Le Père LEPETITCORPS Louis,
1865-1896


Louis Lepetitcorps naquit à Noyal-Pontivy, le 17 mai 1865. Ses premières années furent celles d'un pieux enfant, que Dieu semblait préparer déjà à la vie qu'il devait mener un jour. A l'âge de sept ans, nous le trouvons à Plémet (Côtes d'Armor), auprès d'un de ses oncles, Frère de l'Instruction chrétienne. Cinq années plus tard, il commençait son latin chez un autre oncle, recteur de MervilleLorient, pour aller deux ans après au petit séminaire de Ste-Anne d'Auray, puis au grand séminaire de Vannes. Ce fut là que le jeune Louis entendit l'appel de Dieu aux missions lointaines. Il choisit la congrégation du Saint-Esprit et ses missions d'Afrique. Le 17 août 1890, il eut le bonheur de prononcer sa profession religieuse et partit quelque temps après pour Zanzibar sur la côte orientale d'Afrique.

Le jeune missionnaire se mit avec ardeur à l'apprentissage de la langue locale. Puis Mgr de Courrnont l'envoya à l'intérieur du continent, à la mission de Tununguo. Cette station se relevait insensiblement des rudes épreuves subies pendant l'insurrection de Bushiri. Il avait fallu l'abandonner pendant plusieurs mois, laissant à eux-mêmes les chrétiens et les catéchumènes qu'on n'avait pu emmener..

Le P. Karst d'abord, puis le P. Mével, aidés du P. Helfer, avaient beaucoup contribué à rendre à la station son ancien état de prospérité. Mais l'œuvre de l'apostolat n'était guère encore reprise aux environs, et le voisinage des Mafiti, tribu pillarde, dont les incursions se répétaient fréquemment, était toujours à redouter. Il fallait donc se mettre avec plus de suite à l'œuvre des catéchismes. En même temps il s'agissait de former avec nos chrétiens une petite année capable de rallier à elle les indigènes et d'organiser la résistance en lui donnant pour centre les bâtiments de la mission.

Le P. Lepetitcorps s'était déjà signalé par son adresse à la chasse il maniait très bien le fusil et était un excellent tireur. Nos jeunes gens eurent en lui un instructeur tout trouvé ; ils arrivèrent bientôt à se montrer plus habiles que les soldats noirs des Allemands. La petite troupe avait ses règlements, ses heures d'exercices et vaquait, certains jours, à l'entretien des travaux de défense. La renommée se répandit bientôt que la station était année jusqu'aux dents, qu'elle avait des soldats disciplinés et courageux et qu'il serait téméraire de l'attaquer. Aussi les Mafiti se gardèrent-ils de tenter un coup de main contre la Mission, ni même d'en approcher de trop près.

Quant à l'œuvre des catéchismes, le P. Lepetitcorps en eut la principale part, tant qu'il fut vicaire de la station. Devenu supérieur, il ne négligea pas pour cela l'instruction religieuse ; mais il dut s'occuper davantage de la marche générale de la mission, des relations avec les chefs, et de ce que nous appelons au Zanguebar les Maneno.

Qu'étaient-ce que ces Maneno ? Peu de temps après la guerre de Bushiri, nous fûmes instamment priés par M. de Vissmann de rendre la justice dans le pays. Les plaignants devaient dès lors, au lieu d'aller trouver les chefs indigènes, porter à notre tribunal leurs contestations et leurs différends.

C'était évidemment un moyen d'acquérir une très grande influence, dont devaient bénéficier à la fois et notre autorité dans le pays et notre ministère apostolique. Aussi Mgr de Courmont crut devoir se rendre aux désirs de l'administration allemande et investir, en quelque sorte, nos Pères de la fonction de juges au temporel.

Cette fonction revenait naturellement au Supérieur de la station qui, sachant mieux la langue, connaissant davantage les mœurs du pays et les causes habituelles des litiges entre Noirs, était plus à même de reconnaitre la vérité dans les plaidoiries des indigènes, et de juger avec discernement ces causes, souvent fort embrouillées. L'instruction de l'affaire, les débats, prolongés quelquefois pendant des semaines, le jugement et l'exécution de la sentence, tout le procès, en un mot, voilà ce qu'au Zanguebar on appelle un Maneno, d'un mot swahili qui veut dire paroles.

Le P. Karst, le P. Mével et le P. Kommann avaient parfaitement réussi dans cette charge nouvelle. Leurs Maneno, devenus célèbres bien loin à la ronde, ne faisaient qu'attirer un courant plus considérable de plaideurs à Tununguo. Lorsque le P. Lepetitcorps fut nommé supérieur, il n'entrevit pas sans appréhension la charge nouvelle qui lui incombait. Il aborda cependant résolument cette tâche, et sut toujours en tirer pour la Mission les avantages désirés.

Nous avons dit que le P. Lepetitcorps était un habile chasseur. Les officiers allemands eux-mêmes lui rendaient hommage, l'ayant vu plusieurs fois avec nos chrétiens dans des exercices de tir.

Tununguo, il faut le dire, est situé dans la région la plus giboyeuse du Zanguebar. Dans les commencements de la station surtout, des antilopes venaient paître sur les collines avoisinantes, à une portée de fusil. Quel n'était pas l'empressement des enfants de l'école, aussitôt qu'ils apercevaient une bête, de la signaler au Père ! Et lui, sans plus se déranger, quelquefois de sa fenêtre et d'un seul coup bien ajusté, il abattait l'animal.

Souvent aussi, en allant au loin faire du ministère; accompagné de quelques chrétiens, il ne négligeait pas d'emporter avec lui son fusil de chasse et ses munitions. On entrait dans les villages, faisant aux gens et en recevant bon accueil, liant conversation, gagnant les sympathies, instruisant, obtenant la promesse qu'on viendrait à la Mission ; puis, aux dernières heures du jour, on gagnait le bord de la rivière au moment où les bêtes vont boire, et peu après on revenait avec une ou deux pièces de gros gibier : antilopes, zèbres ou girafes, qu'on partageait, à la grande satisfaction des Noirs, plus sensibles encore à l'argument d'un bon souper qu'aux manières avenantes et à l'éloquence du Père.

Telles furent, d'une façon générale, les occupations qui absorbèrent ses cinq années de séjour à Tununguo. En vrai missionnaire de la congrégation, il faisait plus de besogne que de bruit. Aussi, ne se ménageant guère, il lui arriva de s'imposer des fatigues telles, qu'il fallut à deux reprises différentes, le rappeler à la côte pour le faire soigner. Il reprit bien vite, grâce à Dieu ; mais de retour dans sa mission, il se trouva en présence de nouvelles difficultés et de nouveaux labeurs. La famine surtout, causée par une invasion de sauterelles, devint pour lui, si attentif au intérêts de ses chrétiens, la source de préoccupations qui réagirent fortement sur sa santé. Plusieurs accès de fièvre hématurique lui advinrent, à des intervalles assez rapprochés. Une fois entre autres, il avait dû se rendre à la station allemande de Kisaki, pour recevoir un contingent d'enfants libérés de l'esclavage, que le chef du poste tenait à lui confier. Il y tomba malade, et, à peine convalescent, il dut faire à pied les deux ou trois jours de marche qui le séparaient de Tununguo.

Un retour en France, que le cher Père ne pensait cependant pas à demander, paraissait utile. Aussi Mgr de Courmont, désireux de lui procurer un plein repos, décidait de le rapatrier pour son congé. Ce fut malheureusement sur ces entrefaites que se produisit l'incident d'une chasse à l'hippopotame qui occasionna sa mort.

Un villageois étant venu l'avertir qu'il y avait un hippopotame dans la rivière, le Père s'y rendit aussitôt et tua l'énorme bête. Au lieu de revenir à la mission, le Père voulut rester tout l'après-midi, les pieds dans l'eau, sous un soleil de plomb, pour assister au dépècement de l'animal. Il eut une insolation et une fièvre pernicieuse se déclara, qu'il ne put supporter, étant donné son état de santé.

Il repose maintenant dans le cimetière de la mission de Tununguo, à côté du P. Daull, fondateur de la station, et du P. Studler. Son nom vient ainsi s'ajouter à la liste des confrères dont la mort prématurée a été un des sacrifices offerts généreusement à la Mission du Zanguebar.

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