Mgr Pierre-Marie LE BERRE,
1819-1891


La famille Le Berre était en grande considération dans le pays de Pontivy, autant par le rang social de ses membres que par leur dévouement à l'Eglise. Elle possédait des biens considérables dans le pays. Mathurin Le Berre et Jeanne Le Frapper eurent sept enfants : une fille qui mourut religieuse en Afrique du Nord, quatre fils prêtres et deux garçons qui restèrent aux champs.

Pierre-Marie naquit le ler août 1819 à Kerveyant en Neulliac. Au petit séminaire de Ste-Anne d'Auray, on dit qu'il était d'une vivacité extraordinaire en 5e et en 4e, mais qu'à partir de ces classes il était devenu d'une douceur et patience exemplaires. Pieux, régulier, appliqué, il parcourut le petit et le grand séminaire sans anicroche.

Prêtre à Vannes le 21 septembre 1844, il resta dans sa famille pendant plusieurs mois, attendant sa nomination, car à cette époque le diocèse de Vannes n'avait pas assez de postes pour occuper tout son personnel ecclésiastique... Il alla donc passer quelques jours à la Trappe de Thymadeuc, proche de Rohan, et y apprit l'existence du Père Libermann, qui venait de fonder une nouvelle société pour l'évangélisation des Noirs. Sur le conseil de l'Abbé du monastère, il se rendit à La Neuville près d'Amiens et rencontra le supérieur de la société du Saint-Cœur de Marie. Il y apprit le départ récent des dix premiers missionnaires sur les côtes d'Afrique, et demanda d'être admis en leur compagnie. Il resta donc à La Neuville et apprit bien vite les difficultés insurmontables que ces pionniers avaient rencontrés. Il résolut de marcher sur leurs traces, accomplit son noviciat, et fut reçu comme profès le 26 mars 1846.

On savait alors que seuls le P. Bessieux et Grégoire Sey avaient atteint le Gabon et se mettaient à l'œuvre dans la première mission. Le P. Le Berre, dans la candeur de sa foi, était prêt à se faire Noir avec les Noirs pour vivre avec eux à la suite du Christ et de l'évangile.

Affecté à la mission du Gabon, il rejoignit d'abord le Sénégal, et à Gorée embarqua sur le Cassini, aviso à vapeur de la Marine française. " C'est le 15 août, vers midi, aimait-il à raconter, que le navire mouilla en rade de Libreville. Le P. Bessieux vint lui-même en pirogue me prendre à bord. Il était pâle, défait, presque méconnaissable. A peine m'eût-il embrassé et questionné sur le vénérable Père et les confrères d'Europe, qu'il se mit à m'apprendre les premiers mots de la langue mpongouée.

" A terre, notre première visite fut pour le divin Maître : il occupait la chambre du milieu de l'humble case en bois. Une caisse de genièvre, garnie à l'intérieur d'un morceau de toile blanche et fermée par une pierre plate, formait le tabernacle. Un baril de petit salé, recouvert d'un léger tissu servait de trône à la sainte Vierge. Une petite porte donnait entrée dans la chambre du Père qui, la nuit, pouvait ainsi apercevoir le tabernacle et dormir sous sa sainte garde. Trois ou quatre enfants, qui avaient déjà appris quelques mots de catéchisme et de français, étaient tout l'espoir de la mission.

En 1848, le Père Libermann fit entrer sa jeune société dans la congrégation du Saint-Esprit et en devint le Supérieur, à Paris, 30 rue Lhomond. C'est là que le P. Bessieux reçut l'ordination épiscopale le 14 janvier 1849, avec la juridiction sur le Vicariat apostolique des deux Guinées, c'est-à-dire de toute la côte occidentale de l'Afrique, à partir du fleuve Sénégal, soit environ 6.000 kilomètres !

Durant les 25 années suivantes, différents territoires furent délimités et leurs missions confiées à diverses congrégations. Si bien que lorsque le Père Le Berre devint évêque, à la mort de Mgr Bessieux, sa juridiction correspondait uniquement au territoire du Gabon.

De 1846 à 1858, le P. Le Berre fut le collaborateur direct de son évêque : apprenant la langue, s'occupant des écoliers, établissant en dehors de Libreville quelques postes éphémères.

En 1868, Mgr Bessieux nomma officiellement le P. Le Berre administrateur de la juridiction avec tous les pouvoirs nécessaires. Celui-ci d'ailleurs en remplissait déjà les fonctions depuis 1858. Mgr Bessieux se savait trop austère ; c'était un saint qui préférait aux tracas du gouvernement la tâche de prier pour ses ouailles.

Prier ne suffit pas. Les premiers missionnaires devaient aussi assurer leur subsistance. Ils plantèrent quantité d'arbres fruitiers, récoltèrent sur leurs champs manioc, riz et canne à sucre (plus tard du cacao, du coton et même de la vigne). Dans le potager, ils cultivèrent choux, aubergines, carottes, navets, salade, persil, céleri, tomates, haricots verts et oignons. Ils élevèrent avec succès bœufs, moutons, porcs, lapins, canards, pigeons et poules. Grâce aux frères, on a pu établir des ateliers de cordonnerie, d'habillement, d'ébénisterie, de menuiserie, etc., où l'on forma des ouvriers qui se répandirent ensuite dans leurs villages.

Les oeuvres de charité, d'éducation et de vie spirituelle étaient assurées par les pères, les frères, les catéchistes et les religieuses. Mais les résultats ne pouvaient être aussi rapides que ceux de la culture des salades...

Le 30 avril 1876, dimanche du Bon-Pasteur, à l'heure de la grand’messe, Mgr Bessieux s'éteignait doucement à la mission Ste-Marie de Libreville.

L'année suivante, le 28 avril 1877, le Père Le Berre était présenté à Rome comme son successeur. Il y avait plus de 30 années qu'il se dévouait avec générosité à l'évangélisation de la population gabonaise. Son sacre eut lieu à Paris, rue Lhomond, le dimanche 28 octobre. Mgr Mélia, nonce apostolique en France, lui conféra l'onction épiscopale, assisté de Mgr Lacerda et de Mgr Bécel, évêque de Vannes, compatriote et condisciple du nouvel élu.

Embarqué à Bordeaux le 5 décembre sur le paquebot du Brésil, Mgr Le Berre pensait profiter à Dakar du paquebot français qui faisait le service entre le Sénégal et le Gabon. Mais ce navire ne devant partir qu'au bout d'un mois, il préféra prendre passage sur un petit vapeur "L'Africain" qui se rendait en Sierra-Leone. Ce trajet faillit lui coûter la vie. Le pilote, au lieu d'entrer dans la rivière de Sierra-Leone, alla dans la rivière des Scarcies, très dangereuse par ses bancs et ses rochers. Deux fois le vapeur échoua sur les bancs de sable, et la seconde fois il y resta enfoncé toute une nuit. Enfin, on put en sortir le 24 décembre, au matin, et le soir Monseigneur arrivait à Freetown pour y célébrer les fêtes de Noël.

Là, il rencontra un navire marchand qui le mena au Gabon pour le 30 janvier 1878. On ne l'attendait pas par cette occasion, et en voyant de nombreux drapeaux flottant au bout des mâts du voilier, on se demandait ce que cela signifiait. C'était pour honorer son auguste passager que le capitaine avait ainsi pavoise son navire. A la nouvelle de son arrivée les Noirs couvrirent en foule la jetée où il devait débarquer. A sa descente, Monseigneur fut reçu en procession et conduit à sa demeure de Sainte-Marie, aux sons de la fanfare de la Mission.

Mgr Le Berre aimait à faire le bien dans le silence envers tous, avec une préférence pour les plus malheureux, sans se rebuter jamais à l'occasion éventuelle d'une ingratitude ou d'une mauvaise conduite.

En vue d'établir un clergé indigène, il n'arrêta jamais de former jeunes garçons au latin en vue du sacerdoce. Pendant les 13 années qu'il gouverna l'Église du Gabon, il n'eut pas la consolation d'ordonner un seul clerc. (Le premier prêtre gabonais fut ordonné cil 1899. Ce fut l'abbé André Raponda Walker, celui qui rédigea la vie Mgr Le Berre dans la Revue du Clergé en juillet 1956, et que nous avons utilisée pour notre notice).

Lorsque Mgr Le Berre mourut en 1891, son diocèse comprenait neuf établissements de missionnaires, sans parler des deux communautés des Sœurs :
1 - Sainte-Marie de Libreville, chef-lieu de la mission (1844)
2- Saint-Joseph, du Cap-Estérias (1849)
3- Saint-Paul de Donghila, au fond de l'estuaire (1879)
4- St-François-Xavier de Lambaréné, dans le Bas-Ogooué (1880)
5- Saint-Pierre de Libreville (1882)
6 - St-Pierre-Claver de Lastourville, dans le Haut-Ogooué (1884)
7- Sainte-Anne de Fernan-Vaz (1887)
8- St-Dominique de Bata, aujourd'hui dans la Guinée espagnole.
9- Sacré-Coeur de Boutika, dans le Rio-Mouni (1890).

Malgré son grand âge, Mgr Le Berre visitait régulièrement, chaque année, les stations de son Vicariat, à l'exception de celle de Lastourville, trop éloignée et trop difficile à atteindre. Il faisait ses tournées le long du littoral, dans sa baleinière manœuvrée par une équipe de Bengas du Cap-Estérias, et sur les petits vapeurs des maisons de commerce qui lui offraient toujours un passage gratuit.

C'est le jour de Notre-Dame du Mont-Carmel, 16 juillet 1891, que Mgr Le Berre rendit son âme à Dieu. Il était dans sa 72e année de son âge, et la 45e de son séjour au Gabon. La dépouille mortelle de Mgr Le Berre fut inhumée à quelques pas de l'église Sainte-Marie, à droite de son vénéré prédécesseur, Mgr Bessieux, dont il fut longtemps l'aide et le conseiller. Mgr Le Berre étant chevalier de la Légion d'Honneur, un détachement de troupes en armes vint lui rendre les honneurs militaires.

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