Le Père Pierre LE ROUX,
1898-1933 décédé à Montana (Suisse) à l'âge de 34 ans.


Le Vénérable Père Chevrier a écrit : "On instruit les âmes par la parole, mais on les sauve par la souffrance." Si ces mots sont vrais, le P. Pierre Le Roux, sans avoir jamais été en mission, a dû sauver bien des âmes.

Il naquit le 17 décembre 1898 à Treffiagat, dans le Finistère, d'une famille de marins pêcheurs. A douze ans Pierre était mousse sur le bateau de son père. Il songeait à faire sa demande pour embarquer sur l’Armorique, bateau-école des apprentis-matelots, quand un oncle prêtre lui dit un jour : " Toi aussi tu seras prêtre ! " L'enfant qui n'avait jamais songé au sacerdoce, regimba un peu, puis se laissa faire, et, quatre mois après, le P. Benoît Limbour, qui venait d'être nommé supérieur de l'oeuvre des Petits-Clercs de St-Joseph, l'emmenait à Suse où il arrivait le 20 mai 1911. Avec lui était parti son jeune frère Raphaël, devenu dans la congrégation Frère Guénolé.

Sa troisième achevée, qui était alors la plus haute classe de l'oeuvre à Suse, Pierre vint à Cellule terminer ses études secondaires. C'est là, au milieu de sa rhétorique, que la guerre vint le prendre. Il passa la première partie de son baccalauréat dans une session extraordinaire établie pour les jeunes mobilisés, et à 19 ans et 4 mois il endossa l'habit militaire.

Mobilisé au 62e R.I. à Lorient, il partit pour le front au printemps de 1918, après avoir essayé vainement d'y être envoyé plus tôt comme volontaire. Brave soldat, comme il avait été bon élève, il fut nommé sur le champ de bataille caporal, puis sergent-fourrier et obtint la croix de guerre avec citation. La guerre finie, il alla en Rhénanie, puis, sur sa demande, en Syrie. Versé au 4' zouave, il prit part à la guerre contre l'émir Feyçal, s'y distingua encore et reçut la médaille de SyrieCilicie.

La démobilisation venue, ce fut pour Pierre Le Roux, comme pour d'autres, la grande épreuve. Il faillit y laisser sa vocation. En rentrant au noviciat à Neufgrange Pierre apportait des affections de famille et des amitiés d'une vivacité excessive. La réaction fut rude, elle fut héroïque. Et le vénérable maître des novices d'ajouter : "J'attribue à ce sacrifice initial les grâces de son noviciat qui fut fervent, et les ascensions continues de sa courte vie religieuse."

Profès le 15 octobre 1921, il reste à Neufgrange pour faire sa philosophie. Mais bientôt s'en est fait : après la peine du coeur, la souffrance physique s'empare de lui, pour ne plus guère le quitter pendant plus de onze ans, jusqu'à sa mort. Il tousse, il crache, il vomit, et doit se soigner. De 1922 à1927, il est tantôt à Montana, tantôt à Chevilly, tantôt à Langonnet. Peu à peu, aidé par son intelligence très ouverte, il réussit à faire ses études, est ordonné prêtre le 26 octobre 1926 et fait sa consécration à l'apostolat le 7 août 1927.

Après une année passée à Langonnet dans une activité au ralenti, il revient à Montana comme sous-économe en juin 1928. Hélas ! il doit bientôt abandonner même ce petit travail et uniquement se soigner.

Déjà petit élève à Suse, il avait senti le désir, qui n'avait jamais disparu, d'une vie abîmée en Dieu à la Trappe ou à la Chartreuse. Et voici que, d'une manière imprévue, par des sentiers invisibles, Dieu l'avait conduit sur les hauts lieux du silence et de la solitude en y ajoutant le don royal de la Croix. Il décida donc de se consumer d'amour et de perdre sa vie uniquement dans la volonté de Dieu.

Pourtant son secret espoir, si naturel, de guérison devait le suivre jusqu'à la fin. il l’offrait de bon cœur pour son frère qui était au Cameroun ses souffrances quotidiennes et son immolation lente. Mais il pensait un peu que Dieu le guérirait pour l'envoyer vers les âmes abandonnées. Et ces âmes étaient bien déterminées. Dans les dernières années de sa vie, il sentit comme un attrait puissant pour la mission de Cayenne. Il fit le voeu, si Dieu le guérissait et si les supérieurs le permettaient, de partir là-bas, sans même passer en Bretagne revoir sa famille.

Mais le P. Le Roux ne devait sauver les âmes que par la prière et la souffrance. Pendant l'hiver 1932-1933, le peu de force qui lui restait diminua encore. On le voyait se traîner, le long des murs, jusqu'à la chapelle ou le réfectoire.

Enfin un jour, malgré son énergie il dut s'aliter complètement c'était le samedi saint. Et tout de suite l'issue fatale parut prochaine. On disait chaque jour : " C'est pour aujourd'hui ou pour demain ! " Mais on ne fixe pas de rendez-vous au bon Dieu, et le malade dura encore quatre semaines.

La journée du 17 mai fut sa dernière journée sur la terre. C'était un mercredi, jour consacré à saint Joseph, que l'agonisant avait tant aimé. Longuement, on l'entendit répéter les noms bénis "Jésus, Marie, Joseph". Et à un moment il cria d'une voix forte "J'offre toutes les souffrances pour la Guyane et les bagnards."

Enfin après minuit, il mourut dans la paix. Sa figure émaciée se modela en une expression un peu lasse, reposée et paisible, celle du bon ouvrier qui a fini sa journée en peinant. Un léger sourire s'y dessinait, affable et bon comme toujours : on aurait dit que l'âme, en partant, avait murmuré à l'oreille de ce pauvre corps épuisé, ces mots si bons à entendre après une vie humaine si pénible : " Entre dans la joie de ton Seigneur. "
Henri Cournol

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