Le Père Jean-Baptiste LOEVENBRUCK
1795 – 1876


C’est bien vrai. Au cours de mes recherches sur ce spiritain atypique, j’ai rencontré 56 manières d’écrire son nom. Son nom veut dire « le pont du lion ». Ce qui, ma foi, le définit assez bien. Il y a en lui du lion, et aussi d’autres aspects.

Originaire de Kemplich, entre Thionville et Sarrebruck, il est lorrain, de langue allemande. Ses parents étaient cultivateurs. Aujourd’hui, largement multiplié le clan Loevenbruck se situe en des alliances, des professions et des régions de tous ordres. Mais parlons plutôt de l’homme aux 56 orthographes.

Jean-Baptiste est baptisé par un prêtre non jureur peu après sa naissance en 1795. Il se révèle un enfant indépendant, qui pourtant se décide un jour à entrer au séminaire de Metz. Les Cent jours l’obligent à fuir à Mayence pour continuer ses études cléricales. Son évêque qui a décelé en lui des aptitudes spéciales, l’autorise à rejoindre à Paris les « missions de France » organisation de M. Rauzan pour la rechristianisation de la France. Il n’est pas encore prêtre qu’on l’envoie s’exercer dans la mission d’Arles. En 1818, il part à Grenoble recevoir l’ordination sacerdotale… et participer dès le lendemain à la mission qui s’ouvre dans la capitale du Dauphiné. Ensuite, nouvelle mission à Clermont-Ferrand, Toulouse, Cugnaud, Bayonne, St Jean de Luz, Mugron, Tartas. Il remonte à Paris, puis redescend à Marseille pour la fameuse mission de 1820. Il continue sur Toulon et termine avec un grand repas pour les bagnards. Pour couvrir les frais, il fait en passant une quête à Saint-Martin de Marseille. Il rejoint Paris, puis gagne la Normandie où on l’envoie aider l’évêque de Bayeux à organiser les missionnaires de la Délivrande. Il en profite pour donner des missions ici et là, dans l’Orne, la Manche et le Calvados, avant de revenir à Versailles et Paris.

En 1822, il fait pause dans la capitale, en rejoignant ses confrères à l’église Sainte-Geneviève (l’actuel Panthéon) ; il y lance une Association de Saint-Joseph qui veut se mettre au service des jeunes montant à Paris pour du travail. Grosse affaire qui mobilise patrons et prêtres pour aider et former, matériellement et spirituellement, les jeunes ouvriers et apprentis qu’on leur recommande (il en passera 7000 environ). Grosse affaire qui passionne Loevenbruck, et le fait courir. En 1825, il a le malheur d’accepter pour son œuvre le patronage du tout jeune duc de Bordeaux. Cela lui apporte des compensations financières mais l’entraîne aussi dans un contrôle dont il avait grand besoin. Imaginatif, honnête mais imprudent. On lui suggère un petit éloignement. Il participe donc à la mission de Rouen en mai 1826 ; mais celle-ci tourne mal. Loevenbruck se fait agresser, un garçon boucher l’arrache à temps des mains criminelles. Il en sort traumatisé. Pour se refaire une santé physique et mentale, il court à travers la France, se lance dans des entreprises hasardeuses et passe en Italie où un ami l’emmène aux eaux d’Oleggio. Lors d’une excursion à Milan, en 1827, il rencontre chez le comte Mellerio le philosophe Rosmini.

Ayant un rêve commun, ils fondent ensemble l’Institut de la Charité, ordonné à la formation du clergé et aux retraites spirituelles. Loevenbruck a trouvé le lieu d’installation : le calvaire de Domodossola. Rosmini part dans le Trentin, son pays natal, pour y tenter une extension de leur œuvre ; puis à Rome pour obtenir les approbations nécessaires. Pendant ce temps, Loevenbruck rayonne en missions paroissiales dans la région. Dans les vallées alpestres, il recrute des jeunes filles pour lancer un institut religieux adonné aux écoles de filles. C’est le début des sœurs de la Providence. Il envoie quatre sujets se former en France, tandis qu’il prospecte et recrute sur place. Au bout d’un an, les quatre reviennent avec deux françaises pour encadrement. Le noviciat s’ouvre à Locarno dans le Tessin suisse. Mais Loevenbruck va trop vite et compromet sa fondation. Rosmini intervient et l’amène à lui laisser la direction. Les religieuses de la Providence seront appelées Rosminiennes. Après avoir missionné dans l’Ossola et dans la vallée d’Aoste, Loevenbruck passe en Savoie. Aussi, quand, en 1835, l’occasion se présente à Rosmini de reprendre l’abbaye de Tamié pour en faire un centre de missionnaires, c’est tout naturellement lui qui est retenu comme moteur de la nouvelle fondation. Avec une équipe de son institut, il démarre un programme de mission pour la région. En 1837, il s’absente pour conduire une équipe de missionnaires rosminiens en Angleterre. La dureté du climat amène Rosmini à vouloir fermer Tamié ; Loevenbruck manœuvre avec l’archevêque, et se sépare de Rosmini au début de 1839 en partant donner des misions dans le sud de la France. A partir du château de Brézis dans le Gard, il fait des allées et venues dans le Languedoc et les Cévennes, et rayonne aussi en Provence : à Marseille, Cassis et la Ciotat ; à Riez, Moutiers et d’autres lieux.

C’est alors que son ami Leguay, supérieur des spiritains à Paris, fait appel à lui pour l’aider dans la transformation de son Institut. Il lui confie tout d’abord une mission aux USA, mais un naufrage en Manche le fait rentrer à Paris ; il est alors envoyé à Rome démarcher auprès de la Propagande ; sa mission aboutit, mais, lors de son retour, la révolution de 1848 a provoqué la démission de Leguay ; son successeur s’appelle Monnet. C’est l’heure de la fusion : union entre spiritains de Paris et missionnaires de Libermann à Amiens. Loevenbruck sert d’intermédiaire. Il est renvoyé à Rome pour obtenir de la Propagande l’aval de cette union qui est approuvée en septembre. En octobre, Libermann part à Rome avec Loevenbruck afin de parfaire cette fameuse union.

Libermann retourne en France et Loevenbruck part à Corfou où l’envoie la Propagande. Mission délicate dans une île où il rencontre des difficultés provenant des rapports entre catholiques et orthodoxes, et aussi d’un clergé sous-formé. Il rentre en France pour chercher des religieuses que lui et l’archevêque croient nécessaires pour l’éducation des filles. Il en trouve chez les sœurs du Bon Pasteur à Angers. Mais ils ne peuvent partir : la situation est trop brûlante dans l’île.

En 1849, Loevenbruck reprend donc les missions paroissiales dont il élargit de plus en plus le champ : diocèses d’Angers, Laval, Le Mans, Rennes, Vannes… Il accepte aussi d’accompagner le couvent des sœurs du Bon Pasteur à Saumur. Des conflits avec les supérieures lui font donner sa démission en 1858.

On le demande de partout. Il profite de l’amélioration des transports pour mieux se partager entre l’Anjou, la Mayenne, le Perche et la Bretagne et continue d’user sa vie en chaire et au confessionnal, accumulant des infirmités de plus en plus réductrices. En 1866, il se fait opérer de la cataracte par le docteur angevin Desaneaux ; opération réussie pour dix années de ministère missionnaire.

Au début de 1876, il doit s’arrêter dans sa maison du quartier Saint-Jacques à Angers. Quelques jours après, on doit le transporter chez les sœurs de la Forêt, où il meurt le 3 mars 1876 à plus de quatre-vingt ans. Ses obsèques ont lieu dans l’église Sainte-Thérèse et ses restes déposés au cimetière de l’Ouest.

Inventeur de la première œuvre sociale de l’Eglise de France au XIXème siècle, reconnu par les rosminiens comme stimulateur de Rosmini dans la fondation de l’Institut de la Charité, et par les rosminiennes comme leur initiateur, ambassadeur de la fusion spiritaine et cependant assez peu connu malgré tout des spiritains, continuateur des traditionnelles missions paroissiales dans l’Ouest, Loevenbruck, l’homme au 56 orthographes et à la semelle brûlante, a gagné le droit à une petite notice dans le Dictionnaire biographique et géographique du Maine et Loire.
René Charrier

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