaction lui pèse et le pousse, un beau matin, à s'engager comme aumônier dans un camp des Chantiers de Jeunesse qui devait devenir plus tard le Maquis de Vergon. Il y vécut nombre d'aventures. Il fut même condamné à mort par les Allemands, et c'est par miracle qu'il s'en tira sans dommage. Il voyageait toujours en moto. Or, un Capucin à barbe, lui ayant un jour emprunté son véhicule, se vit arrêté et mis sur la sellette à sa place. Le vrai Père Laurent, pendant ce temps fumait tranquillement des cigarettes parachutées par les Anglais la nuit.

Par la suite, il s'engage dans les Forces de la France Libre. C'est ainsi qu'il assiste à la grande réunion des Chefs, en 1943, au Camp de Valdahon. Après le débarquement, il est volontaire dans les troupes de choc du Général Béthouard. Son dévouement lui donne l'occasion de sauver des vies et de ramener bien des âmes à Dieu. Pour nombre de soldats, il est considéré comme un véritable père, et, à sa mort, on retrouvera dans ses papiers un cahier d'adresses de ses correspondants reconnaissants.

Le 9 février 1945, il rentre en Alsace. Lors d'une patrouille de reconnaissance, un soir, sur les bords du Rhin, à Neuf-Brisach, il est projeté à terre par la chute d'un obus de gros calibre qui, heureusement, n'éclate pas; ce qui faisait dire, en riant, au Père Laurent : « Voyez-vous 1 maintenant, je n'ai plus rien à craindre : le Bon Dieu m'a mis « en sursis ». J'ignore ses vues sur moi, mais l'avenir me les découvrira ».

En mars, entre deux batailles, il obtient une permission, et il a la joie de revoir sa bonne maman qui s'éteignit doucement avec la dernière bénédiction de son fils.

En vainqueur, le P. Laurent traverse ensuite le Rhin, parcourt l'Allemagne à la suite du Général de Lattre de Tassigny, et pénètre, avec son unité, jusque dans le Tyrol. Il assiste aux réceptions de Vienne, et affronte nombre de dangers en pays libérés. Partout, il s'est conduit comme un fervent prêtre du Christ et comme un digne fils du vénérable Père.

Avec la fin des hostilités, il est démobilisé, et l'Aumônier-Capitaine, la poitrine barrée de sept médailles, rentre en triomphateur au petit village natal... Une page de sa vie vient d'être tournée.

A quelque temps de là, une lettre du R. P. Provincial lui confirme son obédience de juillet 1939 : le Cameroun. Mais, pour l'instant., il n'y a pas encore possibilité de voyager ni par bateau, ni par avion. En compagnie de deux autres confrères, le P. Laurent va pourtant parvenir à pied d'oeuvre par un moyen de locomotion et un itinéraire assez originaux pour des Spiritains. Parti d'Oran en camion, il atteindra Yaoundé par Bidon-Cinq, Kano, Ngaoundéré et le Tchad.

Enfin, le 25 mars 1946, le voilà à Nanga-Eboko, où le Supérieur de la Mission l'arrête, au nom de Monseigneur, pour l'affecter à sa première station. Il y retrouve un vieil ami et compatriote, ce qui lui permet une facile adaptation. Mais pour lui, si peu musicien, la langue yaoundé, à deux tons, lui donne pas mal de fil à retordre. Il est chargé de l'école, qui comptait 12 moniteurs et 700 élèves. Ni les uns ni les autres ne se montraient particulièrement bienveillants pour ce nouveau parachuté qui voulait commander en militaire et qui n'arrivait pas à comprendre qu'en Afrique, quand il pleut, plus rien ne bouge. Il manquait un peu de patience.

Plus grave encore, il n'avait pas saisi toutes les subtilités du concept de hiérarchie en Afrique. C'est ainsi que le 10 août 1946, en la fête de saint Laurent, tout le monde était accouru pour lui souhaiter sa fête. Il y avait erreur, mais le geste valait tout de même un cadeau. Le Père distribue donc une poignée d'arachides à tous les écoliers. La distribution terminée, il restait encore, au fond du panier, une quinzaine de kilos. « Ceci, c'est pour vous, mes chers Moniteurs ! » déclare le P. Laurent. « Alors, tu nous donnes les restes ? » se récrient ces derniers, qui refusent ce qui leur est offert. Le pauvre Père en a pleuré.

Peu à peu, le P. Laurent se met à la page. Son Supérieur, qui n'a pas eu de repos depuis dix ans, lui lâche la bride... Le Père prêche, confesse les enfants, règle les palabres, fait des tournées. Ainsi, en mars 1947, un an après son arrivée, il devra assumer la direction de cette grande mission, avec Mr l'Abbé Joseph, prêtre camerounais, comme vicaire.

L'évolution progresse à grands pas. Il y a parfois des étincelles, non pas avec les chrétiens du pays, mais avec les évolués, écrivains, interprètes, infirmiers, postiers. Le P. Laurent fait ce qu'il peut. Ses chrétiens aiment son genre de prédication. Il a du bon sens, et sa répartie facile l'aide énormément dans son ministère. La Mission fait son chemin.

En 1952, après un congé en France, le voilà bombardé dans la grande mission d'Étourdi, dans la banlieue de la capitale. Peu de temps auparavant, dans une échauffourée avec quelques chrétiens polygames, le P. Schwartz s'en était tiré avec quelques coups de lanières derrière les oreilles. Une bande de mauvais chrétiens avait même empêché les bons de venir à la messe du dimanche. La situation n'était donc pas tellement brillante...

Par ses visites dans les villages, le soir, apportant partout sa bonne parole et son sourire, grâce aussi au zèle de l'Abbé Lucien, le P. Laurent réussit à faire rentrer la Mission dans le calme. Les réunions d'hommes, de femmes, de jeunes gens, de jeunes filles, tout revit. Les Soeurs de Niederbronn collaborent avec beaucoup de dévouement, et les Confréries d'Étourdi sont très florissantes. La vie chrétienne renaît et prospère.

Fatigué, le P. Laurent doit de nouveau rentrer en France, en 1956. Déjà avant son départ, il se plaignait de douleurs dans les intestins. Les médecins de Strasbourg ne trouvent rien d'alarmant. Le Père revient avec joie et bonne humeur. Il se voit placé à la tête de l'importante Mission de Sainte-Anne d'Efok, dont le fondateur, le P. Ritter, venait de donner sa démission pour raison de santé.

Là aussi, le travail le prend du matin au soir. Heureusement, il est bien secondé. Pour la direction des écoles, il obtient le concours des Frères des Écoles Chrétiennes. Les Soeurs du Saint-Esprit ont la charge du personnel féminin : école de filles, école ménagère. Les malades de l'Hôpital « Ad Lucem » demandent les sacrements. Le Père se dévoue, des heures durant, au confessionnal. Entre 'temps, il reçoit des visites de partout : il a tellement d'amis, et on tient à venir lui demander conseil.

En ces temps troublés, le P. Laurent voyait la situation avec beaucoup de réalisme. Il se rendait compte que nous risquions fort d'être dépassés, que nous devions faire appel aux Africains capables de diriger les OEuvres missionnaires, et que nous devions céder la place.

Mais sa maladie d'intestins continuait à le miner. Il suivait un traitement. En octobre dernier, se sentant plus mal que d'habitude, il se présente à la consultation du Médecin-Chef du grand Hôpital de Yaoundé. Diagnostic: opération urgente en France. Le départ est fixé au 8 novembre.

La Toussaint et le Jour des Morts, avec les nombreuses confessions durant des journées entières, l'ont terrassé : il y a 6 à 7.000 chrétiens et fervents dans la Mission. Le vendredi 6 novembre, le Père fait la sieste comme à l'accoutumée. Vers 14 heures, il se lève et voit la foule en attente. Il s'excuse, demande un quart d'heure supplémentaire. Lorsque son fidèle serviteur vint pour le réveiller, il ne reçut aucune réponse. Le Père, étendu sur son lit, était mort. Un confrère put toutefois lui administrer en hâte la dernière Onction.

A une dernière réunion de la Confrérie de Marie, le Père Laurent avait dit au revoir à tout le monde et s'était recommandé à la prière de tous pour son beau voyage. Puis, se reprenant : « Non, dit-il, priez plutôt pour que la volonté de Dieu se fasse ». Ainsi fut fait. Après avoir préparé sa valise, mis de l'ordre dans sa comptabilité et son courrier, il fut convié par Dieu au grand voyage : il était mûr pour le ciel. Le P. Laurent est en paix, tandis que ses amis et Confrères se demandent avec anxiété ce que sera demain le Cameroun.

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