Le Père Frédéric LE VAVASSEUR,

1811-1882


Frédéric Le Vavasseur naquit le 15 février 1811 dans 1'lle Bourbon, que l'on appelle officiellement l'île de la Réunion depuis 1797 .... Son grand-père, LouisFrançois, y était arrivé avec sa famille en 1783, pour y exercer ses fonctions dans l'administration royale des colonies. Leur ancêtre, Jacques Le Vavasseur, avait résidé près de Bourg-Achard, en Haute-Normandie, sur la rive gauche de la Seine. Cette famille donna des hommes distingués dans l'administration, le barreau, le commerce et l'armée.



C'est donc dans cette île (la perle de l'océan indien) que Frédéric passa son enfance, à Sainte-Marie, sur la plantation de canne à sucre, que dirigeait son père, servi par de nombreux esclaves. Celui-ci, d'esprit voltairien, n'empêchait cependant pas sa femme d'assister aux offices religieux ; mais les prêtres étaient rares en ces décennies post-révolutionnaires.

Frédéric commença ses études secondaires comme externe au collège royal de Saint-Denis. Le proviseur était l'abbé Collineau, que le supérieur de la congrégation du Saint-Esprit avait proposé au Maistre de la Marine et des Colonies. Son adjoint, l'abbé Warnet, sortait lui aussi du séminaire du SaintEsprit. Ces deux prêtres prirent intérêt à leur élève, ardent et généreux, qu'ils eurent à préparer à sa première communion, à l'âge de 14 ans.

A la fin de la classe de troisième, son père décida d'envoyer son fils en France, poursuivre ses études et préparer sa carrière. Très heureux, Frédéric s'embarqua en mai 1829 avec quelques compagnons créoles. La traversée dura trois mois, en contournant l'Afrique, car le canal de Suez n'était pas encore réalisé. Ils débarquèrent à Nantes chez des amis de la famille et gagnèrent Paris, comme l'avait décidé son père. Frédéric faussa vite compagnie à ses camarades qu'il laissa à Paris, pour s'inscrire à Versailles dans un établissement préparant aux grandes écoles.

Son choix n'était pas fait. En pensant à Polytechnique, il songeait souvent à la situation des Noirs en son pays natal, se demandant comment il pourrait le mieux les secourir, comme prêtre peut-être ou comme médecin ? A Versailles, le vicaire général le fit suivre par l'abbé Wavréchin, jeune prêtre originaire de la Guadeloupe. A Paris, après le baccalauréat, tout en préparant l'entrée à Polytechnique, il rencontra Sœur Rosalie, l'active supérieure générale des Filles de la Charité, et prit l'habitude de visiter les pauvres. Il écrivit alors à son père pour le mettre au courant de son intention d'entrer au séminaire. Celui-ci, d'abord opposé àcette vocation, lui répondit de venir d'abord revoir sa famille.

En août 1835, Frédéric résolut de partir, mais il eut soin auparavant de se faire admettre comme séminariste, et de revêtir la soutane pour bien afficher sa ferme décision. En arrivant, ce fut pour tous la surprise ; son père résigné pleura, sa mère et sa sœur furent heureuses, et tous les employés se montrèrent fiers de leur abbé. Après un séjour chaleureux en famille, il revint à Paris pour aborder les cours de philosophie au séminaire d'Issy-les-Moulineaux.

A son entrée, il fut confié à Monsieur Libermann, juif converti qui se préparait à la prêtrise, mais avait été arrêté par une grave maladie ; il avait été admis cependant à rester au milieu des séminaristes qu'il édifiait, en organisant des réunions de prières, ou bandes de piété. Cette rencontre était providentielle. En effet, tandis que Frédéric lui parlait de son désir de s'occuper des Noirs de la Réunion, un autre séminariste, Eugène Tisserant, les renseignait sur les Noirs de Saint-Domingue, d'où venaient ses parents. Ensemble, il réfléchissaient et priaient.

Malgré toutes les difficultés qu'il fallait surmonter, Libermann réussit à se rendre à Rome et à présenter un projet de fondation de société religieuse, qui fut accepté à condition que lui-même fut ordonné prêtre. Passant àStrasbourg, il rencontra un séminariste, Ignace Schwindenhammer, qui fit équipe avec eux. Finalement, Libermann fut ordonné à Amiens et ouvrit le premier noviciat en 1841. Le 2 février 1842, la première profession religieuse eut lieu à Paris, en la basilique de Notre-Dame des Victoires.

Le Père Le Vavasseur reçut mission d'aller commencer I'OEuvre des Noirs dans son pays de Bourbon, tandis qu'un prêtre du diocèse d'Evreux venait de partir dans l'île voisine de Maurice, et demandait à se rattacher à la congrégation naissante du Père Libermann qui avait pris le nom du Saint-Coeur de Marie. Ce prêtre n'était autre que le Père Laval, l'apôtre de Maurice, qui a été déclaré Bienheureux en 1979, par le Pape Jean-Paul II.

Parti aussitôt après sa profession religieuse, sur un bateau qui fit escale à Rio-de-Janeiro, (où les esclaves ne seront libérés qu'en 1888), il arriva chez lui au mois de juin 1842. Pouvant compter sur sa famille et sur quelques connaissances, il se mit résolument au travail, réunissant les esclaves et commençant leur instruction. Depuis quelques années on parlait en France de leur libération. Elle avait déjà été faite par l'Angle~ terre à Maurice en 1835. A la Réunion, les uns estimait cette réforme nécessaire et inévitable, les autres s'y opposaient pour des raisons politiques et matérielles, et mettaient obstacle à l'activité du missionnaire. Pour l'aider, le gouvernement aurait désiré l'inscrire comme curé ou vicaire, et lui verser un salaire, mais il refusait, pour garder une entière indépendance.

- Le préfet apostolique, Mgr Poncelet, était absent. Il revint en 1843, avec deux confrères, les Pères Collin et Blanpin, qui rejoignirent le Père Le Vavasseur. Ils commencèrent par bâtir une résidence dans les environs de la capitale Saint-Denis, au lieu-dit La Rivière des Pluies.

Le Père Frédéric connaissait depuis longtemps une demoiselle MarieAimée Pignolet de Fresnes, appartenant à une vieille famille de France venue s'établir dans l'île avant la Révolution. Née en 1810, elle avait connu une jeunesse privilégiée et avait, comme lui, senti un appel à se dévouer pour les plus pauvres. Au premier retour de Frédéric dans l'île, elle avait été très impressionnée par sa vocation, aussi, quand il revint comme prêtre, se confia-t-elle à lui : elle voulait, elle aussi, se consacrer à la cause des Noirs. Elle avait déjà commencé à visiter les pauvres et à leur enseigner le catéchisme, en les réunissant le soir dans une bergerie. Elle trouva chez le P. Le Vavasseur le directeur de conscience qu'elle avait tant souhaité.

Ensemble, ils firent le projet de réaliser une maison d'accueil pour les malades les plus pauvres. Or, le Père venait d'être nommé supérieur religieux des deux îles de Bourbon et de Maurice. En visitant cette dernière, il avait rencontré des jeunes filles désireuses de se dévouer dans ce sens. Les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny n'avaient pas accepté de Noires dans leur noviciat. Ne pourrait-on pas accueillir d'anciennes esclaves et vivre en communauté avec elles ? Le Père rêvait de mener ce projet à exécution. il proposa à Marie-Aimée de commencer à réunir celles qui le désiraient. Elle était décidée à se consacrer ; mais devenir fondatrice de congrégation lui paraissait hors de ses possibilités.

Les Pères du Saint-Cerur de Marie reçurent des aides du gouvernement de l'île, qui craignait des désordres lors de la libération, décidée pour 1848. Avec ses deux confrères, le R Le Vavasseur intensifia si bien l'évangélisation des esclaves que le jour venu de leur libération se passa comme une fête religieuse, avec messe solennelle présidée par Mgr Poncelet. Alors qu'il y avait eu des désordres sanglants à Maurice, et qu'il en eut à la Martinique et à la Guadeloupe, à la Réunion tout se passa dans la joie et le calme.

Mademoiselle Marie-Aimée se laissa alors convaincre par son directeur ; il fut décidé qu'on bâtirait pour elles une maison près de celle des Pères, à La Rivière des Pluies. Aussitôt, on commença un noviciat en mai 1949, avec 12 novices, dont ' 8 esclaves affranchies. Le Père fit prononcer ses vœux à Mademoiselle Aimée, qui prit le nom de Mère Marie-Madeleine, et devint supérieure générale. Les constitutions de la congrégation précisèrent qu'il n'y a chez elles, aucune différence entre les sœurs, qu'elles soient noires ou blanches. Mgr Poncelet présida à l'installation de la communauté , leur rappelant qu'elles constituaient une seule famille unie, il leur donna le nom de Filles de Marie.*

Un grand sacrifice leur fut imposé par le Père Libermann qui, en juillet de cette même année, appela près de lui le Père Le Vavasseur, qui avait été son compagnon dès la fondation de leur institut. Il reprit donc le bateau ; mais il laissait son cœur auprès de ses filles, et de loin ne manquera jamais de les accompagner le plus possible. Cette petite société de la Réunion était en effet destinée à se développer et à envoyer des religieuses missionnaires non seulement à Maurice, mais à Madagascar et sur la côte est de l'Afrique.

Le 18 juin 1850, en quittant l'ile, leur fondateur les confia au Père Collin qui prenait sa place. En 1852, la sœur de Mère Marie-Madeleine viendra se joindre à elle, conduite courageusement par sa mère. Elle prit le nom de Sœur Marie-Anne, et se montra une précieuse auxiliaire pour le développement de la congrégation. En 1863, leur maison mère alla s'installer à Saint-Denis, dans le quartier appelé La Providence.

Le Père Le Vavasseur prit donc résidence à Paris, 30 rue Lhomond, où il aida le Père Libermann, qui admirait toujours son zèle. Le fondateur, déjà malade, devait quitter ses confrères pour aller voir Dieu face à face, le 2 février 1852. On parlait de le remplacer par le Père Le Vavasseur, mais celui-ci voulait éviter cette responsabilité, dont il ne se jugeait pas digne.

Il y avait à l'abbaye de Notre-Dame du Gard, près d'Amiens, comme assistant du supérieur général et maître des novices, le Père Ignace Schwindenhammer, qui avait été un des premiers membres de la congrégation. Il n'avait pas l'expérience des missions comme le Père Le Vavasseur, mais il était un homme très attaché à sa congrégation et un fort bon administrateur. La question de son successeur ayant été posée àLibermann, il crut bon de dire : "Je crois que c'est le Père Schwindenhammer qui doit se sacrifier. . ."

Le Père Le Vavasseur devint son assistant et alla le remplacer à l'abbaye du Gard. Pendant près de trente ans, il se montra dévoué, humble et soumis, visitant les maisons et les ceuvres nouvelles. A la mort du Père Schwindenhammer, les confrères voulurent que le Père Le Vavasseur lui succède, ce qui arriva en 1881. Il prétexta son âge avancé, mais il dut accepter. Il devint ainsi le treizième supérieur général de la congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie.

Il n'eut que peu de mois à remplir cette charge, car dans la nuit du 16 au 17 janvier 1882, il fut appelé à rejoindre son aîné, et son corps fut inhumé avec celui de Libermann dans une petite chapelle du séminaire de Chevilly.

Mais ses filles, les Filles de Marie, désiraient que leur fondateur repose à la Providence, près de leur fondatrice, décédée en janvier 1889. Il fallut attendre jusqu'en 1967 pour voir ce désir réalisé, mais désormais les deux reposent côte à côte, dans l'île où ils ont vu le jour.

Ils avaient vécu le même idéal, en se donnant à 1'OEuvre des Noirs. Leur présence en ce lieu devait servir de témoignage, et être comme un appel, pour tous ceux et celles qui devaient suivre leur exemple.

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