Le Père Prosper LESNARD,
1878-1940


Né à Lorient le 30 novembre 1878, Prosper Lesnard fit ses études à Ste-Anne d'Auray. De bonne heure il sentit un vif attrait pour les missions extérieures. Déjà la congrégation avait recruté de nombreuses vocations, grâce en particulier à l'abbé Buléon, professeur au petit séminaire. A la fin de sa troisième, le jeune Prosper demanda son admission dans notre école apostolique de Cellule en 1895. Doué d'une vive intelligence, il montra des aptitudes particulières pour les mathématiques. En 1897, il commença son noviciat sous la direction du Père Genoud, et fit profession le 22 septembre 1898. Prêtre à Chevilly le 27 octobre 1901, il reçut l'année suivante son obédience pour l'Angola.

Après un long mois de traversée, il débarqua à Benguéla, et de là gagna en "tipoie" la mission de Caconda, qui était alors la résidence du Préfet apostolique, le Père Ernest Lecomte. Celui-ci destina le nouvel arrivé à la mission de Massaca. Le P. Lesnard s'attacha à l'étude de la langue ganguéla, et réussit à s'acclimater, malgré de nombreux et violents accès de fièvre qui firent craindre plus d'une fois pour sa vie. D'autres difficultés survinrent : l'inconstance des villageois qui exigeait de longues années de catéchuménat, l'éloignement des villages, la pauvreté du sol et la rareté de l'eau.

A son retour de congé en 1907, il décida le P. Lecomte à transférer la mission de Massaca dans la région de Cuchi. Ils explorèrent ensemble la région. Au bout de quelques jours, ils découvrirent près des sources de la rivière locale l'emplacement idéal : de riches terrains et une rivière facile àcanaliser, ainsi que de nombreux villages déjà préparés à l'évangélisation.

En peu de mois, la nouvelle station était sur pied, et le P. Muller pouvait définitivement quitter la mission de Massaoua pour venir prendre la direction de celle de Cocher Le P. Lesnard put alors s'adonner tout entier au ministère extérieur ; celui-ci s'accrut par suite de l'apport de florissantes écoles cédées par la mission de Cubango, et qui se trouvaient dans le voisinage de la nouvelle fondation.

Le nouveau Préfet apostolique, Mgr Keiling, offrit un nouveau congé au P. Lesnard au début de 1914. Hélas au mois d'août la guerre éclatait. Le Père fut mobilisé dans les ambulances. Il passa un an à soigner les maladies infectieuses dans un hôpital de Lorient. L'année suivante, ses connaissances en langue portugaise lui valurent une place dans les bureaux de la censure pour les correspondances venant du Portugal et de ses colonies, et c'est à Marseille que s'écoulèrent pour lui ces longs mois de guerre de 1917 et 1918.

L'armistice enfin sonna ; mais une autre épreuve l'attendait. Malgré son ardent désir de rejoindre sa mission, ses supérieurs lui demandèrent d'enseigner les mathématiques dans son ancienne maison de Cellule. Il fallait remplacer le personnel tombé sur les champs de bataille. Il accepta de bon cœur et se mit à l'œuvre avec entrain. Le travail était énorme, il devait enseigner les mathématiques dans toutes les classes, depuis la septième jusqu'à la rhétorique. Mais il sut faire face à la tâche. Enfin en 1920, ü reçut la bonne nouvelle de son revenir en France en 1926. B prend part au Chapitre Général qui se tient cette année?là, et entreprend diverses démarches en faveur de sa mission d'Amazonie, insistant pour qu'elle restât confiée aux Pères du Saint?Esprit. Quant à lui, il ne devait plus la revoir ...

Ainsi donc, après un séjour de 17 ans dans ce qu'on a appelé " l'enfer vert " c'est?à?dire dans la forêt vierge et le long d'immenses cours d'eau, aux confins du Brésil, du Pérou et de la Colombie, le Père Tastevin revenait, épuisé, mais?muni d'une documentation extraordinairement riche, qu'il allait mettre à profit dans de nombreuses conférences et publications et dont la science et les missions bénéficieraient également. Il se fit ainsi une place de premier rang parmi les Américanistes.

Affecté définitivement à Paris, et d'abord rattaché au Secrétariat général de la Maison?Mère, il fut chargé de cours au séminaire du Saint?Esprit et au scolasticat de Chevilly, ce qui lui laissait des loisirs suffisants pour mettre au point ses travaux scientifiques.

En mars 1927, il eut l'honneur d'être invité par Mgr Baudrillart à inaugurer la chaire d'ethnologie à l'Institut Catholique de Paris. il l'occupa pendant trois ans comme titulaire, et ensuite, de temps en temps, comme professeur honoraire.

La nature de son enseignement et les contacts qu'il avait nécessaire rement, rue Lhomond, avec ses confrères allant en Afrique Noire ou en revenant, firent que son intérêt se porta de plus en plus sur ce continent. Il n'en avait pas une connaissance personnelle et de première main, fruit d'une longue expérience " in situ, " comme celle qu'il avait acquise en Amazonie. Il se documentait, surtout dans les livres et les revues, qu'il épluchait minutieusement, la plume à la main, soulignant les mots et annotant les marges. Africaniste en chambre, il en arriva à se forger, sur l'origine et le mécanisme des langues africaines, des théories originales et non dénuées de fondement scientifique, mais qui, par suite surtout d'une présentation défectueuse et d'erreurs de détails, furent loin de rallier l'assentiment des experts. Ce fut le cas de son livre " La Petite Clef des Langues Africaines " publié en 1946.

Tant d'activité déployée et de science accumulée lui valurent, du moins, de nombreuses distinctions honorifiques, qui le consolèrent de l'incompréhension qu'il rencontrait en certains milieux : quatre médailles d'or de la Société de Géographie, rosette d'officier de la Légion d'Honneur, d'officier de l'Ordre brésilien de la Croix du Sud, d'officier de l'Instruction Publique ; ajoutons?y ses titres de membre de l'Académie des S ciences Coloniales, de professeur honoraire de l'Institut Catholique, de titulaire de la chaire d'ethnologie sud?américaine à l'École d'Anthropologie de Paris, etc.

Cela ne l'empêchait pas de rester modeste et discret, pas plus que son labeur scientifique ne lui faisait perdre de vue sa qualité de prêtre et de religieux Au contraire, il se reprochait jusqu'au tourment de faire si peu en ce domaine ! ses notes personnelles en font foi. Et pourtant, il était toujours prêt à apporter son concours à quelque ministère que ce fût. Il se montra un infatigable aumônier et confesseur de religieuses, surtout à l'égard de la communauté de l'Adoration Réparatrice de la rue d'Ulm, à laquelle il prodigua ses services depuis 1930 jusqu'à sa mort. Sa silhouette menue était familière dans les environs de la maison?mère. Il allait d'un pas vif, presque toujours plongé dans une lecture, au risque de se faire tamponner par les autos, ce qui lui arriva au moins une fois !

Alerte encore, il avait célébré en 1954 ses noces d'or sacerdotales. Le samedi 22 septembre 1962, rentrant de son ministère de la rue d'Ulm, il ressentit une vive douleur au creux de l'estomac : on diagnostiqua une occlusion intestinale. Le dimanche matin, il reçut en pleine connaissance les derniers sacrements, puis il s'enfonça progressivement dans l'inconscience, qu'il entrecoupait parfois de quelques paroles en breton. Le mardi, il rendait paisiblement son âme à Dieu. Il avait 82 ans. Père Bouchaud

Page précédente