Le Père Joseph Le Mintier,
décédé à Chevilly, le 23 juin 1927,
à l’âge de 59 ans.


Joseph Le Mintier de la Motte-Basse naquit le 30 juillet 1867, à Luzé (Indre-et-Loire), bien que ses parents appartinssent au diocèse de Saint-Brieuc et habitassent le château de la Motte-Basse, dans la commune du Gouray. Un de ses grands-oncles avait été le dernier évêque de Tréguier avant la Révolution ; un autre avait suivi le prince de Condé, comme aide de camp, pendant l’émigration. Ces souvenirs gardaient une certaine notoriété à sa famille apparentée d’ailleurs à la meilleure noblesse de Bretagne.

Son père, marquis Le Mintier de la Motte-Basse, mourut en 1877 ; notre futur confrère avait à peine dix ans ; l’année suivante, sa mère l’envoya au Collège des Cordeliers de Dinan. En 1886, il entre au grand séminaire de Saint-Brieuc, puis, en 1887, au Séminaire français.

Il songea au noviciat des jésuites, car il avait plusieurs parents dans la Compagnie de Jésus. Le P. Lémius, consulté par lui, l’en dissuada et lui donna à choisir entre les capucins et la congrégation du Saint-Esprit : ce fut pour la congrégation qu’il se décida.

Le 26 août 1892, il entra au noviciat d’Orly et fit profession le 15 août suivant.

Le T.R.P. Émonet le nomma économe du collège de Beauvais, sur la recommandation du P. du Plessis qui jugeait le jeune profès très apte à conduire le matériel d’une maison. Beauvais avait en effet besoin d’une habile direction : les dettes s’étaient accumulées sans qu’on prît des mesures énergiques pour les éteindre ; au contraire, on s’était habitué à certain désordre, qui devait rendre la tâche de l’économe ardue. Celui-ci, grâce aux secours extraordinaires de la maison mère, fit raison aux créanciers, sans obtenir de quelques-uns de ses confrères la parfaite régularité qui eût assuré l’avenir ; ses exigences, si légitimes qu’elles fussent, faillirent même le brouiller avec son supérieur. Le P. Philippe Kieffer était pourtant d’une intelligence trop lucide pour que de semblables malentendus eussent pour dénouement la rupture ; ce ne furent donc pas des mésintelligences, mais les fatigues d’un emploi pénible qui contraignirent le P. Le Mintier à céder au printemps de 1895, et à prendre à Cellule un repos nécessaire. Il resta six mois dans cette maison, comme sous-directeur du petit scolasticat, avec des fonctions assez mal définies qui, pour cette cause, ne lui agréèrent pas.

On trouva mieux pour lui en l’envoyant au Loango en novembre 1895. Après six mois à Sette-Cama, il fut nommé supérieur de Mayumba : il y devait rester dix ans.

En quittant Mayumba, le P. Le Mintier a retenu et emporté bon nombre de lettres qu’il reçut alors de ses supérieurs immédiats, Mgr Carrie et le P. Dérouet ; il les a gardées jusqu’à sa mort en une liasse jaunie qu’il est très intéressant de consulter. Nous ne pensons pas qu’il l’ait souvent déployée pour relire les observations qui lui furent faites pendant ce supériorat, mais nous ne serions pas étonnés qu’il ait traîné après lui des documents pour y trouver au besoin une justification de sa propre conduite. Si telle a été sa première intention, il faut avouer qu’à parcourir ces lettres, on reste édifié de la pénétration, de la clairvoyance et de la rigueur d’esprit du vicaire apostolique, car il s’agit surtout de Mgr Carrie, en même temps que du désir de bien faire, témoigné par le supérieur de Mayumba.

Entre l’un et l’autre, la parfaite entente ne s’établit pas du premier coup, ni sans heurt ou sans discussion ; le supérieur entend conserver son initiative ; ne le faut-il pas dans une station qui n’est pas encore vieille de dix ans et qui possède les œuvres les plus importantes du vicariat ? Le vicaire apostolique, pour sa part, n’abandonne rien du contrôle qui lui revient ; dans la pratique, il fait les concessions opportunes, d’un ton vraiment paternel, mais qui reste le ton du chef, soucieux de son autorité et confiant dans sa longue expérience.

Il importe d’abord de vivre, et, pour vivre, de planter : café, cacao, vanille, maïs, caoutchouc, tout est tenté, et avec quelle ardeur, par le vicaire apostolique qui conseille et le supérieur qui exécute ! On pense même à fabriquer du chocolat vanillé : les avis abondent à ce sujet sous la plume de Mgr Carrie. On recueille le caoutchouc : les indications venues du Loango sur la préparation de ce produit tiennent compte des méthodes usitées sur divers points de la colonie. Pour venir en aide au vicariat, Mayumba est invité à fabriquer des briques, sans grand succès au premier essai, puis à fournir des bois, à procurer des pirogues, etc. Il est vrai, Mgr Carrie n’est pas toujours content, mais à l’insistance avec laquelle il réclame les bons offfices du P. Le Mintier, on conclut qu’il a confiance en son correspondant, bien que jamais il ne se déclare satisfait des services qui lui sont rendus.

À Mayumba sont confiés le petit séminaire indigène, le noviciat des Frères de Saint-Pierre Claver, œuvres difficiles où le P. Le Mintier n’est pas toujours efficacement secondé sur place.

Autour de la station, le ministère extérieur est suivi par le prélat d’aussi près peut-être que par le supérieur : nécessité d’établir des catéchistes, de les former avec soin, de les soutenir ; en un mot, toute la vie d’une mission se retrouve dans cette correspondance où la plus belle part revient sans doute au vicaire apostolique qui exhorte, qui pousse, qui reprend, sans qu’on perde de vue, pourtant, celui à qui sont adressés toutes ces admonestations et tous ces encouragements.

La mort de Mgr Carrie (14 octobre 1904) ne changea rien d’abord à la position du P. Le Mintier. On écrivit de divers côtés au supérieur de Mayumba que sa nomination de vicaire apostolique de Loango était imminente, qu’on en parlait au ministère ; rien ne venait pourtant. L’élection du successeur de Mgr Carrie fut en effet retardée par les difficultés soulevées, à cette époque, entre le Gouvernement français et la Cour de Rome, si bien que le P. Dérouet resta plus de deux ans administrateur du vicariat. Comme le P. Dérouet rentrait en France en mai 1906 (il fut nommé vicaire apostolique le 2 janvier 1907) il délégua ses pouvoirs au P. Le Mintier qui, par suite, abandonna Mayumba et vint résider à Loango.

Pendant près de trois ans, le nouveau vicaire général, en même temps procureur de la mission et supérieur de la communauté, résida au chef-lieu du vicariat près de son évêque. Il s’y dévoua sans réserve, tomba malade et dut rentrer en France (septembre 1909) pour s’y soigner. La santé tarda à lui revenir ; on désespéra même qu’il put jamais retourner en missions, ce qui fut cause qu’on l’appela à la maison mère. On lui confia, à la Procure générale, la charge de caissier principal (1911). Au bout d’un an, le P. Prosper Kuntz lui succédant à Paris, on l’envoya à Fribourg comme économe. Quand la guerre fut déclarée il était à la Motte-Basse ; il tenta de s’engager comme aumônier de marine ; ne l’ayant pu, il accepta, selon les instructions de la Maison-Mère, un poste de vicaire à Plénée-Jugon, dans le diocèse de Saint-Brieuc, d’où il vint, en janvier 1915, remplir, à l’abbaye de Langonnet, la charge d’économe.

Ce ne fut pas une sinécure, en raison surtout des longues absences et de l’état de santé du supérieur, le P. Hassler. Le P. Le Mintier pouvut à tout, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. La guerre finie, il commença les négociations pour la reconstitution du domaine et obtint enfin, en 1919, un poste d’apparent repos, à Marseille.

La procure de Marseille prit à cette époque une grande importance par le concours de nombreux voyageurs de la côte occidentale de l’Afrique. Recevoir les confrères, traiter avec les compagnies de navigation, avec les fournisseurs des missions, chercher un nouveau local pour la communauté, l’acquérir, l’abandonner, entreprendre à l’ancien immeuble des réparations urgentes, entretenir avec la Procure générale et le Secrétariat des relations assidues, telle fut la tâche du P. Le Mintier.

Au courant de 1926, il sentit le besoin de prendre du repos ; il demanda à se retirer dans sa famille, puis il revient à son poste, sans avoir profité, dans toute son étendue, de la permission obtenue. Un accident le força en décembre à entrer à l’hôpital ; il y fut amputé d’une jambe ; puis fut sujet à de fréquentes et abondantes hémorragies nasales. Les médecins, disait-on, n’étaient pas rassurés ; ils diagnostiquaient en effet le cancer qui avait envahi tout l’organisme, l’accident à la jambe, les hémorragies n’étant que des manifestations d’un même mal. En mars, il vint à Chevilly, non sans espoir qu’une nouvelle intervention chirurgicale lui serait profitable. Il fallut y renoncer, et le malade comprit qu’il n’avait plus qu’à souffrir. Il souffrit beaucoup et avec patience, sans plainte, disant que parfois il requérait Dieu de tenir sa promesse en l’aidant à supporter son mal. Déjà l’œil gauche était perdu, le nez s’obstruait et, après le nez, la gorge. Deux jours avant de mourir, la jambe qui lui restait se détacha du tronc à la hauteur de la hanche ; il poussa quelques cris à cette occasion, puis ne parut pas se rendre compte de ce qui s’était passé. Enfin, épuisé par la maladie, incapable depuis plusieurs jours de prendre de la nourriture, il mourut le jour de l’octave de la Fête-Dieu, 23 juin, à huit heures et demie du soir, donnant jusqu’au bout l’exemple du courage le plus énergique. -
BG, t. 33, p. 331.

Page précédente