Le Père Jacques Laval 1803-1864,
Béatifié en 1979

(voir biographies plus détaillées par ailleurs)

Un jeune normand studieux :1803-1830

Jacques Désiré Laval naît le 18 septembre 1803, à Croth, un petit village de l’Eure en Normandie. Il avait un frère jumeau : Michel, qui vécut peu de temps. Avant lui étaient nées deux filles : Adelaïde et Gertrude. Un frère : Auguste, et une sœur : Justine, viendront après lui. Ses parents : Jacques Laval et Suzanne Delérablée sont issus de familles paysannes riches. Son père est maire de la commune et il est estimé de tous ‘comme un petit roi dans son pays’. (J. Michel p.10)

C’est un homme dur et autoritaire, sa femme est affectueuse et tendre. Elle accueille les pauvres et il n’est pas rare que dix ou douze mendiants soupent à la maison et dorment dans la bergerie ou au grenier. Jacques Désiré est un enfant mince, délicat, peu expansif, très émotif et tendre. Un jour où ses compagnons de jeux étaient réunis à la maison chacun disait le métier qu’il ferait. Lui ne dit rien. Une grande personne lui demande : " et toi que feras-tu plus tard ? " Il répondit : " je serai curé ou médecin " (J. Michel p.11)

Sa mère meurt en 1811, alors qu’il n’a que sept ans et demi. Un an après, son père âgé de 42 ans, se remarie avec Marie-Louise Durvye, une parente, âgée de 21 ans. Ils auront deux enfants : Robert et Virginie. En 1816, la famille quitte Croth, pour s’installer à Louye, près de Nonancourt, où son père exploite une ferme. A l’âge de 13 ans, son père l’envoie chez l’oncle Nicolas, curé de Tourville-la-Campagne, qui consacre de son temps pour instruire de jeunes enfants qui désirent aller au séminaire. Sans être un élève brillant, en trois ans, il a suffisamment appris pour pouvoir entrer en 5e au petit séminaire d’Evreux. Sa première année est difficile. Aux vacances il annonce à son père qu’il veut arrêter les études. Ce dernier se fâche : " tu dis, mon garçon, que le latin te casse la tête. Eh bien ! moi je vais te casser les bras ". (J. Michel p. 14) Il l’accable de travaux pénibles. Finalement Jacques Désiré accepte de reprendre les études. Son père l’envoie à Paris, au Collège Stanislas. Là, il prend goût aux études.

En 1824, son père meurt. Jacques Désiré a 21 ans. Le partage des biens est difficile. La seconde épouse Marie Louise Durvye avait fait la liste de toutes les dépenses faites pour les études de Jacques. Elle demande un deuxième jugement. La part est diminuée de moitié. Il ne lui en a jamais fait de reproche. Mais lorsque son frère Auguste sera marié, il passera ses vacances chez lui.

En 1825, il est reçu bachelier-ès-lettres. Ses maîtres pensaient qu’il prendrait le chemin des études de la prêtrise. Il choisit la médecine. Pendant le temps de ses études, il loge chez un ancien médecin, bon vieux professeur d’université qui faisait de sa maison un foyer pour les étudiants. Il trouve là une ambiance favorable pour sa vie chrétienne. A cette époque dans le milieu de l’université, les mots : Dieu et religion, étaient source de moqueries. Jacques Désiré Laval garde sa pratique chrétienne et consacre beaucoup de temps libre pour visiter les pauvres dans les réduits de la rue Mouffetard, à Paris.

Le 21 août 1830, il reçoit le grade de docteur en médecine, après avoir présenté sa thèse : " Essai sur le rhumatisme articulaire. "

Médecin de campagne (1830-1835)

En septembre 1830, il ouvre son cabinet de médecin à Saint-André, chef lieu de son canton natal. C’est un docteur compétent et généreux, envers les pauvres. Il les soigne gratuitement, et à quelques-uns il envoie le pain, le vin et le pot-au-feu. Il gagne une grande réputation.

Jacques Laval est âgé de 27 ans. Il s’installe confortablement et même dans le luxe. Il est très élégant. Son tailleur cache habillement le fait qu’il a une épaule plus haute que l’autre. Il aime faire le fier avec ses chevaux alors qu’il est mauvais cavalier. Il néglige la pratique de sa religion. Sa famille s’en aperçoit. Un jour sa sœur Gertrude lui dit : " Comment se fait-il que tu ne sois plus pour la religion et que tu en aies toujours des livres ! – Eh bien oui ! " répondit-il " ma conduite est étrange …. " et après un temps de silence il ajoute : " Je résiste à Dieu. " (J. Michel p.19)

Le docteur Laval vit un drame intime. Il ressent l’appel à la prêtrise, et depuis 1826 il est amoureux de Marguerite Buffet, une cousine. Il l’aime tendrement, il désire l’épouser, mais il hésite, puis finalement, il y renonce. En 1832, fatigué de ces tiraillements intérieurs, il se rend au séminaire d’Evreux pour se confesser. Le professeur de morale qui le rencontre, le renvoie au curé de la Cathédrale. Au moment d’entrer au confessionnal, il recule et s’en va.

Depuis quinze ans il y avait déjà un autre médecin à Saint-André : le docteur Fontaine. C’était un médecin sans thèse et Laval était diplômé. Des rivalités vont naître entre les deux médecins. Laval quitte Saint-André dans les premiers mois de 1834 et s'installe à Ivry-La-Bataille pour succéder au docteur Postel.

Son frère Auguste a certifié que " d`une part, il pensait hériter de la belle clientèle de M. Postel dans les châteaux afin de pouvoir vivre honnêtement en se dévouant aux pauvres ; d`autre part, il semblait aussi avoir quelque arrière pensée de se défaire, dans la société du vieux docteur, à peu près étranger à toute pratique religieuse, des idées de vocation qui le poursuivaient ". (J. Michel p.23)

Laval se convertit (1834)

Chaque soir, il va rendre visite au docteur Postel, mais auparavant il passe chez Mr et Mme Simon, les propriétaires de sa maison. Mme Simon est une personne pieuse et judicieuse. Au cours de ses conversations, le P. Laval pose beaucoup de questions sur la religion. Mme Simon a remarqué, le dimanche à la messe, que le P. Laval a son visage marqué par une tension intérieure. Elle reste discrète. Un jour, elle conseille au docteur d’aller voir le curé d’Epieds, village voisin. Ce dernier aide le docteur Laval à revenir vers Dieu.

Au commencement de l’automne 1834, cinq à six mois après son arrivée à Ivry-la-Bataille, il est converti. Il pense bien avoir trouvé la paix, car Dieu ne peut qu’être satisfait de sa conversion. Au début de l’année 1835, en revenant de visiter des malades de Villiers-en-Désœuvré, son cheval tombe dans une fondrière. Jacques Laval n’a que quelques bleus. Les gens rient de sa chute. Mais Laval réalise que cet accident était mortel. S’il n’est pas mort c’est que Dieu a pitié de lui et lui donne du temps pour se convertir. Sa ferveur s’accroît au point que le docteur Postel croit qu’il va devenir fou. Mme Simon lui reproche de devenir scrupuleux. Le docteur prend la décision d’entrer au séminaire de Paris et il est envoyé à Issy-les-Moulineaux.

Ce départ imprévu étonne la population. Or le 5 juin 1835, Marguerite Buffet dont il a été amoureux, s’est mariée à Ivry-la-Bataille. Voilà que les gens se souviennent de son amour pour elle, et des histoires de dépit amoureux courent sur Jacques Laval.

Il n’en est rien car à son frère Auguste qui veut le décourager en lui disant : " Mais tu peux faire du bien comme médecin et comme tu as de quoi vivre, tu pourras aider les malheureux ", il répond : " C'est vrai mais j'ai balancé d'abord entre la prêtrise et la médecine, j`ai embrassé la médecine et je vois aujourd'hui que j`ai eu tort. Dieu m'appelle. C'est ma vocation. Devenu prêtre je pourrai faire plus de bien. Je dois suivre la voix de Dieu, aussi je te prie de ne plus me reparler de cela. " (J. Michel p. 30). Pendant longtemps sa famille lui reproche d’avoir pris ce chemin. Il en souffre.

Séminariste et jeune prêtre (1835-1840)

Laval arrive à Issy le 14 juin 1835. Passer de la vie active aux études lui a été dur. Dans une lettre du 14 août 1835 au curé d’Epieds il écrit : " Mon changement de vie m'a semblé et peu brusque, et parfois j'ai jeté en arrière quelque regard, et me suis senti chancelant en pensant au chemin à parcourir ; mais, invoquant l'assistance de notre bonne Mère, de Marie, refuge des pécheurs, j`ai repris ma route à petits pas. " (J. Michel p.35) Son tempérament scrupuleux se manifeste dans le fait qu’il veut refaire sa confession générale auprès de Mr. Galais, accompagnateur spirituel. Celui-ci le lui interdit, il lui demande de ne plus remuer la boue du passé. Cela lui apporte une grande paix.

Il lui confie son désir d’entrer chez les Lazaristes pour leurs missions en Chine. Mr. Galais considérant son âge – 32 ans – la difficulté d’apprendre le chinois, lui conseille de rester dans son diocèse. Il écrit à l’abbé Letard, curé d’Epieds, au sujet de ce refus : " Je me remets dans les bras de Dieu, et je ne demande que sa sainte volonté. " (J. Michel p.43) Jacques Laval s’abandonne entre les mains de Dieu, il vivra toute sa vie dans l’abandon, et aura sans cesse ce refrain " que la sainte volonté de Dieu soit faite. "

Sa vie au séminaire marque les séminaristes plus jeunes. Sa grande joie est d’avoir reçu la charge de donner aux pauvres les restes du séminaire. Il donne tout ce qu’il a de valeur dans sa chambre. La pauvreté spirituelle marque son comportement : il reste caché dans la masse, il s’estime toujours un grand pécheur. Il est heureux d’enseigner le catéchisme à un groupe de fillettes issu d’un milieu pauvre. Naît en lui le désir de mettre ce qu’il apprend en théologie à la portée des pauvres.

Il consacre beaucoup de temps à la prière et se mortifie beaucoup. Il était arrivé droit comme un i au séminaire, au bout de deux ou trois ans, il était tout contrefait, il avait vieilli de dix ans. Au dernier examen de théologie avant son ordination, Mr. Garnier le supérieur de St Sulpice, lui dit : " Vous n'êtes pas fort, mais vous avez un bon jugement. Soyez dociles et vous réussirez ". (J. Michel p.43) Son conseiller spirituel dit qu’il est un saint.

Le 22 décembre 1838, il est ordonné prêtre dans la chapelle de St Sulpice, par Mgr de Quélen, archevêque de Paris. Il rentre en Normandie et le 8 janvier 1839 il est nommé desservant de Pinterville, petit village de 483 habitants.

Curé de Pinterville (1839-1841)

Pinterville est un village pauvre, la moitié des gens vont travailler aux manufactures de Louviers, ville située à deux km, l’autre moitié vit de l’agriculture et de l’élevage. Sur le plan religieux il n’y a qu’une douzaine de pratiquants.

Peu de travail pastoral. Le P. Laval consacre beaucoup de temps à la prière : il est à l’église de 4h30 à 10h du matin. Le soir il y retourne. Il visite les malades. Il continue sa vie mortifiée : il s’habille pauvrement, porte un cilice. Il mange de la soupe et quelques pommes de terre. Il dort sur une peau de mouton posée par terre, dans le petit cagibi qui est à l’arrière de la chambre. Il donne beaucoup aux mendiants : nourriture et ses habits.

Tout cela ne l’empêche pas d’être attentif à la vie des gens. Il constate que les enfants qui vont à l’école à Pinterville sont laissés à eux-mêmes fort tard jusqu’au retour des parents. Ceux qui ne vont pas à l’école vont travailler à Louviers et ne peuvent pas suivre le catéchisme et ne font pas la communion. Il prend tous les enfants pour un catéchisme et des jeux le dimanche après midi. Ensuite dans la semaine il rassemble les enfants de l’école deux fois par semaine de 7h à 9h30 le soir, jusqu’au retour des parents. Cela fait deux jours où ils ne sont pas seuls. Il prend les enfants qui travaillent deux fois par semaine aussi, plus tard. Le P. Laval raccompagne les enfants chez eux.

Le 17 novembre 1839, vingt et un enfants font leur première communion. Il écrit à ce sujet au P. Letard : " … quel malheur …, que ces enfants aient sous les yeux de si mauvais exemple, car sans cela, on en ferait tout ce qu`on voudrait, mais ce sont les exemples des pères et mères qui perdent tout ". (J. Michel p.58)

Le P. Laval est persuadé que le meilleur de son temps est celui qu’il passe au confessionnal. Aussi il confesse deux fois par mois les enfants qu’il prépare à la première communion. Trois familles s’étaient fondées sans le sacrement du mariage. Il les rencontre et régularise leur situation. Peu à peu naît un noyau fervent.

S'il le faut, l'abbé Laval sait dépasser ses fonctions

En deux occasions, le P. Laval se met au service de la population. En novembre 1939 l’instituteur de Pinterville quitte le village sans être remplacé. Le P. Laval installe des bancs dans sa salle à manger et fait la classe l’après-midi. Il termine par une demie-heure de catéchisme.

En janvier 1841, le fleuve l’Eure, déborde et envahit des maisons. Le P. Laval héberge à la cure une vingtaine de personnes. Il met à leur disposition tout qu’il a : bois, pomme de terre, linge. Il porte secours aux paroissiens qui sont prisonniers des eaux, grâce à un cheval, prêté par un cultivateur. Deux ou trois familles sont isolées dans une maison d’accès difficile. Bien que les gens l’aient averti du danger, le P. Laval s’engage à cheval pour leur rendre visite. Il réussit à les rejoindre et à revenir. Tous tiennent cela pour un exploit.

L’appel pour la mission (1840-1841)

En août 1840, Charles Blanpin et un autre séminariste de St Sulpice, qui rentrent d'un pèlerinage à Notre Dame de Chartres, passent à la cure de Pinterville. Ils n’ont jamais vu le P. Laval, aussi pour le rencontrer ils font ce détour.

Dans leurs conversations les deux séminaristes parlent d’un projet de société missionnaire pour les colonies. A l’origine de ce projet, se trouve Frédéric Levavasseur, un créole de l’île Bourbon, et Eugène Tisserant un parisien dont la mère est née à Haïti. Le P. Laval ressent une forte envie d’entrer dans cette société. Il en fait part aux séminaristes. Mais il n’entreprend aucune demande. Il attend calmement la volonté de Dieu.

Voici que dans la fin de l’année 1840, passe à St-Sulpice Mgr William Collier, Bénédictin anglais, qui vient d’être nommé Vicaire Apostolique de Maurice. Il est venu demander des prêtres. Il lui faut un clergé édifiant et zélé pour faire renaître la communauté chrétienne de Maurice. Il est nécessaire d’avoir des prêtres français pour s’occuper des affranchis.

Le supérieur n’a pas de prêtre à lui donner. Mais Frédéric Lavavasseur lui parle du projet de sa société des missionnaires pour les Noirs. L’évêque accueille avec joie ces propos et prend cette œuvre sous sa protection. Seulement aucun de ceux qui veulent faire partie de la société ne sont prêtres. Seul Tisserant est prêt à être ordonné, mais n’a pas fait son noviciat. Mgr. Collier accepte de le prendre en assurant qu’il reviendra en France pour faire son noviciat. Il demande qu’un compagnon vienne avec lui. C’est à ce moment que les deux séminaristes parlent du P. Laval. Mr. Galais prend contact avec lui.

En novembre 1840 le P. Laval arrive à St Sulpice pour une petite retraite et être mis au courant des règles à suivre. Il offre à " l'Œuvre des Noirs " tous ses biens, ce qui est suffisant pour assurer les dépenses du noviciat pendant plusieurs années. En janvier 1841, à la suite de l’intervention de Mgr. Collier auprès de Mgr. Salmon de Chatelier évêque d’Evreux, le P. Laval est autorisé à partir pour Maurice. Le 19 février il fait ses adieux à ses paroissiens. En moins de quarante huit heures, comme en courant il fait ses adieux à sa belle-mère, à ses frères et sœurs. Tous déplorent son départ, mais lui est impatient : " je n'y tiens plus tant il me tarde d'être avec mes pauvres Noirs. " (J. Michel p.71)

Quand il arrive à Paris il apprend que Mgr Collier est obligé de retarder son départ, et que l’évêque de Tisserant refuse de le laisser partir et l’a nommé vicaire à St Ambroise. Le P. Laval va le rejoindre dans cette paroisse pour le temps du carême. Après Pâques il se retire chez son oncle Nicolas à Tourville.

Le 13 mai 1841, arrive à St Sulpice une lettre qui demande que le P. Laval soit à Londres le 12 mai, car le Tanjore, vaisseau qui se rend à Bombay et passe à Maurice, lève l’ancre le 20 mai. Levavasseur part en hâte avertir le P. Laval. Il arrive le 14 mai, à 4h du matin, à Tourville. Il réveille le P. Laval pour lui dire qu’il doit être ce soir à Londres. Celui-ci demande à son oncle d’expédier à Londres sa malle, puis il monte dans la voiture que Levavasseur a louée à Evreux. Le soir même Jacques Laval est à Boulogne-sur-Mer et le lendemain, 15 mai 1841, à Londres.

Le départ est encore reporté. Le P. Laval va passer trois semaines dans cette ville dont il ne connaît pas la langue. Il loge dans une auberge, sous les tuiles. Au bout de 10 jours il n’a pas encore reçu sa malle.

Mgr. Collier est logé très loin du port. Le P. Laval ne le rencontre que très rarement. Trois autres prêtres attendent le départ du Tanjore : Giles un anglais, Larkhan un irlandais, et Rovery un savoyard. Le P. Laval a trouvé non loin de l’auberge une chapelle où il va prier longuement.

Le 4 juin 1841, le Tanjore quitte Londres. Le petit groupe organise sa vie à bord. Le P. Laval demande à Mgr. Collier de s’occuper de son âme. Il essaie, sans succès, d’apprendre l’anglais avec le P. Giles. Ces cours d’anglais feront naître une amitié entre eux deux. Le P. Laval prend le mal de mer. Ensuite survient une maladie qui a duré neuf jours et mis sa vie en danger. Trois semaines après leur départ arrive une lettre du gouverneur de Maurice, demandant de garder à Londres, cet évêque Anglais, qui a été dénoncé comme étant francophile, et le prêtre Français qui l'accompagne.

Arrivée à l'île Maurice (1841)

Le lundi 13 septembre 1841, à 15h, après 100 jours de traversée, le Tanjore entre dans la rade de Port-Louis. Le médecin qui doit faire la visite, la reporte au lendemain. Le P. Laval passe toute la soirée sur le pont à fixer des yeux, la ville de Port-Louis.

Aucun accueil officiel pour l'évêque et les prêtres. Les journaux saluent la venue de nouveaux membres dans le clergé. La bourgeoisie exprime son attente: la moralisation des Affranchis.

Mgr. Collier obtient du gouverneur Lionel Smith que le P. Laval, qui n'est pas sujet britannique, reste à Maurice pour s' occuper des Affranchis et des prisonniers. S'il ne reste pas, personne ne prendra soin d'eux. Or la loi prévoit que lorsqu'il n'est pas possible de trouver un prêtre britannique, un étranger peut être accepté.

La mission auprès des Affranchis (1841-1845)

Le 26 septembre 1841, le P. Laval reçoit la charge de la Mission des Noirs, puis en janvier 1842, celle d'aumônier de prison. Il s'installe dans une petite case en bois dans la cotir de presbytère de la cathédrale. A longueur de journée il accueille les affranchis et le soir il leur fait le catéchisme.

La population blanche se fâche contre le P. Laval. A la messe du dimanche, à midi, pour les Noirs, le P. Laval leur permet de s'asseoir dans les bancs réservés aux Blancs De plus, le P. Laval demande à ses catéchumènes une vie droite, surtout au niveau des mœurs. Voilà que les femmes et les filles rompent leur relation de maîtresse ou de concubine avec le maître de maison ou ses fils. Les Blancs surnomment le P.Laval : " le grosse bête noire ". Des jeunes sont allés mettre du désordre dans les catéchismes du soir.

Le sérieux de la conversion des Affranchis, qui se manifestent jusque dans la diminution de la consommation d'alcool, au point que les recettes des vendeurs ont baissé, touche la bourgeoisie. Le nombre des baptêmes parmi les Malgaches, les Mozambiques, quelques Indiens et Chinois augmentent. Les Créoles baptisés à leur naissance, mais non formés dans leur foi, suivent le catéchisme, font leur première communion, régularisent leur mariage

En 1843, le P. Laval, en plus de la mission des Noirs, doit assurer le service de la paroisse une semaine sur trois. Comment faire pour le catéchisme à longueur de journée. Il le confie à Edouard Bell, Seychellois d'origine. Le succès de son travail fait comprendre au P. Laval qu'il lui faut des catéchistes et des gens pour visiter les malades.

En 1845, il fait l'expérience de sa première chapelle, la chapelle du St Cœur de Marie, à Petite Rivière, avec Phanie Desfosses. Il en tirera la conclusion qu'il faut aller chercher les gens chez eux, en construisant une chapelle dans chaque village, qu'il confiera à un catéchiste. Le P. Laval sent alors qu'un élan de conversion traverse la population. Les Blancs attendent un prêtre qui sera leur P. Laval. Il arrive en 1845, en la personne du P. Mazuy. Au milieu de tout ce travail, le P. Laval assure 15 heures de confession par semaine. Chaque matin il passe deux heures en prière. Sa paix et son illumination pendant sa prière ont touché beaucoup de cœurs.

Elargissement de la mission (1846-1851)

Jusqu'à cette date, le Père Laval est seul pour tout ce travail. A partir de 1846, il reçoit des confrères: les Pères Lambert, Thévaux et Thiercé. Ils rentrent dans la manière de travailler du Père Laval. Chacun assure une douzaine d'heures de confession et des séances de catéchisme. Les chapelles surgissent dans les quartiers de Port-Louis et les villages environnants. Elles sont l'œuvre d'une communauté dirigée par un leader.

Les Pères vont étendre leur action dans toute l'île. Le curé de Flacq les appelle pour s'occuper des Affranchis, puis celui de Grand-Port fait de même. Le Père Thévaux ira six mois à Rodrigues, suite à une demande du gouverneur. Le nombre de conversions est très grand. Le recueillement des chrétiens lors des grandes fêtes, comme la procession de la fête Dieu, édifie.

En 1847, la presse, en relatant la Fête Dieu, loue le travail du Père Laval. Il en est de même en 1848, mais l'article se termine par des critiques. Une campagne de moqueries et d'insultes se déclenche. On reproche au Père Laval de développer beaucoup de vieilles dévotions du Moyen-Age, sans veiller aux mœurs de ses chrétiens. On déclare qu'ils sont paresseux, ivrognes, voleurs, hypocrites. On lui conseille de leur apprendre à lire, à compter, et à bien travailler en étant soumis à leur maître et en revenant cultiver les champs. Un autre courant accuse les catéchistes de conduire les gens au fanatisme, au culte des amulettes, aux croyances maléfiques.

Ces deux vagues s'épuisent avec la publication du rapport du recensement de 1851, qui met en évidence que le changement de comportement parmi les Affranchis est dû au travail du Père Laval.

Nouvelle méthode dans l'apostolat (1852-1856)

Une évidence s'impose : les adultes qui voulaient se convertir, sont convertis, mais il faut s'occuper de leurs enfants maintenant. Deux nécessités se font sentir: le besoin de grandes églises en pierre pour pouvoir réunir les chrétiens, et la création d'écoles. La construction d'églises en pierre fait éclater la jalousie et le mécontentement des prêtres diocésains. Les écoles devront s'affronter à celles des Protestants. Ces dernières se multiplient et représentent un danger pour les enfants des Créoles catholiques, car on apprend à lire dans le livre de catéchisme des Protestants. Dans cette période, les francs-maçons déploient un grand esprit d'entraide et de solidarité, ce qui leur permet d'étendre leur influence, surtout sur le milieu Blanc, à moitié instruit. Mais ils s'attaquent au contenu de la vie chrétienne. Cela diminue l'ardeur et un climat de méfiance se répand.

En 1854 éclate le choléra. Le Père Laval, avec ses pères, se dévoue jusqu'aux limites de ses forces pour porter les secours de la religion auprès des mourants. Beaucoup de catéchumènes désirent recevoir le baptême, alors qu'ils ne sont pas formés. Ceux qui sont en situation de mariage veulent recevoir le sacrement. Par le biais de la confession, les pères les forment rapidement et ils leur donnent les sacrements. Mais ils leur font promettre qu'après l'épidémie, s'ils ne sont pas morts, ils viendront au catéchisme.

Quand le choléra disparaît, toute la population de l'île, y compris les Blancs et les prêtres diocésains, sont favorables aux missionnaires. Le 5 novembre 1855, vingt catholiques Blancs, réunis au presbytère de la cathédrale, fondent une conférence de la société de Vincent de Paul. Ils prennent l'engagement de travailler au soulagement moral et matériel de la classe la plus pauvre. Le Père Laval va leur confier une mission particulière : fonder et soutenir des écoles pour les enfants pauvres. Ils prendront cela à cœur, mais ils vont se heurter au fait qu'il n'y a personne pour s'occuper de ces écoles. Il faut une congrégation de religieux enseignants. Les frères des Ecoles Chrétiennes arriveront en 1859.

Ces conférences de St Vincent de Paul mettront des riches au service des pauvres. Elles créent une solidarité dans la population et manifestent une Eglise dans laquelle les gens s'entraident. Cela contrebalancera l'influence des francs-maçons.

Tous ceux qui ont reçu les sacrements à la hâte, se pressent pour suivre les catéchismes. Un nouvel élan de ferveur anime la communauté chrétienne. Seulement les pères sont épuisés. La tâche apostolique se révèle immense et les dépasse. Le supérieur du Père Laval refuse d'envoyer d'autres prêtres. Monseigneur Collier n'obtient pas du gouvernement anglais, la possibilité d'avoir plus de Pères. Par manque de prêtres tout languit.

Deux nouveaux combats (1857-1859)

En 1857, le gouverneur Higginson, avec l'appui de l'Evêque anglican, Mgr Ryan, prépare une loi qui rend l'enseignement obligatoire. Dans les écoles les enfants recevront un enseignement religieux, conforma à la religion de leurs parents. Mais si personne ne peut le leur assurer, un pasteur protestant donnera une formation religieuse. Monseigneur Collier donne son accord pour ce projet de loi. Il oublie le petit nombre de prêtres catholiques dont il dispose. Il convoque le P. Laval, le P. Mazuy et quelques autres prêtres pour les informer de cette future loi et leur signale qu'il faudra faire le catéchisme dans les écoles.

Les prêtres réalisent aussitôt que, vu leur petit nombre et le grand nombre de catholiques dont ils ont la charge, ils ne pourront pas assurer cet enseignement. Par contre les pasteurs protestants sont nombreux et ont peu de fidèles, ils prendront la formation religieuse des enfants catholiques dans les écoles. Le Père Laval dit à l'évêque qu'il a été trompé par le gouverneur. Monseigneur Collier réalise. Mais il a donné sa parole, impossible de revenir en arrière. Ils demandent aux prêtres de travailler l'opinion de leurs fidèles pour que leurs réactions changent la situation. Le Père Laval a, parmi ceux qui se confessent régulièrement à lui, le rédacteur de la loi, M. Fropier. Il lui ouvre si bien l'esprit que, lorsque la loi passe à l'assemblée, il est celui qui s'y oppose le plus farouchement. Malgré tout, le gouverneur Higginson, arrive à faire voter, la loi.

Les catholiques s'organisent. Ils envoient au gouverneur une pétition, qui dénonce la loi, et l'accuse de soutien au protestantisme. Ils écrivent à la Reine, et expriment leur indignation devant le mode de recrutement des prêtres. Pourquoi des prêtres britanniques puisque nous parlons français, seul l'évêque devrait être britannique. La presse internationale, en Angleterre et en France, s'empare du débat et le gouvernement anglais reçoit le reproche de ne pas être assez libéral en prenant ces mesures oppressives contre les catholiques de l'île Maurice;

Le deuxième combat du Père Laval se vit d'une manière cachée. Celui-ci a compris que, grâce à la faveur de la population et des prêtres, les missionnaires pourraient prendre beaucoup de paroisses et avoir une grande influence sur toute l'île. De plus, les paroisses permettraient de trouver l'argent pour faire fonctionner les écoles. Hélas ! le supérieur qui est en France s'oppose à ce projet. Il veut même retirer les pères des paroisses pour les regrouper en communauté dans quelques quartiers des grands centres.

Les dernières années (1860-1864)

En janvier 1859 commence la visite religieuse du P. Collin à l'île Maurice. Il voit bien l'épuisement physique du P. Laval. Il le relève de sa responsabilité. Mais il est chargé de retirer des jeunes Pères de Maurice pour les envoyer à Bourbon (La Réunion). Ce sera pour toute la mission de Maurice, l'évêque, le P. Laval et tous les prêtres, une profonde déception. D'autant plus que le programme prévu à Bourbon ne se réalisera pas. Le P. Collin comprendra trop tard que le bien des âmes peut souffrir de principes appliqués trop brutalement.

Le Père Laval constate que la vie chrétienne des fidèles se relâche. Le 7 octobre 1860 il doit prêcher aux groupes du rosaire. Il écrit un sermon dans lequel il mentionne l'affaiblissement de la vie chrétienne. Il en donne la cause : les chrétiens ont délaissé la récitation du chapelet. Le Père Laval n'a pas donné ce sermon. Quand il s`est avancé pour parler, il s'est écroulé sur les dalles de l'église, frappé d'une thrombose qui le diminuera beaucoup. Pendant quatre ans, le Père Laval va supporter la maladie, le vieillissement, l'impossibilité de faire de l'apostolat. Sa plus grande souffrance est de ne plus pouvoir célébrer la messe.

Le 9 septembre 1864 il meurt dans l'après-midi, après avoir répété longuement ce verset du psaume: "j'étais dans la joie, quand on m'a dit : allons à la maison du Seigneur."

"Le Cernéen" du 13 septembre 1864 publiait: "Le P. Laval a été envoyé pour évangéliser les pauvres, mais il a aussi ramené les riches vers Dieu ; il a été l'apôtre de Maurice dans toutes les classes et, avant de fermer les yeux, il a vu une seule famille de mauriciens dans la sainte Eglise catholique" (J. Michel p. 448)
P. Louis Verchère, Directeur du Centre Père-Laval à Sainte-Croix.

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