Le Père Jean-Michel MEVEL,
1857-1900


Fils de Claude Mével et de Marie-Clodine Bodenès, le Père Mével est né à Plougastel-Daoulas le 5 février 1857. Préparé par des leçons de latin et de grec, qu'il reçut de l'abbé Pellot, il entra en cinquième au collège de Lesneven. Admis en rhétorique au scolasticat de Langonnet en 1877, il y fit sa philosophie, puis se rendit à Chevilly, où il reçut les saints ordres, à l'exception de la prêtrise, qui lui fut conférée à Clermont-Ferrand le 17 décembre 1881, pendant le séjour d'un an qu'il fit à Cellule, à la fin de son scolasticat.

Le germe de la vocation religieuse avait été déposé dans son âme par le Père Horner, préfet apostolique du Zanguebar, qui passa à Lesneven en 1874 et fit une conférence aux élèves sur la congrégation et ses œuvres. Aussi fut-il heureux de se dévouer à cette mission du Zanguebar et de Zanzibar, en Afrique orientale. Le Père Mével est décédé à Zanzibar le 22 septembre 1900. Mgr de Courmont a bien voulu nous adresser, sur la vie et les travaux apostoliques de ce cher et regretté confrère, la notice suivante qu'on lira avec autant d'édification que d'intérêt:

Ce fut le 7 octobre 1883 que le P. Mével partit pour le Zanguebar ; il venait de faire sa profession le 26 août précédent. Peu après son arrivée, il fut placé à Mandera. Il trouvait là, comme supérieur, un apôtre zélé, son compatriote, le P. Cado Picarda. Son application la plus attentive fut de recueillir et d'écouter les avis de ce Père, saisir et imiter cette manière de faire avec les indigènes, qui lui avait attiré tant de sympathie et une autorité si grande, bien loin à la ronde. De cette façon, le jeune missionnaire, petit de taille et fluet, sans rien d'imposant dans l'extérieur, parlant toujours d'un ton presque craintif, marqué d'un léger zézaiement, parvint lui-même à exercer, partout où il passa, un ascendant considérable. Ce qui lui ménageait cette influence, c'était non seulement la connaissance des gens du pays, de leurs idées, de leurs coutumes, de leurs superstitions, mais aussi celle de la langue indigène. Il en possédait très bien les formes et les nuances. Les Noirs se sentaient compris du Père, et ils le comprenaient. Puis il se montrait toujours plein de douceur et de patience, écoutait tout le monde, se prêtait aux longs entretiens des chefs, et répondait avec une bonté qui le rendait tout naturellement persuasif.

Après être resté près d'une année à Mandéra, le P. Mével fut appelé à Tounoungouo. C'était presque au début de la fondation. Il sut si bien s'adapter à ce nouveau milieu, qu'à la mort du P. Daull, survenue peu après, il fut désigné pour le remplacer en qualité de supérieur. Dans cette station encore inachevée, il eut successivement pour aides les PP. Helfer et Lepetitcorps, avec les FF. Acheul, Oscar et Céré, tous; à l'exception de ce dernier, passés depuis à une vie meilleure. Il continua ce qui restait à faire de constructions, en même temps qu'il organisait le village chrétien et s'attachait à convertir les Noirs des environs. Il ne négligeait pas non plus les cultures et les plantations. On arrive aujourd'hui à la station par une belle allée de manguiers, de plus de 400 mètres, à l'ombre desquels les voyageurs aiment se reposer. C'est l'œuvre du P. Mével.

La situation n'était cependant pas facile à Tounoungouo, surtout au commencement. On était alors en plein champ d'incursions de la tribu pillarde des Mafiti. A leur amour du pillage, l'occupation allemande avait ajouté chez eux la haine du Blanc, de sorte que, dans les derniers temps surtout, le danger devint sérieux. D'une nature pacifique et douce, le P. Mével se voyait continuellement obligé de faire en quelque sorte le métier de militaire. Dès le début, il avait dû organiser la défense de Tounoungouo. Les abords du village étaient protégés, la chapelle, la maison des Pères et l'école entourés d'une enceinte de murs en terre et d'un fossé. Tous les jeunes gens mariés avaient des chassepots (fusils de guerre de l'époque) et s'exerçaient au tir et à la petite guerre. Un dépôt de munitions était soigneusement entretenu. On faisait de temps à autre, aux environs, quelques démonstrations armées, quoique pacifiques, pour donner aux gens l'impression que la station était très forte et n'avait rien à craindre. Longtemps on put se croire assez protégé par cette idée que l'on avait inspirée aux gens du voisinage. Plus tard cependant, il fallut qu'un détachement de Soudanais, sous les ordres d'un officier allemand, occupât quelque temps la station. Mais le Père Mével l'avait quittée depuis quelques années.

Le soin donné à la défense de la mission et à la protection des chrétiens ne lui faisait pas négliger l'instruction religieuse, la surveillance des ménages, le développement de son école : tout cela marchait de front. Les cérémonies des dimanches et de certaines fêtes attiraient les Noirs des alentours. Le chef du pays, le vieux Mwinyé Mkoua, l'ami de la première heure, resté fidèle, assistait à la messe régulièrement chaque semaine. Pas un maneno (palabre) important dans le pays, qui ne fût porté devant le Père. Il était initié à tout. Rivalité des chefs, compétitions, conflits d'intérêts, pour tout cela on venait à lui de partout à la ronde. Ceux qui ne se rendaient pas à ses avis ne voulaient pas cependant perdre son amitié ! Ils le visitaient et lui portaient leurs cadeaux.

Le P. Mével se faisait surtout aimer de ses chrétiens par son accueil bienveillant, sa sollicitude toute paternelle. Chaque mois, à peu près, s'ils ne venaient pas le trouver, il les appelait. Il avait noté ses observations et les adressait à chacun, en ajoutant parfois, s'il le fallait, la réprimande et la punition.

Tout en cherchant le bien des âmes, il n'oubliait pas le soin des santés et les divers petits intérêts des jeunes ménages. Pour encourager ses néophytes au travail et leur faire gagner quelque chose, il les employaient comme ouvriers ou manœuvres à la station, ou comme porteurs de caravanes. Aux plus habiles tireurs, il demandait de lui apporter quelque grosse pièce de gibier, zèbre, girafe, antilope, pour l'alimentation du personnel de la mission. On en avait ainsi presque chaque semaine.. Mais pour lui, il ne se livrait jamais à la chasse. Les malades et les infirmes, il les entretenait à la charge de la mission, avec leurs femmes et leurs enfants, en les occupant selon leurs forces.

La petite chrétienté de Tounoungouo formait ainsi comme une famille sous la direction du bon Père. Tout marchait avec entrain, dans l'ordre et la paix. Le chant des cantiques était en honneur, en dehors même de la chapelle. Fidèle aux vieux airs bretons de son pays, le P. Mével en avait appliqué les mélodies à des paroles souahilies, arrangées en couplets. La Bretagne revivait ainsi, par ses chants pieux, dans ce coin de l'Oukami.

En 1891, le P. Mével quitta Tounoungouo, pour n'y plus revenir. Il était destiné à fonder une des stations projetées alors dans le Zanguebar anglais. Mais il avait besoin, avant d'entreprendre cette nouvelle et si laborieuse tâche, de retremper sa santé et ses forces au pays natal. Il fut donc autorisé à rentrer en France. En venant à la côte pour s'embarquer, il voulut faire le tour de la partie sud du diocèse, désireux de se rendre un peu compte par lui-même de ce qui se pratiquait dans les autres stations. C'était toujours pour se faire une plus complète expérience, en s'aidant de celle de ses confrères.

Ce voyage fut assez long et fatigant. Arrivés sur les bords du Kingani, son compagnon et lui trouvèrent le fleuve débordé. Force fut de camper à une bonne distance des berges et d'attendre que les eaux se fussent écoulées. Mais les provisions s'épuisèrent. Après deux jours ainsi passés, on tenta la traversée. Elle fut fort pénible. Il fallut marcher près d'un quart d'heure dans l'eau avant d'atteindre le bac. En s'approchant de l'embarcation, les plus grands seuls n'étaient pas submergés. Le Père, qui était de petite taille, s'en tira en s'appuyant sur les épaules d'un des porteurs et faisant flotter son corps toujours dans l'eau, jusqu'aux petites croupes entourant cette plaine marécageuse, si redoutée alors des caravanes. Impossible de s'asseoir pour reprendre haleine, on eût été submergé. A tout instant, il y avait à traverser de petits arroyeaux (filières d'eau), où nul n'avait pied et que les nageurs faisaient passer à ceux qui n’avaient pas de charge. Sur l'une de ces filières beaucoup plus large et plus profonde, flottait le pont en bois, qui s'était détaché. On l'utilisa comme radeau. Chargé à plusieurs reprises de bagages et de porteurs, il était poussé, sur une distance assez grande, par des nageurs qui s'y attelaient, l'emmenant et le ramenant chaque fois. Enfin, après deux heures de ce sport nautique, la caravane se dégageait. Des secours d'hommes et de provisions, envoyés de Bagamoyo, étaient tout prêts ; on en usa et l'on se remit en route. Mais, le soir même, une forte fièvre atteignit le pauvre Père et ajouta le dernier trait à ce petit incident de la vie du missionnaire.

Vers la fin de 1892, le P. Mével, revenu de France, alla occuper le poste de Boura. C'était un tout autre pays que Tounoungouo. Les gens y étaient d'une sauvagerie plus grande qu'ailleurs et d'une superstition à l'avenant. Les débuts furent pénibles. Bien des choses étaient à modifier, tant dans les travaux d'installation que pour les rapports avec les indigènes. Le Père commença par sauver la vie à un pauvre malheureux accusé de sorcellerie.. Ce fait frappa beaucoup les Taitas ; ils n'étaient guère habitués à voir agir ainsi les Blancs qui passaient dans le pays. Bientôt ils furent gagnés par sa douceur et sa charité ; et il acquit sur eux un empire véritable.

Comme supérieur, il avait une qualité précieuse pour ses subordonnés, c'était sa bonté de cœur. D'une sensibilité très vive, il savait comprendre la peine des autres et y compatir. Il fallait qu'il eût épuisé les autres moyens pour se décider à user d'autorité. D'une grande délicatesse d'impressions, il saisissait d'un coup d'œil le côté intéressant des choses, les faits et les coutumes du pays plus particulièrement dignes de remarque, et savait les retracer d'une manière vivante.

Arrivé dans la Mission en 1883, ce bon Père y est mort en septembre 1900, après y avoir travaillé durant 17 ans. On aurait pu craindre, en le voyant maigre, fluet, sans grande force de résistance en apparence, qu'il restât au-dessous de la moyenne de vie, évaluée il y a une dizaine d'années à sept ans et demi de présence pour le Zanguebar. Sa carrière de missionnaire a donc été relativement longue, et elle a été aussi bien remplie. Il laisse après lui deux belles chrétientés : celle de Saint-Augustin à Tounoungouo et celle de N.D. d'Espérance de Boura. L'une et l'autre sont les fruits de son zèle, et ce sont de ces fruits qui restent, selon la parole du divin Maître au Apôtres : Ut fructum afferatis et fructus vester maneat.

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